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Les fidèles musulmans entre accablement et colère Posté le Samedi 27 Septembre 2014 à 23h18

Les fidèles musulmans entre accablement et colère

 

Dans les prêches des imams, dans l'esprit des fidèles musulmans, le sort réservé par le groupe algérien Jund al-Khalafa à Hervé Gourdel aura pesé bien lourd, vendredi 26 septembre. Loin des représentants institutionnels de l'islam, réunis au même moment devant la Grande Mosquée de Paris à l'appel du Conseil français du culte musulman, les croyants présents pour la prière du vendredi à la mosquée l'Olivier de la paix, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), et à celles de Sunna et Islah, à Marseille, sont arrivés lestés du poids de la nouvelle de la décapitation et de deux jours de débat sur la réaction des musulmans de France.

A Bagnolet, l'imam Abdelkader Ounissi tente de panser les blessures après " l'assassinat d'un de nos compatriotes ". " Nous ne sommes pas davantage concernés que le reste de la société, leur a-t-il dit. Ce geste ne nous ressemble pas. Pourquoi devrait-on s'excuser ? Pourquoi sommes-nous toujours stigmatisés ? Vous êtes des citoyens comme les autres. Il faut chasser de votre esprit cette culpabilité que les autres veulent à tout prix vous faire porter. La communauté n'est pas coupable. Il faut être fiers de votre appartenance à l'islam. Vous êtes des gens dignes, libres, honnêtes. Il faut vivre dans cet esprit-là. "

A la même heure, dans la mosquée El Islah, aux Puces de Marseille, l'imam Haroun Derbal insiste, devant plusieurs centaines de fidèles, sur " l'acte abominable, inqualifiable, commis par des barbares ". " Offusqué que l'on puisse assimiler - son - islam avec les actes de ces barbares ", il ne " comprend pas qu'on ose demander aux musulmans de France de prendre position sur la question. Hervé Gourdel était un Français. Un concitoyen. Nous sommes tous touchés également par sa mort ".

A la sortie, la méfiance envers les journalistes est évidente. " Et pourquoi vous venez demander aux musulmans ce qu'ils en pensent ? Pourquoi pas aux chrétiens, aux juifs et aux autres ? " Devant la mosquée Sunna, réputée être l'une des plus traditionalistes de Marseille, le sexagénaire, barbe et gandoura blanches, ne cache pas son irritation lorsqu'on évoque l'assassinat d'Hervé Gourdel. " Vous, les médias, vous ne cherchez qu'à titiller et à faire des amalgames ", grogne-t-il, en tournant le dos.

A Bagnolet, quatre jeunes discutent. Acceptent-ils de répondre à quelques questions ? Les visages se ferment, les garçons se détournent : " On ne parle pas aux journalistes. Ils mentent. " L'un d'eux finira par concéder quelques commentaires : en Irak, la France tue des civils. Le terrorisme qui décapite, c'est comme la France et les Etats-Unis qui bombardent. Les journalistes mentent. Ils sont responsables.

Pour la plupart des croyants, c'est la compassion qui s'exprime la première. " On en a beaucoup parlé. Quand le meurtre a été confirmé, certains ont même pleuré ", raconte Ahmed Tameur, un des responsables de la mosquée Sunna. Il résume ce qu'il considère comme le sentiment de " 100 % des fidèles " du lieu de culte : " L'islam interdit de tuer. C'est une religion de paix. Ce n'est pas en mon nom que ces gens ont fait cela. Ce ne sont pas des musulmans, juste des criminels. "

Mohammed, 36 ans, reconnaît que le meurtre de l'otage pèse, sur sa vie de salarié : " Forcément, au boulot, on en parle beaucoup. Et quand vous vous appelez Mohammed, la pression est réelle. " " L'amalgame avec l'islam nous fait mal, complète son ami Faycal. Même moi, quand je regarde TF1, des fois, j'ai envie de changer de religion. "

" On sent la réticence des gens devant les musulmans, confirme Faysal Benjaïbak, un autre fidèle. Mais on ne peut pas les obliger à nous aimer. Ce qui m'inquiète, poursuit ce chauffeur routier de 45 ans, père de 3 enfants, c'est la portée d'un tel acte sur l'esprit de gamins de 14 ans sans aucune perspective. "

A Bagnolet, Rachid, marocain d'origine, présent en France depuis trois décennies, se sent lui aussi " gêné au travail, tout le monde ne parle que de ça ". Il " espère qu'il y aura une justice ". Comme Lassaad, un agent de sécurité avec qui il discute, il juge qu'" actuellement les musulmans sont moins bien traités " en France. " On est des victimes aujourd'hui. " Il écarte d'un geste l'idée d'une manifestation en réponse à la décapitation : " Ça ne sert à rien. En plus, si on manifeste ils vont penser que ça va forcément dégénérer. "

" On nous dit de ne pas importer des conflits qui ont lieu hors des frontières et maintenant on nous demande de manifester pour quelque chose avec lequel on n'a rien à voir, s'insurge quant à lui Omar. Les musulmans n'ont pas besoin de manifester contre ça. Ils sont les premiers touchés par le terrorisme. " Avec volubilité, Majid dépeint la condition qu'il estime faite aux musulmans aujourd'hui : " Les musulmans ont peur de la représentation qu'ils ont d'eux-mêmes. Ils pensent que quoi qu'ils disent, ça sera retourné contre eux. "

Ce mélange d'atterrement, de révolte et de sentiment d'injustice se retrouve à Paris, devant la Grande Mosquée. " Pires que des animaux ", " des psychopathes ", " des criminels ". " Le bon musulman, il veut aller au paradis. Si tu tues des innocents, tu ne vas pas au paradis ", assène François Akan, 33 ans, assistant commercial, les paumes tournées vers le ciel.

Beaucoup d'hommes et de femmes de toutes origines se sont mêlés aux fidèles. Certains brandissent des pancartes " Pas en mon nom ", le mot d'ordre lancé après l'assassinat de l'humanitaire britannique David Haines. D'autres tendent des encarts " Nous sommes tous Hervé Gourdel ". Mhmend Brahmi, retraité de 72 ans, est né en Kabylie, la région où est mort Hervé Gourdel. Installé en France depuis cinquante ans, dont près de quarante à travailler pour Alstom, il est venu d'Epinay, en Seine-Saint-Denis, pour témoigner son soutien. " Je manifeste rarement, explique-t-il, mais ce meurtre me rappelle les années noires de la guerre civile. Ça ne doit pas se reproduire. "

Cet extrémisme renaissant, M'Barek Marir, travailleur social à Bezons, dans le Val-d'Oise, l'observe en militant épuisé de ne pouvoir l'empêcher. Cet homme de 48 ans au sourire paisible évoque des " délinquants " embrigadés par de " pseudos imams qui prêchent avec le Coran dans une main et le portefeuille dans l'autre ". Il en veut à certaines municipalités d'avoir " acheté la paix sociale ces vingt dernières années en aidant ces religieux au détriment des associations laïques. La lutte qui commence avec ces types va être terrible ", craint-il.

Mais ces dénonciations et le principe même du rassemblement ne font pas l'unanimité devant la Grande Mosquée. A plusieurs reprises, des hommes prennent à partie les manifestants pour leur reprocher d'oublier " les 2 000 morts de Gaza ". " Est-ce que les juifs vont devant les synagogues quand Israël assassine ? " " Il y a deux poids deux mesures, parce que c'est un blanc ", lancent-ils. Rapidement, les esprits s'échauffent, les énervés sont mis à l'écart.

 

Elise Barthet, Cécile Chambraud et Gilles Rof (à Marseille)

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