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Et si l’Egypte préparait un avenir post-islamiste ?» Posté le Vendredi 23 Août 2013 à 10h15

Opinions

 

P. Jean-Jacques Pérennès :

«Et si l’Egypte préparait un avenir post-islamiste ?»

 

Selon le P. Jean-Jacques Pérennès, directeur de l’Institut dominicain d’études orientales du Caire, « il est indéniable que le peuple égyptien soutient massivement la lutte en cours contre l’extrémisme des Frères musulmans. »

 

LA CROIX 22/8/13

 

 « L’Égypte vit des heures dramatiques qui suscitent dans la presse occidentale une condamnation sans nuance des forces de sécurité égyptiennes, contribuant à ancrer dans l’opinion publique la conviction que la destitution de Mohamed Morsi a été une fâcheuse initiative, « véritable coup d’État contre un président démocratiquement élu ». 

 Je déplore, bien entendu, les centaines de morts occasionnées par l’évacuation des deux places occupées par les Frères musulmans depuis six semaines et aurais préféré qu’il en fût autrement, mais quelques mises au point s’imposent : 

– La destitution de Mohamed Morsi a été le résultat d’un immense mouvement populaire de protestation qui a mobilisé des millions d’Égyptiens, toutes classes d’âge, de confession et de statut social confondus. Cette mobilisation a été beaucoup plus large que celle qui avait renversé Moubarak deux ans et demi plus tôt et conduit à penser qu’une grande majorité de musulmans égyptiens a compris, au bout seulement d’un an, qu’il fallait en finir avec l’islamisme politique. Ceci est une très bonne nouvelle, annonçant, nous l’espérons, un coup de frein sinon un coût d’arrêt à l’islam politique qui empoisonne le destin du Moyen-Orient depuis des décennies. Si cette transition réussissait, ce serait décisif pour l’ensemble de la région qui regarde ce pays avec moins de préjugés que l’Occident, qui, une fois de plus, juge ce qui se passe avec un regard trop simpliste. L’armée égyptienne a été l’instrument de cette transition et il est douteux qu’elle veuille rester aux affaires, car elle en a déjà fait l’amère expérience entre février 2011 et juin 2012. Elle est soucieuse, certes, de garder ses privilèges, mais il est indéniable que le peuple égyptien soutient massivement la lutte en cours contre l’extrémisme des Frères musulmans.

– La deuxième clarification est que les Frères musulmans égyptiens sont aujourd’hui démasqués. Profitant de l’ouverture démocratique du printemps 2011 qui leur a permis de constituer leur parti politique, le parti Liberté et Justice, ils ont accédé au pouvoir en tentant de rassurer tout le monde sur leurs intentions. « Non, ils n’accapareraient pas le pouvoir, les Coptes seraient considérés comme des citoyens à part entière, etc. » Aujourd’hui, on y voit plus clair. Mohamed Morsi s’est comporté de manière sectaire : non comme le président de tous les Égyptiens mais comme la courroie de transmission de la Confrérie des Frères musulmans devenue, sous des apparences d’une démocratie formelle, le véritable centre du pouvoir politique. Cela, les Égyptiens l’ont vite compris, à commencer par beaucoup de ceux qui avaient voté pour eux, convaincus que, guidés par l’islam, ils allaient véritablement servir le bien commun du pays.

En réalité, ils ont surtout travaillé à s’installer au pouvoir, usant de toutes les méthodes pour s’assurer des postes, et n’ont offert à une population dont 40 % sont au-dessous du seuil de pauvreté qu’un discours politico-religieux, là où elle attendait du travail, des hôpitaux décents, des écoles qui fonctionnent, plus de justice sociale. Un an de pouvoir a suffi pour décrédibiliser les Frères musulmans aux yeux de la grande majorité des Égyptiens.

– La troisième clarification a été donnée ces dernières semaines, lorsque, au moment de la destitution de Mohamed Morsi, les dirigeants de la Confrérie ont appelé leurs partisans à « résister jusqu’au martyre ». Immense responsabilité lorsqu’on sait les résonances de cette formule dans l’inconscient musulman : djihad, paradis promis, etc. Le pouvoir intérimaire leur a, pourtant, proposé de revenir dans le jeu politique où il est légitime qu’ils aient une place, car ils ont une vraie base populaire ; des tentatives de médiation ont été menées par l’Union européenne et les États-Unis. Tout cela n’a servi à rien : leur logique jusqu’au-boutiste a conduit aux drames de ces derniers jours, où ceux qui meurent sont les militants de base et non les dirigeants de la Confrérie, dont la responsabilité est grande dans le bain de sang qui a suivi.

