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Sénégal Les écoliers de la rue Posté le Dimanche 7 Septembre 2014 à 11h23

Dans le petit seau en plastique jaune serré contre lui, l'enfant porte quelques piécettes, 120 CFA au total (0,18 euro), du riz et du mil. Mais il ne va pas à la plage, malgré la mer toute proche de ce quartier de Guédiawaye, à 10 kilomètres au nord de Dakar. Comme des milliers d'autres enfants, Djibril Ciss, 7 ans, mendie dans les rues. Il est en deuxième année de daara, l'école coranique. Avec son bermuda aux couleurs passées, son gilet beige à capuche rabattue sur la tête pour se protéger du vent, le garçon attend de remettre l'objet de sa collecte à l'un des lieutenants du maître coranique. Djibril Ciss est ce que l'on appelle un talibé.

Face au scandale de la mendicité des enfants, le gouvernement sénégalais dit vouloir mieux contrôler les daaras. Des institutions financières internationales ont même avancé des fonds afin de réformer ce système qui s'est perverti.

Venant principalement des zones rurales du Sénégal et aussi des pays frontaliers, les talibés sont des garçons de 4 à 18 ans, la plupart du temps envoyés par leurs parents pauvres chez des marabouts afin de suivre une éducation coranique. Mais si les enfants reçoivent bien un minimum d'enseignement religieux, assis par terre, serrés dans des pièces où ils dorment aussi, leurs rares affaires rangées dans un sac à dos pendu au plafond, ici, dans ce daara de Guédiawaye, ils n'ont pas de matériel scolaire. Juste des tablettes de bois où sont inscrits des versets du Coran. A peu près la seule discipline enseignée aux enfants.

Leur principale tâche est de mendier pour ramener chaque soir une somme d'argent fixée par le maître coranique. " L'enfant devient objet d'exploitation, dénonce Fodé Sow, responsable de l'association Intermondes. Il ne faut pas confondre les talibés avec les enfants des rues qui mendient pour survivre et se sont, la plupart du temps, enfuis de chez eux. " L'ONG, soutenue par l'Unicef, l'agence des Nations unies chargée de la protection de l'enfance, essaye de retirer les enfants des daaras, après les avoir repérés dans la rue et les avoir identifiés – une mission ardue, notamment pour ceux venant des pays voisins.

" Leurs conditions de vie se sont un peu améliorées, mais l'insalubrité reste importante ", dit Fodé Sow. L'insécurité aussi. Dans les buissons et les bosquets plantés autour des cabanes en bois pour retenir le sable des dunes, les vagabonds traînent souvent. La drogue est partout et les enfants peuvent être agressés.

Le nombre de ces daaras serait estimé entre 10 000 et 15 000 au Sénégal et près d'un million d'enfants seraient concernés. Guédiawaye, ville de quelque 500 000 habitants, compte environ 175 daaras, avec un minimum de 25 enfants par centre. Dans la rue, à chaque intersection, sur les marchés, ils sont là.

Le daara Serigne Pape Faye, du nom du maître coranique responsable du lieu, situé dans le quartier Hamo Tefess de Guédiawaye, héberge une quarantaine de jeunes. Ils partent chaque jour mendier vers 7 h 30 et reviennent pour l'apprentissage du Coran à 10 heures. La " classe " dure de 11 heures à 13 heures, puis de 16 heures à 18 heures.

" J'ai travaillé ce matin au marché, à 500 mètres du daara ", raconte Djibril Ciss, originaire de la région de Mont-Rolland, à moins de 100 kilomètres de Dakar. C'est l'un des plus jeunes de ce groupe qui joue des coudes pour atteindre la petite table en bois où Pape Saliou inscrit méticuleusement sur un cahier le nom de l'enfant et la recette du jour. Pape Saliou, 25 ans, est l'un des sept lieutenants du maître coranique qui vit avec sa famille loin des baraquements misérables du daara.

Ils assurent la surveillance des enfants, pour leur sécurité disent-ils, et se préparent à remplacer le maître. " On s'interpose si un enfant a énervé quelqu'un, s'il déraille, on le ramène au daara ", explique Pape Saliou. Un autre lieutenant, Moussa Seck, 18 ans, est arrivé, lui, en 1998. Il avait alors 3 ans. " J'étais trop petit pour mendier. J'ai commencé à 8 ans. C'est mon père qui m'a envoyé ici. Les enfants donnent tout au maître. Ils n'ont besoin de rien, ils sont nourris et logés. Un taux est fixé et si l'enfant gagne plus, il peut garder la différence ", dit-il.

Un scénario qui se réalise rarement. " Si je n'amène pas ce qu'il faut, on ne me frappe pas mais on me gronde. Et je dois ramener plus le lendemain ", confie Alou Thiombanne, 14 ans, présent depuis quatre années au daara de Pape Faye, où il a, lui aussi, été envoyé par son père. " Mes frères et mes sœurs sont restés au village, près de Mont-Rolland. Ma maman me manque, je l'ai vue il y a six mois quand j'étais en vacances, raconte le jeune garçon. Mais je suis content d'être là, l'apprentissage du Coran me plaît. Et quand je suis dans la rue, je n'ai pas peur, on est en groupe. On en profite pour jouer au football. "

A quelques kilomètres, dans la commune de Medina Gounass, le centre Yaakaaru Guneyi (" l'espoir des enfants "), ouvert depuis juillet 2012, recueille les enfants mendiants. C'est un lieu d'accueil, de transit, dit Oumane Sonko, coordinateur du centre.

