Bajazet
Je le veux. Je me suis consultée.
De mille soins jaloux jusqu’alors agitée,
Il est vrai, je n’ai pu concevoir sans effroi
Que Bajazet put vivre et n’être plus à moi ;
Et lorsque quelquefois de ma rivale heureuse
Je me représentais l’image douloureuse,
Votre mort (pardonnez aux fureurs des amants)
Ne me paraissait pas le plus grand des tourments.
Mais à mes tristes yeux votre mort préparée
Dans toute son horreur ne s’était pas montrée :
Je ne vous voyais pas, ainsi que je vous vois,
Prêt à me dire adieu pour la dernière fois
Seigneur, je sais trop bien avec quelle constance
Vous allez de la mort affronter la présence ;
Je sais que votre cœur se fait quelques plaisirs
De me prouver sa foi dans ses derniers soupirs ;
Mais, hélas ! épargnez une âme plus timide ;
Mesurez vos malheurs aux forces d’Atalide ;
Et ne m’exposer plus aux plus vives douleurs
Qui jamais d’une amante épuisèrent les pleurs.
Jean Racine