Maktub (extrait n° 8)
Le maître dit :
« Aujourd’hui, il serait bon de faire quelque chose qui sorte de l’ordinaire. Nous pourrions, par exemple, danser dans la rue en partant au travail, regarder un inconnu droit dans les yeux et parler d’amour au premier coup d’œil, suggérer à notre patron une idée apparemment ridicule mais à laquelle nous croyons, acheter un instrument dont nous avons toujours voulu jouer sans jamais oser.
Les guerriers de la lumière s’autorisent des journées de ce genre.
« Aujourd’hui, nous pouvons verser des larmes pour quelques injustices qui nous sont restées en travers de la gorge. Nous allons téléphoner à quelqu’un à qui nous avons juré de ne plus jamais parler (mais dont nous adorerions trouver un message sur notre répondeur). Cette journée doit se démarquer du scénario que nous écrivons caque matin.
« Aujourd’hui, toutes les fautes seront permises et pardonnées. Aujourd’hui est un jour à profiter de la vie. »
Paulo Coelho
L’Or
Depuis sa rencontre avec ce vieux corsaire d’Haberposch, il a déjà fait deux, trois métiers différents. Il s’enfonce de plus en plus en ville. Il travaille chez un drapier, chez un droguiste, dans une charcuterie. Il s’associe avec un roumain et fait du colportage. Il est palefrenier dans un cirque. Puis maréchal-ferrant, dentiste, empailleur, vend la rose de Jéricho dans une voiture dorée, s’établit tailleur pour dames, travaille dans une scierie, boxe un nègre géant et gagne un esclave et une bourse de cent guinées, remange de la vache enragée, enseigne les mathématiques chez les pères de la mission, apprend l’anglais, le français, le hongrois, le portugais, le petit nègre de
Cendrars Blaise
Au temps jadis, une femme vint à perdre son mari, et en eut un tel chagrin que son caractère, qui avait toujours été égal, s’aigrit au point de devenir capricieux, fantasque et vraiment insupportable.
Sa fille unique, qu’elle idolâtrait du vivant de son défunt homme, fut parfois gâtée d’une façon ridicule et d’autres fois chassée et punie pour les motifs les plus futiles. Il arrivait même à cette femme de frapper brutalement sa fille, sans que celle-ci devinât pourquoi.
Un jour, dans un accès de démence, elle ordonna à sa servante d’aller promener l’enfant dans une forêt voisine, de l’y égarer et de l’y abandonner.
La domestique, qui était une affreuse mégère et qui ne demandait pas mieux que de diminuer sa besogne, s’empressa d’exécuter les ordres de sa maîtresse. Elle conduisit la petite martyre au milieu des bois, la fit marcher longtemps pour la fatiguer, et enfin l’engagea à s’asseoir au pied d’un arbre, pendant qu’elle irait lui cueillir des fleurs.
L’enfant obéit, mais les heures s’écoulèrent et la servante ne revint pas. Le jour fit place aux ténèbres, les loups hurlèrent dans les bois, et la peur s’empara de la pauvre abandonnée, qui se mit à pleurer.
Tout à coup, un rayon de la lune éclaira le visage d’une jolie dame qui s’avança vers la petite fille et lui dit : « Ne pleure pas, je suis la fée qui t’a servi de marraine à ta naissance, et je viens à ton secours. Je vais te conduire à la porte de la maison de ta mère ; seulement tu ne diras pas m’avoir vue, et tu déclareras même que tu as trouvé ton chemin sans le secours de personne. »
La mère, qui regrettait sa mauvaise action du matin, accueillit sa fille avec joie et ne lui demanda même pas comment elle avait pu découvrir son chemin dans les méandres de la forêt.
Hélas ! cette joie et les caresses qu’elle lui fit ne furent pas de longue durée. La mauvaise humeur de la méchante femme reprit le dessus, et elle ordonna de nouveau à la servante de conduire l’enfant au bord de l’eau, et de la précipiter dans une rivière ou dans un puits.
