Pendant
que le Cameroun d’en bas vit des périodes terribles, celui d’en haut
organise des festivités pour rendre gloire au Vieux Lion édenté et
malade, responsable des tragédies que vivent des milliers de foyers au
quotidien.
La paix n’est pas l’absence de conflits. La stabilité ne se
construit pas sur un tas de ruines, encore moins sur des hécatombes.
Alternance et stabilité ne sont pas foncièrement antinomiques, au
contraire ce sont là deux idées complémentaires que les vraies
démocraticides ont su appliquer pour le grand intérêt de l’ensemble de
la communauté. Depuis une trentaine d’années, les mêmes choses se
répètent inlassablement, dramatiquement. On redonne au peuple qui ne
cesse de déchanter les mêmes recettes usées, lui qui, désabusé, se
regarde couler dans les eaux profondes et obscures de la pauvreté
généralisée.
Pendant que le Cameroun d’en bas vit des périodes
terribles, celui d’en haut organise des festivités pour rendre gloire
au Vieux Lion édenté et malade, responsable des tragédies que vivent
des milliers de foyers au quotidien. Des personnalités se succèdent
devant les cameras pour expliquer en cette année nouvelle, le pourquoi
du comment d’un règne à l’agonie et dont les diverses absurdités
s’étalent dans la presse. Les hommes forts du régime viennent témoigner
de leur incapacité à faire face aux enjeux actuels en ressortant des
placards de l’histoire de vieilles tirades politiques. On explique au
citoyen qui croule sous les dettes qu’il ne devrait pas trop être
exigeant, le plus important étant que son Souverain ait pu durant
toutes ses longues années préserver la « paix » et l’ « unité
nationale » alors que les pays voisins s’entredéchirent dans des
conflits fratricides. Voilà l’argument infaillible qui semble balayer
le catastrophisme toujours exagéré de ces petits donneurs de leçons, de
ces droitdelhommistes jamais satisfaits, de ces journalistes un brin
insolents qui osent dénoncer les abus répétés du système et qui ne
reconnaissent pas assez les efforts du gouvernement pour garantir la
« sereinité » sociale c’est-à-dire l’oppression implacable de toute
forme d’opposition, l’instauration à coup de matraque du silence
sanglant des agneaux. La paix sur une montagne de cadavres empilés les
uns sur les autres, la stabilité maintenue dans la brutalité
intransigeante, sur le sang versé dans les rues de Douala, de Bamenda,
de Buea, et de ces lieux où trop de souffrance a tué l’espérance. Mais
il ne faut pas le dire, l’essentiel c’est préserver la sereinité,
nécessaire pour donner l’image d’un pays civilisé, fréquentable, et
couvrir l’odeur nauséabonde des familles qui se meurent à l’ombre des
massacres économiques et sociaux.
Tout va bien au Cameroun. Normal, rien n’a
changé. Les mêmes fossoyeurs se succèdent à des postes gouvernementaux
vendus aux plus offrants. Tandis que des ambassadeurs meurent de
vieillesse dans des représentations oubliées, de jeunes diplômés formés
pour les remplacer sont affectés aux archives du ministère des affaires
étrangères, c’est là toute la place que l’on accorde aux nouvelles
générations, les archives de la république. Et les rares qui
parviennent à tirer leur épingle du jeu, ont eu l’intelligence de
retirer leur carte du parti. Survivre dans cette jungle où le faible
n’a aucun droit, c’est pouvoir être capable de se renier, de se
ridiculiser suffisamment pour plaire au monarque. Plus on est zélé plus
on a des chances de recevoir une miette tombant de l’assiette de
l’oligarque. C’est pourquoi il y a tant de personnes promptes à danser
au son du balafon et des tam-tams pour attirer l’attention de sa
Seigneurie installée bien haut sur son trône doré. A faire des
courbettes au point d’en avoir le dos brisée par cet excès d’hypocrisie
et de, disons-le, « léchage de bottes ». Rien n’a changé. Le Cameroun
reste le Cameroun. Le Président gouverne de l’occident – quand il lui
arrive de gouverner-, le Premier Ministre de son village et les autres
soldats de plomb, fidèles serviteurs d’une république qu’ils veulent la
leur, de ces lieux de villégiatures où en de bonnes compagnies
l’existence prend un sens plus paradisiaque.
