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L'écriture pour m'exprimer

Parce que ma vie est une émotion

J'ai craqué aux entournures Posté le Dimanche 27 Janvier 2013 à 19h57

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Eh bien voilà… Après une vie de misère, je ne fais pas mieux que de rater ma mort. Trente ans à trimer pour quelques dollars qui n’ont jamais suffi à faire un repas décent. Et me voilà les bras en croix dans ma petite robe fleurie, rapiécée derrière mais vous ne pouvez pas le voir, j’ai décidé de mourir sur le dos.

Je suis chez moi. C’est aussi mon atelier de couture. Une pièce unique, glaciale en hiver, à peine tiède en été. Ah… J’en ai raccommodé des accrocs ! Pour des gens guère plus fortunés que moi, des veufs, des mioches, des traîne-savates, j’allais dire des presque-riens… Une Singer récupérée dans une décharge pour passer à l’étape confection mais je n’ai jamais pu vendre une pièce. Jamais à la mode, jamais de clientes…

Je suis née il y a cinquante ans dans une masure, quelque part en Europe. Mon père s’est noyé. Noyé dans le whisky. Maman s’est noyée aussi, dans le chagrin. Moi, je me noyais dans mes langes sales. L’appel du Nouveau Monde a été le plus fort. Sans même fermer à clé la porte de notre masure, maman, son baluchon et moi sommes partis vers l’eldorado. Je devais avoir deux ans. Notre arrivée sur la terre promise est passée inaperçue. Nous étions, paraît-il, des dizaines de familles à avoir succombé au chant de la sirène lointaine.

Quelques années plus tard, j’ai compris que nous avions déménagé notre misère. Livrée à moi-même dans la grande ville, je survivais de chapardages pendant que maman se tuait à des travaux humiliants chez les autres, ces grands bourgeois aux airs supérieurs qui la payaient en restes, les reliefs de leurs repas trop riches qu’on jette aux chiens à défaut des domestiques.

A seize ans, je me suis mariée avec un type louche mais si séduisant avec ses billets verts. J’ai connu quelques années lumineuses, d’une lumière glauque et incertaine, souvent occultée par la police qui mettait mon homme en prison. J’ai commencé mon apprentissage : des rapines, des entourloupes, des minauderies pour empocher mon dû. J’ai connu la vie facile des filles de rien, protégée par mon homme ou par ses amis quand il était mis en indisponibilité de la société.

J’ai ainsi vieilli. Je suis devenue veuve. Les hommes sont partis à la guerre, là-bas où je suis née. Trente ans déjà et tout l’avenir devant moi. Ironie quand tu nous tiens, tu t’accroches aux basques de nos guenilles. Mise à la rue, je vivais dans une pension minable dite de bonne famille. Les murs transpiraient la misère mais de l’extérieur, la bâtisse avait gardé un peu de noblesse. En 1925, j’acquis une belle petite robe, celle qui ne me quittera plus jusqu’à ce jour fatidique de 1938 où je décidais de gésir sur un parquet poussiéreux. Elle volait au vent dans une arrière-cour, je l’ai prise pour en faire bon usage.

Maman bien sûr était partie depuis longtemps. Mais comme elle n’avait pas été à la noce le jour de mon mariage, je ne l’ai pas regrettée longtemps. Pourtant, la solitude et la misère me minaient. Les fleurs de ma robe étaient ma campagne, le béton et les pavés mon petit enfer privé. Quelques années avant l’épilogue, dans un quartier condamné à la destruction, j’élus domicile dans cette grande pièce.

La suite, vous la connaissez. La Singer inutile donnant l’illusion de l’utilité. Les culottes courtes rapiécées, les bas remaillés, trous aux vêtements, trous à l’âme.

J’ai cinquante ans et je suis morte. Comment ? Pourquoi ? Je n’en sais rien. Je vous offre la seule photographie jamais prise de moi. Mais ne dites jamais que vous ne me connaissiez pas. Je serai votre parent pauvre. Je serai un pan de votre mémoire fertilisée par votre imagination.

 

 

Ce texte est une digression à partir d’une photo et n’a rien de personnel. Juste le plaisir d’écrire, le plaisir des mots qui coulent tout seuls.

2 commentaires. Dernier par dujardin gerard le 02-01-2015 à 18h58 - Permalien - Partager
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