Les perceptions négatives suivantes sont venues à moi :
1. La déplorable tentation de la confrontation.
Il m'a pris environ 45 minutes pour débarquer de l'avion et remplir les
formalités d'arrivée. Durant ces 45 minutes, j'ai assisté à 4 bagarres
dont une impliquant une dame. J'en verrai bien d'autres le long des
rues de la ville et dans la circulation. La tolérance, la courtoisie,
le respect de soi et d'autrui ont largement reculé dans notre pays. On
cherche à affronter l'autre, quelquefois à l'humilier sans raisons ni
objectifs identifiables. On veut prendre la parole sans l'avoir
demandée, on ne veut croire qu'à une seule vérité, la sienne. Cette
tentation a cours y compris dans les rangs de ceux qui prétendent
diriger le pays. Pour exemple, à la fin de mon séjour, j'ai appris
qu'un parti important, l'Adéma venait de prendre des mesures
disciplinaires extrêmes à l'endroit de certains des siens suspectés de
vouloir ne pas suivre les directives du parti relatives au choix des
futurs candidats à la présidence de la République. C'est de la
confrontation inutile. Le problème aurait pu être résolu en mettant ces
cadres en congé du parti. Après les élections, tout le monde se
retrouvera. Les décisions prises par l'Adéma, basées sur la
confrontation et non le dialogue et la tolérance, vont opposer des
amis, diviser des familles et séparer des camarades. Je suis peut-être
naïf mais je crois que cette politique de la répression et de la
confrontation n'est pas le bon modèle pour le Mali. Comment
pouvons-nous expliquer à des jeunes enfants dans la cour de recréation
qu'il est mauvais de frapper son camarade si précisément les seuls
exemples donnés par les adultes depuis les parents jusqu'aux dirigeants
politiques est la castagne. Ceux qui aspirent à diriger le Mali doivent
cultiver la tolérance, le dialogue et en donner l'exemple.
2. Le désordre et l'incivisme.
La parfaite illustration de ces deux maux se retrouve dans la
circulation où les règles sont royalement ignorées et le respect dû aux
forces de l'ordre avec.
3.
La pollution. La pollution est une triste réalité à Bamako. Je me
demande quel en est l'impact sur la santé des populations dans des
quartiers enclavés entre des routes poussiéreuses comme Niaréla,
Bozola, etc. En plus il est navrant de constater qu'une ville de la
taille de Bamako en s'agrandissant davantage ne construise ni assez
d'espaces verts ni assez d'espaces sportifs pour les jeunes. Ceci ne
constitue pas un progrès dans un pays où l'écrasante majorité de la
population est jeune.
4. L'arrogance du privilège.
Bamako est nervurée par des routes nouvelles rendant la circulation
aisée entre les quartiers. Cependant, aucune disposition ou presque ne
m'a semblée avoir été prise pour améliorer la vie des populations
riveraines. J'ai vu un groupe de personnes attendant le long de
l'ancienne route de l'aéroport derrière le fleuve, une opportunité de
traverser. Nul policier n'était visible et aucun véhicule ne prêtait
attention à ces piétons. Je voudrais demander à M. le gouverneur et à
M. le maire de Bamako de penser à ces gens arrêtés au bord de routes de
plusieurs kilomètres sans feu de signalisation séparant les populations
de leurs lieux d'activités et de vie. La route est par essence un lien,
un cordon ombilical. A Bamako, elle est devenue une frontière, une
ligne de démarcation, une tranchée, un espace où s'exhibe à la fois
l'arrogance de nous tous ayant le privilège de se déplacer à l'aide
d'un moyen de locomotion à l'encontre de ceux de nos compatriotes
infortunés de devoir marcher à pied.
5. L'absence de l'évaluation.
Je suis allé voir les « boutiques » au marché de Médine
construites à grands frais il y a quelques années par la mairie pour y
transférer les commerçants exerçant naguère au centre ville, le long
des avenues. Ces vraies cellules de prison de haute sécurité sont
devenues des dépotoirs, des lieux où, par manque de toilettes publiques
les gens vont se soulager. Des lieux de prostitution aussi,
semble-t-il. Il faudrait procéder à une évaluation de cette opération
afin d'éviter la répétition d'un tel gaspillage.
Au-delà
de ces impressions éplorées, revenons à la matière du déjeuner informel
chez « PPR » et Mme. Ce fut une occasion de discuter avec des
hommes très compétents et très sérieux. Vue de Bamako, l'économie
malienne semble très active. Le problème est qu'elle est alimentée par
trois sources qui enivrent, mais ne développent point. Ce sont des
drogues. Ces drogues sont : la corruption (au sens large),
l'endettement structurel (importation de biens avec déséquilibre de la
balance commerciale) et l'aide extérieure. Nous n'avons ici ni l'espace
ni le temps d'examiner ces trois éléments. Je vais me contenter de
parler uniquement de la place de la corruption dans l'économie du pays.