– Enfin, comment croire aujourd’hui aux propos lénifiants tenus ces derniers mois par les Frères musulmans pour rassurer les chrétiens égyptiens ? Les discours de haine prononcés trop souvent dans les mosquées et les milieux islamistes ont donné leurs fruits ces derniers jours : des dizaines d’églises, deux monastères et un orphelinat incendiés, des religieuses tabassées alors qu’elles ont passé leur vie à servir les pauvres, et l’on peut craindre que cela ne s’arrête pas là.

L’Occident – presse et responsables politiques confondus – porte une grave responsabilité en se contentant de condamner unilatéralement la répression en cours, alors que tout le monde s’est tu lorsque Mohamed Morsi s’est arrogé les pleins pouvoirs, a fait passer en force une Constitution destinée à jeter les bases d’un État islamique au terme d’une mascarade d’assemblée constituante que les Frères musulmans s’étaient employés à verrouiller. On parle aujourd’hui de couper les vivres à l’Égypte, ce qui ne ferait que la plonger un peu plus dans la misère et dans les bras des extrémistes.

 Ce constat dramatique étant fait, que faut-il souhaiter pour l’avenir ? 

– D’abord, la reprise, dès que possible, du dialogue politique tenté par les émissaires européens et américains. Les pétromonarchies du Golfe n’ont pas caché leur intention d’être des acteurs décisifs dans l’avenir de l’Égypte : en soutenant le renversement de Mohamed Morsi et en proposant immédiatement une aide financière de 14 milliards de dollars, très précieux pour un pays exsangue, ces pays se placent pour la suite. Ils ne sont pas les mieux placés pour soutenir l’aspiration à la liberté et à la citoyenneté qu’a fait naître le printemps arabe. L’équipe au pouvoir en Égypte est fragile : les contraintes économiques et sociales auxquelles elle doit faire face sont très lourdes. L’État doit lutter, par ailleurs, contre un vrai risque djihadiste au Sinaï, qui pourrait conduire à une dérive terroriste. Les Égyptiens attendent de l’Occident moins de condamnations et plus de soutien.

– Le pouvoir intérimaire a déjà entrepris une révision de la Constitution que Mohamed Morsi avait fait passer sans débat suffisant. Il prévoit d’organiser dès que possible des élections législatives et présidentielle. C’est là le meilleur chemin pour un retour aussi rapide que possible à un fonctionnement normal des institutions, qui verrait les militaires rentrer dans leurs casernes et les politiques reprendre les pleins pouvoirs. Cela ne sera pas simple : les risques d’un retour des moubarakistes ne sont pas nuls ; les « libéraux » égyptiens sont encore trop divisés ; les jeunes révolutionnaires de Tahrir trop idéalistes. Cet accouchement d’une démocratie égyptienne prendra des années. Il faut donner du temps à ce pays pour y arriver, l’accompagner et le soutenir dans cette conquête.

– Pour l’heure, les blessures et le ressentiment sont profonds aussi bien chez les Frères musulmans que chez les coptes. Il faudra beaucoup de temps à la société égyptienne pour panser ces plaies, mais l’Égypte a l’avantage sur plusieurs autres pays du Moyen-Orient (Irak, Liban, Syrie) d’être un pays homogène, sans fracture régionale ou ethnico-religieuse. Elle n’est pas née du découpage de la région après la chute de l’Empire ottoman et cela constitue aujourd’hui un atout très précieux.

Il reste que l’épisode dramatique que nous venons de vivre sera peut-être considéré dans quelques années comme la première étape de l’invention par un peuple à majorité musulmane d’un avenir post-islamiste. Si cela se confirmait, il s’agirait pour l’Égypte et toute la région d’une immense bonne nouvelle qui mérite mieux que nos jugements hâtifs.» 

Robert Solé :

Une Egypte sans les Coptes ne pourrait plus être l'Egypte

LE MONDE | 22.08.2013 • | Par Robert Solé (écrivain)

En l'espace de quelques jours, après le renversement du président Morsi, plusieurs dizaines d'églises ont été incendiées en Egypte, ce qui ne s'était jamais vu. Des hommes déchaînés s'en sont pris également à des centres sociaux, des habitations ou des magasins appartenant à des chrétiens. Selon un blogueur islamiste, ce serait la réponse au "complot fomenté par les coptes" pour donner au général Al-Sissi, ministre de la défense, "mandat de tuer des musulmans".

