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Comment expliquer

la vague de barbarie

qui frappe le Proche-Orient ?

http://www.lorientlejour.com/article/882527/comment-expliquer-la-vague-de-barbarie-qui-frappe-le-proche-orient-aujourdhui-.html

 

Lundi 25 août 2014  L’ORIENT LE JOUR

Antoine AJOURY | OLJ

 

« Nous nous guérissons de la violence subie

par la violence qu’on fait subir à l’autre »,

explique le psychanalyste Chawki Azouri.

Sommes-nous devant le retour à l’ère de la barbarie ? De Gaza à Bagdad, en passant par Raqqa et Mossoul, le Proche-Orient est frappé actuellement par une vague de violence indescriptible. Une violence née d’une frustration et d’une haine si fortes, et qui dépasse tout entendement.

La région semble tourner dans un cercle vicieux : en Irak, la chute du régime dictatorial de Saddam Hussein a entraîné la montée en puissance des chiites longtemps opprimés. Ces derniers, une fois au pouvoir, ont à leur tour marginalisé les sunnites qui se sont insurgés contre le gouvernement de Bagdad, sous la houlette des jihadistes de Daech. En Syrie, la population majoritairement sunnite se rebelle contre le régime dictatorial de Bachar el-Assad. S’ensuit une répression sanguinaire qui se transforme en guerre civile qui a fait, trois ans plus tard, plus de 180 000 morts. Le conflit israélo-palestinien fête près de 70 ans de guerre sans entrevoir le bout du tunnel. D’une guerre à une autre, les morts se multiplient, la vengeance et la haine entre les deux peuples aussi.

Comment expliquer ce schéma qui se perpétue d’une génération à l’autre ? Comment expliquer cette violence inhumaine et barbare qui inonde les réseaux sociaux et les télévisions ? Bien que rien ne puisse justifier ces atrocités, le pourquoi reste une question légitime pour mieux comprendre l’irrationnelle barbarie des protagonistes.

Le psychanalyste libanais Chawki Azouri explique la violence par une « impossibilité d’élaborer quelque chose avec des mots, et que la passivité devient une obligation ». Il donne l’exemple d’une enfant qu’on emmène chez le dentiste et qui subit passivement la douleur ou tout au moins la frayeur. « En revenant à la maison, cette enfant refait la même expérience traumatisante à sa poupée », affirme Chawki Azouri, ajoutant : « Pour comprendre ce mécanisme, l’identification à l’agresseur est le seul moyen éprouvé par l’enfant pour s’en sortir du traumatisme qu’elle a subi chez le dentiste dans un état de passivité. »

Guérir la violence par la violence

Selon lui, « le mécanisme est très simple : ce que nous avons subi d’une manière passive est insupportable. Par l’identification à l’agresseur, nous devenons nous-mêmes agresseurs. Nous nous guérissons de la violence subie par la violence qu’on fait subir à l’autre ».

Ce qui explique d’une certaine manière cette violence inconcevable que le Proche-Orient est en train de vivre actuellement. Ainsi, les chiites en Irak refont les mêmes erreurs du pouvoir baassiste. Ils font subir aux sunnites les mêmes discriminations qu’ils ont eux-mêmes subies sous le régime de Saddam Hussein. Pour se venger, les insurgés sunnites, guidés par les jihadistes de l’État islamique (ex-Daech), s’acharnent contre les autres communautés. Même les chrétiens. Faut-il rappeler les exactions des forces américaines dans la prison d’Abou Ghraib ? Les humiliations subies par les partisans sunnites du Baas de la part de l’armée américaine suffisent amplement à alimenter la haine contre les chrétiens.

Le schéma est identique en Syrie où la population est prise en tenaille par les forces de Bachar el-Assad et ses « chabbiha », d’une part, et une opposition divisée en milices et jihadistes qui s’entretuent aussi, d’autre part. Entre la haine d’un régime sanguinaire et la peur engendrée par un repli identitaire, le pays s’enfonce dans une violence inextricable où l’anéantissement de l’autre est le but ultime des protagonistes.

