Les championnats d’Europe IBSA se déroulaient du 18 au 21 novembre à Crawley (Angleterre). Retour sur la dernière étape permettant de marquer des points pour l’obtention du quota, sésame pour les Jeux paralympiques de Londres. Plongée dans un week-end auprès d’athlètes handicapés visuels.
Hébergé dans l’hôtel Hilton de l’aéroport de Gatwick, j’apprécie les chambres spacieuses et la très bonne fonctionnalité du lieu. Le prestige de la chaîne hôtelière ne me touche pas mais pour nous, déficients visuels, bénéficier d’allées larges et dégagées, de chambres spacieuses représentent une contrainte en moins. Il ne s’agit pas du confort mais de l’aspect pratique qui permet de nous adapter rapidement à un lieu inconnu. Arrivée mercredi en soirée, je ne tarde pas à me coucher après avoir pris soin de contrôler mon poids avec l’aide de Lucas Clairet (-73 kg). Avant de fermer les yeux, je repense aux athlètes croisés dans l’établissement, ceux saisissant leur proche par l’épaule, ceux se déplaçant avec leur canne blanche, et je suis satisfait d’être enfin présent sur ce rendez-vous, entouré de longue date. Calme et serein, je passerai une bonne nuit. Le lendemain matin, j’enfile le kimono et répète mes gammes, toujours avec Lucas, sous l’œil avisé de l’entraîneur Lionel Gigli. Ca y est, on y est vraiment ! Sensations ? Plutôt bonnes. Je retrouve le groupe pour le déjeuner. Chaque mal voyant guide un non voyant. Les cadres « valides », nous décrivent les plats. Quelques crudités, un peu de volailles et une petite louche de pâtes. Le pudding évité, la digestion sera légère et la balance me sourira. Prochaine étape : le contrôle ophtalmique.
Coup de tonnerre
A l’instar du groupe j’appréhende un peu ce moment toujours très long et ne comprends pas pourquoi tous les athlètes doivent être examinés, d’autant plus que l’IBSA m’a déjà contrôlé. Arrivé dans la salle d’attente, je commence à comprendre. La délégation ukrainienne s’agite dans tous les sens. Certains judokas azéris font la moue. Le Français Kévin Villemont reste avec les médecins durant quasiment une heure. Le climat est tendu. Le docteur Georges Challe multiplie les allers et venues. Il nous confirme la nouvelle rigueur des contrôles. Un membre du staff de l’Azerbaïdjan se rapproche de ses troupes et lève le ton. L’homme semble rouge de colère. Les rumeurs deviennent une réalité : le -81 kg Ravadan Safarov et le -90 kg Tafig Mammadov, tous deux azéris et médaillés mondiaux, sont classés inéligibles et ne pourront s’aligner sur la compétition qui débute demain. Il s’agit d’un véritable coup de tonnerre ! Cinq autres athlètes subiront le même sort. Pire, c’est au total 37 sur 140 judokas qui se verront disqualifiés, leur sélection ne les ayant pas présentés au contrôle ophtalmique. Un pavé dans la mare, un véritable scandale. Personnellement, ça ne change rien pour moi. Je reste classé B2 sur une échelle de B1 (non voyant) à B3 (celui qui y voit le mieux parmi les mal voyants). Le judoka classé B1 se verra coller une pastille rouge sur son kimono pour être clairement identifié des arbitres. La règle étant très claire : avoir moins d’1/10 au meilleur des deux yeux avec correction et avoir un champ visuel réduit. Aucun Français n’est sanctionné. Malgré ce tollé, il ne faut pas se déconcentrer. Après le repas du soir, Lionel m’apprend le tirage au sort. Au menu : le turc Yakin Onel au premier tour d’une compétition qui commence en huitièmes de finale. Il n’y a pas le choix, il faudra gagner ce combat pour espérer quelque chose car derrière, en quarts de finale, le vainqueur retrouvera l’ukrainien Ihor Zasyadkovych expérimenté ; il m’avait battu en place de trois aux précédents championnats d’Europe de Debrecen (Hongrie), en 2009. Si je passe ce premier tour, je m’offre une belle revanche qui pourrait m’emmener en demie. Demain pourrait être une très belle journée, à moi de jouer !