Cette fois encore les ordres furent ponctuellement exécutés : l’infortunée fille fut jetée la tête la première dans un puits. Mais qu’on juge de son étonnement, lorsqu’elle découvrit, au fond de l’eau, une porte qu’elle put ouvrir sans difficulté. Elle se trouva alors dans la cour d’un somptueux palais. Elle y entra et admira la magnificence des meubles, des tableaux, des bijoux, des objets d’arts qui s’offrirent à sa vue. Arrivée dans une chambre où tout était en désordre, elle remit en place, comme elle avait l’habitude de le faire chez sa mère, ce qui lui semblait avoir été dérangé.
Comme elle accomplissait cette besogne un pas lourd se fit entendre dans l’escalier, et elle n’eut que le temps de se cacher derrière un fauteuil lorsque la porte s’ouvrit.
Un homme, d’une taille gigantesque, mais à l’air très doux, pénétra dans l’appartement en disant : « Quelqu’un est venu chez moi qui a rangé ma chambre, si c’est une fille, elle sera la bien venue ; si c’est un garçon et qu’il veuille rester près de moi, je le ferai mon héritier car je suis sans enfant. »
Rassurée par ces paroles, la petite abandonnée sortit de sa cachette et se montra aux yeux du géant qui poussa un cri de joie en s’écriant : « La filleule de ma femme ! » et aussitôt il appela la fée qui vint serrer dans ses bras celle qu’elle avait déjà sauvée une première fois.
« Reste avec nous, lui dit-elle, et nous ferons en sorte de te rendre heureuse. »
L’enfant accepta, mais au bout de quelque temps devint triste, s’ennuya et demanda à revoir sa mère.
Sa marraine, qui l’aimait beaucoup, et qui ne voulait pas lui faire de peine, la reconduisit à la porte de la méchante femme. Celle-ci, qui était sur le point de se remarier, éprouva un vif mécontentement en revoyant son enfant, et craignit surtout qu’elle lui fit manquer son mariage.
« Viens près de moi, lui dit-elle que je te peigne, car tu en as grand besoin », et elle déroula les magnifiques cheveux de sa fille. Puis, faisant signe à la bonne de lui donner une grande épingle qui se trouvait sur la cheminée, elle l’enfonça, avec une cruauté sans pareille, dans la tête de l’enfant qui fut aussitôt changée en un oiseau superbe, lequel s’envola par la fenêtre et se sauva dans les arbres du jardin du palais du roi.
Apercevant un jardinier qui coupait des roses, il lui dit :
« Bonjour, beau jardinier, comment se porte le roi ? »
L’homme, en apercevant cet oiseau inconnu doué de la parole, avec un plumage brillant comme un rayon de soleil, resta stupéfait. Lorsqu’il fut remis de sa sur prise, il s’empressa d’aller raconter au roi ce qu’il venait de voir et d’entendre.
Le monarque crut que son jardinier avait perdu la raison ; mais il se rendit, néanmoins, dans le jardin pour s’assurer, par lui-même, de ce qui s’y passait.
Lorsqu’il découvrit l’oiseau merveilleux, qu’on eût dit tombé du ciel, il désira le posséder, et pour cela fit tendre tous les pièges connus jusqu’à ce jour.
L’oiseau sut les éviter, mais, voyant le désespoir du roi, il alla se poser sur son épaule, se laissa caresser et même enfermer dans une cage d’or.
Le roi ne voulut plus se séparer de son oiseau chéri, et l’emporta dans sa chambre où il le laissa voltiger en liberté.
Un jour qu’il le caressait, il remarqua, sous les plumes de la tête, quelque chose qui ressemblait à une épingle. Il l’arracha et immédiatement, sous ses yeux, une métamorphose s’accomplit : à la place de l’oiseau il admira la plus ravissante jeune fille qu’il eût jamais vue.
Elle raconta ses infortunes, et le roi, qui ne se lassait pas de l’écouter, résolut d’en faire sa reine.
La date du mariage fut annoncée ; la fée vint demeurer près de sa filleule et l’aida dans le choix et la confection des toilettes.
Jamais mariée ne fut plus belle, et sa mère, en la voyant passer dans les carrosses du palais, la reconnut. Elle fut tellement jalouse du bonheur de sa fille, qu’elle eut une jaunisse dont elle ne put guérir.
