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L'islam à l'épreuve : cruauté et barbarie du califat Posté le Dimanche 21 Septembre 2014 à 10h35

 

L’islam à l’épreuve : cruauté et barbarie du califat.

Samir Khalil Samir, sj.

 

28 août 2014, article du père Samir Khalil Samir, jésuite, à propos de « l’État islamique ».

 

Article mis en ligne en italien et en anglais sur www.asianews.it (*) Mis à jour le 16/9/14.

 

Le 28 août 2014, l’agence de presse AsiaNews a mis en ligne un article du père Samir Khalil Samir, islamologue, professeur à l’université Saint Joseph de Beyrouth. Le jésuite égyptien donne des éléments d’analyse de l’islam contemporain au Moyen-Orient à partir de l’événement de la proclamation du califat par l’organisation terroriste « État islamique » le 29 juin 2014 et des violences qu’il a commis dans les territoires qu’il contrôle en Syrie et Irak. Le père Samir Khalil Samir décèle dans « l’éducation islamique » pratiquée aujourd’hui au Moyen-Orient une démission de l’esprit critique, de la conscience personnelle, face à l’autorité. Il y discerne une cause de « l’échec des Printemps arabes ». Il conteste l’accusation faite aux monothéismes d’être comme tels source de violence, mais il critique la confusion, dans l’islam, entre les domaines éthique, politique et juridique, « génératrice de violence ». Cependant, précise-t-il, les actes sanguinaires de « l’État islamique » n’ont « rien à voir avec l’islam ». « Il est temps de repenser l’islam pour l’adapter à l’homme moderne, de distinguer État et religion, éthique et politique, lettre et esprit. L’islam est capable de le faire » conclut le père Samir Khalil Samir.

Les réseaux sociaux débordent de vidéos et d’images qui montrent les violences absurdes et la cruauté des militants de l’Armée islamique liés au Califat créé fin juin en Irak et en Syrie par Abu Bakhr al Baghdadi. Face à ces violences qui dépassent toute limite humaine, le monde musulman réagit parfois par des condamnations formelles, mais la plupart du temps par le silence.

Timidité des condamnations dans le monde islamique

Face à tant de sang versé, aux exécutions de masse, aux décapitations, il semble y avoir quasiment une sorte d’accoutumance et de fatalisme : « On ne peut rien faire », « Ce sont des forcenés », etc.

Ces dernières semaines, les violences de la guerre à Gaza font aussi la une. Je voudrais faire remarquer la différence de comportement entre juifs à l’égard d’Israël et musulmans à l’égard de l’État islamique. Au cours des semaines passées, j’ai reçu une dizaine de pétitions envoyées par des juifs américains qui critiquent Israël : cela montre une conscience vive et une habitude culturelle à l’autocritique.

 

 L’éducation islamique : mémoriser, ne jamais critiquer

Dans le monde islamique, cette habitude n’existe pas : il n’y a pas – ou très rarement – de critique de son propre gouvernement, dont on accepte tout. Si l’on prend un pays avec un niveau de développement culturel moyen, comme l’Égypte, quel que soit le gouvernement, celui-ci est accepté sans autre forme de débat ; à l’exception de quelques personnes, comme les journalistes ou les intellectuels, le peuple n’ose pas critiquer. Il manque un certain mode d’éducation à la critique constructive. Même dans la famille traditionnelle, la remise en question de la parole des parents est impensable. D’un côté, cela garantit le respect, mais de l’autre, cela conduit à un manque d’esprit critique.

On peut remarquer la même chose à l’école : il n’y a pas d’éducation à la critique dans un mode positif, ou d’éducation au débat comme moyen de discernement.

L’éducation dans le système islamique se base essentiellement sur la mémorisation, avant tout du Coran. Le Coran ne se discute pas, on l’apprend par cœur et on le répète en continu afin de ne pas l’oublier. C’est la parole de Dieu faite livre. La formule islamique est que le Coran est « descendu » (nazala) sur Mohammed, qui l’a transmis tel quel. Il n’y a pas « d’inspiration », il y a descente : autrement dit, le Coran n’est pas du prophète Mohammed, il est directement de Dieu. Le prophète ne serait qu’un enregistreur.