Il est vrai que les Coptes ont activement participé à la mobilisation de millions de personnes dans le but de destituer le chef de l'Etat et que leur nouveau pape, Tawadros II, a solennellement donné son aval à l'initiative de l'armée, en compagnie du cheikh Al-Tayyeb, grand imam d'Al-Azhar. Mais cela ne suffit pas à expliquer, et encore moins à justifier, les violences antichrétiennes, d'ailleurs bien antérieures aux derniers événements, même si elles ont connu un regain d'intensité dans un climat général d'insécurité.

Cela fait près de trois ans que les Coptes vivent sur des charbons ardents. Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2011, quelques semaines avant la chute d'Hosni Moubarak, une bombe explose devant une église d'Alexandrie, où des fidèles sont réunis pour célébrer le Nouvel An. 21 morts et 79 blessés. Fous de douleur, de jeunes chrétiens s'en prennent violemment aux forces de l'ordre et mettent en cause le pouvoir, accusés de ne pas les défendre. Celui-ci refuse de voir le caractère confessionnel de cet attentat, qu'il attribue, comme d'habitude, à une main étrangère, désireuse de briser l'unité nationale.

FRATERNISATION DE LA PLACE TAHIR

Pendant les dix-huit jours de soulèvement contre Moubarak, pas un seul incident confessionnel ne survient en Egypte. On assiste, au contraire, sur la place Tahrir, à une fraternisation spectaculaire entre musulmans et chrétiens, qui rappelle les années 1918-1921, quand des foules immenses, brandissant des drapeaux frappés du croissant et de la croix, réclamaient aux Anglais l'indépendance du pays. Le vieux pape Chenouda III avait déconseillé à ses ouailles de s'engager dans le mouvement, mais il n'a pas été entendu. Heureusement pour les Coptes ! Ils auraient payé très cher le fait d'être restés à l'écart de la "révolution du 25 janvier", célébrée jusqu'à aujourd'hui par toute l'Egypte, y compris par ceux qui l'ont trahie.

La suite est moins rose. Quand l'armée prend les commandes, après avoir lâché Moubarak, tout ce qui avait marqué la place Tahrir (civisme, absence d'idéologie, solidarité confessionnelle) va se retourner comme un gant. Des salafistes déchaînés s'en prennent violemment aux chrétiens. En octobre 2011, l'incendie d'une église à Assouan donne lieu à une manifestation de protestation au Caire. Elle est réprimée avec une brutalité stupéfiante : 28 morts et des centaines de blessés.

Aujourd'hui, pourtant, les Coptes font partie de ces millions d'Egyptiens qui soutiennent les forces de l'ordre, sans mettre en cause leurs méthodes. Jamais ils n'ont été aussi unis, derrière leur hiérarchie. Le climat nationaliste qui règne actuellement les galvanise. Ils en oublieraient presque les agressions dont ils sont victimes. De manière significative, Tawadros II vient de déclarer : "L'incendie de nos églises est un acte d'offrande que nous présentons sur l'autel du sacrifice pour que vive l'Egypte." Et, de manière tout aussi significative, des entrepreneurs musulmans se sont déclarés prêts à fournir gratuitement des matériaux pour la reconstruction de ces lieux de culte... Les Coptes sont aujourd'hui les premiers à dénoncer l'attitude des capitales occidentales, les accusant de ne rien comprendre ce qui se passe en Egypte. Pour eux, les Frères musulmans sont "des terroristes", de mèche avec les fanatiques qui brûlent leurs églises et avec les djihadistes qui tuent des policiers dans le Sinaï. A l'inverse, ils ne tarissent pas d'éloges sur l'Arabie saoudite, considérée jusqu'à présent comme la matrice de l'islamisme, la source de tous leurs maux.

UNE NOUVELLE PAGE POUR LES CHRÉTIENS

Une nouvelle page s'ouvre peut-être pour les chrétiens d'Egypte, qui ont très mal vécu l'année écoulée. Les Frères musulmans, vainqueurs d'élections contestées - sur lesquelles les défenseurs occidentaux de la démocratie ont fermé les yeux - n'ont pas su les rassurer. Dans un premier temps, des strapontins ont été proposés aux coptes, puis on leur a fait mille difficultés quand les différentes Eglises, orthodoxe, catholique et protestantes, ont quitté la Constituante, jugée non représentative de la société égyptienne, puis se sont opposées à une Constitution concoctée à la sauce islamiste. L'actuel gouvernement provisoire, installé par l'armée, compte trois ministres chrétiens. La question confessionnelle est cependant loin d'être réglée.

