Qui se cache derrière ce grand voile,
Quelqu’un digne d’être mon étoile ?
Qui se cache derrière ce grand voile,
Quelqu’un digne de poser sur ma toile ?
Ce siècle était vieux quand tu vins au monde,
Il traînait les pas, tu poussais tes premiers cris.
La terre était belle, les forets denses, véritables abris ;
Les pluies tombaient beaucoup.Le soleil dans sa ronde
Quotidienne souriait aux savanes fleuries des régions alentour.
La lune n’oubliait pas d’éclairer les villages sans borne.
La nuit soufflait le vent. Les étoiles de la voûte faisaient le tour,
La fourmi savait sa route, le rhinocéros peignait sa corne.
Les cimes des arbres portaient de drôle de couleur,
Les Noirs vaillants face aux Blancs dans le saule
Avec leurs bras forts de nègres. Les rayons de chaleur
Restaient cachés dans les cheveux verts des arbres touffus. Sol
Vierge, terre riche ! Dans le calme obligé du colon impérial
Poussaient les poils d’Eburnie, magnifique lit de duvet
Qu’allait recouvrir cette terre tienne où tu croissais jovial
Et heureux. La nature était austère, les énormes nuages bavaient
Des pluies diluviennes que buvaient toujours gloutons les arbres
Centenaires dont les longues racines épaisses formaient les nervures
De la terre sauvage où vivaient nos soixante ethnies sans palabres.
Puis l’époque vint, époque de tes contemporains ayant souffert les bavures
Noires des Blancs, sous le hideux étendard tricolore de l’impérialisme aux deux visages ;
Epoque de tes épaules innocentes dont se servait l’envahisseur pour avancer
Dans sa marche , la marche dans la conquête d’une terre d’hommes sauvages ;
Terre précieuse à mettre en valeur, hommes barbares à faire danser
La musique libératrice des civilisations occidentales, bénies cultures des dieux.
Puis l’époque vint, époque de la servitude réelle qui traçait heureusement les chemins
De la modernité ; longues routes commerciales, chemins de fer sans fin et mieux
Premières cultures d’exportation. Même si tu avais les pieds et les deux mains
Liés par l’excessive vénération du Toubab, tes yeux ont vu les douleurs
De l’enfantement du développement, de ce développement sur les sillons
Duquel nous marchons sans voir l’issue lumineuse qui essuiera les pleurs
Agacés de nos ventres rachitiques qui meurent peu à peu sous les aiguillons
De nos politiques sans permis de conduire, conducteurs aveugles de peuplades ignorants.
Qui se cache derrière sur cette grande toile,
Certainement une terre qui oublie de prendre, de la scène, les devants ;
Certainement des hommes qui ne voient pas briller dans le ciel leur étoile.
Le destin, divin maître, avait tiré les cartes et lancé le dé
D’une ère où les hommes ne sauraient pas quoi faire de leur vie ?
Pendant que tu reposes sur tes terres ancestrales, à Kaadé
Ton petit-fils gît dans une nation complètement dévastée et meurtrie.