Maktub (extrait n° 14)
Le maître dit :
« Si vous devez pleurer, pleurez comme un enfant. Vous avez été enfant autrefois, et pleurer est l’une des premières choses que vous avez apprises. Et puis, cela fait partie de la vie. N’oubliez jamais que vous étés libre et qu’il n’est pas honteux de manifester vos émotions. Criez, sanglotez, aussi bruyamment que vous le souhaitez, car c’est ainsi que pleurent les enfants, et s’ils savent comment soulager rapidement leur cœur.
« Avez-vous déjà remarqué comment les enfants s’arrêtent de pleurer ? Quelque chose les distraits, attire leur attention vers une nouvelle aventure. Les enfants cessent de pleurer rapidement.
« Et c’est ce qui vous arrivera, mais seulement si vous pleurez comme pleure un enfant. »
Paulo Coelho
Maktub (extrait n° 13)
Nous sommes tous désireux d’agir, de trouver des solutions, de prendre des mesures. Nous sommes toujours en train de faire un projet, d’en conclure un autre, d’en découvrir un troisième.
Il n’y a pas de mal à cela – en fin de compte, c’est ainsi que nous construisons et transformons le monde. Mais l’acte d’adoration aussi fait partie de notre vie.
S’arrêter de temps en temps, sortir de soi et demeurer silencieux devant l’univers. Se mettre à genoux, corps et âme. Sans rien demander, sans penser, sans même remercier pour quoi que ce soit. Seulement vivre l’amour silencieux qui nous enveloppe. Dans ces moments là, il se peut que jaillissent quelques larmes inattendues – qui ne sont ni de joie ni de tristesse.
N’en soyez pas étonné. C’est un don. Ces larmes lavent votre âme.
Paulo Coelho
Maktub (extrait n° 12)
Lorsque le voyageur avait dix ans, sa mère le poussa à suivre un cours d’éducation physique. L’un des exercices consistait à sauter dans la rivière du haut d’un pont. Comme il mourrait de peur, il s’arrangeait toujours pour être le dernier de la rangée et souffrait, chaque fois qu’un autre garçon sautait, à l’idée que viendrait bientôt son tour.
Un jour, voyant son appréhension, le professeur l’obligea à sauter le premier. Sa peur n’avait pas disparu, mais tout se passa si vite qu’il eut cette fois du courage.
« Très souvent, nous devons prendre notre temps. Mais quelquefois nous devons retrousser nos manches et affronter la situation. Dans ce cas, il n’est rien de pire que de reporter à plus tard. »
Paulo Coelho
Maktub (extrait n° 11)
« Tous les maîtres affirment que le trésor spirituel est une découverte solitaire. Alors, pourquoi sommes-nous ensemble ? demanda un disciple à son maître.
-Vous étés ensemble parce que la foret est toujours plus forte qu’un arbre isolé, répondit celui-ci. La foret conserve l’humidité, résiste mieux à l’ouragan et contribue à la fertilité du sol. Mais ce qui fait la force de l’arbre, c’est sa racine. Et la racine d’une plante ne peut pas aider une autre plante à pousser.
« Etre ensemble avec un but commun et permettre que chacun se développe à sa manière, voilà le chemin de ceux qui désirent communier avec Dieu. »
Paulo Coelho
Un paysan avare avait toujours des ennuis et des chagrins parce que les ouvriers et les servantes ne restaient pas longtemps chez lui et le quittaient à chaque instant. Il ne leur demandait pas plus de travail que les autres, mais il ne leur donnait pas à manger autant qu'ils en avaient besoin. Ceux qui avaient supporté trois ou six mois cette vie de chien étaient forcés d'aller chercher fortune ailleurs. Quand on sut dans le pays pourquoi les domestiques le quittaient toujours, le paysan avare ne trouva plus d'ouvriers.
Loin de là, à Aloutaga, vivait un célèbre sorcier, c'est lui que le paysan alla consulter. Il lui apporta une bourse pleine et d'autres présents et lui demanda conseil : n'était-il pas possible de trouver un ouvrier et une servante qui mangeraient moins et ne ruineraient pas leur maître.
Le sorcier répondit : « La chose est bien possible, mais elle dépasse mes forces ; pour cela il faut aller chez le vieux (diable) qui seul peut t'aider. » Puis il lui expliqua plus longuement ce qu'il y avait à faire. Il devait aller trois jeudis soirs de suite un peu avant minuit à un carrefour avec un lièvre noir dans un sac, et là siffler jusqu'à ce que le « vieux maître » arrivât. « C'est à toi à conclure le marché, dit le sorcier, je n'y puis plus rien. Mais ne te laisse pas tromper. » Le paysan demanda où il pouvait trouver un lièvre noir, et le sorcier lui dit de prendre un chat noir.
