La Babouk Masquée

A la Réunion, on n'a pas beaucoup de place… mais on s'en fout ! Du coup, on a plein de bonnes idées.

Primo, on fait des bébés. Résultat on est déjà 800.000. Bientôt 1 million. J'en ai déjà parlé. Je participe personnellement à la cause.

Deuxio, on s'achete tous des voitures (300.000 véhicules en 2005, 500.000 prévus en 2020), et plutôt des grosses, des berlines, des voitures de sport pour faire crisser les pneus dans les lacets des routes escarpées, tunées de préférence, des 4x4 pour amener les marmailles à l'école ou faire les courses, et même des Hummer (20 litres/100 km, 468 g CO²/km) pour faire comme les américains en Irak ou Les Experts à Miami.

Tertio (et très grossièrement résumé), on a mis tout le boulot au Nord (à Saint Denis) et le reste qui compte c'est à dire le Port (là où tout arrive : des croquettes Whiskas aux meubles La Maison Coloniale) et les plages (là où tous ceux qui ont des sous habitent) à l'Ouest. Et entre les deux il y a quoi ? La route du littoral !

La route du littoral c'est une zolie route, de 13 km tout de même, construite là où il n'y a pas de place du tout pour… une route. Il y a une belle falaise, à pic, de plus de 200 mètres de hauteur, où nichent les Paille-en-queue. Et au pied, il y a la mer, belle, bleue, généralement agitée à cet endroit. Et la route est là, au milieu, si l'on peut dire.

Dans sa forme actuelle, moderne, 2x2 voies (pour que deux Hummer puissent se croiser sans s'arracher les rétroviseurs), elle a été livrée en 1976. Et depuis, une vingtaine de malheureux automobilistes ont fini écrabouillés par les rochers, petits et gros, qui se détachent régulièrement de la falaise.

Que faire ?

Première solution, qu'auraient choisie certains (d'après le fils de la boulangère), ne plus prendre cette route, et préférer des contournements longs, tortueux, et pas toujours plus sûrs.

Deuxième solution, engager un extraterrestre à quatre yeux comme chauffeur, un œil pour regarder devant, un pour le rétro, un pour guetter les caillous qui tombent de la falaise, et le dernier pour admirer la mer, toujours belle… Solution qui demeure boiteuse dans la mesure où la route est régulièrement embouteillée à l'arrivée sur Saint Denis et où l'extraterrestre n'aura donc pas toujours la possibilité, par un habile coup de volant, d'esquiver la falaise qui s'effondre !

Troisième solution, choisie par les Pouvoirs Publics, faire appel à l'ingéniosité de l'homme et à la technique : LA FALAISE NOUS EMMERDE : ON EMBALLE LA FALAISE (comme Cristo les pont de Paris) et le problème est réglé.

Que c'est beau une falaise emballée !

Bon, bien sûr pour emballer efficacement une falaise, c'est à dire pour retenir des tonnes de roches, il faut un truc solide mais également très disponible (13 km x 200 mètres, s'il y a des gens qui ont du temps qu'ils fassent le calcul). Ni une, ni deux, La Réunion a adopté le filet anti sous-marins réformé dont elle est devenue le premier acheteur mondial, avant d'en épuiser les stocks… faute de conflits… Ahhh, le bon temps des U-boot est bien fini !

Sauf en simulateur... j'addddooorree ça !

Bon, tout ça, à priori, c'est assez efficace : le 27 août dernier, 800 m3 de roches ont dévalé la falaise et, après avoir emportés tous les filets destinés à les arrêter (raté) ou à les ralentir (bingo), se sont arrêtés, tranquillement (façon de parler), sur la bande d'arrêt d'urgence. Efficace donc, mais à usage unique puisque sur le lieu de l'éboulement tout est à reconstruire…

On manque donc de filets, même si désormais on en fabrique aussi sur place. Oui, ce qu'il nous faudrait, à nous autres réunionnais, car nous refusons catégoriquement de nous passer de notre 2x2 voies (on a le droit d'avoir des Hummer nous aussi !), c'est une bonne guerre… pour reconstituer les stocks…

PS : en vrai, la Région aurait en tête une autre solution : construire une nouvelle route… sur la mer !