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Mes romans

Et si le bonheur...

Suite 23 de : Et si le bonheur Posté le Dimanche 11 Novembre 2007 à 09h02

Depuis trois jours qu'il écumait la ville, il l'avait passée au peigne fin, parcourue en tout sens et pas plus de Linda que de fraises dans les épinards, à se demander si la vieille lui avait  craché le bon morceau, la bonne ville, c'est roublard les vieux, ça a du vice dans la peau, et si elle s'était foutue de sa gueule…

 

A cette évocation, il sentit une montée d'adrénaline parcourir son corps, son instinct bestial reprenait le dessus, remontait jusqu'à son cerveau et son désir de vengeance déclenchait en lui une véritable folie meurtrière bien difficile et souvent impossible à maîtriser.

 

La légion et les combats qu'il avait menés sur le continent africain avaient fait de lui une bête à tuer et son cerveau malade n'arrivait plus à contrôler ses pulsions.

 

En quittant la Légion, complètement désorienté, il avait rejoint les commandos mercenaires qui évoluaient en Bolivie, quatre ans de guérilla, d'embuscades, d'enlèvements, de racket, de tortures et de viols avaient modelé son profil psychologique.

 

Bien connu du milieu, il travaillait maintenant à l'international, sur contrat, sous des identités et des nationalités diverses qui lui avaient permis, jusqu'alors, d'échapper à toutes les polices du monde.

 

Il regardait les gens passer assis sur sa moto, à cheval, les pieds rivés au sol, le moteur ronronnant, sur la place de la cathédrale, au pied de l'immense bâtisse aux lignes épurées, grandiose bloc de béton, fierté de la ville.

 

Il était indécis, ne savait plus comment occuper son temps, n'ayant reçu aucune instruction de Marco, il se trouvait totalement largué, abandonné.

 

C'est sûr, il ne s'était pas emmerdé les jours précédents, il avait connu des heures folles avec la patronne de l'hôtel mais il en avait déjà marre, de son corps, de ses caprices, toujours les mêmes mots, les mêmes gestes, ça suffisait, il lui fallait du nouveau, de la chair fraîche, quelque aventure qui lui rappellerait le bon vieux temps, qui lui redonnerait l'oubli de sa triste condition humaine.

 

A cet instant précis, il aperçut, de l'autre côté de la place, une jeune femme, les bras chargés de paquets, se débattre avec son sac à main, elle échappa celui-ci qui dispersa son contenu sur la chaussée et les paquets suivirent le sac.

 

Amusé, le motard contemplait la scène, il avait envie de rire mais soudain une idée lui traversa la tête. Rapidement il baissa sa béquille, stabilisa son engin, coupa les gaz, mis sa clé de contact dans sa poche, se précipita aux pieds de la jeune femme, ramassa les paquets, les lui tendit.

 

Ils se regardèrent, éclatèrent de rire, la jeune femme reprit son sérieux.

- Que pourrais-je faire pour vous remercier lui demanda-t-elle.

- Acceptez de prendre un verre avec moi, répondit-il.

 

Elle hésita un instant et, à sa grande surprise, elle accepta.

- Accordez-moi une heure, le temps de déposer mes achats, je suis de retour, où ? Ici ? demanda-t-elle en jetant un regard autour d'elle.

 

- Oui, ici, dans une heure. Ils se sourirent, elle monta dans sa voiture, démarra, intégra la circulation et disparut au bout de la rue.

 

Il regarda sa montre, il était 18 heures, à 19 il serait, ici, sur la place.

 

Il éclata de rire, se frotta les mains, comme un maquignon qui venait de conclure une excellente affaire.

 

Il retourna à l'hôtel, passa devant la patronne sans la regarder, prit sa clé, monta dans sa chambre, fit une grande toilette, il redescendit, passa à nouveau, toujours sans la regarder, devant la patronne, elle fit la moue, personne ne le remarqua, il sortit, reprit sa moto et attendit sur la place de la cathédrale.

 

A 19 heures pile elle arrêta sa voiture à côté de sa moto sur laquelle il attendait patiemment, elle baissa la vitre, il s'approcha, ils se sourirent.

