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EC1 n°22 Montaigne 1 Posté le Jeudi 1 Avril 2010 à 15h04

Montaigne Essais Exercitation

Ce ne sont mes gestes que j'escris ; c'est moy, c'est mon essence. Je tien qu'il faut estre prudent à estimer de soy, et pareillement conscientieux à en tesmoigner : soit bas, soit haut, indifferemment. Si je me sembloy bon et sage tout à fait, je l'entonneroy à pleine teste. De dire moins de soy, qu'il n'y en a, c'est sottise, non modestie : se payer de moins, qu'on ne vaut, c'est lascheté et pusillanimité selon Aristote. Nulle vertu ne s'ayde de la fausseté : et la verité n'est jamais matiere d'erreur. De dire de soy plus qu'il n'en y a, ce n'est pas tousjours presomption, c'est encore souvent sottise. Se complaire outre mesure de ce qu'on est, en tomber en amour de soy indiscrete, est à mon advis la substance de ce vice. Le supreme remede à le guarir, c'est faire tout le rebours de ce que ceux icy ordonnent, qui en defendant le parler de soy, defendent par consequent encore plus de penser à soy. L'orgueil gist en la pensée : la langue n'y peut avoir qu'une bien legere part. De s'amuser à soy, il leur semble que c'est se plaire en soy : de se hanter et prattiquer, que c'est se trop cherir. Mais cet excez naist seulement en ceux qui ne se tastent que superficiellement, qui se voyent apres leurs affaires, qui appellent resverie et oysiveté de s'entretenir de soy, et s'estoffer et bastir, faire des chasteaux en Espaigne : s'estimants chose tierce et estrangere à eux mesmes.

Si quelcun s'enyvre de sa science, regardant souz soy : qu'il tourne les yeux au dessus vers les siecles passez, il baissera les cornes, y trouvant tant de milliers d'esprits, qui le foulent aux pieds. S'il entre en quelque flateuse presomption de sa vaillance, qu'il se ramentoive les vies de Scipion, d'Epaminondas, de tant d'armées, de tant de peuples, qui le laissent si loing derriere eux. Nulle particuliere qualité n'enorgeuillira celuy, qui mettra quand et quand en compte, tant d'imparfaittes et foibles qualitez autres, qui sont en luy, et au bout, la nihilité de l'humaine condition.

Par ce que Socrates avoit seul mordu à certes au precepte de son Dieu, de se connoistre, et par cest estude estoit arrivé à se mespriser, il fut estimé seul digne du nom de Sage. Qui se connoistra ainsi, qu'il se donne hardiment à connoistre par sa bouche.

 

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