D'un siècle à l'autre, l'histoire des chrétiens d'Orient a une fâcheuse tendance à se répéter. Ces vieilles civilisations, qui renferment encore quelques secrets sur les origines de la vie du Christ, se traînent dans le temps et l'espace avec le poids de la malédiction sur les épaules. Ce fardeau de la servitude relie Joseph Yacoub à Jean-François Colosimo, auteurs de deux ouvrages. Le premier, sur l'extermination des Assyro-Chaldéo-Syriaques commise par les Jeunes-Turcs en 1915 dans la foulée du génocide des Arméniens ; le second, sur le calvaire des chrétiens d'Orient depuis cinquante ans de révolutions dans le monde arabo-musulman.
Le génocide des Assyro-Chaldéens est peu connu, et toujours nié par son auteur, la Turquie. Tout le travail de Joseph Yacoub, professeur de science politique à l'Université catholique de Lyon et lui-même descendant de rescapés, consiste à alerter l'opinion publique sur l'injustice infligée à son peuple. Il décortique les méthodes du régime jeune-turc pour asseoir la domination turque sur l'ensemble des minorités de l'Empire, au nom d'un processus d'homogénéité nationale. Longtemps refoulée ou intériorisée, cette tragédie à cheval sur l'Anatolie et la Mésopotamie est désormais contée et affichée par les nouvelles générations.
liens directs avec notre AntiquitéElle est d'autant plus revendiquée aujourd'hui – et Joseph Yacoub transmet le témoin de la barbarie à Jean-François Colosimo – que l'actualité des chrétiens d'Irak et de Syrie étoffe hélas leurs discours fatalistes. Quel que soit le régime en place, chaque crise politique d'envergure prend les plus faibles et les moins intégrés pour cibles des persécutions. Et, à ce compte, les chrétiens d'Orient figurent en tête de liste des groupes à abattre. Or, comme l'écrit M. Colosimo dans un récit plein d'humilité, ces peuples sont par leur patrimoine culturel et archéologique des liens directs avec notre Antiquité.
En effet, entrer dans le labyrinthe de ces premières sociétés chrétiennes, c'est repartir des siècles en arrière, où chacune d'entre elles s'attache à son credo théologique sur la nature divine et/ou humaine de Jésus. Comment, peut-on se demander après la lecture de ces deux ouvrages, la communauté internationale, si préoccupée à intervenir contre les forces destructrices des bouddhas de Bamiyan en Afghanistan ou des mausolées de Tombouctou au Mali, ne s'est-elle jamais interrogée sur son incapacité à sauver ces vieux peuples des tempêtes de sable de l'Histoire ?
Par l'incandescence de leur narration et les cris de révolte de leurs auteurs, les ouvrages de Joseph Yacoub et de Jean-François Colosimo rappellent, à quelques mois des célébrations en 2015 du centenaire du génocide des Arméniens, qu'à force de subir les coups de l'Histoire, c'est l'avenir des chrétiens au Proche-Orient, leur berceau, qui est en question.
Gaïdz Minassian
Les Hommes en trop, la malédiction des chrétiens d'Orientde Jean-François Colosimo Fayard, 312 p., 19 euros
Qui s'en souviendra ? 1915 : le génocide assyro-chaldéo-syriaquede Joseph Yacoub Les Editions du Cerf, 304 p., 24 euros