En Égypte, l’éducation islamique des enfants dans les kuttâb (l’école islamique) se fait à coups de bâtons pour les pousser à mémoriser le Coran. Et ce qui vaut pour le Coran vaut également pour la philosophie : les étudiants en université apprennent par cœur des pages entières – préparées par le professeur – et les récitent à l’examen.


Le Printemps arabe n’a pas débouché sur une nouveauté

 Même le Printemps arabe, qui constituait pourtant une expérience de critique, après avoir fait tomber le dictateur en place, n’a pas su comment poursuivre, et le pouvoir a été pris par les groupes les plus organisés : les salafistes et les Frères musulmans, qui ont éliminé le parti (unique) du dictateur, pour le remplacer par un autre parti (unique) islamique.

Dans le monde arabe, il n’existe pas de véritable mouvement de dialogue, de contestation ni de projet social. Sur le problème de la modernité, qui hante en profondeur le monde musulman, il n’y a pas de débat, de lieu de discussion, d’échange d’opinion. Puis, en tête à tête, quelqu’un vous dira quelles sont ses opinions, mais cela n’arrivera jamais à une pensée organisée et exprimée.

Un autre exemple : au Maroc, tous les ans pendant le Ramadan, quelques jeunes contestataires se font à dessein surprendre par la police en train de manger et de boire pendant les heures de jeûne. Pour cela, ils sont mis en prison. Ce groupe est composé d’une dizaine de jeunes, et organise cette protestation tous les ans. Mais personne n’en discute : il va de soi que ce que le gouvernement fait est juste et que tout est bien ainsi.

Cela explique pourquoi devant les sinistres exécutions perpétrées par les militants de l’Armée islamique, la population arabe reste muette. Certes, on perçoit que la population est contre cette violence, mais elle préfère se taire. C’est une sorte d’omerta religieuse !


La démission de l’intelligence

Pour les jeunes qui accourent pour se faire enrôler par l’Armée islamique, c’est un peu différent : ils sont attirés par la force, par la violence, par les succès militaires des miliciens. Le fondamentalisme violent de l’Armée islamique semble être justement une réponse forte, efficace et riche face à l’immobilisme de leurs propres sociétés.

Dans les vidéos que l’Armée islamique utilise pour appeler aux armes, on voit jusqu’à des enfants de 10-14 ans s’entraîner dans des camps militaires. Comment, face aux horreurs dont ils sont témoins et potentiellement acteurs, comment ne se rebellent-ils pas au plus profond d’eux-mêmes ? Peut-être parce que le lavage de cerveau a joué à plein.

Ces jeunes sont comme drogués par rapport à la religion, vue comme quelque chose qui ne se discute pas, comme la seule chose importante.

La réalité est que, face au mot « religion », il y a une démission de l’intellect. Hāmed Abdel Samad, cinquième fils d’un imam égyptien, est parti à l’âge de 23 ans pour l’Allemagne, où il vit toujours. Son premier livre parle de sa « conversion », non pas au christianisme ou à une autre religion : il dit avoir dû effectuer une conversion de l’islam à l’intelligence. Il était comme prisonnier de l’islam et de l’absence d’intelligence et de réflexion. La définition qu’il donne et qu’il répète souvent, est édifiante : « Ich bin vom Glauben zum Wissen konvertiert », « je me suis converti de la foi à la conscience ».


Religions monothéistes et violence

Différentes personnes accusent les religions monothéistes d’être source de violence et d’intolérance (1). Cette affirmation semble surtout vraie dans le cas de l’islam : dans les autres religions (christianisme et judaïsme), c’est beaucoup moins évident. Aujourd’hui, la domination du Coran et de la religion islamique sur l’individu conduit à la peur de dire ou de faire quelque chose qui va à l’encontre du Coran. Du reste, la condamnation la plus sévère qui existe dans le monde islamique est le blasphème. Le fait de dire quelque chose contre Mohammed ou le Coran peut mener à la peine de mort. Même Hāmed Abdel Samad, l’intellectuel égyptien émigré en Allemagne, a subi une condamnation, une fatwa pour blasphème, du fait de son intervention dans quelques médias alors qu’il était en Égypte il y a deux ans.