La victoire sinon rien
Vendredi 18 novembre, le jour où il faut être à son pic de forme, la date où les doutes doivent s’effacer. Depuis le 1er septembre, je travaille spécifiquement pour cette échéance en intégrant le pôle INEF de Paul-Thierry Pesque et en revenant régulièrement auprès de mon club gardois, le Judo Club Spiripontain, pour montrer ma progression et écouter mon coach, mon ami, Patrice Souche (4e dan). Je suis prêt. Direction le complexe sportif K2 de Crawley. Sur place, comme à son habitude, le judo handi n’attire pas les foules et les tribunes sont désertes. L’échauffement se déroule bien. Je suis concentré sur les mains, grosse bataille de garde. Il est temps d’en découdre. Je rejoins la chambre d’appel, les commissaires sportifs me prennent par le coude afin de me guider vers le tapis. Sur cette minute qui me sépare du hajime, je pense à ne pas faire d’erreurs de concentration, pas de précipitation, rester lucide, ça sera la clé de la réussite. « Fort sur les mains, tu tractes, tu tractes, l’ouverture va se faire. Ecoute et applique à la lettre les consignes et ça va le faire garçon », me glisse à l’oreille le varois Lionel Gigli qui sera sur la chaise. Les arbitres de coin viennent nous chercher, nous entrons sur le tatami, toujours guidés par les arbitres. Ceux-ci se retirent. L’arbitre du centre nous fait saluer et nous installe la garde, seule différence notoire avec le judo pour « valides ». C’est parti ! D’entrée, le Turc joue avec les bordures, l’arbitre annonce « jogaï », ce qui nous permet de rectifier le tir car, avec ce signal, nous nous repérons. J’augmente mon agressivité, et tente d’imposer ma main droite derrière son dos pour développer mon judo. « Tracte ! Encore ! Toujours en emmenant à toi, plus fort ! », me dicte Lionel. Je commence à monter en intensité, les séquences sont courtes et la première minute doit arriver. Mon adversaire commence à baisser la tête, j’attaque o-ochi gari, ce qui me crée l’ouverture pour ko-ochi, ça ne fait pas encore tomber. « Voilà c’est ça ! Encore ! Plus fort ! N’avance pas ! », m’encourage Lionel. Je veux hausser le ton. Le Turc baisse un peu plus la tête puis, se redresse et fuit l’opposition. C’est mon combat, il ne doit pas m’échapper, je fais un demi pas vers lui pour le rattraper et le maîtriser à nouveau, j’avance donc… Il tourne sur ippon seoi nage dans le timing, il n’a pas besoin de voir, il a ressenti ma grossière erreur, et plus petit que moi, il se place parfaitement. Je chute. Je comprends, c’est terminé : ippon. L’arbitre nous récupère et nous ramène au centre, nous saluons, je retrouve Lionel. Il n’y a rien à se dire. Nous savons tous les deux que ma compet’ s’arrête là. Je suis très déçu car je me sentais bien et j’avais l’envie de partager une belle journée avec tout un staff tricolore. De retour à la salle d’échauffement, je ne quitte pas mon kimono. Lucide, je sais que je ne serai pas repêché. Par respect pour mon vainqueur et pour ce sport, je ne me change pas encore mais il faudra un miracle…
Du bronze pour les copains
Pas abattu non plus, je suis la compétition des autres Français, en attendant mon sort. L’ukrainien Yurli Fidkivka (-73 kg) ne se présente pas devant Lucas. En quarts, il affronte un Azéri, Ramin Aliyev qu’il maîtrise et qu’il pousse à la faute, ce dernier venant directement chercher dans les jambes. En demie, il s’incline logiquement contre le russe Shakhban Kurbanon. Mais à 17 ans, il s’offre, en place de trois, une belle victoire face au jeune allemand Nikolaï Kronhaus, dans une opposition révélant l’avenir du handisport. Solène Laclau (-48 kg) avait pourtant très bien réussi sa première victoire : être au poids et de manière intelligente. Elle sera moins heureuse sur le tatami, se faisant sortir dès le premier tour, les repêchages ne lui souriant pas non plus. En -52 kg, Sandrine Martinet bataille contre l’allemande Ramona Brussig. Perturbée à la garde, elle s’incline par wazari. Elle remontera le tableau des repêchages et décrochera le bronze. En -57 kg, Marion Coadou, obtient une victoire précieuse dans une poule de quatre filles. Elle devient donc, à son tour, médaillée de bronze. Au milieu de tous ces affrontements, la voix du speaker s’élève pour annoncer la confrontation entre Yakin Onel et Ihor Zasyadkovych. Je me retire. Et au bout d’un temps relativement court : « and the winner is… Ihor Zasyzdkovych from Ukraine ! ». Sans surprise. Le haut niveau, même handisport, ne laisse pas de place aux erreurs, ni aux miracles. Sans comparer mon judo à eux, je pense à David Larose (-66 kg) et à Alain Schmitt (-81 kg) sortis tous deux dès le premier tour des France 1ere div. Je repense à Wang (-73 kg), éliminé, en quelques secondes par Ugo Legrand, aux derniers championnats du monde de Paris Bercy. Ces judokas sont-ils mauvais ? Sont-ils terminés ? Je ne pense pas. Ils subissent, comme moi aujourd’hui, la loi du sport de compétition. De son côté, Kévin Villemont, en -60 kg, va au bout de sa journée mais se heurte, en place de trois, comme moi, il y a deux ans, au ura nage de l’Ukrainien Zasyadkovych.
