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A l’occasion des 20 ans de la Grande Mosquée de Lyon. Posté le Samedi 4 Octobre 2014 à 22h56

A l’occasion des 20 ans de la Grande Mosquée de Lyon.        30 septembre 2014

                                                                                              Cardinal Philippe Barbarin

 

Monsieur le Recteur, chers frères et amis musulmans.

 

Bon anniversaire à la Grande Mosquée de Lyon, toujours aussi belle au jour de son vingtième anniversaire !

Le 16 septembre 1994 décédait le Cardinal Albert Decourtray. Quelques jours plus tard, la Grande Mosquée de Lyon était inaugurée. A cette cérémonie, la communauté catholique était représentée par Monseigneur Abel Cornillon, proche collaborateur du défunt. Les années précédentes, l’archevêque de Lyon avait soutenu avec cœur la belle aventure de cet édifice, considérant que les musulmans de l’agglomération lyonnaise avaient droit à disposer d’un lieu de prière qui soit vraiment beau, digne d’eux et de leur foi. Il avait entretenu des relations chaleureuses avec les porteurs du projet, en particulier Monsieur Kamel Kabtane et le Professeur Badreddine Lahneche.

En fait, l’archevêché de Lyon avait très vite apporté son soutien à ce grand dessein. Dès le milieu des années 1970, lorsqu’ont été formulées les premières demandes d’un tel lieu et que la Municipalité (avec le maire Louis Pradel, puis avec son successeur Francisque Collomb) a commencé à en débattre, le Cardinal Alexandre Renard avait fait connaître son approbation. Au même moment, les responsables juifs de la cité et les responsables protestants s’étaient déclarés également favorables à ce que Lyon compte un tel lieu de culte musulman.

 

La position de l’archevêché de Lyon s’inscrivait dans une histoire déjà longue :

n  Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des prêtres, des religieuses et religieux de Lyon, mais aussi des associations caritatives chrétiennes, se sont montrés attentifs à la pauvreté et à la solitude fréquente des premiers travailleurs immigrés maghrébins. Quelques jésuites de Fourvière, ainsi, se sont préoccupés d’alphabétisation des travailleurs migrants algériens. Des religieuses visitaient les bidonvilles de Gerland, et quand le Foyer Notre Dame des Sans Abri  fut créé en 1950 par Gabriel Rosset et ses compagnons, l’association vint au secours de nombreuses familles originaires du Maghreb.

n  Avec le Cardinal Achille Liénart à Lille, le Cardinal Pierre-Marie Gerlier fut un des deux premiers évêques français à nommer, dès 1954, des prêtres consacrés entièrement à un ministère d’amitié avec les travailleurs immigrés maghrébins et leurs familles : les Pères Albert Carteron, Jean Courbon et Henri Le Masne. Grande figure de la Conférence des cardinaux et archevêques de France, le Cardinal Gerlier fut aussi l’un des premiers prélats de France à soutenir les évêques d’Algérie qui s’étaient majoritairement prononcés en faveur du droit à l’indépendance du peuple algérien.

 

n  L’Eglise de Lyon, grande terre du catholicisme social, a été en bien des domaines un des lieux où s’est préparé le Concile Vatican II. Ce concile a appelé les chrétiens à être davantage attentifs aux pauvres, aux immigrés, et à ne pas craindre d’entrer en relation fraternelle avec les croyants ayant une foi autre que la foi chrétienne. C’est ainsi qu’à Lyon se sont très vite engagés de nombreux baptisés – parmi lesquels des prêtres et des religieuses et des religieux – dans la rencontre interreligieuse. Alors que les Pères Carteron et Courbon étaient partis, l’un en Algérie, l’autre au Liban, le Père Henri Le Masne a été durant plusieurs décennies la figure par excellence de cette amitié chrétienne avec des musulmans. En charge durant plusieurs années de la Pastorale des Migrants, Monseigneur Alfred Ancel, longtemps évêque auxiliaire et supérieur du Prado, a joué lui aussi un rôle important dans l’attitude de l’Eglise lyonnaise et dans le regard porté par les chrétiens sur les musulmans. Dans les années 1970 et 1980, des mouvements chrétiens tels que la JOC, Jeunesse Ouvrière Chrétienne, et l’ACE, Action catholique des Enfants-Monde Ouvrier, ont accueilli, dans le respect de leur foi singulière, des centaines de jeunes de familles musulmanes.

 

n  En 1986, quand le Pape Jean Paul II est venu en visite à Lyon, il a salué dans la cour du Prado l’imam Bel Hadj El Maafi, qui a été pendant soixante ans (il est mort presque centenaire) la principale figure religieuse musulmane de Lyon. Celui-ci a fini ses jours entouré de l’affection d’une famille chrétienne qui l’avait adopté comme l’un de ses membres.