Au Pakistan, le blasphème est un des délits les plus courants, quelle que soit la parole considérée comme une offense au Coran ou au prophète de l’islam. Elle est même appliquée pour outrage contre les feuilles du livre du Coran. L’année dernière en Égypte, sous le régime des Frères musulmans, deux enfants ont été jetés en prison, accusés d’avoir uriné sur des feuilles du Coran. On a découvert plus tard que l’accusation était fausse.

On cite comme justification l’exemple de la Bible et les nombreuses incitations à la violence qu’elle contient. Mais on oublie qu’il s’agit de documents et de règles établis il y a plus de 3 000 ans et que les Juifs n’appliquent plus depuis des siècles !


La pensée islamique est paralysée

Tout cela paralyse la pensée et plus personne n’ose donc rien dire sur la personnalité de Mohammed, ou sur les aspects religieux, car si l’on se trompe, on risque gros.

Cet effet paralysant naît de deux éléments : l’un de l’adoration sans discussion possible pour sa religion, comme si l’on était devant un tabou ; l’autre est lié à un manque de sensibilité critique.

Un exemple : le Coran donne à l’homme le droit d’épouser jusqu’à quatre femmes. Mais Mohammed en a épousé un nombre indéfini, qui va de 11 à 17 (voire 21), selon que l’on compte ou non les concubines. Et pourtant personne n’ose commenter cette divergence. La réponse est la suivante : il est le prophète, et est donc au-dessus des règles.

Le caractère sacré de Mohammed – même s’il est considéré comme un homme ordinaire, ayant reçu le dernier message de Dieu à l’humanité – et le caractère « divin » du Coran empêchent une immense majorité de musulmans d’appliquer à eux-mêmes la manière ordinaire de raisonner. De là la formule de Hāmed Abdel Samad cité plus haut:« Ich bin vom Glauben zum Wissen konvertiert. » « je me suis converti de la foi à la conscience ».


La conception matérielle de la révélation coranique

J’ai toujours fait remarquer à mes étudiants que le Coran, comme tous les livres sacrés, doit être nécessairement écrit par un homme, puisque l’on n’a jamais vu de livre écrit par un animal, par un ange ou par Dieu lui-même, même si la Bible dit que les Tables de la loi ont été écrites par le doigt de Dieu (2).

À ce sujet, il a été impossible d’obtenir l’assentiment des musulmans pour lesquels Dieu lui-même est l’auteur matériel du Coran. Même mes étudiants chrétiens disaient que l’auteur des évangiles était Dieu, mais ils devaient ensuite admettre que les évangiles ont deux auteurs : depuis les origines, elles sont « selon Matthieu, Luc, Jean, etc. » L’Esprit suscite, inspire, pousse, mais le rédacteur est Matthieu, Marc, Luc, Jean. C’est ce que nous appelons « l’inspiration ». L’évangéliste écrit avec son propre style, que l’on peut identifier d’un point de vue linguistique, mais le contenu lui est inspiré par l’Esprit de Dieu. Les jeunes musulmans étaient intrigués par cela, y montrant un intérêt particulier. Mais quand je leur demandais une conclusion par rapport au Coran, leur réponse était : pour Mohammed, c’est complètement différent. L’ange Gabriel est descendu et a mis tout le Coran dans le cœur de Mohammed. Mohammed l’a ensuite récité morceau par morceau, selon l’ordre de Dieu. Lui n’est rien d’autre qu’un porte-voix matériel.


L’application de la charia

Autre exemple de paralysie. Un jour, un professeur musulman a posé cette question à ses élèves : « Êtes-vous d’accord avec le fait qu’à celui qui vole, l’on coupe une main, et s’il vole à nouveau, il faut couper l’autre main et le pied opposé ? » La réponse a été : « C’est ce que dit le Coran. » L’enseignant a insisté : « Mais êtes-vous d’accord ? » Réponse : « C’est le Coran et on ne peut le changer. »

Le professeur les a ensuite pris un par un et a demandé : « Mais si tu étais juge, ordonnerais-tu que la main du voleur soit coupée, même pour un jeune homme qui a commis une erreur ? » Réponse : « C’est la Loi (charia) ». Ils n’osaient pas dire oui ou non, ils se réfugiaient derrière la loi. Alors il a demandé au plus doué d’entre eux : « Le ferais-tu, toi ? » Mais là aussi l’étudiant a réussi à esquiver la question en disant : « Je ne suis pas juge, cela n’est pas ma fonction ! »