H
Hors lieu : banque qui, pour l’exercice de ses activités internationales, s’établit dans un territoire ou, elle trouve des privilèges, sinon des facilités d’exercice. On dit aussi banque off shore. Aujourd’hui en plein essor.
Hors place : chèque payable, hors place, lorsque le banquier tiré est établi dans une autre localité que le banquier présentateur.
Hypothécaire : qui est garanti, par une hypothèque. On parle de créance hypothécaire ou de créancier hypothécaire
Hypothèque : sûreté réelle, portant sur un immeuble, dont le propriétaire n’est pas dessaisi, et donnant à son titulaire, le créancier hypothécaire, le droit de faire saisir et vendre le bien grevé, en quelques mains qu’il se trouve (droit d suite), et de se faire payer sur le prix par préférence aux créanciers chirographaires de son débiteur (droit de préférence). L’hypothèque doit être inscrite à la conservation des hypothèques.
Hypothèque conservatoire : hypothèque judiciaire.
Hypothèque conventionnelle : hypothèque constituée par contrat conclu entre un constituant (celui qui consent ‘hypothèque sur l’un de ses biens) et un stipulant (le créancier). Ce contrat doit être notarié.
Hypothèque de l’Etat : hypothèque légale.
Hypothèque des époux : hypothèque gale grevant les immeubles d’un époux, au profit de l’autre, pour garantir les créances qui pourraient naître entre-deux, cette hypothèque doit être enregistrée.
Hypothèque du mineur : hypothèque grevant les biens immobiliers du tuteur ou de l’administrateur légal d’un mineur et garantissant toutes les créances de celui-ci contre son tuteur ou son administrateur du fait de la gestion de ses biens.
Hypothèque générale : hypothèque portant sue tous biens présent et futurs du débiteur.
Hypothèque immobilière : hypothèque portant sur un bien immeuble.
Hypothèque légataire : hypothèque grevant les meubles de la succession au profit du légataire.
Hypothèque privilégiée : hypothèque donnant droit à son titulaire d’être payé avant les créanciers du même débiteur qui, eux, ont une hypothèque simple sur le même bien hypothéqué.
Hypothèque simple : hypothèque qui prend rang le jour de son inscription.
Hypothèque spéciale : hypothèque portant sur un bien déterminé et garantissant une créance déterminée ou spéciale.
« Mes pauvres fleurs sont toutes mortes, dit la petite Ida. Hier soir elles étaient encore si belles et maintenant toutes leurs feuilles pendent desséchées. D’où cela vient-il ? » demanda-t-elle à l’étudiant qui était assis sur le canapé et qu’elle aimait beaucoup.
Il savait raconter les histoires les plus jolies, et découper des images si amusantes, des cœurs avec de petites femmes qui dansaient, des fleurs et de grands châteaux dont on pouvait ouvrir la porte. Oh ! c’était un joyeux étudiant.
« Pourquoi mes fleurs ont-elles aujourd’hui une mine si triste ? demanda-t-elle une seconde fois en lui montrant un bouquet tout desséché.
— Je vais te dire ce qu’elles ont, dit l’étudiant. Tes fleurs ont été cette nuit au bal, et voilà pourquoi leurs têtes sont ainsi penchées.
— Cependant les fleurs ne savent pas danser dit la petite Ida.
— Si vraiment, répondit l’étudiant. Lorsqu’il fait noir et que nous dormons nous autres, elles sautent et s’en donnent à cœur joie, presque toutes les nuits.
— Et les enfants ne peuvent-ils pas aller à leur bal ?
— Si, répondit l’étudiant ; les enfants du jardin, les petites marguerites et les petits muguets.
— Où dansent-elles, les belles fleurs ? demanda la petite Ida.
— N’es-tu jamais sortie de la ville, du côté du grand château où le roi fait sa résidence l’été, et où il y a un jardin magnifique rempli de fleurs ? Tu as bien vu les cygnes qui nagent vers toi, quand tu leur donnes des miettes de pain ? Crois-moi, c’est là que se donnent les grands bals.
— Mais je suis allée hier avec maman au jardin, répliqua la jeune fille ; il n’y avait plus de feuilles aux arbres, et pas une seule fleur. Où sont-elles donc ? J’en ai tant vu pendant l’été !
