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EC1 n°21 Posté le Dimanche 14 Mars 2010 à 18h13

Saint Thomas - Somme Théologique

ARTICLE 5: Est-il permis de se tuer?

Objections:

1. Il semble que le suicide soit permis. L'homicide, en effet, n'est défendu que comme péché contre la justice. Mais il est impossible de pécher par injustice envers soi-même, ainsi que le prouve Aristote. Donc nul ne pèche en se tuant.

2. Il est permis à celui qui détient l'autorité publique de tuer les malfaiteurs. Mais parfois il est lui-même un malfaiteur. Il est donc permis de se tuer.

3. Il est permis de s'exposer spontanément à un péril moindre pour en éviter un plus grand, de même qu'il est permis, pour sauver tout son corps, de se couper un membre gangrené. Or il peut arriver qu'en se donnant la mort on évite un plus grand mal, comme serait une vie misérable ou la honte d'un péché. Il est donc permis parfois de se tuer.

4. Samson s'est suicidé (Jg 16, 30). Pourtant il est compté, d'après l'épître aux Hébreux (11, 32), parmi les saints.

5. Le deuxième livre des Maccabées (14, 41) rapporte l'exemple de Razis qui se donna la mort, « aimant mieux périr noblement que de tomber entre des mains criminelles et de subir des outrages indignes de sa noblesse ». Mais rien de noble et de courageux n'est illicite. Donc se tuer n'est pas illicite.

Cependant, S. Augustin écrit « C'est de l'homme que doit s'entendre le précepte: "Tu ne tueras point." Ni ton prochain par conséquent, ni toi-même; car c'est tuer un homme que se tuer soi-même. »

Conclusion:

Il est absolument interdit de se tuer. Et cela pour trois raisons:

1° Tout être s'aime naturellement soi-même; de là vient qu'il s'efforce, selon cet amour inné, de se conserver dans l'existence et de résister autant qu'il le peut à ce qui pourrait le détruire. C'est pourquoi le suicide va contre cette tendance de la nature et contre la charité dont chacun doit s'aimer soi-même.

2° La partie, en tant que telle, est quelque chose du tout. Or chaque homme est dans la société comme une partie dans un tout; ce qu'il est appartient donc à la société. Par le suicide l'homme se rend donc coupable d'injustice envers la société à laquelle il appartient, comme le montre Aristote.

3° Enfin la vie est un don de Dieu accordé l'homme, et qui demeure toujours soumis a pouvoir de celui qui « fait mourir et qui fait vivre » Aussi quiconque se prive soi-même de la vie pèche contre Dieu, comme celui qui tue l'esclave d'autre pèche contre le maître de cet esclave, ou comme pèche encore celui qui s'arroge le droit de juger une cause qui ne lui est pas confiée. Décider de la mort ou de la vie n'appartient qu'à Dieu seul, selon le Deutéronome (32, 39): « C'est moi qui fais mourir et qui fais vivre. »

Solutions:

1. L'homicide est un péché non seulement parce qu'il s'oppose à la justice, mais parce qu'il est contraire à la charité que chacun doit avoir envers soi-même. De ce point de vue le suicide est un péché par rapport à soi-même.

Mais il a encore raison de péché comme opposé à la justice par rapport à la société et à Dieu.

2. Celui qui détient l'autorité publique peut licitement faire périr un malfaiteur puisqu'il a le droit de le juger. Mais nul n'est juge de soi-même. Par conséquent, il n'est pas permis à celui qui détient l'autorité publique de se tuer pour n'importe quel péché. Il peut cependant se livrer au jugement d'autres autorités.

3. Par le libre arbitre, l'homme est constitué maître de soi-même. C'est pourquoi il peut disposer de soi-même dans tout le domaine de la vie soumis à son libre arbitre; mais le passage de cette vie à une autre plus heureuse relève du pouvoir divin, non du libre arbitre de l'homme. Il n'est donc pas permis à l'homme de se tuer pour passer à une vie meilleure.

Le suicide n'est pas non plus permis pour échapper aux misères de la vie présente; puisque, comme Aristote l'a montré: « Le dernier des maux de cette vie, et de beaucoup le plus redoutable, c'est la mort. » Se donner la mort pour fuir les misères de l'existence présente est donc recourir à un plus grand mal pour en éviter un moindre.

Il n'est pas d'avantage permis de se tuer à cause d'un péché qu'on a commis. Soit parce que l'on se cause le plus grand préjudice en se privant du temps nécessaire pour faire pénitence. Soit encore parce que la mise à mort d'un malfaiteur n'est licite qu'après un jugement prononcé par la puissance publique.

Il n'est pas non plus permis à une femme de se tuer pour éviter d'être souillée. Parce qu'elle ne peut pas commettre sur elle-même le pire crime, le suicide, pour empêcher autrui de commettre un crime moindre. En effet, il n'y a pas de crime chez une femme à qui l'on fait violence, si elle refuse son consentement; comme disait sainte Lucie: « Le corps n'est souillé que si l'âme y consent. » Or il est évident que le péché de fornication ou d'adultère est moindre que l'homicide et surtout que le suicide; ce dernier crime est le pire, puisque d'une part, on se nuit à soi-même, alors qu'on se doit le plus grand amour; et que, d'autre part, il est le plus dangereux, puisqu'on n'a plus le temps de l'expier par la pénitence.

Enfin, il est encore interdit de se tuer dans la crainte de consentir au péché. Car « on ne doit pas faire le mal pour qu'il arrive du bien » ou pour éviter d'autres maux, surtout moindres et moins certains. Or, il n'est pas sûr que l'on consentira plus tard au péché. Car Dieu est assez puissant pour préserver l'homme du péché, quelles que soient les tentations qui l'assaillent.

4. D'après S. Augustin: « Samson, qui s'est enseveli avec ses ennemis sous les ruines de leur temple, n'est exempt de péché que parce qu'il obéissait ainsi à l'ordre secret du Saint-Esprit qui, par lui, faisait des miracles. » Et il attribue le même motifs aux saintes femmes qui se donnèrent la mort en temps de persécution, et dont l'Église célèbre la mémoire.

5. C'est un acte de la vertu de force de ne pas craindre de subir la mort pour le bien de la vertu et pour fuir le péché. Mais si quelqu'un se tue pour éviter un châtiment, ce n'est là qu'une apparence de force; certains se sont tués en croyant agir avec courage, c'est le cas de Razis; mais ce n'est pas là une vertu de force authentique. C'est bien plutôt le fait d'une âme faible, incapable de supporter la souffrance. Aristote et S. Augustin l'ont montré tous deux.

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