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Non peut-être ?

Oui sans doute ?

Le jour où George W... Posté le Jeudi 22 Mars 2007 à 10h20

Un dimanche… D. part une semaine en Grèce pour son boulot et je dois la déposer à l'aéroport situé à quelques kilomètres à peine de l'appartement. L'avion doit décoller ce soir, on prend la route un peu avant dix-neuf heures… Dix minutes plus tard, nous cherchons un endroit où garer la voiture, et chose faite, prenons le direction des départs…

Un salut aux collègues de mission et après les câlins et bisous de circonstance, c'est long une semaine, me voici de retour à la voiture ; de la voiture à l'autoroute ; un petit détour par le traiteur chinois car je n'ai pas le cœur à me préparer à manger, et me voilà de retour à la maison, à l'affut du sms qui m'annoncera que l'avion s'est posé à l'heure prévue, à l'endroit prévu…

Plateau-repas-télé, un premier message de D. me parvient : avion toujours sur le tarmac, Air Force One doit se poser avec le président des USA à son bord, tout est bloqué ! Mince, on l'avait oublié, celui-là.

Une heure plus tard, nouveau message : c'est bon, le cowboy est sorti de l'aéroport avec son troupeau de vaches, ses veaux, ses chevaux et son banjo, son ceinturon et ses santiags, l'avion va pouvoir décoller…

Finalement, une heure, c'est pas trop exagéré, l'un des hommes les plus puissants au monde vient nous donner des leçons de démocratie, ça ne se passe pas si mal que ça…

Je vais me coucher en me disant que demain, j'ai pas mal de boulot et que je vais profiter du fait que D. est loin pour faire plus d'heures cette semaine.

Je pars plus tôt que d'habitude et j'aime rouler dans Bruxelles lorsqu'il n'y a que très peu de circulation ; au lieu d'écouter les sempiternelles et agressives publicités de la radio entrecoupées d'un peu de musique, je mets un CD, ça me permet de me réveiller en douceur… Je prends ma place dans le trafic, comme dirait l'autre.

J'arrive au bureau, le bâtiment est encore désert, ce qui me donne pour une fois l'occasion d'avancer tranquillement dans mes tâches…

Il est pas loin de huit heures et j'entends arriver les premièr étudiants, l'école se réveille…

Premier coup de fil : Liliane S., la professeure de français, celle que j'aurais aimé connaître dans une classe de cours, me demande de prévenir ses étudiants car elle est bloquée dans les tunnels, c'est vrai que ça lui arrive assez souvent.

Bien au chaud dans mon fauteuil de président, les pieds sur le bureau car le directeur n'a pas encore montré le bout de son chapeau, dégustant mon café et mes croissants, j'ai une pensée émue pour elle, coincée dans son espèce d'objet roulant non identifié, quelque part dans les tunnels sombres et froids chargés de pollution, entre Simonis et Rogier.

Et je me rappelle avec ce léger pincement, cette douleur infime et lointaine qui nous revient à tous lors de certaines pensées, notre première rencontre qui fut des plus éprouvantes, surtout pour moi. Elle faisait partie du jury qui m'a recruté et si la majorité des arbitres me considérait d'un oeil plutôt bienveillant, elle me torturait minutieusement, oserais-je dire avec une pointe de jubilation, telle enfant cruel face à un moustique sans défense, cherchant mes failles, déjouant mes lourdes tentatives de séduction de l'assemblée ; en termes moins polissés, elle me gonflait… sérieusement…

J'ai ensuite été contraint de la cotoyer… Contrainte qui ne dura qu'un temps restreint car comme par magie, selon l'expression, le temps a gommé les nombreuses aspérités de son écorce brute et brutale.

Et j'ai découvert les livres qu'elle avait écrits pour définitivement changer mon fusil d'épaule... Revirement de cent quatre-vingts degrés, demi-tour radical…

Je me suis senti médusé par cette facilité à trouver les mots adéquats, cette manière généreuse de jeter des mots au visage, des images, de la vie, de l'expérience, du bonheur, un fouillis de sensations et d'émotions difficiles à digérer d'un seul repas,… Du plaisir simple de boire son écriture comme on caresse son chat, comme on profite de la chaleur des premiers rayons d'un soleil de printemps, comme on découvre la saveur d'un chocolat auquel on n'avait encore jamais goûté…

Mais revenons à nos moutons, les minutes s'égrènent et cette journée qui avait commencé calmement se transforme en foutoir caractérisé. Soit, il y a des jours comme ça ou on se dit qu'il n'y a qu'à se résigner et attendre que ça passe, vivement ce soir.

Vers dix ou onze heures, tout est revenu à la normale.