Ousman et Mamadou Baldé, 16 ans environ, sont cousins et originaires de Guinée-Bissau, de la région de Bafata. Signalés par une femme à qui ils demandaient de l'argent, les deux jeunes garçons ont avoué qu'ils s'étaient enfuis. " Nous n'allons jamais chercher un enfant dans un daara, si le maître coranique ne veut pas que nous entrions, c'est aux autorités de le faire, explique Oumane Sonko. Il est déjà arrivé que des lieutenants nous accueillent avec des bâtons. "

Les deux garçons se remettent avec peine de leur aventure. " Un maître coranique est venu nous chercher au village, en expliquant aux parents qu'il n'y avait pas d'opportunité pour faire du business en Guinée ", raconte Ousman Baldé. Son cousin poursuit le récit : " Il y a quelques jours, le marabout nous a demandé d'aller mendier et de ramener le quota de 750 CFA - 1,15 euro - . Nous n'y sommes pas arrivés, il nous a frappés et nous nous sommes enfuis. "Ousman Baldé a déjà fugué à trois reprises et il a été repris à chaque fois par les lieutenants.

Les garçons souhaitent rentrer en Guinée-Bissau. " Mais les familles voient parfois d'un mauvais œil le retour de ces enfants, cela fait une bouche supplémentaire à nourrir ", dit Fodé Sow.

A près de 700 kilomètres de Dakar, en haute Casamance, dans le village de Coumbacara, plusieurs dizaines d'enfants sont revenus des daaras de la capitale sénégalaise, rapatriés par l'ONG La Lumière. Parfois, le père se déplace lui-même, comme Abdoulai, parti chercher son fils Amadou, qui est au daara depuis l'âge de 5 ans. " Mon frère a profité de mon absence pour emmener Amadou à Dakar, expliquant à sa mère qu'il aurait une bonne éducation, raconte-t-il. Il a été battu, s'est enfui à plusieurs reprises, avant de pouvoir rejoindre la maison d'un oncle qui m'a alerté. "

Avant l'urbanisation exponentielle de l'Afrique, les enfants suivaient les cours de l'école coranique tout en réalisant des travaux des champs pour le maître. Ils devaient acquérir, expliquent les partisans des daaras, " le sens de l'humilité ", d'où l'expérience de la pauvreté.

Mais les marabouts ne sont plus soumis à la pression sociale du village qui les poussait à instruire vraiment les enfants. " La combinaison de la hausse des prix des denrées, du logement et de l'absence de supervision des daaras fait que le sort des enfants dépend entièrement du marabout qui l'encadre ", écrivait le professeur Iba Der Thiam dans une étude publiée en 2013, Les Daaras au Sénégal : rétrospective historique. Certains, soulignait l'ancien ministre de l'éducation des années 1980, possèdent même plusieurs daaras et s'enrichissent sur le dos des enfants, tout en cachant la vérité aux parents.

 

Objet de nombreuses critiques, les daaras vont devoir se réformer. Dix milliards de CFA (15,2 millions d'euros) ont été prêtés par la Banque islamique de développement pour un plan de modernisation des écoles coraniques. Soixante-quatre daaras doivent être construits, dont la moitié dans le secteur public, gérés par l'Etat. " Mais nous sommes en retard, nous venons de déterminer les référentiels de compétence, les programmes, explique Mamadou Bass, inspecteur des daaras pour le compte du ministère de l'éducation. Une loi doit être votée prochainement pour mieux contrôler ces écoles. " La Banque mondiale a aussi prêté de l'argent, en 2014, pour l'enseignement de la lecture et du calcul dans ces établissements. Une expérimentation est en cours dans une centaine d'écoles.

Autant d'initiatives destinées à faire évoluer cet enseignement, même si le gouvernement redoute le poids électoral des maîtres coraniques. " Si l'on connaît toutes ces difficultés, c'est parce que l'Etat n'est pas suffisamment engagé. Pour fermer des daaras, il suffit de faire des contrôles la nuit et voir dans quelles conditions vivent les enfants ", regrette Mouhamadou Niass, maître coranique du daara Had Omar Tall, à Guédiawaye.

Ancien enfant talibé et mendiant des rues, cet homme de 56 ans, engagé pour " éradiquer la pratique de la mendicité ", dénonce aussi les autorités religieuses qui ferment les yeux. " Puisque ce sont des guides religieux, ils ne devraient pas laisser faire, cela salit le Coran ", dit le marabout.

Le 3 mars 2013, un incendie dans un daara a coûté la vie à 9 enfants. L'émotion a été considérable, suivie de fermes promesses de mettre fin à ces conditions de vie désastreuses. Une loi de normalisation des daaras, en préparation depuis plusieurs mois, devait être votée durant l'été. Mais septembre est arrivé sans que rien ne change.

 

Rémi Barroux

  

© Le Monde 06/09/14
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