Blog créé grâce à Iblogyou. Créer un blog gratuitement en moins de 5 minutes.

rencontres islamo-chrétiennes

l'entreconnaissance

Espoirs et angoisse pour le Père Paolo Dall’Oglio Posté le Jeudi 29 Août 2013 à 00h39

 

Espoirs et angoisse pour le Père Paolo Dall’Oglio

Béatrice Petit
la vie.fr le 20/08/2013

Trois semaines après sa disparition, qu’est-il advenu du jésuite engagé ?

Rappel des faits

Le 28 juillet, le Père Paolo Dall’Oglio était acclamé par la population de Raqqa, chef-lieu de la première province « libérée », située au nord est de la Syrie.

Dans son livre La rage et la lumière publié en mai, il écrivait dans un chapitre tenant lieu de testament : « La révolution pour la liberté a été traînée dans la boue d’une guerre civile entre musulmans sunnites et chiites alaouites ... La communauté musulmane n’est pas externe à ma conscience la plus intime, mais elle est bien ma chair, le corps humain à qui j’appartiens, ma communauté, mon identité. Cette guerre civile m’est insupportable. Je voudrais faire quelque chose pour l’arrêter. »

Bravant l’interdiction du régime qui l’avait expulsé en juin 2012 pour sa dénonciation des crimes massifs commis, le prêtre d’origine italienne était revenu d’Irak, pays d’implantation de sa nouvelle communauté, pour tenter des médiations et éviter l’embrasement sur de nouveaux fronts.

Les troupes de Bachar parties de la région de Raqqa, les Kurdes longtemps discriminés espéraient y mettre à profit la situation pour accomplir leur rêve d’autonomie. Mais c’était sans compter les extrémistes, liés à Al Qaeda, et leur volonté d’y imposer la loi islamique.

En avril dernier, des éléments du groupe Jabhat Al Nusra, renforcé par des milliers de nouvelles recrues, avaient fait sécession, quittant la lutte purement syrienne pour revendiquer la création d’un « Etat islamiste d’Irak et du Levant » (EIIL) dans la vallée de l’Euphrate, avec Raqqa pour capitale. A la différence du Front Al Nusra, observe le spécialiste de l’islam et politologue Thomas Pierret, EIIL combat peu le régime mais affronte les Kurdes et l’Armée Libre Syrienne. Cette dernière n’a guère eu le temps de savourer sa victoire de mars dernier puisqu’à la mi-août, dans la première grande ville passée sous son contrôle, elle a été chassée par ses alliés d’hier, tandis que ses autorités municipales étaient faites prisonnières. Une guerre fratricide !

« Je suis venu pour rencontrer la société civile et les chefs des groupes armés. Je voudrais qu’à Raqqa se fassent les premiers pas d’une réconciliation entre opposants. Je jeûne et fais le Ramadan pour demander à Dieu la grâce de l’unité pour le peuple syrien. Notre jihad (combat), c’est pour la démocratie….  Le berceau de la révolution ne doit pas devenir son tombeau », avait déclaré le prêtre à la journaliste de la chaîne de télévision arabe Al aan, présente à Raqqa.

Première victoire du Père Paolo

Dans la même province, à Tal Abiad, cité frontalière à population kurde, voisine de la Turquie, de violents combats ont également opposé en juillet les anciens compagnons d’armes, l’armée libre et les islamistes de l’EIIL, faisant de nombreux prisonniers aux mains de ces derniers.

Parmi eux, Ahmad al Haj Saleh, un conseiller municipal « qui m’avait généreusement offert l’hospitalité au mois de février », expliquait le prêtre, en annonçant sa visite « dès le lendemain », soit le 29 juillet, en homme libre, chez les leaders islamistes qui avaient pris les commandes de la ville de Raqqa. « La libération de cet homme serait particulièrement symbolique, signifiant que nous travaillons main dans la main. », avait-il souligné. Depuis lors, c'est-à-dire le 29 juillet, le Père Paolo n’est plus réapparu et n’aurait donné aucun signe de vie. Par contre, Ahmad al Haj Saleh a recouvré la liberté le 11 août en vertu d’un jugement du tribunal islamique local (de Mansour).* Un signal important alors que très vite, les rumeurs de kidnapping du prêtre, suivies d’autres, plus macabres, envahissaient la toile.

« Hôte » ou détenu ?

A la population manifestant à plusieurs reprises devant le siège de l’EIIL à Raqqa pour réclamer sa libération, il aurait été répondu que Paolo Dall’Oglio était leur « hôte ».