D'après des statistiques officielles déjà anciennes, les Coptes représenteraient 6 % de la population égyptienne, soit cinq millions de personnes. Mais, selon eux, le chiffre devrait être multiplié au moins par deux et même par trois. Toujours est-il qu'il s'agit de la plus grande Eglise du monde arabe, et l'une des plus anciennes de la planète : ce n'est pas un corps étranger qui aurait été introduit dans la vallée du Nil par une force d'occupation ou par des missionnaires occidentaux. Ces chrétiens du désert, à qui l'on doit l'invention du monachisme, ont même tendance à se considérer plus égyptiens que d'autres puisque leurs ancêtres étaient là avant la conquête musulmane, au VIIe siècle. "Coptes" (aqbat en arabe) signifiait à l'origine "égyptiens". Par la suite le mot n'a plus désigné qu'une appartenance religieuse : les Coptes étant les Egyptiens qui ne se sont pas convertis à l'islam.

Jusqu'à la moitié du dix-neuvième siècle, ils ont un statut de dhimmis (protégés), c'est-à-dire de citoyens de seconde zone : ils doivent porter des vêtements distinctifs, payer une taxe spéciale, et tout prosélytisme leur est interdit. L'occupation britannique, commencée en 1882, puis la lutte pour l'indépendance, favorise leur intégration politique. Entre les deux guerres, ils jouent un rôle de premier plan dans le grand parti nationaliste, le Wafd, la Chambre des députés ou le ministère des affaires étrangères.

 DISCRIMINATIONS ET EXACTIONS

Pas un seul chrétien ne figure parmi le groupe des Officiers libres qui prend le pouvoir en juillet 1952. La grande bourgeoisie copte sera très affectée par les mesures socialistes de Nasser. Ce sont uniquement des musulmans que l'on retrouve à la tête de l'armée et des hautes fonctions étatiques : gouverneurs, dirigeants d'entreprises publiques, présidents d'université... "L'ouverture économique" inaugurée par Sadate dans les années 1970, marquées par l'alliance avec les Etats-Unis et la paix avec Israël, change la donne, mais le successeur de Nasser inquiète beaucoup les chrétiens en laissant le champ libre aux islamistes pour contrer la gauche et les nassériens.

C'est lui qui, dans la Constitution, fait de la charia "une des sources" (1971) puis "la source principale" (1980) de la législation égyptienne. Un article que les salafistes auraient voulu modifier encore l'an dernier, pour en faire la source de la législation. Son maintien a été considéré comme une grande victoire de la laïcité ! Avec Sadate, l'Etat s'est désengagé de toute une série d'actions sociales, laissant le champ libre à l'islamisme, qui continue à prospérer sous Moubarak. Un jeu très subtil s'engage alors, dans lequel le pouvoir combat les djihadistes, modernise l'Egypte, mais laisse la religion s'infiltrer partout, se sert des Frères musulmans comme épouvantail, et des salafistes pour contrer les Frères musulmans...

Paradoxalement, c'est une Egypte plus ouverte que jamais sur le monde, avec la télévision et Internet, qui connaît un repli identitaire. Le port du voile, qui tend à se généraliser chez les musulmanes, permet désormais de distinguer une chrétienne dans la rue. Aux discriminations dont les coptes sont victimes s'ajoutent, pour les plus pauvres d'entre eux, surtout en Haute-Egypte, diverses exactions, dont des enlèvements d'adolescentes mariées de force à des musulmans.

Ces dernières années, de nombreux Coptes aisés ont choisi l'exil, aux Etats-Unis, au Canada ou en Europe. Le mouvement s'est encore accentué avec l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans. Le bouleversement qui vient de se produire arrêtera-t-il cette hémorragie ? Il faudrait pour cela que le calme revienne, que la sécurité soit rétablie et que l'économie redémarre. Il faudrait aussi qu'une nouvelle Constitution garantisse réellement une égalité des citoyens, quelle que soit leur confession, et permette de mettre en place un Etat civil aux deux sens du terme, c'est-à-dire ni militaire, ni islamique. Une émigration massive des chrétiens serait catastrophique : non seulement elle affaiblirait considérablement l'Egypte, mais elle changerait sa nature. Une Egypte sans les coptes ne serait plus l'Egypte. Il faudrait lui trouver un autre nom.

 

Robert Solé (écrivain)

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