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Youth Ahead!

Ambition et Action.

Le berceau de mes ancêtres Posté le Mardi 18 Novembre 2008 à 01h02

L’enfer des prisons camerounaises est celui décrit par Dante, où les âmes damnées par la société et le pouvoir politique sont tourmentées par les démons de l’oppression. Personne ne peut y survivre.

Un feu incendiaire détruisait, il y a quelques jours, une partie de la prison de New-Bell à Douala, poumon de l’économie camerounaise. Des dizaines de prisonniers, coincés dans les cellules délabrées, périssaient sous le regard indifférent de leurs gardiens. Il y eut beaucoup d’encre versée pour, encore et toujours, dénoncer la vétusté des zones pénitentiaires, la surpopulation carcérale, le laxisme dans la gestion de ces milieux où cohabitent les mineurs, les femmes et les hommes dans une promiscuité effroyable. Et comme à l’accoutumée, les autorités servirent à la meute de journalistes, d’ONGistes, d’acteurs de la société civile faussement scandalisés, le même discours martelé depuis plus de vingt-cinq ans : « circulez, il n’y a rien à voir ! » Les prisons camerounaises sont à l’image des dirigeants locaux, préhistoriques. Elles s’écroulent de fatigue, bouffées par le temps impitoyable, même badigeonnées de chaux, elles donnent l’éclat de la vieillesse. Contrairement aux (ir)responsables politiques, elles ne peuvent s’accorder le luxe de mourir dans l’opulence. C’est en prenant des vies comme lors de cet incendie qu’elles peuvent dire aux hommes qu’elles sont au bout du rouleau. Vestiges du passé colonial, elles ont vu lyncher les héros nationaux, les combattants pour la liberté que le colon nommait « terroristes » et « anarchistes », les peuplades récalcitrantes aux « valeurs de la civilisation », les prisons camerounaises ont traversé les époques et incarnent douloureusement la mémoire nationale. Si seulement elles pouvaient parler, elles livreraient aux historiens d’aujourd’hui les secrets inavouables des régimes politiques qui ont tyrannisé le pays. Des meurtres, des esprits torturés dont le sang séché recouvre désormais les murs définitivement souillés.

L’enfer des prisons camerounaises est celui décrit par Dante, où les âmes damnées par la société et le pouvoir politique sont tourmentées par les démons de l’oppression. Personne ne peut y survivre. Personne ne peut survivre à la crasse, mélange délicieux de pisse et de matière fécale, qui s’étale à perte de vue dans ces cellules de la mort où sont entassés des centaines d’animaux appelés hommes. Personne ne peut survivre aux bastonnades régulières rythmées par de véritables abus corporels pratiqués par ceux qui sont censés faire respecter la loi ou, plus dramatique encore, par les plus vicieux des délinquants, insatiables fauves jetés dans l’arène. Nietzsche cherchait le surhomme, les prisons camerounaises l’ont trouvé. Oui parce qu’il faut être surhumain pour pouvoir vivre ce qui se passe dans ces lieux de désolation, ou alors sous-humain pour pouvoir avoir conscience de ce qui s’y fait et décider de maintenir le statu quo. Elles sont une honte à la dignité humaine, une honte à la considération de la vie, une honte aux valeurs humanistes qui fleurissent sur les grandes déclarations signées et ratifiées. Tandis que les budgets ministériels ne cessent d’augmenter dont la quasi-totalité est gaspillée en frais de mission à l’étranger ou dans l’achat de somptueuses berlines toutes options, les prisonniers doivent se contenter d’une nourriture infecte dans laquelle gisent trop souvent les cadavres de rats et autres cafards. Encadrés par des matons incompétents, ne devant leur admission à ce métier bouche-misère qu’à l’intervention d’un « parent », les pensionnaires des centres de l’horreur apprennent à devenir plus pervers qu’ils ne le sont avant leur admission. Il n’est pas étonnant qu’avec les trafics de tout genre (drogue, chanvre, cigarette), certains caïds ne souhaitent plus retrouver le monde extérieur, car la liberté ils l’acquièrent facilement en rémunérant fortement les gardiens. Le business est plus doux en taule, loin de la flicaille zélée qui n’est jamais contente de l’énorme enveloppe qu’elle reçoit.

