Ils se sont donné rendez-vous à l’angle de la rue, au niveau d’une des plus belles maisons de la ville. Une maison qui inspire à la fois la curiosité de connaître la vie de ses occupants et la crainte d’un passé qui ne l’aurait pas toujours glorifiée. De dimensions imposantes, ce n’est pourtant pas ce qui la différencie des pavillons classiques de banlieue. Elle donne l’impression de sortir de l’imagination d’un architecte fou avec ses fenêtres non alignées, sa porte d’entrée totalement abandonnée sur la gauche extrême, presque à cheval sur le jardin, et son toit pentu par endroit et plat à d’autres. Pourtant, l’ensemble attire et capte le regard, non à cause de son architecture étrange mais par la couleur vert pâle de ses façades que rehausse une multitude de suspensions florales aux fleurs retombantes, vivaces et colorées. Même en hiver, on croit y voir le printemps, éternel comme la bâtisse.
Le lieu du rendez-vous, aussi atypique soit-il, n’est en fait qu’une question d’évidence pour qui vient d’arriver dans la ville et ne la connaît pas encore. La maison est le repère qui définit le point zéro à partir duquel diverge chaque lieu de la ville. Les rues qui s’y croisent sont bruyantes de la vie citadine et n’incitent pas à la promenade. Tout un chacun s’y rendant pour se rencontrer le fait généralement en tournant le dos à la maison, se privant d’un spectacle curieux mais restant ainsi aux aguets de la personne attendue.
Ce jour-là, celui de leur rendez-vous, il pleut. Une eau fine, aérienne, presque agréable. Il est arrivé le premier, conscient de sa trop grande avance mais incapable de la contenir entre les quatre murs de son logement. Ses yeux mobiles fouillent, à droite, à gauche, tentent de se fixer sur le flot de voitures, reprennent leur scrutation effrénée. Il s’agace légèrement contre la pluie mais il finit par l’oublier dans son impatience à la retrouver. Elle. Il ne la connaît pas mais l’a rêvée si souvent qu’il peut décrire chaque trait de son visage, chaque courbe de son corps, les tissus qui la mettent en valeur, ses envies, ses peurs. Elle est apparue un matin, au réveil, avant que la lumière du jour donne une réalité à la journée commençante. Un petit fantôme scintillant et bruissant de la soie dont sa robe était faite. Il put la toucher presque immédiatement tant elle était accessible, ému par la douceur de sa peau. Le frisson les gagna en même temps, fugace mais inoubliable. Presque aussitôt, elle se dilua dans l’espace de la pièce mais elle avait laissé des traces : un parfum léger comme le mélange de toutes les fleurs de la création et des souvenirs de vie pas encore vécue.
Au point de rendez-vous, le frisson le reprend. Mais elle n’est pas là. L’attente se fait longue mais elle fait partie de l’envie et du besoin de la revoir. Il fait un demi-tour sur lui-même et son regard se porte naturellement sur la maison. La porte est entrouverte mais n’invite pas à entrer. Etonnamment, il n’est plus tenté par ce qui se passe dans la rue. Il sait qu’elle n’arrivera pas par là, tout comme la première fois où elle est apparue, vaporeuse et subtile. Un vent léger vient de se lever et fait balancer les mille fleurs de la façade, comme battant les secondes d’une horloge végétale. Il ferme les yeux. Il croit percevoir une présence, toute proche, presque contre lui, mais il ne les rouvre pas. Il respire, s’imprègne de son odeur unique. Et il oublie tout.
L’heure du rendez-vous est passée depuis longtemps. De l’autre côté de la rue, elle regarde à travers ses cils clairs. Elle veut traverser, le rejoindre et l’emmener mais son cœur lui intime le contraire. Lui ne bouge pas. Il sait qu’elle est là mais il refuse d’ouvrir les yeux car ça serait la perdre pour toujours.
Elle adresse un regard profond et reconnaissant à la maison. Chaque pétale qui l’orne lui fait signe et lui offre son odeur particulière.
Il se sent faiblir et doit s’agripper à la grille de la maison qui referme sa porte, doucement, calmement mais sûrement. Ses paupières se libèrent mais les larmes se mêlent à la pluie. Il regrette le rendez-vous manqué. Il en garde une nostalgie doucereuse qui le désarme et le met à nu.
Là, devant la maison, il dévoile son intimité à celle qui déjà s’évapore dans les brumes de fin d’après-midi pour rejoindre un espace qu’elle seule a su apprivoiser.
Mots imposés : courtois/courrier/courroie/courser/Courson/pourquoi/poursuivre/pourrir/pourvoir/pourtour/pourtant
Cet homme était une véritable enzyme, aussi prompt à la raccompagner qu’à lui conter fleurette quelques heures plus tôt. Elle avait la nette impression de s’être fait entortiller et se faisait des remontrances intérieurement.
Toute la semaine, elle travaillait sur l’exploitation de son père. Mais elle avait l’imagination facile et son attention était souvent détournée. Elle aimait se perdre vers l’étang aux rainettes et s’émerveillait de l’éclosion des nénuphars.
C’est là, au doux et lent clapotis de l’eau, qu’elle l’avait rencontré.
Il prononça quelques vers de Rimbaud puis lui prit la main. Ce contact lui fit oublier tout réalisme. Son esprit fertile s’abîma dans l’extrapolation d’un amour pur et éternel.
Mais ce soir, belle à croquer dans sa robe rose, son rêve s’était brisé.
Mots imposés : exploitation/extrapolation/enzyme/entortiller/éclosion/eau/raccompagner/rainette/réalisme/remontrance/Rimbaud/rose