Quand on entre dans le domaine de la religion, il y a une paralysie de la pensée, de l’intellect. Comme si la religion n’appartenait pas à la sphère humaine, mais devait être jugée avec d’autres critères. Et c’est transmis depuis des siècles. Certes, par le passé et aujourd’hui encore, nous avons des religieux révolutionnaires, mais ils sont marginalisés par les journaux, les assemblées et la mentalité commune au nom du conformisme.


La Déclaration islamique des droits humains

La paralysie est visible également au niveau mondial. Après la Seconde guerre mondiale, l’ONU a rédigé, en décembre 1948, la « Déclaration universelle des droits de l’homme », qui dresse la liste de normes visant à garantir un respect commun envers les peuples, envers les hommes et les femmes, mais le monde musulman ne les accepte pas.

Même des personnes extrêmement cultivées les refusent, les étiquetant comme des « droits des chrétiens », d’inspiration occidentale. De ce fait, ils ont rédigé pour leur propre compte trois textes différents : la « déclaration islamique universelle des droits de l’homme » (Paris, 19 septembre 1981), la « déclaration des droits de l’homme en Islam » (Dacca, décembre 1983) et la « déclaration universelle des droits de l’homme islamique » (Le Caire, 5 août 1990). Ils se basent tous sur la charia islamique. Il faut toutefois souligner que, dans les traductions occidentales, on ne parle pas de « charia » mais de « loi », en général dans la formule « afin que cela soit conforme à la loi », ce qui est trompeur pour le lecteur non averti !

Ces textes rappellent les principes de la Déclaration universelle, mais soumettent cependant ces droits à un examen au regard de la charia. À ce titre, il n’y a plus d’égalité entre l’homme et la femme, entre musulman et non musulman, etc.


La violence dans l’Armée islamique, au-delà du Coran et de Mohammed

Le côté absolu du sacré, examiné plus haut, est présent chez les militants de l’Armée islamique. Ils ne se préoccupent pas de droits humains, des Palestiniens, de la pauvreté, etc. La seule chose qu’ils veulent est l’instauration d’un État qui serait « islamique », dirigé par un « calife », c’est-à-dire un « successeur » de Mohammed, ayant pour modèle Mohammed et ce que celui-ci a mis dans le Coran. Un tel absolutisme leur laisse les mains libres pour faire tout ce qu’ils veulent.

On dit pourtant que l’Armée islamique va au-delà du Coran et de Mohammed. À Mossoul, Karakosh et en Syrie, ils ont chassé les chrétiens et leur ont imposé une conversion à l’islam, ou la mort s’ils ne partaient pas.

Mohammed n’a pas fait cela pour les chrétiens et les juifs, mais pour les païens. Ces derniers pouvaient choisir entre conversion à l’islam ou fuite. Chrétiens et juifs pouvaient en revanche vivre aux côtés des musulmans, en payant toutefois une double taxe : l’une sur la terre (le kharâj), l’autre en tant que « protégés » (la gizya). À l’inverse, l’Armée islamique a même arraché tous les signes religieux sur les monuments, allant au-delà des dispositions du Coran, et a marqué chaque maison chrétienne de la lettre Nūn, première lettre du mot Nasara (Nazaréen), utilisée dans le Coran pour désigner les chrétiens.

Leur violence (décapitations, crucifixions, exécutions de masse, vols, extorsions, séquestrations) n’a rien à voir avec l’islam. Dans la tradition islamique, ces actes sanguinaires n’existent pas. Tout au plus, on exécutait par lapidation, pratique qui existe aujourd’hui encore dans quelques pays (adultère). Ou bien on décapitait le coupable. Mais même en pareil cas, il y avait une sorte de clémence. Le Coran demande par exemple à ce que même les animaux qui doivent être sacrifiés lors de la fête de l’Aïd-el-Kébir (la Grande Fête) soient traités avec cœur et tués d’un seul coup afin de ne pas trop les faire souffrir.

