Comme un fleuve qui coule (extrait 5)
Un de mes amis revient du Maroc avec une
belle histoire.
Un missionnaire, arrivant à Marrakech, décida
qu’il irait tous les matins se promener dans le désert qui se trouvait aux
limites de la ville. Lors de sa première promenade, il remarqua un homme couché
dans le sable, d’une main caressant le sol, l’oreille collée à la terre.
« C’est un fou »,
se dit-il.
Mais la scène se répéta tous
les jours et, au bout d’un mois, intrigué par ce comportement étrange, il décida
de s’adresser à l’étranger. Il s’agenouilla à coté de lui et, avec une grande
difficulté-il ne parlait pas encore l’arabe couramment-, lui demanda :
« Que faites-vous ?
-Je tiens compagnie au
désert, et je le console de sa solitude et de ses larmes.
-Je ne savais pas que le
désert pouvait pleurer.
-Il pleure tous les jours,
car il rêve de se rendre utile à l’homme et de se transformer en un immense
jardin, ou l’on pouvait cultiver des céréales et des fleurs, et lever des
moutons.
-Alors, dites au désert qu’il accomplit bien
sa mission, déclara le missionnaire. Chaque fois que je marche par ici, je
comprends la vraie dimension de l’être humain, car son espace ouvert me permet
de voir comme nous sommes petits devant Dieu.
« Quand je regarde ses sables, j’imagine
les millions de personnes qui sont nées égales, même si le monde n’est pas
toujours juste avec tous. Ses montagnes m’aident à méditer. Quand je vois le
soleil se lever à l’horizon, mon âme s’emplit de joie, et je m’approche du
créateur. »
Le missionnaire quitta l’homme et retourna à
ses occupations quotidiennes. Quelles
ne fut pas sa surprise, le lendemain matin, quand il le trouva au même endroit,
et dans la même position.
« Avez-vous rapporté au
désert tout ce que je vous avais dit ? » demanda-t-il.
L’homme acquiesça de la tête.
« Et cependant il
continue à pleurer ?
-J’entends chacun de ses sanglots. Maintenant
il pleure parce qu’il a pensé durant des milliers d’années qu’il était
totalement inutile, et qu’il a perdu tout ce temps à blasphémer contre Dieu et
son destin.
-Alors dites-lui que l’être humain, même si
sa vie est beaucoup plus courte, passe aussi beaucoup de temps à penser qu’il
est inutile. Il découvre rarement la raison de son destin, et il croit que Dieu
a été injuste envers lui. Quand arrive enfin le moment ou un événement lui
montre pourquoi il est né, il pense qu’il est trop tard pour changer de vie, et
il continue à souffrir. Et comme le désert, il se reproche le temps perdu.
-Je ne sais pas si le désert entendra, dit
l’homme. Il est habitué à la douleur, et il ne peut pas voir les choses
autrement.
-Alors nous allons faire ce que je fais
toujours quand je sens que les gens ont perdu l’espoir. Nous allons
prier. »
Tous deux se mirent à genoux et
prièrent ; l’un se tourna vers
Le lendemain, quand le missionnaire reprit sa
promenade matinale, l’homme n’était plus là. A l’endroit où il avait coutume
d’embrasser le sable, le sol semblait humide, car une petite source était
apparue. Dans les mois qui suivirent, cette source grandit, et les habitants de
la ville construisirent un puits autour.
Les bédouins appellent l’endroit le
« Puits des larmes du désert ». Celui qui boira de son eau,
disent-ils, saura faire de la cause de sa souffrance un motif e joie et finira
par trouver son vrai destin.
Paulo Coelho