Chawki Azouri revient en outre sur le conflit israélo-palestinien. Selon lui, le peuple israélien est assez éduqué, les Israéliens sont intelligents. Comment peuvent-ils faire subir aux Palestiniens ce qu’eux-mêmes ont enduré ? « Il y a ainsi une violence insupportable subie dont on ne peut sortir qu’en la faisant subir aux autres. Ou alors cette violence se retourne contre soi-même. » Le psychanalyste revient sur la notion de culpabilité du survivant. « C’est un symptôme-syndrome qu’on a pu observer chez les juifs qui ont survécu dans les camps de concentration. Ils se sabotaient eux-mêmes. Ils se faisaient violence à eux-mêmes de différentes manières : en manquant par exemple un contrat important ; en ayant la possibilité de réussir quelque chose, ils se mettaient en état d’échec juste avant ; une IVG chez une femme qui aurait pu ne pas avorter... »

Une violence extrême

L’exemple le plus poignant est celui de Bruno Bettelheim, auteur notamment de Psychanalyse des contes de fées. Psychologue célèbre, fondateur de l’école de Chicago et survivant de l’Holocauste, il s’est suicidé par asphyxie de la même manière dont ses parents sont morts. « C’est pour dire que même un psychanalyste comme Bruno Bettelheim n’a pu dépasser sa culpabilité du survivant qui illustre une violence extrême dont ne peut sortir sauf par l’exercice de la violence sur autrui ou sur soi-même allant jusqu’au suicide », explique le psychanalyste.

Cet éclaircissement à lui seul ne suffit pas à analyser les atrocités commises par les groupes jihadistes en Syrie et en Irak. Un autre facteur joue également un rôle prépondérant. C’est l’appartenance à un groupe dans un contexte particulier, à savoir l’absence de l’État.

Chawki Azouri explique : « Quand on hypnotise quelqu’un en lui demandant d’aller tuer, l’hypnotisé ne peut pas le faire, contrairement aux idées reçues. Au moment où il s’approche de la victime pour obéir aux ordres, sa conscience morale, le sur-moi, lui interdit de tuer ». En groupe, la situation devient différente. Le moi s’efface complètement. « Sous hypnose collective, lui disant que la victime potentielle l’a trahi, a pris ses biens, a tué ses proches, etc., l’instinct grégaire devient plus fort que le sur-moi et la conscience morale, et l’individu pourrait ainsi faire collectivement ce qu’il n’a pas pu faire individuellement », affirme Chawki Azouri.

Nazisme, chabbiha, milices...

Quand la loi de la jungle prédomine, c’est le groupe, la bande, le gang les plus forts, les plus terrifiants, qui s’imposent pour survivre, qu’ils soient motivés par une idéologie nationaliste, religieuse, tribale ou autre. Dans ce contexte, la liste est longue : les nazis en Allemagne, le conflit en ex-Yougoslavie récemment en Europe, le génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda, les Khmers rouges au Cambodge, etc. C’est tout à fait le cas en observant les exactions des milices pendant la guerre libanaise et irakienne, celle des chabbiha en Syrie, des jihadistes dans l’État islamique, du Hamas à Gaza, etc.

Y a-t-il un moyen de sortir de cet engrenage de la violence ? « L’exemple principal d’un travail de mémoire relativement réussi s’est passé en Afrique du Sud », explique Chawki Azouri. Selon lui, « on a remarqué dans ce pays que le fait de proposer aux anciens tortionnaires d’éviter un tribunal classique, mais d’être condamnés symboliquement par un tribunal spécial, a permis d’identifier ces personnes et de les présenter devant la justice. Ces tortionnaires ont donc reconnu, même si c’était parfois malgré eux, qu’ils ont torturé le fils d’un tel ou le mari d’une telle, etc. En reconnaissant de tels actes, ils ont demandé pardon aux familles de leurs victimes. Le pardon demandé par ces anciens tortionnaires ne pouvait être obtenu qu’après la reconnaissance des méfaits, des tortures et des assassinats. Et les familles des disparus acceptaient de leur pardonner ».

Faire le deuil

Le psychanalyste raconte en outre que « pendant toute cette période, le plus grand signe de violence a été un crachat qu’une mère a lancé au visage du tortionnaire de son fils qui reconnaissait ses agissements et demandait pardon ».