 

n  On peut même remonter encore plus loin dans cette histoire de relations fraternelles entre chrétiens et musulmans à Lyon ! Le presbyterium de notre diocèse a compté en son sein la belle et grande figure spirituelle de Jules Monchanin, surtout connu pour son installation, de 1939 à 1957, dans le sud de l’Inde et pour son choix d’aller à la rencontre de la spiritualité et de la pensée hindoues. Or l’Abbé Monchanin avait déjà noué des liens avec des musulmans, à Lyon et en Algérie, dans les années 1930. Il participa, ainsi, en 1935, à la création, à Alger, d’une « Union des croyants monothéistes » initiée par le savant religieux musulman Tayeb el-Oqbi. Des femmes se réclamant de la pensée et de la spiritualité de Jules Monchanin ont vécu de nombreuses années en plein milieu musulman, les unes à Bou Saada en Algérie, d’autres –dont la sœur du célèbre peintre lyonnais Jean Couty, iconographe et grande artiste elle aussi- dans ma terre natale, à Rabat et dans la région de Tazert, au Maroc. A la même époque était publiée à Lyon, par les jésuites de Fourvière, une revue scientifique consacrée au monde musulman : « En Terre d’Islam ».

 

n  S’il faut remonter encore un peu plus loin, la ville de Lyon a été concernée par la première implantation d’un lieu de culte musulman en France. Quand le Maréchal Lyautey a lancé l’idée d’édifier une Grande Mosquée à Paris en hommage aux dizaines de milliers de musulmans morts pour la France au cours de la première guerre mondiale, le rapporteur de la loi de 1920, octroyant une somme de 500 000 francs pour la construction de la Mosquée ne fut autre que Monsieur Edouard Herriot, aussitôt nommé Président du comité de patronage de l’Institut musulman.

 

 

n  Dans les années 1960, 1970 et 1980, plusieurs communautés chrétiennes se sont montrées accueillantes à des groupes de musulmans qui étaient en recherche de lieux pour prier. C’est ainsi que les Sœurs du Bon Pasteur, à la Croix-Rousse, ont mis des locaux à disposition de musulmans du quartier. Les Sœurs des Buers, à Villeurbanne, ont fait la même chose. A Oullins, le Père Daniel Vandenbergh a également mis des locaux à disposition de musulmans, ainsi que les prêtres de Bron, et ceux de la paroisse Saint-Jacques des Etats-Unis. A Saint-Fons, la communauté chrétienne a appuyé les musulmans pour qu’ils puissent avoir et construire un lieu de culte, en leur prêtant des locaux durant un temps. Jusqu’à ces derniers mois, la paroisse catholique de Gerland puis le Couvent de l’Adoration ont hébergé un groupe de jeunes soufis sénégalais. D’autres groupes de soufis sont régulièrement accueillis par les Pères des Missions Africaines à Lyon.

 

Après la mort du Cardinal Decourtray, ses successeurs ont mis leurs pas dans les siens. C’est ainsi que, dès leur arrivée dans le diocèse, les Pères Jean Balland et Louis-Marie Billé ont rendu une visite de courtoisie à la Grande Mosquée de Lyon. Ils ont eu le souci d’entretenir des relations d’amitié avec les responsables de celle-ci, et d’œuvrer ensemble pour que l’on « s’entre-connaisse », comme le Coran y invite les croyants des différentes religions, au bénéfice de tous. C’est cette longue et belle histoire que le Recteur Kamel Kabtane appelle, non sans quelque fierté, « l’exception lyonnaise » dans le dialogue interreligieux.

Il ne m’était pas difficile, il m’était agréable et surtout… profitable d’être l’héritier d’une si belle histoire, à laquelle nous essayons ensemble de rester fidèles. J’ai reçu dans cette Maison un accueil très fraternel dès le premier jour, en septembre 2002. Et l’on peut dire qu’au fil des années, avec leur cortège d’événements joyeux et de souffrances partagées, s’est tissée entre nous une amitié simple et réelle. De grands moments restent gravés dans nos mémoires : la prière des enfants juif, musulman et chrétien, au veilleur de pierre à l’approche de la guerre d’Irak en 2003, les dix ans de la Grande Mosquée, l’année suivante, le voyage de février 2007 à Annaba, Constantine, Alger et Tibhirine, avec l’évocation de saint Augustin, de l’Emir Ab el Kader et des moines trappistes disparus en 1996, l’approfondissement du thème de la miséricorde, essentiel dans la Bible comme dans le Coran, le rendez-vous annuel de la rupture du jeûne un soir du ramadan, ici, avec un temps donné à la prière.

L’histoire continue, puisque mercredi soir, à nouveau, Place Bellecour, nous serons ensemble pour clamer vigoureusement notre refus de la violence, après l’assassinat d’Hervé Gourdel, la semaine dernière.

                                                           *

 

Pour tout cela, nous rendons grâce ensemble au Dieu Vivant à qui nous devons tant, à qui nous devons tout. En terminant, je voudrais dire un merci personnel à mes frères musulmans. Comme lorsque je vais prier à la grande Synagogue pour la fête du Yom Kippour -ce sera de nouveau le cas dans trois jours-, ce qui régulièrement me donne envie de sortir de ma médiocrité et de chercher, suivre et servir plus ardemment le Christ, c’est l’estime et l’admiration que je sens souvent monter en mon cœur pour la foi et la ferveur de plusieurs d’entre vous. Merci ! 

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