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Le blog de Chérif BOUTAFA

Parler de Grenoble, etc.

Politique étrangère, et si l’Union devenait un espace politiquement neutre ?

mardi 10 janvier 2012, par Ingrid Aymes

http://www.taurillon.org/4720

Bien que l’expression « l’Union européenne : géant économique mais nain politique » soit excessive, cette perception de l’espace européen traduit une de ses faiblesses majeure. Car malgré de nombreux apports conventionnels et institutionnels, l’Union européenne peine à mettre en œuvre sa politique étrangère et de sécurité commune (PESD). Mais au lieu de percevoir cet état de fait comme l’échec de l’Europe, les États membres devraient la concevoir comme une opportunité de réinventer la puissance de l’Union pour ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire indépendamment de ses États membres. En effet, cette lacune peut être interprétée comme le révélateur de l’incompatibilité essentielle entre espace régional politiquement intégré et interventionnisme politique.

Depuis le traité de Maastricht, l’Union a manifesté sa volonté de développer une politique de sécurité et de défense commune. Mais c’est réellement le traité de Lisbonne qui a doté l’Union d’un véritable dispositif institutionnel en la matière, appelé « Politique de Sécurité et de Défense Commune » (PSDC). Pour la première fois, l’Union a la capacité d’intervenir de manière coordonnée car les opérations de maintien de la paix, de sécurité internationale, de gestion de crises civiles et militaires sont désormais sous l’égide du haut représentant disposant d’un Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE). Mais surtout, les États membres peuvent agir plus facilement de concert car ils peuvent intervenir à la suite d’une décision du conseil des ministres statuant à la majorité qualifiée (article 46 TUE).

Toutefois, cet outillage s’avère, à l’heure actuelle, davantage cosmétique qu’opératoire dans la mesure où les intérêts nationaux prévalent. La spécificité de chaque pays en matière de défense explique cette tendance structurelle. En effet, les États fondateurs de l’Union ne voyaient pas d’un même prisme l’initiative européenne. Tandis que l’Allemagne et le Benelux concevaient la communauté européenne comme un moyen de se détacher et de se protéger de toutes velléités de puissance, la France considérait ce projet comme le moyen de redynamiser l’ancienne grande puissance qu’elle était.

Ces divergences de conception sont encore d’actualité car elles apparaissent comme le terreau où l’échec de la défense européenne prend racine. Lorsque la France a pris la présidence de l’Union européenne en 2008, Nicolas Sarkozy a cherché à renforcer la PSDC en promouvant une mesure qu’il considère comme urgente et nécessaire, à savoir la mise en place de capacités pour les opérations militaires de moyenne et forte intensité. Pour se faire, il en a fait l’objet de la nouvelle Stratégie européenne de la Défense que le Conseil européen a adopté en décembre 2008. Toutefois, bien que ce plan d’action ait été voté, aucune mise en œuvre n’a vu le jour, notamment du fait que la conception allemande d’origine continue de prévaloir. À l’instar d’autres pays, elle envisage la PESD comme une mise en commun des moyens et des rôles, c’est-à-dire qu’elle aspire à un renforcement de la formation, de la logistique et des structures de commandement. A cet effet, la crise libyenne a illustré ces différences de point de vue et l’incapacité des États membres à agir à l’unisson, sans d’ailleurs faire référence à la Haute représentante.

Vers la nécessité de s’orienter vers la neutralité…

Lors de la saison automnale, le phénomène de la décomposition organique est un processus accepté par l’homme car ses éléments sont connus pour être « ressuscités » lors de la saison printanière. Cette acceptation découle de la connaissance que la vie est un cycle sur lequel l’homme ne peut avoir d’influence car il a conscience que ce n’est pas lui qui norme les sciences de la vie.

