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Les Arabes face au « monstre » islamiste Posté le Jeudi 4 Septembre 2014 à 09h21

Les Arabes face au « monstre » islamiste

LE MONDE | 03.09.2014 à 20h54 | Par Alain Frachon


Détail d'une image publiée par l'EI montrant des hommes masqués membres de l'Etat islamique s'apprêtant à exécuter des hommes après la prise de la base aérienne de Taqba. | AP/Uncredited

Pourquoi le monde arabe n'est-il pas davantage mobilisé contre l'Etat islamique (EI) ? La question est posée sans malice. Elle touche peut-être aux ressorts cachés qui, depuis près de vingt-cinq ans, font le succès toujours renouvelé de l'islamisme radical.

La corporation des experts en stratégie s'interroge, doctement : dans la lutte contre ce mouvement djihadiste, Obama en fait-il trop ou pas assez ? La corporation s'étonne, souvent, que le président américain n'ait toujours pas ordonné des frappes aériennes contre les bases de l'EI en Syrie. Cet Obama serait un faible. Elle commente l'aide militaire européenne apportée aux Kurdes d'Irak, en première ligne face aux « chemises noires » de l'EI : l'UE aurait mis du temps à réagir, voyez-vous.

Lire aussi (édition abonnés) : Rattrapé par les crises internationales, M. Obama critiqué pour son attentisme

Certes, l'EI enlève des journalistes occidentaux. Sous l'œil de ses caméras, ses sbires viennent d'égorger deux reporters américains. Certes, l'EI attire dans ses rangs des centaines de jeunes Européens. De retour au pays, ils seront les agents dévoués d'un djihad décidé à s'en prendre aux « juifs et aux croisés ».

 

RESTAURER UN CALIFAT UNIQUE

Mais la cible première de l'EI, c'est le monde arabe. L'ambition affichée des djihadistes est d'y restaurer un califat unique où s'appliquerait la version la plus rétrograde de l'islam – celle que prônent les salafistes, chevau- légers de l'extrémisme sunnite. Dans la ligne de mire des artilleurs au drapeau noir, il y a, d'abord, les Etats arabes.

L'ennemi, ce sont les frontières. L'EI en a déjà fait sauter une, celle qui sépare la Syrie et l'Irak, taillant ainsi entre ces deux pays, dans la violence la plus sauvage, le premier territoire du grand califat à venir. Le Liban, la Jordanie pourraient vite être à leur tour menacés et, demain, les royaumes et émirats des pays arabes du Golfe.

Pourtant, l'aviation qui appuie les Kurdes et ce qui reste d'armée irakienne dans le combat contre l'EI est celle des Etats-Unis. Les armes, et les « conseillers » qui les accompagnent toujours, dépêchées auprès des peshmergas kurdes, viennent d'Europe.

Ce n'est pas que les armées et arsenaux du monde arabe seraient à court de moyens. Pas du tout, rappelle le professeur Shashank Joshi dans le Financial Times (20 août) : « A elles seules, les six nations du Golfe possèdent plus de 600 avions de combat dernier cri. » Une des plus belles forces aériennes du monde. On ne la voit pas dans le ciel de l'Irak.

Les Arabes n'ont jamais rechigné à guerroyer entre eux. Dans les années 1960, l'aviation égyptienne bombardait le Yémen à l'arme chimique… Il y a quelques jours, l'Etat des Emirats arabes unis, aidé par Le Caire, envoyait ses chasseurs pour tenter de faire pencher la balance dans la guerre civile libyenne.

 

CAUSE PLUS PROFONDE

Alors, pourquoi cette timidité dans l'engagement contre l'EI, cette retenue, voire cette mansuétude à l'adresse d'un ennemi redoutable ? On peut invoquer la force de l'habitude, cette addiction au service de police régionale assuré par les Etats-Unis depuis 1945. Comme l'Europe, le monde arabe est plus que jamais attaché au parapluie militaire américain.

La cause est plus profonde. Elle tient au conflit stratégique et religieux qui déchire le Proche-Orient. D'un côté, les minoritaires de l'islam, les chiites, sous la tutelle de l'Iran. De l'autre, les majoritaires, les sunnites, habitués à dominer la scène arabe.

Ceux-là, emmenés par l'Arabie saoudite, prêtent, non sans quelque raison, à la République islamique de Téhéran, appuyée sur ses soutiens locaux (les chiites d'Irak et du Liban, les alaouites de Syrie), le noir désir de leur ravir le leadership régional.

En somme, le combat prioritaire dans le monde arabe sunnite est celui qu'il faut mener contre le camp chiite. Et, dans cette bataille, tout est permis – y compris fomenter un mouvement extrémiste sunnite. Contre les chiites, les majoritaires de l'islam ont nourri l'extrémisme sunnite.

« Pour les Arabes du Golfe, l'hégémonie de Téhéran est un scénario de cauchemar », dit Gilles Kepel au Monde (2 septembre). Pour Ankara aussi, poursuit-il : « Turcs, Qatariens, Saoudiens ont vu dans l'Etat islamique le levier qui allait leur permettre d'en finir avec Bachar Al-Assad , allié de l'Iran. Le monstre qu'ils ont enfanté leur fait peur désormais. »

 

COMMUNAUTÉ IDÉOLOGIQUE

Il les effraie aussi parce qu'ils se ressemblent. L'Arabie saoudite pratique, cultive et exporte une version de l'islam sunnite dont le modèle salafo-djihadiste, celui de l'EI, est une excroissance piquée aux hormones stéroïdes. Entre l'une et l'autre, aujourd'hui adversaires, il y a une communauté idéologique.

Ed Husain, du Council on Foreign Relations, écrit dans l'International New York Times du 26 août : « Voilà cinquante ans que l'Arabie saoudite parraine le salafisme sunnite d'un bout à l'autre du globe. » Ses livres d'école, ses universités, ses fondations diffusent le poison d'un islam intolérant à toute autre religion, obsédé par l'application littérale de la charia. L'EI met en scène l'exécution de ses prisonniers ; l'Arabie saoudite décapite en public.

Le monstre ainsi créé par les Saoudiens et quelques autres les inquiète d'autant plus qu'il exerce une séduction certaine sur leur propre opinion. Aller le combattre trop ostensiblement présente des risques intérieurs. Près d'un millier de Saoudiens guerroient dans les rangs de l'EI. Fatale attraction, la « rue arabe » reste accessible aux sirènes djihadistes, que les régimes arabes n'osent aller combattre les armes à la main.

 

frachon@lemonde.fr

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