— Elles sont dans l’intérieur du château, dit l’étudiant. Dès que le roi et les courtisans retournent à la ville, les fleurs quittent promptement le jardin, entrent dans le château et mènent joyeuse vie. Oh ! si tu voyais cela ! Les deux plus belles roses s’asseyent sur le trône, et elles sont roi et reine. Les crêtes-de-coq écarlates se rangent des deux côtés et s’inclinent : ce sont les officiers de la maison royale. Ensuite viennent les autres fleurs, et on fait un grand bal.... Les violettes bleues représentent les élèves de marine ; elles dansent avec les jacinthes et les crocus, qu’elles appellent mesdemoiselles. Les tulipes et les grands lis rouges sont de vieilles dames chargées de veiller à ce qu’on danse convenablement et à ce que tout se passe comme il faut.
— Mais, demanda la petite Ida, n’y a-t-il personne qui punisse les fleurs pour danser dans le château du roi ?
— Presque personne ne le sait, dit l’étudiant. Il est vrai que quelquefois, pendant la nuit, arrive le vieil intendant qui doit faire sa ronde. Il a un grand trousseau de clefs sur lui, et dès que les fleurs en entendent le cliquetis, elles se tiennent toutes tranquilles, se cachant derrière les longs rideaux et ne montrant que la tête. « Je sens qu’il y a des fleurs ici, » dit le vieil intendant ; mais il ne peut pas les voir.
— C’est superbe, dit la petite Ida en battant des mains. Est-ce que je ne pourrais pas voir les fleurs danser, moi aussi ?
— Peut-être, dit l’étudiant. Penses-y, lorsque tu retourneras dans le jardin du roi. Regarde par la fenêtre et tu les verras. Je l’ai fait aujourd’hui même ; il y avait un long lis jaune qui était étendu sur le canapé. C’était une dame de la cour.
— Mais les fleurs du Jardin des Plantes y vont elles aussi ? Comment peuvent-elles faire ce long chemin ?
— Mais, dit l’étudiant, si elles veulent, elles peuvent voler. N’as-tu pas vu les beaux papillons rouges, jaunes et blancs ? est-ce qu’ils ne ressemblent pas tout à fait aux fleurs ? c’est qu’ils n’ont pas d’abord été autre chose. Les fleurs ont quitté leur tige et se sont élevées dans les airs ; là elles ont agité leurs feuilles comme de petites ailes, et ont commencé à voler. Et, parce qu’elles se sont bien conduites, elles ont obtenu la permission de voler toute la journée, et elles n’ont plus besoin de rester chez elles attachées à leur tige. C’est ainsi qu’à la fin les feuilles sont devenues de véritables ailes. Mais tu l’as vu toi-même. Du reste, il se peut que les fleurs du Jardin des Plantes ne soient jamais allées dans le jardin du roi, et même qu’elles ignorent qu’on y mène la nuit si joyeuse vie. C’est pourquoi je veux te dire quelque chose qui fera ouvrir de grands yeux au professeur de botanique notre voisin. Lorsque tu iras dans le jardin, annonce à une fleur qu’il y a grand bal au château : celle-ci le répétera à toutes les autres, et elles s’envoleront. Vois-tu les yeux que fera le professeur, lorsqu’il ira visiter son jardin et qu’il n’y verra plus une seule fleur, sans pouvoir comprendre ce qu’elles sont devenues ?
— Mais comment une fleur pourra-t-elle le dire aux autres ? Les fleurs ne savent pas parler.
— C’est vrai, répondit l’étudiant ; mais elles sont très-fortes en pantomime. N’as-tu pas souvent vu les fleurs, lorsqu’il fait un peu de vent, s’incliner et se faire des signes de tête ? n’as-tu pas remarqué que toutes les feuilles vertes s’agitent ? Ces mouvements sont aussi intelligibles pour elles que les paroles pour nous.
— Mais le professeur, est-ce qu’il comprend leur langage ? demanda Ida.
— Oui, assurément. Un jour qu’il était dans son jardin, il aperçut une grande ortie qui avec ses feuilles faisait des signes à un très-bel œillet rouge. Elle disait : « Que tu es beau ! comme je l’aime ! » Mais le professeur se fâcha, et il frappa les feuilles qui servent de doigts à l’ortie. Il s’y piqua, et, depuis ce temps, comme il se souvient combien il lui en a cuit la première fois, il n’ose plus toucher à une ortie.