Le premier jeudi soir le paysan mit un chat noir dans un sac et il se rendit au carrefour, malgré la peur qui le faisait tressaillir. Il siffla et attendit, mais personne ne vint. Enfin il siffla encore une fois et pensa : S'il ne vient pas à présent, j'ai fait inutilement le chemin. Un bruit se fit entendre dans l'air comme celui d'un soufflet de forge, puis il vit voler une masse noire dans l'air et une voix demanda : « Que veux-tu, mon frère ? »
« J'ai un lièvre noir à vendre, » répondit le paysan.
« Viens jeudi prochain, je n'ai pas le temps de faire marché aujourd'hui, » dit la voix et au même moment la masse disparut aux yeux du paysan.
Il était bien fâché d'avoir fait inutilement le chemin, mais il n'y avait rien à faire, un inférieur doit être patient avec ses supérieurs.
Le jeudi suivant, l'affaire marcha mieux. À peine avait-il sifflé une fois qu'un petit vieux apparut, une sacoche autour du cou et demanda : « Que veux-tu, mon frère ? »
Le paysan répondit de nouveau : « J'ai un lièvre noir à vendre. »
« Quel est le prix ? » demanda le vieillard étranger.
« Je ne veux rien autre chose en échange du lièvre noir qu'un ouvrier et une servante qui ne me ruinent pas par leur appétit, » dit l'homme.
« Pour combien de temps veux-tu conclure l'engagement ? » demanda le « vieux maître »".
« Même pour toute ma vie, » fut la réponse du paysan.
Mais l'étranger remarqua que c'était impossible et qu'ils ne pouvaient traiter que pour sept ans ou deux fois sept ans. Le paysan y consentit.
« Eh bien, viens jeudi prochain, apporte ton lièvre noir, et je t'amènerai l'ouvrier et la servante qui ne te demanderont ni à manger ni à boire, mais pendant la sécheresse tu dois les mettre pour la nuit à tremper dans l'eau, sans quoi ils sécheront et ne pourront plus travailler. »
Le paysan se trouva exactement le troisième jeudi au carrefour ; il siffla et le « vieux maître » apparut tout de suite, mais seul, il n'y avait ni l'ouvrier ni la servante avec lui.
« Tu dois me donner trois gouttes de sang de ton annulaire (doigt sans nom) pour la confirmation du traité et pour que tu ne puisses reculer après, » dit l'étranger.
Le paysan demanda où [étaient] l'ouvrier et la servante.
« Dans le sac, » dit le vieux maître.
La sacoche n'était pas assez grande, et le paysan crut à une fourberie. L'étranger qui semblait deviner ses pensées lui dit : « Je ne te trompe pas. » Il plongea la main dans la sacoche et jeta un étui de la grandeur d'une quenouille par terre en disant : « Voilà ton ouvrier ! » Un homme de grande taille et aux larges épaules se tint tout de suite à côté du vieux maître. De l'autre étui qu'il jeta de la sacoche sortit la servante.
« Voilà tes domestiques qui ne veulent pas manger, » dit l'étranger. « Maintenant donne-moi les gouttes de sang et le lièvre noir ; puis tu pourras rentrer chez toi. » Le paysan fit ce qu'on lui ordonnait et demanda enfin les noms de ses nouveaux domestiques. « Le nom de l'ouvrier est Puulane (de bois) et le nom de la servante Tohtlane (d'écorce) » dit le vieux maître, puis il mit le prétendu lièvre dans son sac et disparut. Le paysan rentra avec ses domestiques chez lui. L'ouvrier et la servante travaillaient tous les jours, du matin au soir, sans demander à manger, ce qui plaisait beaucoup au paysan. Quand parfois pendant les chaleurs d'été ils paraissaient sécher, on les mettait pour la nuit à tremper et le lendemain matin ils étaient frais et forts comme auparavant. Le paysan avare accrut dès lors ses trésors chaque année, n'ayant ni à nourrir ses domestiques ni à leur payer un salaire. Ainsi s'étaient passées deux fois sept années et il ne s'en fallait que de quelques semaines. Il était accablé de chagrin en songeant qu'il allait perdre les domestiques et il réfléchit aux moyens de prolonger le délai stipulé.
Un matin, s'étant levé, il vit que l'ouvrier et la servante n'étaient pas au travail. Il crut qu'ils dormaient encore au grenier et il y grimpa par l'échelle, mais il n'y trouva pas un être vivant. Sur la couche où ils avaient dormi il ne vit qu'un morceau de bois pourri et une petite masse d'écorce de bouleau. Soudain il comprit ce que signifiaient les noms de la servante et de l'ouvrier, qui avaient été créés de bois et d'écorce par une force magique. Il voulut redescendre par l'échelle, mais une main le saisit par la gorge et l'étrangla.
La femme ne trouva plus tard au grenier que trois gouttes de sang. En entrant au magasin des provisions elle remarqua que le blé avait disparu et que la caisse d'argent était remplie de feuilles sèches de bouleau. Toute la fortune avait disparu et la femme en mourut de chagrin, sans même savoir que le « vieux garçon » avait étranglé son mari qui par avarice lui avait vendu son âme.