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Ambition et Action.

La repentance : une justice historique Posté le Mardi 18 Novembre 2008 à 01h20

Refuser cette repentance dans laquelle on est grandi, c’est refuser de rendre à l’autre ce que l’on lui doit, c’est-à-dire la vérité mais plus important la dignité.

« Nous nous excusons pour les lois et décisions des parlements et gouvernements successifs qui ont causé de grandes peines, des souffrances et des pertes à nos compatriotes australiens ». Ce 13 février 2008 devant la nation australienne, le Premier Ministre australien Kevin Budd prononçait ces paroles historiques qui visaient à réconcilier l’Australie avec son histoire mais surtout à faire la paix avec sa mémoire[1]. Les « compatriotes australiens », ici, sont ces centaines de milliers d’aborigènes[2] qui ont été les victimes durant de longs et pénibles siècles de la brutalité de la politique d’assimilation, l’inégalité et l’injustice. En s’excusant pour cette « grande faute », le Premier Ministre australien a ainsi voulu assumer le lourd passé et la responsabilité de son pays dans l’asservissement d’un peuple qui aurait mérité plus de considération de la part des « colons ». Il aura fallu attendre près de onze ans entre la reconnaissance des faits et les excuses du gouvernement, et l’éviction du parti conservateur des affaires du pays, pour voir un Premier Ministre travailliste suivre les recommandations du rapport parlementaire sur la politique d’assimilation, c’est-à-dire se repentir des torts qui ont été commis à l’endroit de cette minorité[3] australienne.

Mais au-delà de ce geste fort, c’est une leçon d’humilité et d’humanisme que l’Australie a donné au monde entier, une morale qui balaie tous les discours politiques et philosophiques. La reconnaissance des faits oblige à la repentance. Une obligation morale et une exigence humaine de dire « pardon » pour les crimes et les abus commis par ces « pères » qui ont été aveuglés par leur préjugé, leur haine et leur ignorance. Une nation sait, en reconnaissant ses fautes et en s’excusant, se souder avec elle-même mais aussi avec les autres peuples qui ont longtemps souffert du mépris et de l’arrogance de la part des « anciens maîtres ». C’est sans doute dans ce sens que le 12 juin 2008, un autre Premier Ministre, Stephen Harper, conservateur, a présenté les excuses du Canada[4] pour les atteintes graves à la dignité humaine envers les « Premières Nations », peuple autochtone victime lui aussi durant des siècles de l’inhumanité de la politique d’assimilation. Les « pensionnats indiens » sont de tristes et sombres pages dans l’histoire du pays, une réalité qui a poussé le gouvernement canadien à débourser en guise de réparation environ un milliard d’euros. Une maigre consolation qui n’équivaut pas la souffrance de ces générations bafouées, mais qui permettra de construire des ponts mémoriels entre le présent et le passé afin de pacifier l’avenir. La repentance n’a donc rien de masochiste comme l’on pourrait le prétendre, encore moins de haineux. C’est simplement la « reconnaissance d’une tristesse constructive »[5] qui favorise le renforcement de cette identité nationale chère à de nombreux pays. Loin du « détester soi-même » inlassablement claironné, elle permet de lutter contre l’amnésie politique en s’appuyant sur un travail historique salutaire pour les générations actuelles. La repentance contribue à la compréhension des différentes cultures qui structurent une nation et des peuples qui a un moment de l’histoire ont partagé le même destin.

Refuser cette repentance dans laquelle on est grandi, c’est refuser de rendre à l’autre ce que l’on lui doit, c’est-à-dire la vérité mais plus important la dignité. L’Eglise a su sous l’impulsion du pape Jean Paul II faire de cette repentance un argument de rapprochement entre les religions et entre les hommes. Rowan Williams, Chef spirituel des anglicans, n’est-il pas allé dans cette quête du « vivre ensemble » jusqu’à demander le pardon à ces peuples qui ont durant une éternité souffert de la traite nègriere avec la complicité des religieux, en affirmant que « l’Eglise a le devoir de partager la honte et les péchés de ses prédécesseurs »[6] ? Et que dire de la Reine Elizabeth II qui lors de la commémoration du bicentenaire de l’abolition de l’esclavage en 2007 s’est dite « peinée » par la responsabilité de son peuple lors de cet épisode ô combien dramatique et moins glorieux de l’histoire. Alors penser que la repentance est une négation de soi, c’est d’abord croire que ce que l’on a fait était légitime et que d’une façon comme d’une autre cela a eu des effets positifs non seulement pour soi-même mais pour les victimes[7], qui cessent dès lors de l’être. Loin du reniement des valeurs qui font une nation, ce retour sur les heures sombres d’un pays contribuerait au renforcement la cohésion communautaire en intégrant mieux les minorités dans son développement.

