Je marchais
perdue
dans mes pensées lointaines
elle était là
accrochée
tenue
légère et prisonnière
elle aurait bien voulu partir
discrètement
glisser au gré des vents
ah ! ce lien qui la tenait pourtant
elle aimait bien sentir son bois craquer
sous les troncs des saules
elle aimait bien ce coin partagé
au bord de la rive jonchée
mais plus personne ne venait
se sentait délaissée
ne parlait plus qu’à l’eau
à la nuit
à la pluie
son bois flottant était encore bien fort
pour combien de temps encore
des mois
pas des années
ça ! elle le savait
l’eau son amie allait l’emporter
à force de l’embrasser
l’embrasser encore
à force de se frotter amicalement
insidieusement
son bois flottant se laissait mouiller
se laisser user
par tant de baisers
elle sentait bien ses forces s’affaiblir
plus personne ne grimpait sur ses bancs
qu’elle avait encore bien vigoureux pourtant
elle sentait bien qu’elle pouvait emporter
des pêcheurs
des amants
des parents
leurs enfants
mais il fallait faire vite
ses forces s’amenuisaient
son bois flottant désagrégé
laissait de noires fissures
l’eau son amie s’y infiltrerait bientôt
ses forces la quittant
elle se laisserait aller
elle glisserait lentement
non plus sur l’onde
comme avant
mais en elle
et
chaque parcelle de son bois
déjà rongé
en volutes sensuelles
pénétreraient jusqu’au lit profond et froid
le lit de l’eau son amie
qui la prendrait toute entière
en quelques mois
elle fera corps et âme
partie du fond bien tapissé
de l’eau dormante et calme
plus personne ne saura
qu’il y avait eu là
une jolie barque
faite pour les joies
les plaisirs
un petit rien en somme
une petite barque pour les hommes.
Marie Aubrée 18 Avril 2009
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