De ce fait, on peut se demander si le fait qu’un tortionnaire ayant reconnu ses méfaits, ses meurtres, ses assassinats et demandé pardon à une famille pourrait suffire à diminuer quantitativement le volume de la violence. Pour répondre à cette question, il faut l’analyser du point de vue du deuil. L’impossibilité du deuil qui a frappé une communauté déterminée durant une guerre, une période dictatoriale, l’occupation d’une armée étrangère joue un rôle important.

Chawki Azouri explique : « Dans le deuil, la première chose que nous éprouvons pour le mort, c’est de la haine. C’est cette dernière qui va nous permettre de faire notre deuil. Comment ? Au début, on éprouve de la haine, et le deuil nous empêche d’en prendre conscience parce qu’il y a un mort, la vue du cadavre, la réalisation de la mort réelle. Par la suite, la prise de conscience de cette haine envers la personne disparue va m’emmener à m’en vouloir de lui en vouloir... et donc je rentre en tant qu’endeuillé dans un cercle vicieux qui ne se termine qu’après l’épuisement de cette ambivalence, à savoir le rapport amour-haine envers le mort qui se traduit à merveille par les rites mortuaires qui ont bien saisi cette période d’ambivalence dans le deuil : trois jours, une semaine, 40 jours, une année. »

Que se passe-t-il si on a un mort ou un disparu dont on ne connaît pas la raison de la mort, dont on ne connaît pas l’assassin ? « Je ne peux pas en vouloir à mon mort ! Je ne peux en vouloir qu’à l’assassin de mon mort. Tant que j’en veux à son assassin, je ne peux pas entrer dans mon deuil. Si je n’entre pas dans mon deuil parce que je ne hais pas le mort, mais son assassin, je serai comme un mort-vivant. Voilà en quelques mots toute la mécanique de l’histoire. »

Ainsi, pour revenir au cas sud-africain où une mère a craché sur l’assassin de son fils, que s’est-il passé ? En lui disant que c’est lui l’assassin, le tortionnaire a soulagé la mère du poids d’un deuil inaccompli : à partir d’aujourd’hui, elle sait qui a tué son fils, et elle peut le haïr et faire son deuil.

Contribution extérieure

Pour sortir de ce cercle vicieux de la vengeance, Chawki Azouri propose de revenir sur un texte écrit par Sigmund Freud à Albert Einstein et intitulé « Pourquoi la guerre ? ». Dans cette lettre, le père de la psychanalyse propose, pour pouvoir arrêter la violence sur un plan mondial, la mise en place d’une force internationale qui puisse intervenir d’une manière juste et équilibrée. En gros, il faut la contribution d’un pouvoir extérieur coercitif plus fort que celui des protagonistes. On peut ainsi se poser aujourd’hui la question de savoir que si l’Occident, avec à sa tête les États-Unis, avait frappé le régime de Bachar el-Assad il y a un an, on n’aurait pas pu éviter ce bain de sang quotidien avec ces dizaines de milliers de morts depuis un an ainsi que l’émergence de l’État islamique. Ensuite, il faut élaborer, sans copier ce qui s’est passé en Afrique du Sud, un processus juridique qui relève du pardon et de la réconciliation.

Barbarie vs humanité

 

Enfin, Chawki Azouri se penche sur cet état de barbarie dans lequel est noyée la région. Ce qui caractérise la violence aujourd’hui, c’est le fait qu’elle a perdu toute humanité. Le psychanalyste s’indigne face aux violences perpétrées contre les convois funéraires. Il se rappelle ainsi les frappes israéliennes contre une foule qui enterrait un proche lors de la guerre de 2006 ou bien contre un cimetière à Gaza récemment. Ou bien des kamikazes qui se font exploser dans des mosquées en Irak. Ou bien l’exhibition par les jihadistes des têtes décapitées sur les places publiques... Il y a trois tabous qui désignent anthropologiquement le début de l’humanité et donc du dépassement de la barbarie : l’inceste, le parricide et l’enterrement des morts. « On a commencé par enterrer les morts pour ne plus les manger parce que le cannibalisme prévalait dans une perspective tout à fait barbare : par exemple, manger son ennemi après l’avoir tué pour prendre sa force. Aujourd’hui, on revient à une période où il n’y a aucun respect pour les morts, on a l’impression de retourner à l’état de barbarie », conclut-il.

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