— C’est drôle, dit la petite Ida, et elle se mit à rire.
— Comment peut-on mettre de telles choses dans la tête d’un enfant ? » dit un ennuyeux conseiller qui était entré pendant la conversation pour faire une visite et qui s’était assis sur le canapé.
L’étudiant ne lui plut pas, et il ne cessa de murmurer, tant qu’il le vit découper ses petites figures risibles et joyeuses. Ce fut d’abord un homme pendu à une potence et tenant à la main un cœur volé ; puis une vieille sorcière qui trottait à cheval sur un balai et portait son mari sur son nez. Le conseiller ne pouvait supporter cette plaisanterie, et il répétait sans cesse sa première réflexion : « Comment peut-on mettre de telles choses dans la tête d’un enfant ? C’est une fantaisie stupide ! »
Mais tout ce que l’étudiant racontait à la petite Ida avait pour elle un charme extraordinaire, et elle y réfléchissait beaucoup. Les fleurs avaient les têtes penchées, parce qu’elles étaient fatiguées d’avoir dansé toute la nuit. Elles étaient sans doute malades. Alors elle les emporta près de ses autres joujoux, qui se trouvaient sur une jolie petite table dont le tiroir était rempli de belles choses. Elle trouva sa poupée Sophie couchée et endormie ; mais la petite lui dit : « Il faut te lever, Sophie, et te contenter pour cette nuit du tiroir. Les pauvres fleurs sont malades et ont besoin de prendre ta place. Ça les guérira peut-être. »
Et elle enleva la poupée. Celle-ci eut l’air tout contrarié, et ne dit pas un seul mot, tant elle était fâchée de ne pas pouvoir rester dans son lit !
Ida posa les fleurs dans le lit de Sophie, les couvrit bien avec la petite couverture et leur dit de se tenir gentiment tranquilles ; elle allait leur faire du thé pour qu’elles pussent redevenir joyeuses et se lever le lendemain matin. Puis elle ferma les rideaux autour du petit lit, afin que le soleil ne tombât pas sur leurs yeux.
Pendant toute la soirée, elle ne put s’empêcher de songer à ce que lui avait raconté l’étudiant, et, au moment de se coucher, elle se dirigea d’abord vers les rideaux des fenêtres, où se trouvaient les magnifiques fleurs de sa mère, jacinthes et tulipes, et leur dit tout bas : « Je sais que vous irez au bal cette nuit. »
Les fleurs firent comme si elles ne comprenaient rien et ne remuèrent pas une feuille ; ce qui n’empêcha pas Ida de savoir ce qu’elle savait.
Quand elle fut couchée, elle pensa longtemps au plaisir que ce devait être de voir danser les fleurs dans le château du roi. « Mes fleurs y sont-elles allées ? » Et elle s’endormit. Elle se réveilla dans la nuit : elle avait rêvé des fleurs, de l’étudiant et du conseiller qui l’avait grondé. Tout était silencieux dans la chambre où Ida reposait. La veilleuse brûlait sur la table, et le père et la mère dormaient.
« Je voudrais bien savoir si mes fleurs sont encore dans le lit de Sophie ! Oui, je voudrais le savoir. »
Elle se leva à moitié et jeta les yeux sur la porte entre-bâillée. Elle écouta, et il lui sembla qu’elle entendait toucher du piano dans le salon, mais si doucement et si délicatement qu’elle n’avait jamais entendu rien de pareil.
« Ce sont sans doute les fleurs qui dansent. Ah ! mon Dieu ! que je voudrais les voir ! »
Mais elle n’osa pas se lever tout à fait, de peur de réveiller son père et sa mère.
« Oh ! si elles voulaient entrer ici ! pensa-t-elle.
Mais les fleurs ne vinrent pas, et la musique continua de jouer bien doucement. A la fin, elle ne put y tenir ; c’était trop joli. Elle quitta son petit lit et alla sur la pointe du pied à la porte pour regarder dans le salon. Oh ! que c’était superbe, ce qu’elle vit !