Toutefois, cette acceptation des lois de la nature peinent à franchir le cap du domaine de l’homme. L’homme est souvent incapable de se résigner à ce qui « est », c’est-à-dire à ce qu’un mode de fonctionnement obsolète ne peut se passer d’une phase de déliquescence dans son processus d’évolution. En effet, un évènement dont la portée s’avère destructrice est systématiquement perçu comme mal : c’est à ce moment d’interprétation que l’homme perd la vision cyclique de la vie et s’évertue à exercer son emprise sur son déroulement au nom du statu quo ou d’une préservation des potentialités futures. Pourtant, « tout ce qui arrive, arrive pour le mieux. Il y a une distribution divine des choses. La vie nous eut été appauvrie sans toutes les choses qui nous sont arrivées. Aussi tout doit être accepté, le bon et le mauvais. En fait, nous n’avons pas le choix. Si nous voulons le bon, nous aurons le mauvais aussi. Chaque chose a deux aspects » [1].

Cette difficulté qu’a l’entendement humain s’illustre par le concept de « droit d’ingérence », entériné depuis 2005 par l’Assemblée générale de l’ONU sous le terme consensuel de « responsabilité de protéger ». Par cette notion, les tierces nations à un conflit s’arrogent le droit, en dernier ressort, d’intervenir militairement pour des motifs humanitaires. Par conséquence, le motif « humanitaire », drapé alors d’un voile sacré, se hausse au rang de norme et fin ultime des sciences de la vie. Toutefois, « quand nous disons qu’une chose est bonne ou mauvaise pour la chasteté, nous ne voyons pas les choses comme elles sont. Il n’y a ni bien, ni mal dans un objet ». [2] Ainsi, si l’homme voit un évènement pour « l’humanitaire » et se met à agir militairement dessus en son nom, l’homme ne fait qu’agir subjectivement.

En effet, le résultat d’un évènement ne peut être prédit par avance, et cette affirmation est d’autant plus valable dans le domaine de la politique car les changements politiques sont des processus de long terme. D’après Hubert Védrine, « les commentaires qui ont surgi après les premiers soulèvements révolutionnaires ont minoré le fait que les processus de démocratisation ont toujours été longs, aléatoires, incertains, parfois secoués par les évènements qui se déroulent et qui, pour les peuples concernés sont évidemment prometteurs (…) nous devons aussi être conscients que l’avènement de sociétés démocratiques sera long à peu près partout, qu’il prendra des formes diverses d’un pays arabe à l’autre ». C’est pourquoi l’exercice d’une action coercitive du fait d’une quelconque anticipation de l’évènement dans le futur ne peut qu’être contraire à la réalité présente de ce qui est car sa portée peut fortement différer de nos attentes.

La volonté des tierces nations d’intervenir militairement s’avère ainsi non seulement hors de propos, mais surtout potentiellement néfaste dans la mesure où cette volonté subjective limite la réalité du phénomène présent et son ampleur potentielle à venir. A cet effet, Romy Brauman a dénoncé, sur France Inter, la volonté de vouloir « installer la démocratie et un État de droit avec des bombardiers. […] A chaque fois qu’on a essayé de le faire, non seulement on a échoué, mais le remède que l’on prétendait apporter a été pire que le mal. Des interventions destinées à prévenir des massacres, j’en ai vu d’autres, elles ont gelé la situation, et les massacres qui se sont produits ultérieurement ont été pires ». Car comme le note Hubert Védrine, « nous devons admettre que nous n’avons sur le cours des choses quasiment aucune influence ». Mais dans l’optique où cette modestie ne serait pas prise en compte, à l’instar des gouvernements français et britannique lors de la crise libyenne, la « responsabilité de protéger » par des moyens militaires n’apparaît comme rien d’autre que du pouvoir. En témoigne l’emploi du mot « croisade » par le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant.

… d’autant plus que l’Union européenne tend à être un espace neutre de facto ?