Alors qu’importe que des criminels crèvent, calcinés par des flammes en colère, qu’importe qu’ils soient réduits en cendres, cela ne peut que soulager un peu plus la bourse du contribuable déjà vampirisée par les innombrables taxes et autres prélèvements fiscaux qui ne vont pas construire la nation, mais grossir la fortune du roitelet et de ses courtisans. Depuis qu’il s’est remarié à une petite arriviste tirée du ruisseau, notre clinquant coq ne cesse de trouver à la vie de château des goûts exquis. Balades en avion, séjours prolongés en Occident, le « Boss », comme le surnomment ses proches, est un grand seigneur qui croit en l’immortalité politique et au « libéralisme communautaire », une sorte d’ineptie idéologique soufflée par les précieux conseillers occidentaux afin de mieux subjuguer les masses illettrées. C’est dans l’ignorance du peuple que se pérennise le pouvoir. Le « Vieux Lion » a su faire de cette sagesse machiavélienne son credo. Jamais comme aujourd’hui, le peuple n’a autant dansé plus qu’il n’a pensé, pris dans la spirale de l’espoir artificiellement maintenu, perdu dans les brumes des réformes avortées et des succès rafistolés, il préfère se saouler à l’ivresse du mensonge d’Etat et se contenter des miettes que l’on lui refile les jours de grandes disettes, au lieu d’entamer une réflexion profonde sur ce « demain » qui ne se construira pas tout seul. En voyant les images des corps calcinés à New-Bell, certains préfèrent « zapper » sur Secret Story et s’extasier devant les imbécillités d’une télévision devenue poubelle. « On va faire comment ? Le Cameroun c’est le Cameroun » peut-on suivre sur les ondes radiophoniques, un constat d’échec permanent et une résignation épouvantable, à croire que « penser » l’avenir est chose impossible. Malgré les promesses de changement et de modernité, le Renouveau inlassablement claironné est un vaisseau fantôme qui navigue dans les eaux obscures du délire démagogique.

« Tous pourris ! » s’écriait-on dans les années 1990, lors de la braise sociale qui faillit coûter au monarque actuel sa couronne d’épines. Le ver n’est pas seulement dans la pomme, il a contaminé tout le verger. Plusieurs fois nommé au hit des pays les plus corrompus, le Cameroun est l’un des rares pays au monde où la corruption est le grand sport national. On y naît corrupteur et on devient corrompu. Toutes les strates sociales y passent. C’est la malédiction locale. On ne compte plus le nombre de personnes ayant trouvé la mort dans les hôpitaux publics faute de ne pas avoir « graissé la patte » au médecin. On pourrait prendre des siècles pour dénombrer les cas de magouilles dans les secteurs privés et publics. Le plus drôle dans l’affaire, c’est que les hommes en charge de lutter contre ce cancer social sont notoirement connus pour être eux-mêmes de puissants corrompus. Les récentes actions judiciaires contre de hauts responsables ne sont que des fumigènes pour calmer la colère d’une partie du peuple excédé par tant d’abus, et de petites vengeances qui reflètent la virulence des combats que se mènent les courtisans du prince. Certains de ceux qui sont accusés aujourd’hui, loin d’être des anges, subissent la fureur de leur « Boss », coupables selon lui d’avoir ruminé des prétentions présidentielles. Ainsi, le premier d’entre nous envoie un message assez subliminal aux ambitieux qui pensent dans l’ombre que l’heure de sa retraite a sonné. Que nenni. « Nous pas bouger ! » a-t-il voulu dire en modifiant pour une énième fois la loi suprême du pays. Ceux qui encensaient hier la limitation du mandat présidentiel sont les mêmes actuellement à la trouver anti-constitutionnelle. On fait appel aux plus grands esprits de la République pour expliquer au peuple affamé que le bonheur est dans la nouvelle constitution. Comme si le peuple était complètement dupe, mais il laisse faire parce qu’il en a marre de descendre dans la rue et se faire tirer dessus sans que cela n’émeuve les caméras des médias internationaux. Désabusé par le soutien constant des chancelleries occidentales aux démagogues locaux, fatigué de s’entendre dire qu’il est fainéant et incapable de vouloir le changement, épuisé de donner ses fils à la mort et achevé par les bidasses, dégoûté de voir la couronne du roi sauvé par l’intervention manu militari des légions étrangères, promptes à veiller sur les intérêts, le peuple laisse faire et se met à son tour comme ses dirigeants à danser, à se saouler.

