Le Monde.fr | 11.09.2013 à 03h23
Barack Obama a prononcé son discours en direct de la Maison Blanche, mardi 10 septembre. | AP/Evan Vucci
La proposition russe de placer les armes chimiques syriennes sous contrôle international représente un "signe encourageant" mais "il est trop tôt pour dire" si ce plan sera couronné de succès, a déclaré mardi le président américain Barack Obama. Même si une frappe "limitée" ferait passer un message fort, Washington entend poursuivre cette voie diplomatique, tout en maintenant le dispositif militaire américain déjà déployé en prévision d'éventuelles frappes, a ajouté le président lors d'une déclaration solennelle depuis la Maison Blanche.
OBAMA DEMANDE AU CONGRÈS D'ATTENDRE
Le cours de la guerre civile en Syrie a changé avec l'attaque chimique "écœurante" commise par le régime de Bachar Al-Assad le 21 août, ce qui pose un "danger" pour la sécurité des Etats-Unis, a affirmé Barack Obama. "Ne pas faire barrage aux armes chimiques encouragerait l'Iran dans ses menées", a ajouté le président américain.
"Nous savons que le régime d'Assad est responsable", a martelé M. Obama, ajoutant que "la question est maintenant de savoir ce que les Etats-Unis et la communauté internationale sont prêts à faire face à cela". Washington va donc coopérer avec Paris, Londres, Pékin et Moscou à une résolution de l'ONU exigeant d'Assad qu'il renonce à ses armes chimiques, a redit M. Obama.
Barack Obama a annoncé avoir demandé au Congrès de repousser son vote sur l'usage de la force en Syrie "tant qu'était suivie la voie diplomatique" ouverte par la proposition russe de placer les armes chimiques syriennes sous contrôle international. "Cette initiative peut permettre de mettre un terme à la menace des armes chimiques sans recourir à la force, en particulier parce que la Russie est l'un des plus puissants alliés d'Assad", a déclaré le président américain.
UNE IDÉE DE LONGUE DATE ?
Plus tôt dans la soirée, l'administration américaine a par ailleurs assuré étudier depuis des mois la proposition de placer ses armes chimiques sous contrôle international. Les responsables américains avaient semblé pris de court lundi matin, quand le secrétaire d'Etat John Kerry avait évoqué l'idée que des frappes pourraient être évitées en Syrie si le régime plaçait son arsenal chimique sous contrôle international – avant que son porte-parole ne qualifie cette proposition de purement "rhétorique".
L'idée n'est pas passée inaperçue, suscitant de nombreux commentaires et s'attirant de nombreux soutiens, et poussant les Russes à déclarer qu'ils formuleraient une proposition allant en ce sens avec le soutien des Syriens. Les commentateurs se demandent depuis s'il s'agissait d'une gaffe de John Kerry ou d'une manœuvre délibérée de l'administration Obama pour éviter un vote potentiellement difficile au Congrès.
"L'annonce faite par les Russes est le résultat de mois de réunions et de conversations entre les présidents Obama et Poutine, entre le secrétaire d'Etat Kerry et son homologue Lavrov, sur le rôle que pourrait jouer la Russie pour sécuriser ces armes chimiques", a insisté auprès de l'agence AFP un haut responsable de l'administration.
UN PARI "GAGNANT-GAGNANT"
L'idée, toujours selon ce responsable, a été évoquée pour la première fois il y a un an, lors d'un sommet du G20 à Los Cabos, au Mexique, par Barack Obama et Vladimir Poutine, et a ensuite été étudiée à plusieurs reprises ensuite, "même si un accord n'avait jamais pu être trouvé". Lors du dernier sommet du G20, tenu à Saint-Pétersbourg la semaine dernière, Poutine "a de nouveau abordé" cette idée et "Obama a estimé que ce pourrait être une voie de coopération".
Pour Barack Obama comme John Kerry, c'est un pari "gagnant-gagnant", assure ce responsable : "Soit vous réussissez à mettre en œuvre un système rapide et vérifiable, ou alors vous pouvez dire que vous avez exploré en vain une nouvelle voie diplomatique, ce qui vous apporte de la légitimité et vous permet de gagner des alliés et des élus au Congrès".