La radio m'apprend que les déplacements de monsieur B. imposent un couvre-feu circulatoire dans certaines rues de ma capitale : blackout de la circulation, plus rien ne bouge, les limousines noires passent, et le fourmillement du trafic reprend aussitôt… Mon quartier doit être calme, entre les institutions et l'Otan.

Cinq heures frappent à la porte et il est temps de me rapatrier. J'attends mon duel quotidien avec les embouteillages.

Au début, je subissais les transports en commun, un tram, un métro et un train. J'ai tenu bon une année durant, un exploit quand j'y repense, la marche sous la pluie jusqu'à la station, l'attente du tram 23 ou 90 dans mon cocon, la foule qui s'agglutine, qui se masse et se presse sur les quais comme des pingouins sur une banquise trop petite, attendant désespérément l'arrivée de la diligence, tout en se disant que tout le monde n'y entrera pas. Ensuite la lutte pour trouver une place, même pas assise, le rêve n'est pas permis, juste un trou de souris plus ou moins confortable dans lequel patienter jusqu'à la station de métro. Ensuite toutes ces odeurs, ces odeurs fétides de gens mal lavés, senteurs écoeurantes de cosmétiques rances à sept heures du matin, mélées à une chaleur excessive après le froid de l'extérieur…  Et ces visages, trognes mal réveillées, mal famées, malheureuse, école des fans de la mine la plus patibulaire où tout le monde gagne...

Il faut de la patience jusqu'à la station Montgomery, je descends, déjà de mauvaise humeur, je me fraie un chemin à travers le magma humain qui descend du véhicule, je change de quai et me prépare à attendre la rame de métro, couteau entre les dents.

Douze minutes d'attente, musique d'ascenseur, de plus en plus de monde, à nouveau, vite un peu de lecture, d'évasion…

La rame se pose, et c'est encore et chaque jour le même rituel, carnage antisocial pour s'emparer d'un espace vital, pour saisir une main courante, chacun pour soi, tant pis pour les autres. Ils ne font rien pour moi, je ne fais rien pour eux. On m'écrase les pieds, j'écrase des mains, on me pousse, je tiens bon, vive l'anonymat.

Quinze minutes plus tard, arrivée à la gare centrale…

Traversée du couloir nauséabond avec ses odeurs de vieille pisse, de gaufres chaudes, de tabac froid, de pizzas de la veille, cette grosse sud-américaine qui gratte en chantant un air mélancolique résonnant contre ces murs creux, suburbains, métalliques et grisailleux ; la foule n'y prête même pas attention, après tout ce temps, elle doit faire partie du paysage ; brouhaha de cette société qui vit sa vie, tous ces gens tristes, stressés et pressés, tout ce flot lancinant avec lequel on nous a appris qu'il ne fallait faire qu'un sous peine d'être banni, ne surtout pas s'arrêter, serrer les dents…

Le train a un peu de retard, ça nous change, tiens…

Bon, je descends sur le quai. De toutes manières, attendre ici ou là, quelle différence ? L'odeur est la même…

Voilà le train qui arrive et le film recommence, se frayer un chemin, jouer des coudes, trouver un compartiment tranquille et enfin une place assise.

Quatre arrêts plus loin, j'ai de la chance s'il ne pleut pas, encore quelques centaines de mètres à pied et me voici arrivé à destination.

Heureusement, c'est loin tout ça…

Il est cinq heures et je décide qu'il est temps de me rapatrier vers mon chez moi.

Je monte dans ma voiture et bien qu'il me faille environ trois quarts d'heure pour rentrer, je suis content d'être dans mon univers, dans ma bulle…

Compte tenu des évènements de la journée, j'allume la radio pour m'enquérir des problèmes de circulation.

Visiblement, c'est bloqué partout.  Je tenterai donc de me frayer un chemin par un itinéraire inédit, au point où j'en suis, j'ai à manger et à boire, allons-y gaiement…

Une heure plus tard, je suis toujours bloqué dans un tunnel, rempli de gaz d'échappements, j'ai l'impression que je vais mourir asphyxié par cette fumée bleue et je hais ce type qui vient nous donner des leçons de morale sous prétexte q'on n'a pas voulu le suivre dans ce pays lointain…  Ah oui, le pétrole...

Aujourd'hui Bruxelles est loin. On vit dans ce qu'on appelle la France profonde, un peu au sud de Limoges. Plus d'embouteillages pour aller bosser, juste quelques paysages joliment vallonnés, d'élégantes vaches limousines profitant du soleil dans leurs prés, peut-être un feu rouge pour entrer en ville, c'est ça les embouteillages ici.

On en profite mais je n'aime toujours pas ce type avec des santiags et un ceinturon…

...Et j'attends toujours les prochains livres de Liliane S.

Un commentaire. Dernier par Préparer à manger le 24-07-2013 à 11h40 - Permalien - Partager
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