D’énormes colonnes de fumée s’élèvent dans le ciel de Douala, la prison de New-Bell livre son ultime combat. Des cris se font entendre ; à l’extérieur, des gendarmes lourdement armés éloignent les curieux. La plupart des membres du gouvernement sont en congés en Europe, les lords et comtes de la République vont, en ce mois d’août, profiter de leurs résidences secondaires en Occident. On dépêche sur place un « représentant spécial » pour faire l’état des lieux, c’est-à-dire compter les morts et évaluer les dégâts matériels. Il rigole, serre des mains et papote avec ses collègues. Il fera une déclaration pompeuse devant les scribes gouvernementaux entassés comme des insectes autour d’un feu incandescent. « Sur les Très Hautes Recommandations de son Excellence le Chef de l’Etat » lancera-t-il dans un air solennel, le verbiage habituel, étranglé par l’émotion toute palpable de faire l’ouverture de tous les JT du soir. C’est sa « petite copine » qui sera contente de voir la tronche de ce ventripotent meugler des sottises, elle pourra sortir désormais la tête bien haute et le nez dans les cimes, en signifiant au quartier entier que son « sponsor » est passé à la « télé », dorénavant il est aussi un « grand ». La presse sous perfusion gouvernementale reprendra le lendemain à la une le communiqué envoyé directement de Paris, le lieu de villégiature privilégié de la caste politique nationale. On louera les sages instructions du « chef de l’Etat », la grandeur de son âme, et la générosité de son excentrique de femme qui, puisant dans les coffres publics, offrira gracieusement des pacotilles aux familles des sinistrés. Il ne faudra pas compter sur l’opposition laminée par la faim et les petites ambitions pour s’élever contre cette mascarade. Elle est sans leader et coupée de la réalité. Pathétiques charismatiques, les opposants ont perdu leur légitimité et leur crédibilité depuis que la majorité est allée s’asseoir à la table du monarque pour participer aussi à la « mangeoire ». Pourtant, nombreux sont ceux qui ont cru en eux, quittant souvent tout pour soutenir leurs programmes électoraux. Une fois les élections terminées, les faveurs accordées et les postes ministériels distribués, les opposants troquent leurs habits d’hommes du peuple contre des vestes sur mesure, de superbes villas et de magnifiques voitures.

Dans les rues de Yaoundé, il se chuchote que les meilleurs opposants à ce gâchis monumental qu’est le règne du « maître » d’Etoudi sont à l’intérieur de son propre clan. Ils attendent, dit-on, le moment opportun pour mettre fin, enfin, à ce non-sens étatique qui prévaut depuis trop longtemps. Mais peut-on faire confiance à ces courtisans qui ne le sont que de façade ? Ceux-là mêmes qui ne doivent leur ascension qu’à leur proximité avec le parti et à leur allégeance au prince ? Initiés de cercles occultes qui enchaînent leur indépendance et les exposent à de sombres manipulations, quel poids accorder à ces intentions de « révolution » ? Surtout lorsque certains de ces acteurs n’ont obtenu leur promotion sociale qu’après avoir « baissé leur froc » au propre comme au figuré ? En attendant que le miracle ait lieu, avec la permission des influents parrains occidentaux, les prisons, à l’instar de l’existence quotidienne de millions de Camerounais, continueront à cramer sous un ciel livide. Ce n’est pas demain que l’on verra surgir de nulle part un Barack Obama national, s’il n’est pas crucifié, pour faire naître l’espoir à un changement réel dans le « berceau de mes ancêtres ».

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