Il n’y avait point de veilleuse, il est vrai ; mais pourtant il y faisait bien clair. Les rayons de la lune tombaient par la fenêtre sur le plancher ; on y voyait presque comme en plein jour. Toutes les jacinthes et les tulipes étaient debout sur deux longues rangées ; pas une ne restait à la fenêtre ; tous les pots étaient vides. Sur le plancher, toutes les fleurs dansaient joliment les unes au milieu des autres, faisaient toute espèce de figures, et se tenaient par leurs longues feuilles vertes pour faire la grande ronde. Au piano était assis un grand lis jaune, avec qui la petite Ida avait fait connaissance dans l’été ; car elle se rappelait fort bien que l’étudiant avait dit : « Regarde comme ce lis ressemble à Mlle Caroline. » Tout le monde s’était moqué de lui, et cependant la petite Ida crut alors reconnaître que la grande fleur jaune ressemblait d’une manière étonnante à cette demoiselle. Elle avait en touchant du piano absolument les mêmes manières ; elle penchait sa longue figure jaune, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre et battait aussi la mesure avec la tête. Personne n’avait remarqué la petite Ida. Elle aperçut ensuite un grand crocus bleu qui sautait au milieu de la table où étaient ses joujoux et qui alla ouvrir le rideau du lit de là poupée. C’est là qu’étaient couchées les fleurs malades ; elles se levèrent aussitôt et dirent aux autres par un signe de tête qu’elles avaient aussi envie de danser. Le vieux bonhomme du vase aux parfums, qui avait perdu la lèvre inférieure, se leva et fit un compliment aux belles fleurs. Elles reprirent leur bonne mine, se mêlèrent aux autres et se montrèrent on ne peut plus joyeuses.
Tout à coup, quelque chose tomba de la table ; Ida regarda : c’était la verge qui s’élançait à terre ; elle aussi parut vouloir prendre part à la fête des fleurs. Sur elle était assise une petite poupée de cire, qui-portait un grand et large chapeau absolument semblable à celui du conseiller. La verge sauta au milieu des fleurs, montée sur ses trois échasses rouges, et se mit à marquer fortement la mesure en dansant une mazurka ; il n’y avait qu’elle qui en fût capable : les autres fleurs étaient trop légères et n’auraient jamais pu faire entendre le même bruit avec leurs pieds.
Tout à coup, la poupée accrochée à la verge s’allongea et grandit, se tourna vers les autres fleurs, et s’écria tout haut : « Comment peut-on mettre de telles choses dans la tête d’un enfant ? C’est une fantaisie stupide ! »
Et la poupée de cire ressemblait alors extraordinairement au conseiller avec son large chapeau ; elle avait le même teint jaune et le même air grognon. Mais ses longues jambes frêles expièrent son exclamation : les fleurs les frappèrent rudement ; elle se ratatina soudain, et redevint une toute petite poupée. Comme tout cela était amusant à voir ! La petite Ida ne put s’empêcher de rire. La verge continua de danser, et le conseiller était obligé de danser avec elle, malgré toute sa résistance, quoique tantôt il se fît grand et long, et tantôt reprît les proportions de la petite poupée au grand chapeau noir. Mais enfin les autres fleurs intercédèrent pour lui, surtout celles qui sortaient du lit de la poupée ; la verge se laissa toucher par leurs instances et se tint tranquille.
Puis quelqu’un frappa violemment dans le tiroir où étaient enfermés les autres joujoux d’Ida. L’homme du vase aux parfums courut jusqu’au bord de la table, s’étendit sur le ventre, et réussit à ouvrir un peu le tiroir. Tout à coup Sophie se leva et regarda tout étonnée autour d’elle. « Il y a donc bal ici ! dit-elle ; pourquoi personne ne me l’a-t-il dit ?
— Veux-tu danser avec moi ? dit l’homme aux parfums.
— Par exemple, en voilà un danseur ! » dit-elle, et elle lui tourna le dos.
Elle s’assit ensuite sur le tiroir et pensait qu’une des fleurs allait venir l’inviter. Mais aucune d’elles ne se présenta : elle eut beau tousser et faire hum ! hum ! aucune n’approcha. L’homme se mit à danser tout seul, et s’en acquitta assez bien.
