La Zidanomania a gagné le monde alors que le Marseillais, critiqué en début de Mondial, réalise son rêve : finir sa carrière en finale de la Coupe du monde, dimanche.
Entre ici, Zinedine Zidane. Panthéonisation assurée par la planète. Présidentialisation demandée par la foule française. Purification des âmes journalistiques pécheresses (d'avoir douté), implorée... L'homme dansera dimanche soir son ultime ballet face à l'Italie. Décor : finale de Coupe du monde. Audience : trois milliards de téléspectateurs. Passeport pour l'éternité assurée en cas de victoire, billet pour la canonisation même en cas de défaite. Zidane, 34 ans, footballeur de profession et passion de footballeurs. Trait d'union entre générations, entre religions, entre corporations. Ne jamais oublier ce qu'on lui fait porter et ce qu'il doit supporter, qu'il a porté la grâce et fût porté par elle. Et qu'en Houdini du cuir, il a toujours échappé à ceux qui ont cru le cerner, l'enterrer, ou le magnifier.
Astres. Zidane, ou le revenant parti pour ne pas rester. Partir-revenir. Repartir. En beauté et en majesté. Si partir c'est mourir un peu, pour lui, partir une première fois de l'équipe de France, à l'été 2004, après une piteuse élimination par la Grèce en quart de finale du championnat d'Europe, ce fut pour mûrir la réflexion de revenir un an plus tard. Revenir après avoir entendu une voix, une nuit, quand Domenech lisait dans les astres et désespérait «des fonds de tiroirs à racler» pour composer l'équipe. Revenir, ça aurait pu être mourir, sportivement, d'une petite mort. Qu'aurait pesé sa contribution à la qualification au Mondial, si son ultime match en bleu avait été ce non-match contre la Corée du Sud ? Pataud, carbo, cartonné. Zidane aurait pu se tromper de porte de sortie. Revenu par la fenêtre, il a (déjà) réussi son départ.
C'était il y a deux semaines, une éternité. C'était après un France-Togo au cours duquel les Bleus avaient montré qu'ils n'avaient pas tout oublié du foot. C'était le temps de l'inimaginable : et si l'équipe de France était meilleure sans lui qu'avec lui ? Et s'il avait pris Domenech en otage ? Et s'il n'était qu'une antiquité qu'on promenait dans une poussiéreuse vitrine bleue ? Et puis il y eut la rédemption contre l'Espagne. La vampirisation du statut de Brésilien contre le Brésil. Le passage en résistance, en souffrance, contre le Portugal. Une trilogie dans la dramaturgie à la Kieslowski, façon Bleu-Blanc-Rouge. La mythification est en marche.
«Cool» . Désormais, poser la question de savoir qui de lui ou Platini est le plus grand joueur français de l'histoire, c'est blasphémer. Pour tout le monde aujourd'hui, Zidane c'est le talent de Maradona et le charisme de Pelé.Un mélange d'abbé Pierre et de Gandhi. De Martin Luther King et de Dalaï-Lama. Et pas seulement pour la presse française. La Zidanomania est mondiale. Encensé par la grande presse, comme aux Etats-Unis. «L'homme le plus cool du monde», s'émerveille le New York Times, qui suggère «de faire un film de promotion avec des images de l'enthousiasme de Zidane et de le montrer aux joueurs, jeunes et vieux» . Vénéré jusqu'à la presse tabloïd, à Londres : «Zizou, Zorro, Ze Man. Appelez-le comme vous voudrez...», zozote le Sun ; « Une dernière démonstration de ses talents magiques sur la plus grande de toutes les scènes», balance le Daily Mirror, qui s'inflige un «Allez les Bleus».Un peu comme si Michelin (le guide) se mettait à vanter la cuisine anglaise.
Les médias ont plongé avec Zizou dans le troublant grand Bleu. En apnée quand, sans oxygène, sans jus, il semblait couler. En respirant un grand coup après la qualif et son match-corrida contre l'Espagne. En surfant, depuis, sur la vague qui, façon tsunami footballistique, emporte toute autre actualité sur son passage. Ah, les médias. Tondus, dès lundi, sur la place publique ? A poil, façon Thierry Roland, qui l'a promis ? Sommés d'expliquer comment ils ont pu passer du «Zidane crépuscule» au «Zidane majuscule». Le journaliste ne raconte plus ce qu'on lui donne à voir. Pas d'entraînement, pas d'entretien particulier, pas de coulisses. Que le sport-spectacle donné sur un pré. Et au début, contre la Suisse ou la Corée, les critiques avaient de quoi être sceptiques...
Templiers. Le chemin de croix sur fond de stratégie fort Knox a galvanisé Zidane. Pour une rédemption quasi-religieuse. ZZ : au nom du père, du fils et de la sainte technique. Bon mari (pas d'aventures extra-conjugales officielles répertoriées). Bon père (quatre fils) et bon fils (le prochain buzz médiatico-zidanien sera le voyage annoncé en Algérie avec son père). Pas vraiment un Dark Vador des pelouses. Même si la force obscure a parfois fendu l'armure du fantassin-créateur. Evaporé l'essuyage de crampons sur un joueur saoudien en 1998. Oublié le brassard balancé et la porte des vestiaires labourée après sa sortie deux minutes avant la fin du match contre la Corée. Zappée la tendance à voir et écoper des «rouges». Image lisse. Ne reste que le joueur. Une modestie affichée et un sens du collectif au service d'une équipe passé du strass doré d' I Will Survive au stress dopant d' « on vit ensemble, on meurt ensemble». Les Bleus, c'est un joli syncrétisme, un joyeux cocktail rituels-croyances : les templiers des stades, une dose «équipe-secte». Avec Zidane en grand prêtre et Domenech en apprenti sorcier réduit à son amulette Govou ?
«Le meilleur joueur du monde depuis vingt ans», dit Marcelo Lippi, le coach italien. Zidane, ses passements de jambes, ses roulettes, ses doubles contacts, ses coups du sombrero, son instinct. Et son intelligence de jeu à l'image de la gestion intelligente de son image. Zidane donne l'impression de jouer comme un môme. C'est aujourd'hui plus l'art du dépouillement que l'enfance de l'art d'hier. Un film documentaire a tenté de sonder l'âme du joueur. Ce fut Zidane : un portrait du XXIe siècle de deux plasticiens. Un truc de sculpteur (visage, pieds) qui tente d'isoler Zidane. Or, la marque ZZ, c'est aussi de faire jouer les autres. De sentir, d'anticiper, de deviner. Parler avec un ballon. La dernière réplique in situ est pour dimanche.