Les hommes de l’Armée islamique tuent et égorgent des êtres humains en utilisant des couteaux et en coupant les gorges à petit feu, avec une lenteur bestiale et cruelle. Il est vrai que Mohammed – comme tous les peuples de l’époque – a usé d’une certaine violence : attaques de caravanes, d’ennemis, etc... (3). Mais Mohammed n’a pas montré de cruauté, sinon dans quelques cas isolés. Et il a également montré des signes d’indulgence.


Reproduire le mode de vie et de pensée de ses aïeux

Une erreur fondamentale de l’Armée islamique est de reprendre les modes de vie des premiers siècles de l’islam pour les transplanter tels quels au monde moderne. Pour nous aussi chrétiens, la Tradition est importante, mais nous en sommes également détachés : les passages que nous lisons dans saint Paul sur le silence des femmes dans l’assemblée, ou sur les têtes voilées, nous ne les prenons pas à la lettre car nous comprenons que ces indications étaient normales pour cette époque. Nous en faisons finalement une source d’inspiration, mais nous ne les appliquons pas à la lettre.

Par ailleurs, devant un chrétien qui rejette le christianisme, nous exprimons certes de la douleur, mais celui-ci est libre de s’en aller ou de changer de religion. Pour les musulmans, l’apostat est jugé et même tué (4).

L’autre erreur, inacceptable, est l’usage de la violence pour la violence, en utilisant la cruauté pour terroriser l’ennemi. Mais c’est condamnable également de la part de l’islam.

En outre, reproduire matériellement les comportements en usage au septième siècle ne correspond pas à l’esprit de l’islam. La bonne tradition islamique veut que, dans l’application de la charia, soient toujours examiné le maqāssed (les objectifs) de la charia, en relativisant les méthodes. À l’inverse, l’Armée islamique prend à la lettre la charia, et utilise la violence pour la violence. Cette façon de faire n’est pas islamique, c’est de la barbarie.


La distinction entre éthique et politique

Il y a pourtant un problème dans l’islam : la violence est prévue pour combattre les « ennemis de Dieu ». Un tel précepte était peut-être compréhensible du temps de Mohammed, époque à laquelle la cause de Dieu pouvait être facilement liée à la défense du territoire de la communauté islamique. Mais aujourd’hui…

Tout cela rend l’enseignement islamique ambigu. Le problème devient plus important encore si l’on pense que l’exercice d’une telle violence religieuse est délégué par l’État (5). Il y a là un court-circuit entre la morale et l’État, qui est à l’origine de l’ambiguïté dans laquelle nous vivons aujourd’hui : tous les pays islamiques ont comme norme – certains un peu plus, d’autres un peu moins – la charia. Mais la charia est-elle un système éthique, ou une loi étatique ? C’est justement cette confusion (entre l’éthique et le politique ou le juridique) qui génère de la violence.

Prenons un exemple : l’homosexualité. Dans la plupart des cultures, celle-ci est vécue comme quelque chose de négatif. Mais une chose est de dire : c’est négatif d’un point de vue moral ; une autre est de dire que les homosexuels doivent être condamnés par l’État, tués ou mis en prison.

Dire que le voleur doit être puni, c’est juste, car le vol porte tort à la justice sociale, mais punir celui qui ne fait que critiquer une autre personne, c’est incompréhensible. Un adultère, cela fait du mal à soi-même, à son couple, à son partenaire. Mais on ne peut pas dire : il faut le tuer. Ces exemples montrent qu’il y a là une confusion entre dimension morale et dimension politique, et cela légitime le choix de la violence.

De ce point de vue, l’Évangile est un pas en avant pour la civilisation : Jésus ne parle jamais d’une punition humaine, justifiant religieusement une loi sociopolitique.

À l’inverse, avec l’islam tout est bloqué car pour les musulmans, leur religion est la perfection absolue.


Conclusion : il est nécessaire de repenser lislam

Ces derniers jours, après les atrocités perpétrées par l’Armée islamique, il y a eu diverses condamnations de la part de personnalités et d’institutions musulmanes. Ainsi l’Arabie saoudite, la Tunisie, la Turquie, etc. Mais qu’est-ce que cela change ? La condamnation par l’Arabie saoudite ne pose pas la question fondamentale : une religion ne devrait pas promouvoir la violence. À l’inverse, l’Arabie saoudite justement a recours à la violence, qu’elle justifie par la religion, en particulier dans l’application de peines prévues par la charia.