Dans son ouvrage « Mémoire du mal. Tentation du bien. Enquête sur le siècle », le philosophe Tzvetan todorov remarque « qu’il est rare que la vie politique soit réduite à des options tellement cruelles, et ce n’est pas vrai qu’il faille nécessairement choisir entre la lâcheté de l’indifférence et le chaos des bombardements. Une telle issue s’impose uniquement si l’on décide au départ qu’agir signifie “agir militairement”. Il existe des formes d’intervention autres que les attaques militaires. »

En effet, l’Union européenne compte cinq pays neutres parmi ses membres : l’Irlande, la Suède, la Finlande, l’Autriche et Malte. Alors que la France fige le débat autour de sa conception de la politique de défense et de sécurité commune, la considération de cette politique de la neutralité, aux antipodes de la sienne, pourrait s’avérer plus fructueuse dans la mesure où son essence se rapproche de celle de l’Union.

Les droits et devoirs d’un pays neutre résultent des conventions de La Haye de 1899 et de 1907. Quatre principes en ressortent : le devoir d’abstention face à un conflit armé entre États tiers, le devoir d’impartialité (traitement uniforme des belligérants dans tous les domaines), le droit à l’inviolabilité du territoire et à une résistance armée et enfin, le droit à la poursuite des relations commerciales privées avec les belligérants (y compris dans le domaine de l’armement).

Lors de la crise Libyenne, cette position fut celle de nombreux pays dont celle de l’Inde. C’est ainsi que le premier ministre indien, Manmohan Singh, a déclaré que « le désir de davantage de liberté et (le désir) des citoyens de décider de leur propre avenir est universel (…) Il s’agit de décisions que les pays et les citoyens doivent prendre eux-mêmes, en dehors d’une ingérence extérieure ou d’une contrainte ». D’autant plus que cette position de neutralité est loin d’être sans fondement métaphysique : Thomas Kempis, dans son ouvrage L’Imitation de Jésus Christ, écrivait au 15e siècle : « ne jugez point témérairement des paroles ou des actions des autres, ne vous ingérez point dans ce qui n’est point commis à votre charge » [3].

Or, les quelques réussites de la politique de défense et de sécurité commune de l’Union européenne s’inscrivent dans cette position de neutralité. En effet, l’Union est plus aisée à gérer les conflits dans les opérations civiles que militaires : ses interventions réussies sont uniquement des interventions de la paix et de la sécurité (Macédoine en mars 2003, République du Congo en 2003 et 2006, Kosovo en 2008…). Les États membres, et particulièrement la France et la Grande Bretagne devraient alors se rendre à l’évidence que la puissance de l’Union est celle du soft power : par sa volonté à faire respecter le droit international et par la proposition multilatérale qu’elle incarne, à savoir celle d’un modèle d’intégration régionale abouti.

L’adoption de la neutralité par les États membres et l’Union européenne serait loin d’être une position marginale les mettant hors des affaires du monde dans la mesure où cette position constitue peut-être l’avenir des relations internationales. En effet, la plupart des pays neutres le sont devenus après la chute du monde bipolaire, c’est-à-dire en guise d’adaptation à un monde où la menace est plus complexe. Une réponse par la force militaire conventionnelle devient de plus en plus inefficace : seule la coopération internationale et une méthode horizontale peuvent y faire face.

En devenant un espace politique neutre, l’Union européenne consacrerait conventionnellement la puissance qu’elle manifeste déjà dans ses actes et pourrait devenir le fer de lance de la neutralité auprès des autres nations. En délaissant le « bricolage » systématique de la PSD auquel elle s’adonne, elle serait l’instigatrice d’un véritable « projet de civilisation ».

Notes

[1] R.Srinavasan, Entretiens avec Svâmi Prajnânpad par Colette Roumanoff, Paris, Editions Accarias-L’Originel, 1984, p.74

[2] ibid

[3] Chapitre 25 « En quoi consistent la vraie paix et le véritable progrès de l’âme », traduction de C. Lamennais, Paris, Edition du Seuil, 1979, p.137

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