Mais un hôte de plus en plus obligé, détenu, semble-t-il. Car juste avant la rencontre annoncée pour le 29 juillet avec les leaders islamistes, le prêtre avait dit à des proches de ne pas s’alarmer avant trois jours s’ils n’avaient pas de signe de sa part. Ce délai est largement dépassé. Déjà 3 semaines ! L’inquiétude monte… « Nous sommes à une heure de Gethsémani », confiait un ami du prêtre, face à l’incertitude et au risque du sacrifice assumé.

Fausses rumeurs

Le 14 août, l’Observatoire syrien des droits de l’homme, basé en Grande-Bretagne, a relayé l’annonce de sa mort dans la prison de l’EIIL. Ce qu’a démenti dès le lendemain, la Coalition Nationale Syrienne (CNS) dans un communiqué : « les nouvelles en provenance de Raqqa indiquent que Paolo Dall’Oglio est vivant. Sa localisation reste toutefois inconnue ».

Georges Sabra, responsable de la CNS, a ajouté que Lama al-Atasi, l’un des auteurs de l’annonce du décès, se prétendant leur représentante, n’était pas membre de son groupe.

A son tour, la ministre italienne des Affaires Etrangères, Emma Bonino a déclaré « La mort du prêtre n’est pas confirmée ».

Toujours en vie

De source fiable, il nous vient que deux canaux de communication au moins ont été ouverts avec le groupe qui retiendrait le prêtre, et que celui-ci était toujours vivant aux dernières nouvelles, datant du 19 août. Sans pouvoir en dévoiler davantage, il y a aussi, et de divers côtés, des indicateurs sérieux en ce sens.

A qui profite la rumeur ?

Le Réseau Voltaire, dirigé par Thierry Meyssan, qui a reconnu être l’un des conseillers du Président Bachar El Assad, a publié le 16 août un article intitulé « le père Paolo Dall’Oglio (s.j.) a été exécuté par d’autres "révolutionnaires" » en Syrie, soulignant non sans un malin plaisir, qu’il s’agissait de ses « frères » de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL).

Ils n’ont pas été les seuls à relayer le message de l’Observatoire Syrien, infondé, semble-t-il, du moins à la date de publication.

Des milices islamistes seraient-elles infiltrées ou à la solde du régime ?

Pour Thomas Pierret, « ce n’est pas exclu. Sous l’occupation américaine en Irak, Al Qaeda a travaillé avec les services secrets syriens. C’est un milieu que le régime Assad connait bien, il serait bien bête de ne pas y avoir laissé quelques taupes. D’ailleurs, ses services l’ont déjà fait et ont tout intérêt à le faire. Officiellement, Damas est passée (d’une répression de la révolution) à une guerre contre "les terroristes". C’est mieux pour la communication ! ».

« Du reste, poursuit l’islamologue, le Père Paolo soutient ouvertement l’opposition. Ce serait tout bénéfice pour le régime s’il était exécuté "par les islamistes" ».

Et les autres disparus ?

Pour les deux évêques – Yohanna Ibrahim et Paul Yazigi- disparus en avril, même scénario  avec le bruit courant d’une exécution, par « les soldats du Califat », une organisation islamiste, affiliée à l’EIIL, « extrêmement douteuse, avec des Tchétchènes au comportement bizarre », selon Thomas Pierret. Mais voici peu, le métropolite grec orthodoxe de ce qu’on appelle « la vallée des chrétiens » en Syrie a déclaré qu’ils étaient toujours en vie. Michel Kilo, le célèbre opposant syrien, n’a pas hésité à affirmer que les prélats auraient été enlevés par les services du régime.

Quant aux journalistes français enlevés en juin, Didier François et Edouard Elias, Thomas Pierret évoque le « ciblage délibéré des étrangers afin de donner un signal dissuasif à ceux qui voudraient se rendre en Syrie. Le régime peut aussi utiliser des groupes crapuleux : l’argent n’a pas de couleur », commente l’analyste.

Quoi qu’il en soit, tout est possible dans ce pays où les mensonges pleuvent autant que les balles, sans être l’apanage d’un seul camp !

Paolo Dall’Oglio était conscient du danger de sa démarche – pour faire relâcher les otages et négocier une pacification – auprès de ceux qui administrent désormais la ville sous le régime de la charia.

D’une façon presque christique, le religieux disait depuis le début de la révolution vouloir prendre sur lui toute la souffrance des Syriens.

Sans nul doute y avait-il, y a-t-il aussi chez lui le désir d’« une rencontre de courtoisie, de reconnaissance réciproque »**, telle que vécue par le poverello d’Assise chez le sultan musulman, en pleine guerre des croisés.

 

Mission impossible ?

0 commentaire - Permalien - Partager
Commentaires