Blog créé grâce à Iblogyou. Créer un blog gratuitement en moins de 5 minutes.

Sur la route des étoiles

chronique d'une mère endeuillée

. Posté le Mercredi 21 Juillet 2010 à 17h02

NOS REGRETS

 Avons-nous fait assez pour que cela n’arrive pas ?

C’est toujours la question que se pose chaque jour mon mari. Il ne cesse de me dire qu’il n’a pas eu la conviction nécessaire qui aurait permis à notre fils d’arrêter de faire de la moto. Il se sent en partie responsable de sa mort. Il y était cependant arrivé, car quinze jours avant l’accident, Julien avait indiqué à ses amis qu’il avait conscience du danger que cela représentait et qu’il ferait dorénavant ce « sport » uniquement sur circuit car il ne voulait pas «  prendre une voiture en pleine face…. »

 Julien était seriné continuellement par nous deux. Il nous disait être prudent et nous lui répondions : «oui, mais il y a les autres ».Oui les autres ! Pourtant, il avait eu un avertissement deux ans auparavant : il avait eu un grave accident avec son amie sur le périphérique, vers Paris, percutés par une voiture qui a déboité subitement. Ils s’en étaient sortis : Perrine avait eu une épaule cassée et Julien des blessures aux genoux et deux doigts abîmés qui avaient laissé des séquelles. Il était kinésithérapeute et cela le gênait dans l’exercice de son métier. Nous pensions qu’il ne remonterait plus sur une moto car il avait eu très peur. Il m’avait dit : « maman, quand j’ai vu que j’allais être percuté, je t’ai appelée parce que j’ai la vu la mort arriver ». Aujourd’hui, je suis persuadée que lors de l’accident qui lui a été fatal, il a pensé la même chose. Cela me fait mal.

Pendant plusieurs mois, nous nous sommes sentis tranquilles car il ne parlait plus de ces engins de mort et puis un jour, une nouvelle « machine » est arrivée. En tout cas, hors de la maison, car suite à ce premier accident, nous avons refusé par la suite de le recevoir avec cette « mécanique »; il avait compris le message : la voiture était de mise à chacune de ses visites.

Nous avons essayé de ne plus trop y penser car nous nous disions qu’il avait frôlé la mort une fois et que la malchance lâcherait prise, sachant toutefois que personne n’est immortel. Il n’était pas en âge de mourir.

Un jour, Julien demande à son père ce qu’il souhaite pour la fête des Pères :

Mon mari lui répond : «Que tu arrêtes de faire de la moto »

Et Julien rétorque : « Papa, tu me demandes la seule chose que je ne peux te donner »………

Tout petit, il était attiré par les deux roues : lorsqu’il regardait les catalogues de jouets au moment de Noël, il me disait souvent : « Quand je serai grand, j’aurai une moto ».

Nous avons tenu bon jusqu’à ses 18 ans. Quelque temps après, avec ses économies, il s’est acheté une moto cross et il a même souscrit seul une assurance. Il avait tout prévu ; à compter de ce moment, nous avons su ce que veut dire le mot « inquiétude » : chaque retard de Julien lorsqu’il partait avec, nous mettait en panique mais nous n’avions pas d’autre choix que de le laisser faire. Notre fils avait sa majorité comme il disait ; Il pouvait faire ce qu’il voulait ! Si nous avons été impuissants pour la moto, Julien a dû cependant respecter les règles de la maison, bon gré et mal gré jusqu’à son envol.

 Avons-nous trop pensé au malheur qui a fini par arriver ?

 Julien savait combien nous avions peur pour lui.

Tous les dimanches soirs, nous avions notre rendez-vous téléphonique et quand le téléphone sonnait quel soulagement ! Tout allait bien.  

Maman, m’a t’il dit un jour, n’aies pas peur. Envoie-moi des ondes positives.

Cette phrase me fait beaucoup réfléchir désormais car ne lui aurions-nous pas envoyé des ondes négatives à force d’avoir peur ?

Les paroles que l’on regrette :

Le jour de la fête des Mères 2007, je me sentais très déprimée : je n’avais aucun enfant auprès de moi pour cette fête magnifique. Je pleurais.

Le premier m’ayant téléphoné pour me la souhaiter, c’est Julien. J’ai éclaté. Je lui ai fait des reproches : « je ne voyais pas assez mes enfants et aucun n’avait la délicatesse de garder cette journée pour moi ».  Il s’est fâché et nous avons raccroché. Je savais que j’aurais dû lui dire autrement, sans emportement ; alors je l’ai rappelé pour m’excuser. Il avait de la peine. Je m’en veux encore et pour toujours.