De
façon évidente, c'est la construction de maisons d'habitation qui
constitue actuellement le moteur de l'économie à Bamako. J'ai dû me
faire une opinion de l'origine du financement de ces activités de
construction. Comment ? J'ai constitué deux échantillons ; un
premier échantillon fait de 10 maisons nouvellement construites d'une
valeur bâtie (n'incluant pas la valeur du terrain) estimée par mes
soins à plus de 50 millions de F CFA (je suis très certainement en
dessous des valeurs de certaines des maisons que j'ai vues). Dans le
second échantillon, j'ai mis 10 terrains non bâtis dont les valeurs
sont officiellement annoncées au-delà de 20 millions de F CFA.
Il
m'est revenu que 80 % des maisons de mon échantillon appartiendraient à
des fonctionnaires ou assimilés et 90 % des terrains de mon autre
échantillon appartiendraient à la même catégorie d'individus ; les
fonctionnaires. En d'autres termes, 85 % des projets immobiliers en
cours, selon ma succincte revue, chaque projet revenant à plus de 70
millions CFA, seraient entrepris par des fonctionnaires dont le revenu
annuel connu serait inférieur à un million CFA. Si ces entreprises
étaient faites honnêtement, ces personnes devraient travailler 70 ans
et dédier la totalité de leurs revenus durant ces 70 ans pour les
réaliser. Tous les témoignages concordent pour dire que ces projets
durent en moyenne 2 ans. Ainsi la seule conclusion crédible est que ces
projets sont financés par de l'argent ayant une origine non déclarée.
Je
ne vais point m'aventurer sur des chemins juridiques qui me sont
largement inconnus pour identifier et qualifier la corruption.
Cependant, sur la base de données matérielles tangibles, essayons de
regarder de près cette corruption et son impact sur la vie économique.
Tout
d'abord un point d'histoire. La corruption au sens moderne est arrivée
chez nous dès le début de l'aventure coloniale. Je fais référence, en
simple amateur, à ce point d'histoire sous la réserve de ne pas être
démenti par les éminents intellectuels connaisseurs de l'histoire du
Mali que sont Sékéné Mody Sissoko (natif de la région dont je vais
parler), Bakary Kamian et d'autres.
Je
retiens que le premier homme de pouvoir identifiable à avoir succombé à
la tentation de la corruption dans notre pays fut Dioukha Samballa
Diallo, roi du Khasso Dembaya. Hawa Demba Diallo, fondateur de la
dynastie, avait établi dans sa capitale de Médine des règles
privilégiant le dialogue des cultures. En témoignage de ces règles, il
donna sa fille en mariage au chef des marchands français du nom de
Duranton. Plus tard son successeur, Dioukha Samballah Diallo, accepta
de vendre aux Français 4 hectares de terre à 5000 F de l'époque ;
montant public de la transaction. En réalité, il accepta aussi de
recevoir 1200 F des représentants français voulant le
« remercier ».
Ce
« cadeau » sous forme de rente était payable à lui
personnellement et annuellement. C'est sur ces 4 ha de terre, que
Faidherbe fit construire, en 1855 le fort de Médine. C'est de ce fort
que partira, sous la conduite du colonel Brière de Lisle, la colonne
armée qui étendit sur notre pays l'étendard de la colonisation dont la
première étape fut la prise par la force de Logo-Sabouciré le 22
septembre 1878. Le reste est devenu de l'Histoire.
Plus
tard sous le Mali indépendant, les premiers cas retentissants de
corruption rendus publics et dont j'ai le souvenir étaient ceux liés à
des « billeteurs » du ministère de l'Education nationale dont
je tais les prenons mais qui s'appelaient Diallo et Koné. Je saute les
années et les cas pour arriver à la période actuelle débutant sous la
transition en 1991. Je laisse le soin aux historiens, aux sociologues
et autres psychologues d'expliquer comment et pourquoi les
« nouveaux » leaders nés d'une révolution sanglante ont tant
voulu s'enrichir si vite au point de faire de la corruption une
industrie à part entière, et même l'industrie la plus profitable de
notre pays.
Dans
notre pays où le sens de l'honneur et de la dignité étaient très forts,
il est arrivé que des hommes et des femmes n'hésitent plus à se vanter
de posséder des biens soustraits à autrui. Ceci est une tragédie morale
nationale et historique. Pour la première fois dans notre histoire,
nous avons vu, depuis 1991, l'apparition de véritables ingénieurs de la
malversation, du détournement de fonds publics à des fins personnelles.
Lorsqu'il a fallu procéder à des audits, les termes de référence furent
écrits de façon à ce que « les aiguilles recherchées
soient sous certains pieds pendant que les auditeurs avaient mandat
explicite de chercher partout sauf sous les pieds ».