Le point central est que chaque religion doit être repensée pour le temps présent. Mais cela ne peut se faire qu’en s’interrogeant sur les « objectifs » de la loi, en gardant saufs ces objectifs mais en modifiant les moyens quand ils sont dépassés. En un certain sens, cette dialectique entre les objectifs et la loi est similaire à la dialectique paulinienne sur la lettre et l’esprit : « La lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 2, 3-6).

Pour faire ce pas en avant, un dialogue entre intellectuels de diverses religions est nécessaire, pour mettre à jour cette différence entre l’esprit et la lettre, les idéaux et la pratique. Il conviendrait ensuite que les médias en répercutent les résultats. Mais aucun pays musulman n’ose proposer une telle chose.

Une autre évolution urgente est de retirer des constitutions arabes la référence à la charia comme base de la loi. En Arabie saoudite justement, il n’existe pas de constitution : leur constitution est la charia. Et c’est ambigu : la charia n’est pas un texte précis, clairement établi comme les dix commandements. Elle s’est développée en cherchant à extraire du Coran les réponses juridiques aux exigences quotidiennes. C’est pour cela qu’à chaque époque, la charia a été adaptée à son temps. Aux alentours du Xe siècle, cette évolution s’est arrêtée, et aujourd’hui on tente de l’interpréter. Comme si l’on avait peur de la repenser, on s’efforce de l’appliquer à la lettre. Encore une fois, on se trouve confronté à une position rigide, statique, exclusive.

Cette immobilité conduit aux manipulations et à l’injustice. Par exemple, où trouve-t-on dans le Coran la rupture entre sunnites et chiites ? Et pourtant ces deux groupes – qui n’ont que des différences théologiques minimes – s’opposent résolument, s’excluant et se massacrant l’un l’autre. Cela fait penser aux guerres de religion des siècles passés, entre catholiques et protestants, mais aujourd’hui la situation est bien plus dramatique.

Le fondamentalisme, la violence, l’intolérance présents dans le Coran ne justifient pas la cruauté de l’Armée islamique, mais constituent le terreau favorable dans lequel croît la violence.

Il est temps de repenser l’islam pour l’adapter à l’homme moderne, de distinguer État et religion, éthique et politique, lettre et esprit. L’islam est capable de le faire, comme l’ont fait d’autres groupes sociaux ou religieux, mais elle doit réexaminer complètement et en profondeur tout son système éducatif, et en particulier la formation des imams.

Samir Khalil SAMIR sj.

***************

(*) Traduction française de Violaine Ricour-Dumas pour La DC. Titre, sous-titres et notes originaux.

 

NOTES.

 

 (1) En Occident, l’idée que la religion (et en particulier les religions monothéistes) est porteuse de violence semble même évidente, alors que l’histoire moderne nous montre que les idéologies athées ont été les plus violentes ! Il suffit de penser à lidéologie communiste, ou au nazisme, ou à l’idéologie nationaliste des Khmers rouges, ou à celle, anti-religieuse, de la Chine !

 (2) Cf. Exode 31,18 : « Quand le Seigneur eut fini de parler avec Moïse sur le mont Sinaï, il lui donna les deux tables du Témoignage, les tables de pierre écrites du doigt de Dieu. »

 (3) Sa biographie, le Kitâb al-Maghâzi (le livre des razzias) écrite par al-Wâqidi (748 – 822), parle de plus de 60 razzias durant les 10 années passées à Médine. Il faut souligner que les attaques de Bédouins contre les caravanes ou contre d’autres tribus étaient quelque chose de quasiment normal.

 (4) En fait, dans le Coran, on ne trouve aucune condamnation à mort sur terre pour l’apostat ; mais seulement la menace dune lourde condamnation dans lau-delà !

 

 (5) Il est utile de souligner la similitude des dispositions islamiques et vétérotestamentaires : dans lAncien Testament également, il y avait des guerres pour défendre les territoires dIsraël et les rois combattaient « au nom de Dieu ».

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