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Eclats de rires éclats de voix

Sarah dans tous ses états

Les Portes du Pakistan Posté le Jeudi 13 Mai 2010 à 16h26

Même effet qu’après l’Ethiopie, difficile de tourner la page. Même si je suis à nouveau en Europe, je suis toujours là-bas. Mes pieds sont posés sur le sol mais ils flottent. Mon esprit pense comme ici mais il est traversé de pensées lointaines. Grand vide autour de moi. Là-bas, je recherchais la solitude. Ici, je n’en profite plus vraiment. Pas encore… Il me faut un peu de temps. Repousser le moment de mettre mes impressions sur papier pour qu’elles restent encore vibrantes et vivantes. Pourtant on ne peut pas échapper au mouvement. La vie m’entraîne vers d’autres chemins et je dois les prendre mais le cœur n’y est pas. Pas encore… La vie allait si vite. Là-bas. Elle était si différente. Plus chargée. Plus forte. Plus vraie. Des moments faits d’absolu et de simplicité.

 

Je me suis chargée de dizaines de vêtements, de pâtisseries, de colliers. J’ai maintenant de quoi non seulement décorer tout mon appartement d’objets d’Asie du Sud et même des tenues de fêtes avec mes saris bleu et noir et leurs parures assorties. Je voulais prendre un peu de ce continent avec moi. Ne pas le quitter tout à fait. Ce soleil qui se lève, est-ce bien le même qu’ici ? Au réveil, je me souviens d’une boule rouge au-dessus des sommets gris encore endormis. Les nuages se posaient discrètement sur les montagnes. Etions-nous plus proches du ciel ou bien le ciel lui-même se rapprochait-il de nous ?

 

Il y a bien entendu des rencontres qui ne s’oublient pas. Munier, Zulkhan, Waqas, Rabia, Rehanna, Sultan, Rafiq, Saïd, Riyaz. J’en reverrai peut-être certains, d’autres pas. Mais nos rencontres ont été belles. Elles ont eu le mérite d’exister, de nous inspirer, de nous marquer, de nous faire avancer, de nous faire grandir. Il a aussi des paroles qui ne s’oublient pas : « Tu fais partie de nous », « Tu es ici chez toi », « Moi aussi je t’appellerai par ton nom africain, Sarah Thiam, j’aime bien ce nom et son histoire. » Rire et plaisanter avec des hommes et des femmes dont je ne connais ni la langue, ni l’histoire, ni même parfois le nom. Se sentir parfois si proches. Vivre tous ensemble au quotidien et former une famille.

 

Un soir, nous avons formé un grand cercle. Chacun s’est levé à son tour pour réciter un poème, faire un sketch, danser, chanter ou raconter une blague. Quand la poésie devenait trop belle, on s’exclamait : « Ahhh ! » « Moukarar ! » (Encore !). On applaudissait. A mon tour, j’ai été invitée à venir au milieu. J’ai chanté une chanson devant un parterre d’hommes et de femmes attentifs qui écoutaient sans comprendre les paroles en arabe. « Chouf tek marra » (un jour, je t’ai vu). Puis Rafiq nous a joué de la guitare et nous avons tous chanté en cœur avec lui. Je vivais un moment unique. J’étais entrée dans un cercle qui n’accueille pas sur carte de membre ou sur paiement de cotisation. Un cercle humain qui est le fruit d’une histoire, d’un voyage et de circonstances improbables. Un cercle qui unit et qui rassemble tout en laissant chacun libre de partir et de reprendre sa route vers ailleurs. Un cercle qui unit mais qui n’attache pas. Qui rassemble mais qui ne lie pas.

 

Il y avait aussi les plaisanteries au quotidien. Nos délires collectifs. Comme celui du « Club des Djidji » car bon nombre d’hommes mariés reçoivent sans arrêt des coups de fil de leur femme et répondent « Dji. Dji » (oui, oui). Il y avait un Président élu au suffrage universel, des membres d’honneurs et quelques membres secrets. Quand on se présentait aux autres, on donnait sa fonction mais on mentionnait souvent son appartenance à ce club d’élite. Je suis bien évidemment entrée dans le jeu en tant qu’aspirante en chef au Club select des « Dji Dji ».

 

L’improvisation loufoque continuant, deux de mes collègues ont commencé à m’appeler « Professeur Sarah », puis l’imagination aidant « Princesse Sarah » et pour finir « Queen Sarah ». Comme je n’avais pas reçu mon autorisation pour aller au Cachemire, ils m’expliquaient avec le plus grand sérieux que les autorités avaient jugé que ma présence était éminemment plus nécessaire dans la région du nord ouest, d’où leur refus de me laisser aller au Kashmir afin de bénéficier de ma visite dans une autre région. Quand nous étions arrêtés par les innombrable check-points sur la route, ils soutenaient sans blêmir que l’armée avait entendu parler de ma visite et que le protocole exigeait tous les honneurs dont le tapis rouge et une vérification de chaque kilomètre de route parcouru. Le trajet paraissait moins long et l’aventure de la vie encore plus extraordinaire.

 

Un soir, pour aller à une réception, un collègue a lancé l’idée que je serai sa deuxième femme pour la soirée. Je n’avais pas d’invitation et sa femme résidait au Soudan car depuis peu, le Pakistan ne permet plus aux familles d’expatriés d’y résider. Nous avons passé une soirée magique dans un cadre digne des mille et unes nuits. Le décor était de style arabo-andalou. Un pianiste jouait de la musique classique sur un long piano noir. Nous buvions le thé. Il m’a raconté sa vie et sa rencontre avec sa femme. Il me disait : « Rien que de lui parler au téléphone, mon cœur est saturé ; il n’y a jamais eu la place pour une autre depuis que je l’ai rencontrée. » Et il ajoutait : « If you really love someone, set him free. (Si tu aimes vraiment quelqu’un, laisse-le libre.) Moi, tout ce qui m’importait, c’était son bonheur à elle. »

 

Le Pakistan m’a fait sentir que je revenais chez moi, même si j’y étais pour la première fois et que tant de coutumes me semblaient d’un autre âge, comme les mariages fréquents de jeunes filles de 14 ou 15 ans avec des hommes de 40 ans. Un pays aux cents visages. Celui des deux épouses mères de 7 et 8 enfants d’un même mari. Celui du grand Nazim si puissant qui avait quitté sa maison durant les affrontements dans la région de Buner pour se réfugier à Mardan avec ses femmes et ses 15 enfants. Celui des deux sœurs institutrices qui vivaient dans la maison de leur père avec leurs 5 frères. Une maison comme à l’ancien temps qui respirait le propre et la fraicheur dans une lumière douce et chaleureuse. Le visage très maquillé des travestis qui poussent subitement la porte du magasin et reçoivent de l’argent.

2 commentaires. Dernier par Irina D le 14-05-2010 à 12h39 - Permalien - Partager
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