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L'écriture pour m'exprimer

Parce que ma vie est une émotion

La rue Posté le Samedi 9 Avril 2011 à 18h58

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Le néon éclaire la rue, une rue passante d'ordinaire dès que la nuit tombe mais aujourd'hui n'est pas ordinaire. Habituellement, cette rue fourmille d'une foule interlope qui navigue entre noceurs nocturnes, femmes légères et dealers.


Dans la journée, la rue est tranquille. Perdue dans l'enchevêtrement des boulevards du quartier, quasiment personne ne l'emprunte. Elle semble s'ennuyer. On ne sait même pas si quelqu'un y habite. Les portes sont closes, les fenêtres muettes. Tôt le matin, quelques vélos glissent sur ses pavés afin d'éviter le danger des voitures alentour. C'est une rue anonyme, dans une ville bruyante.


Aux premiers rayons de lune, la rue se farde de couleurs criardes. Elle s'éclaire de lumières dansantes et vives, elle s'anime d'un monde louche. Le rouge des lèvres trop maquillées agresse, les talons claquent. Pendant que les boulevards se vident de leurs voitures pressées, la rue se remplit de bruits divers.


Presque tous les soirs, à l'heure où chacun rentre chez soi, un homme entre deux âges arpente le trottoir, le pas hésitant, le regard perdu dans un rêve insoupçonnable. Cet homme est semblable à la rue : inexistant le jour, naissant la nuit. Il reste un mystère. Pourtant, il fait partie de l'histoire de la rue. Son visage est familier, sa démarche reconnaissable. Mais tout ce monde qui investit le lieu n'a jamais pris le temps de s'arrêter. D'ailleurs, personne ne se fréquente vraiment : c'est la rue des filous qui y font des affaires et vont compter leurs bénéfices ailleurs ; c'est la rue des pauvres filles usées qui se regardent de travers, histoire de veiller à leur gagne-pain ; c'est la rue du fêtard qui se déhanche seul dans les boîtes de nuit, façades honnêtes de commerces qui le sont moins. La nuit, la rue n'est pas dissemblable de ses soeurs qui vivent le jour.


Aujourd'hui, la rue a vécu un grand bouleversement. L'homme l'a pénétrée de jour, toujours le regard absent. Il ne l'a pas reconnue et l'envie de faire demi-tour l'a démangé. Mais il avait de la volonté ce jour et un passant hasardeux l'a vu s'engager plus loin. Ses pas lents l'ont mené jusqu'à un immeuble triste et gris devant lequel il a stationné. D'abord face à la porte un long moment, puis adossé au mur sale, puis lui tournant le dos. Il est resté si longtemps que la nuit a enrobé la rue. Alors, il a poursuivi son chemin. Au bout de la rue, il a disparu.


Cette nuit, la rue ne respire pas pareil. On perçoit un souffle chaud et peureux. L'immeuble triste reste fermé. On s'en inquiète et on s'en écarte vite. On ne se pose pas de question, on file, on ne sait jamais, la police est peut-être derrière les vitres opaques, prête à bondir sur le manant malhonnête.


Je suis là, dans la rue, et je m'étonne. Je suis seule dans la rue qui a perdu la vie cette nuit. Je fouille l'obscurité mais je sais que je ne reverrai jamais l'homme. Quelques pas à reculons, je me décide à partir, à chercher un autre lieu de tristesse. Et je la vois. Frêle silhouette, voûtée, tremblante et vieille. Si vieille... Elle s'aventure dans la rue. Je ne vois pas ses yeux mais je sais qu'elle pleure. A pas menus, elle avance. Au dernier sursaut du néon qui éclaire encore, elle disparait au bout de la rue, au même endroit et dans le même anonymat.

4 commentaires. Dernier par Doris le 11-04-2011 à 06h24 - Permalien - Partager
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