Avec Julien ce n’était qu’une petite chamaillerie parmi tant d’autres avec sa maman, mais je ne sais pas pourquoi, lorsque j’ai fait ce reproche, j’ai senti que je le regretterais un jour….. parce que, à cet instant, j’ai eu peur d’avoir coupé le lien maternel avec mon fils qui me rendrait malheureuse pour le restant de mes jours. Je me disais aussi « Et s’il arrivait un malheur et que je n’ai pu obtenir son pardon ? »

 Pourquoi plus ce jour-là que d’autres car c’était toujours très épidermique entre nous deux ? Et puis mon fils m’aimait trop et connaissait mon impulsivité. Nous étions les mêmes l’un et l’autre sur ce point bien précis et nos « affrontements » n’avaient jamais aucune conséquence.

Je pense que j’ai eu inconsciemment un ressenti qui hélas s’est expliqué deux mois et demi plus tard. Je ne peux revenir en arrière. Cette impuissance me mine.

J’ai appris bien trop tard que notre fils avait une vie bien remplie que nous ne soupçonnions pas ;  je n’aurais jamais dû lui faire ce reproche ; il était un homme pressé : il travaillait beaucoup et croquait la vie à 200 à l’heure. Il était partout. Il excellait dans de nombreuses disciplines sportives ; rien ne lui faisait peur.

Julien était loin de nous et n’avait pas le temps de nous raconter sa vie.

Il disait à qui voulait l’entendre qu’il ne vivrait pas longtemps car il lui arrivait toujours une multitude de mauvaises choses : des incidents sérieux voire graves essentiellement avec tout ce qui était « avec des roues « : les voitures, les motos et même les vélos. Il n’était pour ainsi dire jamais responsable mais il promenait sa  malchance avec lui. Cela le faisait pleurer quelquefois.

Il y a eu de nombreux témoignages  à l’église qui n’a pu accueillir toutes les personnes venues lui rendre hommage, faute de place ; un grand nombre est resté à l’extérieur. La bénédiction de son corps a duré plus d’une heure.

Notre fils était sur le canton de CHARNY en Puisaye depuis cinq ans et avait réussi à se faire une « aura » auprès de toutes les générations.

Arrivé dans cette région trois jours après avoir obtenu son diplôme de kinésithérapeute pour un remplacement d’un ou deux mois, notre fils n’est jamais reparti. Pourtant, c’était un citadin dans l’âme.

 Il appréciait la gentillesse de ses patients qui l’adoraient ; ces personnes vraies, sincères, l’attendaient souvent impatiemment lorsqu’il se déplaçait à domicile, car il était parfois la seule visite de la semaine.

Il aimait cette vie qu’il s’était construite, remplie de contacts qui lui apportaient énormément.

Il avait également noué des amitiés sincères qui ne faiblissent pas ; les visites sur sa tombe sont nombreuses.

Il était coatch d’une équipe féminine de basket ; « ses filles », comme il disait, l’adoraient ; leur effondrement le jour de ses obsèques nous avaient inquiété ; alors pour essayer de les soutenir, quelques jours après, nous les avons réunies et offert la coupe que Julien détenait en qualité d’entraîneur des « cadettes », qu’elles avaient gagnée deux mois auparavant. Nous avons beaucoup échangé avec elles ce soir-là et même ri des anecdotes qu’elles nous racontaient, car Julien était drôle, gai, un tourbillon de vie et je pense qu’il donnait, par sa façon d’être, de grands moments de  bonheur. Ces jeunes filles font partie désormais de notre univers et leur tendresse nous comble.

Que de larmes ce 24 août 2007.                                                                                                                            

Les mots que l’on n’ose dire :

Mon mari regrette de ne pas lui avoir assez dit qu’il l’aimait. Le connaissant, je sais que c’est par pudeur. Pourquoi cette carapace ? Parce que c’est ainsi que les hommes fonctionnent. Pourtant un jour ou l’autre, les émotions transpirent et aujourd’hui elles sont bien là : il caresse son visage sur la stèle, il l’embrasse et souvent il pleure et cela chaque jour et il lui dit aussi « je t’aime mon fils ».

Combien de fois ai-je entendu : « Regarde comme il est beau ; j’ai envie de le prendre dans mes bras mais j’ai peur qu’il me trouve ridicule ».

Pourtant, avant de refermer le cercueil, il a soulevé le corps de notre enfant raidi par la mort, en pleurant pour l’embrasser une dernière fois. Sa douleur était extrême……

*************

Un commentaire. Dernier par boutique dédiée aux enfants de la naissance à 10 a le 23-07-2013 à 10h31 - Permalien - Partager
Commentaires