Il y a quelques temps le Prince affirmait que
le pays était arriver dans une phase cruciale de son développement, que
cette lumière tout au fond du tunnel était celle de la délivrance et de
l’avènement d’une nouvelle société, plus juste et moins engluée dans la
misère. Mais il est apparu que la lumière au bout du tunnel était celle
du train de l’incompétence qui est arrivé tel un tsunami pour briser
les vrais faux projets sociaux et économiques. Depuis l’atteinte du
point d’achèvement marquant la fin du processus de désendettement
extérieur, les miracles attendus n’ont pas eu lieu. Au contraire,
jamais comme aujourd’hui la cherté de la vie n’aura atteint de tels
sommets et l’angoisse de telles proportions. De plus en plus de gens
dans la rue, de clochards et de mendiants hantant les carrefours des
grandes agglomérations, le désespoir dans le regard vide de ces enfants
qui se vendent à la sauvette. Pendant ce temps, les antennes
télévisuelles de la république sont réquisitionnées pour transmettre du
palais présidentiel, en direct, la cérémonie très officielle dans une
solennité froidement indécente, la remise des carnets scolaires des
rejetons princiers. Le budget de l’Etat explose lorsque celui du
citoyen fait une cure drastique d’amincissement. Les berlines dans les
parkings administratifs témoignent des priorités réelles des
gouvernants qui voient dans le service public « la » vache à lait par
excellence pour nourrir leur démagogie, soigner leur ego et entretenir
leurs multiples maîtresses. Le drame du Cameroun, c’est que ce sont des
personnes brillantes, bardées de diplômes, conscientes des réalités,
qui se livrent au plus inhumain des pillages avec la complicité de ces
chancelleries occidentales toutes heureuses de favoriser l’installation
anarchique de leurs multinationales dans un paysage politique
apocalyptique. Personne n’est vraiment regardant sur les déchets
toxiques déversés dans le golfe de Guinée et dans les rivières à
l’intérieur du pays, des forets que l’on abat pour récupérer le bois
précieux, des pollutions atmosphériques de certaines industries, avec
des milliards placés dans les comptes bancaires étrangers même le plus
virulent des politicards prend la peine de se taire et de regarder
ailleurs. En ces temps de grandes incertitudes, des chômeurs en masse
squattant le moindre espace pour quelques sous, des jeunes désocialisés
et s’accrochant au pire, quel fonctionnaire refuserait la possibilité
d’envoyer ses enfants fréquenter en occident sous le couvert de
« bourses d’étude de la coopération » en échange de petites magouilles
où tout le monde trouve son profit sauf bien évidemment le peuple ?
Le microcosme politique local est une
fumisterie commune à toutes les républiques bananières. La quête du
pouvoir supplante les actions sur le terrain, la mobilisation pour le
développement des microprojets est inexistante, tous les politiciens
attendent l’heure des élections pour offrir à boire et à manger au
peuple lassé de se soucier d’un avenir qui ne sera en fait que le
prolongement du présent. La culture démocratique est faite pour les
« longs crayons », le Cameroun d’en bas n’attend pas que l’on lui offre
de beaux discours, ni de révolution en carton, mais de quoi répondre
dans l’immédiat aux urgences sociales. Les jeunes peuvent dans une
certaine mesure répondre à ces urgences et être des acteurs du
développement, mais en même temps il faut souligner que
l’administration sème sur le chemin de cette jeunesse d’énormes
embûches administratives, financières, fiscales de telle sorte que rien
ne puisse se faire. L’université, au premier plan de cette volonté de
changement, manque d’ambition et de moyens. Elle diffuse encore un
enseignement sclérosé où le besoin d’idées nouvelles et l’appétit de
savoir sont étroitement étouffés par un système archaïque et
abrutissant. On encombre la mémoire sans développer l’intelligence, le
talent, des étudiants. Corruption, arbritaire, notes sexuellement
transmissibles, promotion canapé, les boulets de l’université au
Cameroun sont importants et imposants. Il aura fallu que des étudiants
descendent dans la rue, battent le pavé, pour que certaines situations
surréalistes puissent être remédiées. Mais nul n’est dupe,
l’inacceptable n’est jamais très loin, il revient toujours s’installer
là où il avait été chassé grâce au laxisme terrible qui autorise toutes
les fatalités. Le Cameroun restant le Cameroun.
La démocratie c’est aussi savoir encourager
l’alternance et le passage de témoins à de nouvelles générations de
responsables politiques. C’est accepter la contradiction, la
désobéissance civile et la revendication. Il est facile de trouver que
la paix règne au Cameroun, lorsque le moindre murmure est écrasé avec
une violence inouïe. Doit-on rappeler le nombre de journalistes,
d’intellectuels, de gens ordinaires enfermés dans les geôles étatiques
pour avoir dénoncer la pourriture d’un régime liberticide et
irresponsable ? Doit-on parler de ces camerounais récemment battus pour
avoir exigés plus de transparence dans la gestion des affaires
publiques par des forces de l’ordre enragées ? Avec un énième
tripatouillage constitutionnel le Vieux Lion voudrait s’assurer
l’immortalité au pouvoir, s’appuyant sur une armée balkanisée et tenue
par la cupidité. Mais il devrait être attentif au fait que
l’immortalité en politique est une chimère et qu’il faut savoir tourner
sa page avant que l’on ne la tourne pour soi. Car la majorité
silencieuse, à tort et d’une certaine manière complice, supporte de
plus en plus mal ce gâchis monstrueux qui s’est érigé en sport
national.
Avec des routes inexistantes alors que les
péages et autres taxes sont mis en place pour entretenir, construire,
fluidifier les déplacements des hommes ainsi que des marchandises, avec
des hôpitaux publics où l’on meurt sans être soigner faute de
compétence et d’argent, avec des écoles d’un autre âge dans lesquelles
les élèves sont entassés par centaines, avec une agriculture en friche
et une industrie embryonnaire alors que les projets de remise à niveau
et d’exploitation jaunissent dans les tiroirs des bureaucrates, avec de
jeunes ingénieurs transformés en chauffeurs de taxi ou vendeurs de la
friperie, avec des libertés bafouées par des flibustiers aux ordres du
Prince et de la mise à sac du trésor public, il est temps que cette
tragédie qui a vu s’éteindre tellement d’espoirs s’arrête
définitivement. Il est temps de mettre fin à ce « Renouveau » écarlate.