 

- Que prend-on, la voiture ou la moto ? demanda-t-elle.

- Je vous propose la moto, on ne va pas très loin, ça ouvre l'appétit et, si vous ne connaissez pas, ça procure des sensations.

- Va pour la moto dit-elle avec un peu de crainte dans la voix. Juste un verre lui rappela-t-elle, en le regardant dans les yeux. Ils se sourirent, déjà un peu complices.

 

Il se pencha sur la moto, ouvrit son coffre, en sortit un casque et un coupe-vent imperméable, il les lui tendit, enfilez ça dit-il, c'est plus prudent. Elle s'exécuta.

 

Ils enfourchèrent la moto, il lança le moteur, il se retourna légèrement, elle se pencha vers lui pour mieux l'entendre lui dire : tenez moi par la taille, ne vous raidissez pas. Il se retourna, accéléra progressivement, s'engagea prudemment dans la circulation peu importante à cette heure-là, sur le boulevard Frédéric Garnier et prit la direction des Grottes de Matata.

 

C'était la première fois qu'elle chevauchait une moto, la première fois qu'elle tenait un inconnu dans ses bras, le bruit du moteur, tendre et doux, régulier dans son régime, douce musique à ses oreilles, les deux mains posées à plat sur le torse puissant, elle vivait ce moment avec plénitude.

 

Déjà elle ne s'appartenait plus, grisée par la vitesse, par la chaleur de ce corps qu'elle percevait au travers de la combinaison, par ce paquet de muscles qu'elle sentait jouer contre son corps, les battements de ce coeur, qui lui semblait battre à l'unisson du sien, elle se sentait prête à tout accepter, à tout abandonner, à tout abdiquer.

 

Mais que lui arrivait-il, quel était ce frisson étrange qui parcourait son corps, l'attrait du fruit défendu, une folie, ô combien douce, combien délicieuse, elle ne voulait pas songer à la suite, à la conclusion de cette escapade, elle était bien, heureuse, voulait vivre ce moment de bonheur et le bonheur dans sa vie n'était pas si fréquent.

 

Elle avait fermé les yeux, toute à sa rêverie, l'arrêt brutal de la moto lui fit reprendre conscience de la réalité, elle regarda autour d'elle, aperçu un panneau, faiblement éclairé, elle comprit que c'était le parking des grottes de Matata.

 

L'endroit était désert, pas une voiture, pas un bruit.

- Vous êtes sûr que c'est ouvert ? demanda-t-elle, le son de sa voix la fit frissonner.

Un rayon de lune perça la couche épaisse des nuages, donnant un peu de clarté et soudain le paysage devint moins sinistre.

- On n'a qu'à aller voir répondit-il, en béquillant sa machine il descendit, à contre-coeur elle en fit autant, machinalement il lui prit la main, elle le laissa faire.

 

Ils s'avancèrent sur l'étroit chemin qui conduisait aux grottes, quatre cent mètres à parcourir dans ce chemin qui surplombait les rochers frappés sans cesse au rythme du ressac et des marées.

 

Ne pouvant se tenir côte à côte, elle marchait devant lui, il la suivait et dans ce clair de lune, les yeux rivés sur ses hanches il était fasciné par l'ondulation de sa croupe, le coupe-vent grand ouvert flottant au vent du large battait ses flancs.

 

Il leur fallut se rendre à l'évidence le restaurant était fermé la grille était baissée et aucune lumière brillait à l'intérieur. Dépités ils s'immobilisèrent quelques instants comme s'ils attendaient qu'on vienne le rouvrir.

Ils ne prononcèrent pas un  mot, firent demi-tour et entamèrent le chemin en sens inverse.

 

La lune à nouveau venait de disparaître, soudain une envie de prendre cette femme se manifesta, il s'affola, il sentit comme un étau le prendre à la gorge, il sentit la crise monter en lui, il fallait la stopper, l'anéantir, un baiser suffirait peut-être, un peu de tendresse, un tout petit peu, qui comblerait le trop grand besoin d'amour.