Le "bon coup" diplomatique
de Vladimir Poutine,
par Arnaud Dubien
Le Monde.fr | 10.09.2013 à 22h22
Le président russe Vladimir Poutine, le 9 septembre près de Moscou. | REUTERS/RIA NOVOSTI
Moscou retrouve une certaine centralité dans le processus politique au Moyen-Orient, quelques jours seulement après le sommet du G20 à Saint-Pétersbourg. Surtout, Vladimir Poutine coupe l'herbe sous le pied de Barack Obama et de François Hollande, dont les ministres des affaires étrangères ont déployé beaucoup d'efforts ces derniers jours pour constituer une coalition soutenant une opération militaire contre le régime de Damas.
Quels sont les objectifs de la Russie et quelle logique sous-tend sa politique dans le dossier syrien ? La grille d'analyse dominante en Occident met en avant trois éléments – le "soutien indéfectible" au régime de Bachar Al-Assad, les intérêts militaires du Kremlin à Damas et une posture de "guerre froide" qui conduirait invariablement Vladimir Poutine à s'opposer aux Etats-Unis aux quatre coins de la planète.
UNE GRILLE D'ANALYSE OCCIDENTALE INSUFFISANTE
Aucun de ces arguments ne suffit cependant à comprendre la position de Moscou. Si des liens privilégiés – bien que fluctuants – existaient à l'époque de la guerre froide entre la direction soviétique et Hafez Al-Assad, le père de l'actuel président syrien, ce n'est pas le cas entre Vladimir Poutine et Bachar Al-Assad, éduqué non à Moscou, mais en Occident. La fameuse "base navale" russe de Tartous, en Syrie, n'est en réalité qu'un point d'escale logistique pour la marine de guerre russe, dont l'état actuel ne lui permet pas d'être un acteur militaire significatif en Méditerranée orientale.
La Syrie ne représentait, en 2011, que 5 % des commandes de matériels militaires de la Russie – laquelle s'est d'ailleurs abstenue de livrer, dès avant le conflit, tout système lourd (chasseurs MiG-31, missiles antiaériens à longue portée S-300, chasseurs-bombardiers Su-30) susceptibles d'être utilisés contre Israël ou de modifier les équilibres régionaux.
Enfin, si l'antiaméricanisme est effectivement vivace à Moscou et régulièrement utilisé par le Kremlin à des fins de politique intérieure, l'optique de Vladimir Poutine, jusqu'au début de l'été en tout cas, était au contraire de relancer les relations avec Washington. Des échanges prometteurs avaient d'ailleurs eu lieu en avril et en mai 2013 avec l'envoyé spécial de Barack Obama, Tom Donilon.
LES QUATRE POINTS IMPORTANTS DE LA LIGNE RUSSE À DAMAS
Quatre facteurs au moins entrent en ligne de compte dans la position russe sur le dossier syrien : une certaine vision des relations internationales, le précédent libyen, la crainte d'une montée en puissance sunnite – légèrement atténuée par le récent coup de force des militaires égyptiens – et un profond rejet de tout ce qui peut contribuer au désordre.
Le Kremlin est convaincu que de la solution apportée à la crise syrienne dépendra la manière dont la communauté internationale réagira, dans l'avenir, aux conflits intérieurs des Etats. Or, pour la Russie de M. Poutine, la souveraineté n'est pas un concept négociable, surtout si sa remise en cause vise à installer des régimes favorables aux Américains dans les anciennes républiques soviétiques et sur tout le pourtour de la Russie.
L'obstination de la Russie a également beaucoup à voir avec les événements de 2011 en Libye. A l'époque, le président russe Dmitri Medvedev, par son non-veto à l'ONU, avait ouvert la voie à l'opération occidentale contre Mouammar Kadhafi, le chef de l'Etat libyen. Ce geste est aujourd'hui unanimement considéré comme une erreur à Moscou. Les dirigeants russes ont eu le sentiment d'avoir été dupés par les Occidentaux, qui ont d'abord invoqué le devoir de protéger, avant de glisser dans une logique de cobelligérance ouverte. Ce malentendu libyen vient s'ajouter aux différends plus anciens mais dont le souvenir est très présent en Russie, que ce soit l'élargissement de l'OTAN à l'Est, la guerre au Kosovo en 1999 ou l'intervention américaine de 2003 en Irak.