Il
y a aujourd'hui au Mali des hommes et femmes ayant servi ou en service
au bureau du Vérificateur général, au Contrôle d'Etat, entre autres,
avec une grande connaissance des mécanismes de la corruption. Nous
autres citoyens ordinaires devons nous auto-éduquer pour éviter de
prendre part aux schémas ordinaires de la corruption réalisés en
surfacturant les marchés, en détournant les allocations budgétaires
sans affectation précise, en faisant des prélèvements à la source
lorsque les paiements sont faits cash, en ne reversant pas les excès
sur les frais de mission ou en faisant du trafic d'influence. Ceci pour
ne citer que des modèles connus de tous. J'ai relevé que le ministre
Konimba Sidibé, grand connaisseur de la matière, a sur ces questions,
d'excellentes idées que notre pays gagnerait à exploiter.
Il existe des schémas simples de malversation basés sur le trafic d'influence consistant à faire commerce de la phrase « c'est le président qui a dit… »
et consistant à transformer des avis favorables donnés à une étude de
dossier en une autorisation d'exécuter un projet si ce n'est pas,
simplement, une obligation de faire. Les secrétariats généraux de la
présidence et du gouvernement peuvent convenir d'un codage des
documents internes au gouvernement ; codage connu de tous les
membres du gouvernement et des membres de leurs cabinets afin
d'annihiler cette filière de corruption.
Il
y a des ingénieurs de la corruption, nous l'avons dit. Cependant, j'ai
l'impression que de nombreux Maliens se retrouvent dans la corruption
par manque d'information par ignorance et parce qu'il est devenu
admissible de prendre ce qui n'est pas à soi. Ils sont certainement
heureux de se retrouver avec de l'argent inattendu et une capacité
d'acquérir des biens basiques auxquels tout travailleur devrait avoir
droit sans dérogation comme le manger, l'éducation, le logement, la
santé, l'habillement, etc.
J'ai
la conviction qu'une campagne continue d'information et d'éducation
pourrait permettre de dire aux gens quel comportement constitue un acte
de corruption et donc un acte illégal. On pourrait espérer, pour autant
que l'on croit qu'une bonne éducation fait de bons citoyens, qu'une
telle campagne serait plus efficace que de jeter en prison des chefs de
famille, dont j'ai la conviction, une fois de plus, que beaucoup
agissent plus par ignorance et par suivisme que poussés par une volonté
de malfaiteur. Précisons cependant que l'ignorance ne diminue en rien
la responsabilité légale de ceux qui commettent un acte délictueux de
corruption ou en bénéficient comme receleur.
Vu
l'ampleur de la corruption, l'arrêter sans créer des sources
alternatives de financement reviendrait soit à arrêter l'économie toute
entière soit à voir apparaître d'autres formes plus sophistiquées de
malversation. De ce fait, il faut créer, sans attendre des possibilités
de créer de la richesse et de permettre à chaque Malien d'accéder à la
richesse créée. Cela est une tâche technique urgente qui ne peut être
réglée que par le circuit bancaire. Une tâche cependant simplifiée du
fait que des collatéraux ont déjà été créés (grâce à la corruption).
Puisqu'ils existent, utilisons les maintenant pour le bien public.
Ces
collatéraux peuvent supporter une création monétaire vertueuse, sans
effet inflationniste. Mais, attention, tout le monde ne peut être
bénéficiaire de ce financement. Le choix des bénéficiaires et le mode
de distribution des produits bancaires à créer seront la garantie de la
réussite ou de l'échec de l'opération elle-même. Voilà une des
directions vers lesquelles les intellectuels maliens doivent travailler
pour permettre aux partis politiques de construire des projets
politiques et de gouvernement pour notre pays.
Cet
argumentaire me permet aussi d'expliquer un peu mieux le fossé entre le
gouvernement malien et le Pnud relativement au classement récent
attribué à notre pays par cet organisme. A ce sujet, je voudrais
d'abord dire, après avoir lu les documents signés de M. le ministre du
Plan que le service de la communication de la présidence m'a fait
parvenir sur les « Performances de l'économie nationale de 2002 à
2005 » qu'il n'y a pas de conflit entre le gouvernement et le
Pnud, chacun est simplement dans son rôle en parlant de ce qui le
concerne.
Le
gouvernement parle de « ce qui a été fait » et le Pnud parle
de « ce que l'on peut espérer de ce qui a été fait ». Les
indices du Pnud sont un indicateur de tendance et non un jugement de
valeur. Nous Maliens devront comprendre que notre économie,
actuellement, vit grâce à la corruption, à l'endettement national (les
importations sans contrepartie) et l'aide extérieure. Ceci ne peut
permettre de construire un pays. Toutes les statistiques montrent que
l'ensemble des habitants de la planète vivant actuellement sous la
ligne de pauvreté absolue continuera à s'accroître de façon
impressionnante dans les 30 à 50 ans à venir. Nous sommes réellement
sur la voie de contribuer à alimenter ce grossissement de la masse
planétaire des personnes absolument pauvres.
Ce
n'est pas un gouvernement qui est à blâmer, mais notre comportement
collectif (qui détruit plus qu'il ne crée de richesse) aggravé par
l'irresponsabilité collective des partis politiques qui devraient se
comporter en leaders, éducateurs et informateurs de la population.