 

Elle marchait toujours devant lui, il se rapprocha, posa doucement la main sur son épaule, elle se retourna brusquement, le repoussa violemment, mais que lui voulait-il cet homme, c'était évident, comme elle avait été naïve.

 

Elle eut peur tout à coup, fuir, il lui fallait fuir, elle se retourna, trop tard, elle sentit deux mains puissantes la saisir à la gorge, elle se débattait, de l'air, il lui fallait de l'air, elle aurait tout donné, tout accepté pour respirer un peu, elle le suppliait dans sa tête mais il n'entendait pas, aucun son ne sortait de sa bouche, et elle eut une pensée pour son mari qui devait venir la chercher à la fin de la semaine, pour ses enfants qui connaîtraient, sans doute une autre maman, c'est bête se dit-elle.

 

Il tenait cette gorge dans ses deux mains de fer, pourquoi se débat-elle ? Il serrait, serrait, elle n'aurait pas dû le repousser, il ne voulait pas lui faire de mal, il voulait l'embrasser, seulement l'embrasser et il la tenait, là entre ses mains, à sa merci, il serrait fort, encore plus fort, comme on le lui avait appris, il entendit craquer les cartilages, et soudain, ce corps ne bougea plus, alors il ouvrit les mains et le corps s'affaissa lourdement sur le sol.

 

Hébété, il sentit le froid de la nuit le pénétrer, il regarda autour de lui, il était seul, au milieu des ténèbres qui favorisaient l'émergence de ses pulsions meurtrières, c'était toujours comme ça que ça commençait, il n'y pouvait rien, les ténèbres, la solitude, le froid, et ce  roulement qui résonnait dans sa tête, qui battait la mesure au rythme de son coeur, et les images, ces images terrifiantes, que jamais il ne pourrait oublier qui se mettaient à tourbillonner devant ses yeux hagards.

 

Où était-il en ce moment ? Dans la jungle bolivienne, le cadavre de son meilleur ami, là, près de lui, il entendait ses cris, ses supplications de l'achever, les aboiements du sergent qui invoquait la survie.

 

Il n'y comprenait plus rien, il fallait donc tuer pour survivre ? Avec ses mains il se boucha les oreilles, mais les cris raisonnaient toujours dans son crâne : survie.... tuer..... survie, l'alternative.

 

Sans pouvoir comprendre, il prit dans sa botte le poignard qui ne le quittait jamais, comme un automate. Par trois fois, avec rage, comme s'il avait voulu tuer les mauvaises pensées qui l'habitaient, il plongea son arme dans le corps de cet ami qui agonisait croyait-il près de lui.

 

Sur les champs de bataille, comme dans la jungle, on ne laissait pas les cadavres derrière soi, on les mettait en terre, on récupérait les vêtements et objets personnels, il se mit en demeure de déshabiller le corps de son ami.

 

Consciencieusement il enleva, les uns après les autres, tous les vêtements, un rayon de lune filtra entre les nuages, une femme nue se trouvait  près de lui, il passa la main sur ce corps blanc encore tiède, la peau était douce et cette douceur réveilla ses pulsions, c'était donc ça, elle ne l'avait pas rejeté, était même consentante, l'attendait couchée là près de lui, il ne fallait pas la faire attendre. Il se précipita sur elle, lui fit l'amour brutalement. Elle s'en souviendra toute sa vie, se dit-il en se retirant.

 

Anéanti, brisé, perdu dans ses errances, incapable de réagir, il sombra, dans un profond sommeil, près du cadavre, la main posée sur son sein.

 

Combien de temps resta-t-il ainsi ? Il n'aurait su le dire. Quand il se réveilla la nuit était toujours profonde, il ne regarda pas sa montre, dans ces moments là le temps n'existait pas, il ne se souvenait de rien, comme dans toutes les autres crises, il avait tout occulté, seul le cadavre était près de lui, mais, les cadavres il connaissait, il en avait vu beaucoup dans sa vie. Il se leva, l'enveloppa consciencieusement dans le coupe-vent, y ajouta les vêtements épars, et précipita le tout dans la mer, par-dessus les rochers.


 

Un commentaire. Dernier par pour aider les jeunes parents le 21-07-2013 à 11h35 - Permalien - Partager
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