Leibniz
Discours
métaphysique, V
5. ‑ En
quoi consistent les règles de perfection de la divine conduite, et que la
simplicité des voies est en balance avec la richesse des effets.
Il suffit donc d’avoir cette confiance en Dieu, qu’il
fait tout pour le mieux, et que rien ne saurait nuire à ceux qui
l’aiment ; mais de connaître en particulier les raisons qui l’ont pu
mouvoir à choisir cet ordre de l’univers, à souffrir les péchés, à dispenser
ses grâces salutaires d’une certaine manière, cela passe les forces d’un esprit
fini, surtout quand il n’est pas encore parvenu à la jouissance de la vue de
Dieu. Cependant on peut faire quelques remarques générales touchant la conduite
de la Providence dans le gouvernement des choses. On peut donc dire que celui
qui agit parfaitement est semblable à un excellent géomètre qui sait trouver
les meilleures constructions d’un problème ; à un bon architecte qui
ménage sa place et le fonds destiné pour le bâtiment de la manière la plus
avantageuse, ne laissant rien de choquant, ou qui soit destitué de la beauté
dont il est susceptible ; à un bon père de famille, qui emploie son bien
en sorte qu’il n’y ait rien d’inculte ni de stérile ; à un habile
machiniste qui fait son effet par la voie la moins embarrassée qu’on puisse
choisir ; à un savant auteur, qui enferme le plus de réalités dans le
moins de volume qu’il peut. Or les plus parfaits de tous les êtres, et qui
occupent le moins de volume, c’est-à-dire qui s’empêchent le moins, ce sont les
esprits, dont les perfections sont les vertus. C’est pourquoi il ne faut point
douter que la félicité des esprits ne soit le principal but de Dieu, et qu’il
ne la mette en exécution autant que l’harmonie générale le permet. De quoi nous
dirons davantage tantôt. Pour ce qui est de la simplicité des voies de Dieu,
elle a lieu proprement à l’égard des moyens, comme au contraire la variété,
richesse ou abondance y a lieu à l’égard des fins ou effets. Et l’un doit être
en balance avec l’autre, comme les frais destinés pour un bâtiment avec la grandeur
et la beauté qu’on y demande. Il est vrai que rien ne coûte à Dieu, bien moins
qu’à un philosophe qui fait des hypothèses pour la fabrique de son monde
imaginaire, puisque Dieu n’a que des décrets à faire pour faire naître un monde
réel ; mais, en matière de sagesse, les décrets ou hypothèses tiennent
lieu de dépense à mesure qu’elles sont plus indépendantes les unes des
autres : car la raison veut qu’on évite la multiplicité dans les
hypothèses ou principes, à peu près comme le système le plus simple est
toujours préféré en astronomie.