Il n’y a aucun grand pays au monde, ni aucune grande civilisation qui puisse se targuer de n’avoir pas perpétrer de génocide. Du massacre des incas à l’holocauste en passant par la répression de Guelma ou de Sétif, les grandes nations ont les mains sales et leur mémoire est rempli de ces cimetières où est enterrée leur glorieuse noblesse. Il n’y a pas de pays qui n’ait pas à rougir de son histoire, ni un continent qui n’ait pas à se réconcilier avec ses propres drames. Du code Noir aux réserves indiennes en passant par les « filles de réconfort » au service de la puissante armée nippone, certaines nations ont été quelques fois moins grandes qu’elles ne le prétendent aujourd’hui et ce n’est pas en occultant cette réalité qu’elles parviendront à maintenir l’illusion d’une candeur presque indécente. Mais il faut du courage pour se remettre en cause, faire son mea culpa et avancer dans ce vivre ensemble qui devient alors le « construire ensemble ». Certains en ont et d’autres pas. Certains font face et d’autres se dérobent.

Menace sur la cohésion républicaine face au communautarisme de tout bord, autoflagellation insupportable et indigne, la repentance est pour beaucoup l’effort de trop et reste une forme d’antipathie pour soi-même. Pourtant, de nombreux pays se sont repentis des crimes du passé sans que cela ne porte atteinte à leur « superbe », au contraire. Cela a donné plus de sens aux commémorations, plus de significations aux évènements pendant lesquels l’on tente de faire revivre la mémoire. Ainsi, la repentance, concept polémique, n’est qu’une prise de conscience des fautes du passé, une justice historique rendue aux oublis de l’histoire.



[1] « Le Premier ministre, le travailliste Kevin Rudd, a déclaré devant le Parlement que la politique d’assimilation, en vertu de laquelle, de 1910 à 1970, des enfants aborigènes ont été enlevés à leurs familles pour être élevés dans des familles de Blancs, était une tache pour la mémoire du pays. » - source RFI

[2] « Les Aborigènes demeurent, au début du XXIe siècle, le groupe social le plus défavorisé en Australie, avec une espérance de vie de 17 ans inférieure à celle du reste de la population, et des taux de mortalité infantile, de chômage, de violence conjugale, d’alcoolisme, d’emprisonnement et de consommation de
drogue bien supérieurs à la moyenne nationale. » - source RFI

[3] « L’Australie compte aujourd’hui 460.000 Aborigènes et habitants des îles du détroit de Torres (nord), soit 2% des 21 millions d’habitants du pays. Aucun Aborigène ne siège au parlement national, à Canberra. » - source RFI

[4] « En plus d’un siècle, les pensionnats indiens ont séparé plus de 150 000 enfants autochtones de leur famille et de leur communauté. (…) Au nom du gouvernement du Canada et de tous les Canadiens et Canadiennes, je me lève devant vous pour présenter nos excuses aux peuples autochtones pour le rôle joué par le Canada dans les pensionnats pour Indiens », a déclaré solennellement Stephen Harper – source AFP.

[5] Source Wikipedia.

[6] Rowan Williams, chef spirituel des 77 millions d’Anglicans du monde entier a déclaré que ces excuses étaient « nécessaires ». « L’Eglise a le devoir de partager la honte et les péchés de nos prédécesseurs. Il ne s’agit pas de politiquement correct. Cela fait partie de ce que nous sommes en tant que communauté chrétienne. ». – source AFP.

[7] « Le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail. Il a pris mais je veux dire avec respect qu’il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. Je veux le dire ici, tous les colons n’étaient pas des voleurs, tous les colons n’étaient pas des exploiteurs. » - Discours de Dakar, M. Sarokozy.

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