Et Cyril Jonard perd toutes chances pour les Jeux
Samedi 22 novembre, les leaders français entrent en piste. Julien Taurines (+100 kg) après avoir battu le russe Alexander Parasyuk, perd en finale contre le redoutable azéri Ilhan Zakiyev. Notre capitaine Olivier Cugnon de Sévricourt (-90 kg) réalise une très belle compet’ en devenant, lui aussi, vice champion d’Europe, l’Anglais Sam Ingram l’empêchant de conquérir le titre continental par un joli yoko tomoe nage. En -81 kg, Cyril Jonard devait relever un incroyable challenge. Champion paralympique 2004, vice champion paralympique 2008, champion du monde 2006, champion d’Europe 2007, vice champion d’Europe 2009, l’homme mal entendant et mal voyant n’avait pas le choix. Il fallait au moins se retrouver en finale pour ouvrir le quota pour les Jeux de Londres. Absent des championnats du monde 2010 pour cause de blessure au dos, éliminé prématurément aux jeux mondiaux, en mars dernier, le judoka de l’AJ Limoges était au pied du mur. En handisport, seulement trois compétitions permettent de marquer des points pour la ranking list. A l’arrivée, les douze meilleures nations de chaque catégorie de poids pourront aligner un athlète à Londres. Maîtrisant parfaitement son quart de finale, Cyril était sur la bonne voie. Mais c’étais sans compter sur l’ukrainien Kossinov qui survola le championnat. Telle une véritable descente aux enfers, il s’inclina de nouveau en place de trois ayant pourtant mené pendant longtemps par yuko. 5e ça ne suffira pas pour ouvrir le quota pour les -81 kg.
Une médaille par équipe pour un champion hors pair
Au premier tour, nous retrouvons la deuxième équipe de Russie. Une nation proposant deux équipes est une nouveauté, ceci étant complexe à réaliser, le règlement imposant un athlète B1 titulaire au premier tour. Le tableau semble ouvert. Déception, nous nous inclinons sévèrement quatre à un, notre vaillant capitaine Olivier s’inclinant lui aussi. En final de repêchage, nous sortons les Grecs quatre à un. Nous combattons contre l’Azerbaïdjan pour obtenir le bronze et faire aussi bien qu’en 2009. Il y a de la tension. Avec ses absents disqualifiés, la sélection azérie n’a plus le même visage mais reste une équipe très compétitive. Deux minutes avant le début des combats, je ressens un problème. Je vois deux judokas s’échanger les kimonos. Le sélectionneur essaie de brouiller les pistes mais se fait démasquer : une équipe type indiquée ne peut être modifiée à la dernière minute. « Les gars, en face, ils ont peur, on est à une victoire de la médaille ! On ne lâche rien ! Il va falloir se surpasser, les copains sont derrière ! France ! », hurle Olivier Cugnon de Sévricourt, en nous serrant les uns contre les autres, tête contre tête. Cyril gagne, se rassure et nous fait mener deux à un. Entre en piste Olivier. S’il ne gagne pas, c’est Julien qui devra faire la différence face au champion paralympique et vainqueur de la veille. Mené à la mi-combat par wazari, notre +100 kg se prépare pour lutter contre son rival. C’était sans compter sur la détermination de notre capitaine qui, à dix secondes de la fin, marque ippon sur un mouvement d’épaules. « Je savais que ça finirait par passer », s’exclame celui qui nous offre la médaille de bronze. La direction de l’IBSA me demande de monter sur le podium pour recevoir la coupe mais c’est très logiquement que nous nous écartons pour faire monter Cyril Jonard. Un grand champion qui, malgré sa détresse, a su faire le job pour ses amis, son équipe, son pays.
Benjamin Téoule