Comme aucune des fleurs ne semblait faire attention à Sophie, elle se laissa tomber avec un grand bruit du tiroir sur le plancher. Toutes les fleurs accoururent, lui demandèrent si elle s’était fait mal, et se montrèrent très-aimables avec elle, surtout celles qui avaient couché dans son lit. Elle ne s’était pas fait le moindre mal, et les fleurs d’Ida la remercièrent de son bon lit, la conduisirent au milieu de la salle, où brillait la lune, et se mirent à danser avec elle. Toutes les autres fleurs faisaient cercle pour les voir. Sophie, joyeuse, leur dit qu’elles pouvaient désormais garder son lit, qu’il lui était égal de coucher dans le tiroir.
Les fleurs lui répondirent : « Nous te remercions cordialement ; nous ne pouvons pas vivre si longtemps. Demain nous serons mortes. Mais dis à la petite Ida qu’elle nous enterre là, dans l’endroit du jardin où est enterré le petit oiseau des Canaries. Nous ressusciterons dans l’été et nous reviendrons bien plus belles.
— Non, il ne faut pas que vous mouriez, dit Sophie ; » et elle baisa les fleurs.
Mais au même instant, la porte du grand salon s’ouvrit, et une foule pressée de fleurs magnifiques entra en dansant. Ida ne pouvait comprendre d’où elles venaient. Sans doute, c’étaient toutes les fleurs du jardin du roi ! À leur tête marchaient deux roses éblouissantes qui portaient de petites couronnes d’or : c’étaient le roi et la reine. Ensuite vinrent les plus charmantes giroflées, les plus beaux œillets, qui saluaient de tous côtés. Ils étaient accompagnés d’une troupe de musique ; de grands pavots et des pivoines soufflaient si fort dans des cosses de pois qu’ils en avaient la figure toute rouge ; les jacinthes bleues et les petites perce-neiges sonnaient comme si elles portaient de véritables sonnettes. C’était une musique bien remarquable ; toutes les autres fleurs se joignirent à la bande nouvelle, et on vit danser violettes et amarantes, pâquerettes et marguerites Elles s’embrassèrent toutes les unes les autres. C’était un spectacle délicieux.
Ensuite, les fleurs se souhaitèrent une bonne nuit, et la petite Ida se glissa dans son lit, où elle rêva à tout ce qu’elle avait vu. Le lendemain, dès qu’elle fut levée, elle courut à la petite table pour voir si les fleurs y étaient toujours. Elle ouvrit les rideaux du petit lit ; elles s’y trouvaient toutes, mais encore bien plus desséchées que la veille. Sophie était couchée dans le tiroir où elle l’avait placée, et avait l’air d’avoir grand sommeil.
« Te rappelles-tu ce que tu as à me dire ? » lui dit la petite Ida.
Mais Sophie avait une mine tout étonnée, et ne répondit pas un mot.
« Tu n’es pas bonne dit Ida ; pourtant, elles ont toutes dansé avec toi »
Elle prit ensuite une petite boîte de papier qui contenait des dessins de beaux oiseaux, et elle y mit les fleurs mortes.
« Voilà votre joli petit cercueil, dit-elle. Et plus tard, lorsque mes petits cousins viendront me voir, ils m’aideront à vous enterrer dans le jardin, pour que vous ressuscitiez dans l’été et que vous reveniez plus belles. »
Les cousins de la petite Ida étaient deux joyeux garçons ; ils s’appelaient Jonas et Adolphe. Leur père leur avait donné deux arbalètes, et ils les emportèrent pour les montrer à Ida. La petite fille leur raconta l’histoire des pauvres fleurs qui étaient mortes et les invita à l’enterrement. Les deux garçons marchèrent devant avec leurs arbalètes sur l’épaule, et la petite Ida suivit avec les fleurs mortes dans le joli cercueil ; on creusa une petite fosse dans le jardin ; Ida, après avoir donné un dernier baiser aux fleurs, déposa le cercueil dans la terre. Adolphe et Jonas tirèrent des coups d’arbalète au-dessus de la tombe ; car ils ne possédaient ni fusil ni canon.