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Aristote - chrématistique - EC1 n°11 Posté le Mardi 29 Septembre 2009 à 21h31

Aristote

Politique I, 3 - La chrématistique


§ 11. Toute propriété a deux usages, qui tous deux lui appartiennent essentiellement, sans toutefois lui appartenir de la même façon: l'un est spécial à la chose, l'autre ne l'est pas. Une chaussure peut à la fois servir à chausser le pied ou à faire un échange. On peut du moins en tirer ce double usage. Celui qui, contre de l'argent ou contre des aliments, échange une chaussure dont un autre a besoin, emploie bien cette chaussure en tant que chaussure, mais non pas cependant avec son utilité propre; car elle n'avait point été faite pour l'échange. J'en dirai autant de toutes les autres propriétés; l'échange, en effet, peut s'appliquer à toutes, puisqu'il est né primitivement entre les hommes de l'abondance sur tel point et de la rareté sur tel autre, des denrées nécessaires à la vie.

 

§ 12. Il est trop clair que, dans ce sens, la vente ne fait nullement partie de l'acquisition naturelle. Dans l'origine, l'échange ne s'étendait pas au delà des plus stricts besoins, et il est certainement inutile dans la première association, celle de la famille. Pour qu'il se produise, il faut que déjà le cercle de l'association soit plus étendu. Dans le sein de la famille, tout était commun; parmi les membres qui se séparèrent, une communauté nouvelle s'établit pour des objets non moins nombreux que les premiers, mais différents, et dont on dut se faire part suivant le besoin. C'est encore là le seul genre d'échange que connaissent bien des nations barbares; il ne va pas au delà du troc des denrées indispensables; c'est, par exemple, du vin donné ou reçu pour du blé; et ainsi du reste.

 

§ 13. Ce genre d'échange est parfaitement naturel, et n'est point, à vrai dire, un mode d'acquisition, puisqu'il n'a d'autre but que de pourvoir à la satisfaction de nos besoins naturels. C'est là, cependant, qu'on peut trouver logiquement l'origine de la richesse. A mesure que ces rapports de secours mutuels se transformèrent en se développant, par l'importation des objets dont on était privé et l'exportation de ceux dont on regorgeait, la nécessité introduisit l'usage de la monnaie, les denrées indispensables étant, en nature, de transport difficile.

 

§ 14. On convint de donner et de recevoir dans les échanges une matière qui, utile par elle-même, fût aisément maniable dans les usages habituels de la vie; ce fut du fer, par exemple, de l'argent, ou telle autre substance analogue, dont on détermina d'abord la dimension et le poids, et qu'enfin, pour se délivrer des embarras de continuels mesurages, on marqua d'une empreinte particulière, signe de sa valeur.

 

§ 15. Avec la monnaie, née des premiers échanges indispensables, naquit aussi la vente, autre forme d'acquisition, excessivement simple dans l'origine, mais perfectionnée bientôt par l'expérience, qui révéla, dans la circulation des objets, les sources et les moyens de profits considérables.

 

§ 16. Voilà comment il semble que la science de l'acquisition a surtout l'argent pour objet, et que son but principal est de pouvoir découvrir les moyens de multiplier les biens; car elle doit créer les biens et l'opulence. C'est qu'on place souvent l’opulence dans l'abondance de l'argent, parce que c'est sur l'argent que roulent l'acquisition et la vente; et cependant cet argent n'est en lui-même qu'une chose absolument vaine, n'ayant de valeur que par la loi et non par la nature, puisqu'un changement de convention parmi ceux qui en font usage peut le déprécier complètement, et le rendre tout à fait incapable de satisfaire aucun de nos besoins. En effet, un homme, malgré tout son argent, ne pourra-t-il pas manquer des objets de première nécessité? Et n'est-ce pas une plaisante richesse que celle dont l'abondance n'empêche pas de mourir de faim? C'est comme ce Midas de la mythologie, dont le vœu cupide faisait changer en or tous les mets de sa table.

 

§ 17. C'est donc avec grande raison que les gens sensés se demandent si l'opulence et la source de la richesse ne sont point ailleurs; et certes la richesse et l’acquisition naturelles, objet de la science domestique, sont tout autre chose. Le commerce produit des biens, non point d'une manière absolue, mais par le déplacement d'objets déjà précieux en eux-mêmes. Or c'est l'argent qui paraît surtout préoccuper le commerce; car l'argent est l'élément et le but de ses échanges; et la fortune qui naît de cette nouvelle branche d'acquisition semble bien réellement n'avoir aucune borne. La médecine vise à multiplier ses guéri -sons à l'infini; comme elle, tous les arts placent dans, l'infini l'objet qu'ils poursuivent, et tous y prétendent de toutes leurs forces. Mais du moins les moyens qui les conduisent à leur but spécial sont limités, et ce but lui-même leur sert à tous de borne; bien loin de là, l'acquisition commerciale n'a pas même pour fin le but qu'elle poursuit, puisque son but est précisément une opulence et un enrichissement indéfinis.

 

§ 18. Mais si l'art de cette richesse n'a pas de bornes, la science domestique en a, parce que son objet est tout différent. Ainsi, l'on pourrait fort bien croire à première vue que toute richesse sans exception a nécessairement des limites. Mais les faits sont là pour nous prouver le contraire; tous les négociants voient s'accroître leur argent sans aucun terme.

Ces deux espèces si différentes d'acquisition, employant le même fonds qu'elles recherchent toutes deux également, quoique dans des vues bien diverses, l'une ayant un tout autre but que l'accroissement indéfini de l'argent, qui est l'unique objet de l'autre, cette ressemblance a fait croire à bien des gens que la science domestique avait aussi la même portée; et ils se persuadent fermement qu'il faut à tout prix conserver ou augmenter à l'infini la somme d'argent qu'on possède.

 

§ 19. Pour en venir là, il faut être préoccupé uniquement du soin de vivre, sans songer à vivre comme on le doit. Le désir de la vie n'ayant pas de bornes, on est directement porté à désirer, pour le satisfaire, des moyens qui n'en ont pas davantage. Ceux-là mêmes qui s'attachent à vivre sagement recherchent aussi des jouissances corporelles; et comme la propriété semble encore assurer ces jouissances, tous les soins des hommes se portent à amasser du bien; de là, naît cette seconde branche d'acquisition dont je parle. Le plaisir ayant absolument besoin d'une excessive abondance, on cherche tous les moyens qui peuvent la procurer. Quand on ne peut les trouver dans les acquisitions naturelles, on les demande ailleurs; et Ton applique ses facultés à des usages que la nature ne leur destinait pas.

 

§ 20. Ainsi, faire de l'argent n'est pas l'objet du courage, qui ne doit nous donner qu'une mâle assurance; ce n'est pas non plus l'objet de l'art militaire ni de la médecine, qui doivent nous donner, l'un la victoire, l'autre la santé; et cependant, on ne fait de toutes ces professions qu'une affaire d'argent, comme si c'était là leur but propre et que tout en elles dût viser à atteindre ce but.

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