Enfin, depuis le début du "printemps arabe", la Russie s'inquiète du renforcement des courants sunnites radicaux et, surtout, de ses conséquences dans le Caucase du Nord et en Asie centrale, où Moscou sera de nouveau directement confronté à la menace des talibans après le retrait de l'OTAN en 2014.
Rien ne dit que la proposition russe sera acceptée par Washington et Paris, même si l'on constate, ces dernières heures, que la "logique de guerre" recule. Pour le Kremlin, les enjeux sont importants. Une solution politique à la crise syrienne accroîtrait le prestige mondial de la Russie, très seule sur la scène internationale depuis la fin de l'URSS. Elle lui permettrait également de revenir en force dans le dossier iranien. La proposition russe, si elle est suivie d'effet à Damas, offrirait en outre une issue honorable à la Maison Blanche et à l'Elysée. Et elle ouvrirait probablement une période plus sereine dans les relations russo-occidentales.
Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe, à Moscou
Le Monde.fr avec AFP | 10.09.2013 à 15h13 • Mis à jour le 11.09.2013 à 02h09
Le Conseil de sécurité des Nations unies, ici en octobre 2011. | AFP/ESKINDER DEBEBE
UN PROJET FRANÇAIS DE RÉSOLUTION "INACCEPTABLE"
La Russie entend ainsi répondre à la France, dont le projet de résolution lui est apparu "inacceptable" parce qu'il prévoit en dernier recours l'usage de la force pour contraindre Damas à respecter les obligations de la résolution, selon le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov.
Un peu plus tôt, le chef de la diplomatie française avait en effet annoncé un projet de résolution auprès du Conseil de sécurité de l'ONU visant à "condamner le massacre du 21 août commis par le régime" et "exiger la lumière" sur le programme syrien d'armes chimiques, en réponse à la proposition russe de placer l'arsenal chimique syrien sous contrôle international.
"M. Lavrov a souligné que la proposition de la France d'approuver une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU (...) en attribuant aux autorités syriennes la responsabilité pour une possible utilisation d'armes chimiques était inacceptable", a complété le ministère russe dans un communiqué.
En revanche, la Syrie, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Walid Mouallem, a confirmé être prête à "se joindre à la convention pour l'interdiction des armes chimiques", ce qui mettrait automatiquement son arsenal chimique sous la supervision d'inspecteurs internationaux.
LA RÉUNION DU CONSEIL DE SÉCURITÉ REPORTÉE SINE DIE
La réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU sur la Syrie, qui devait débuter mardi à 16 heures heure locale (22 heures à Paris), a été reportée jusqu'à nouvel ordre, selon des diplomates.
Ce report a été décidé à la demande de la Russie, qui avait convoqué cette séance de consultations à huis clos. Les diplomates n'étaient pas en mesure de donner une raison de ce report, mais l'ont attribué aux Russes.
"DES IDÉES INTÉRESSANTES", SELON M. KERRY
Les Etats-Unis, et le secrétaire d'Etat John Kerry en tête, continuent d'évoquer la solution russe favorablement, mais avec prudence. M. Lavrov a "des idées intéressantes", a avancé M. Kerry lors d'un forum de discussion en ligne, mardi. "Si nous pouvons réellement sécuriser toutes les armes chimiques de la Syrie" par le biais d'une supervision internationale, "c'est clairement le moyen préférable, et de loin, et cela serait un véritable exploit", a renchéri le chef de la diplomatie américaine.
L'accueil réservé par Washington à cette initiative semble éloigner la perspective de frappes contre le régime syrien, accusé d'une attaque chimique le 21 août près de Damas, qui a fait plusieurs centaines de morts. Vladimir Poutine a ainsi jugé mardi que les Etats-Unis devaient renoncer au recours à la force en Syrie pour rendre efficace le contrôle international des armes chimiques.
Mais John Kerry a insisté sur le fait que ce processus doit "pouvoir être constamment contrôlé" avec un accès international à tous les sites en question et sur la nécessité d'"une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour être sûr qu'il y aura les moyens nécessaires".
Mais, a-t-il averti, "il doit également y avoir des conséquences, si l'on nous joue des tours ou si quelqu'un essaye de saper le processus. Le monde entier doit pouvoir s'investir".
Quelques jours à peine après être rentré d'une tournée qui l'a mené en Lithuanie, en France et au Royaume-Uni, John Kerry va rencontrer jeudi à Genève son homologue russe Sergueï Lavrov pour évoquer la situation en Syrie.