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Liban

Le « Manuel de la citoyenneté » d’Adyan,

une prouesse pédagogique inespérée

 

À l'heure où le Liban est engagé dans une course effrénée entre dialogue et violence, la Fondation Adyan publie un manuel pédagogique sur les bases religieuses chrétiennes et musulmanes de la citoyenneté.

Fady NOUN | L’ORIENT LE JOUR 14/10/2014

La fondation interreligieuse Adyan a lancé samedi un manuel inédit intitulé Rôle du christianisme et de l'islam dans la valorisation de la citoyenneté et du vivre-ensemble. Le manuel porte sur trois valeurs bien définies : l'acceptation de l'autre, la justice et le respect des lois et des conventions. Il est destiné aux pédagogues et aux orateurs des mosquées.

Ce nouvel outil pédagogue est imprégné et émaillé de citations tirées des Écritures chrétiennes et musulmanes sur chacun des trois thèmes choisis. Et, véritable miracle, il porte le logo du Conseil des Églises du Moyen-Orient (Cemo), de Dar el-Fatwa, du Conseil supérieur islamique chiite et enfin des institutions pédagogiques druzes. Par ces temps de fragmentation et de raidissement identitaire, surtout dans les milieux des jeunes, il s'agit d'une prouesse pédagogique inespérée.

Le lancement du manuel a eu lieu au couvent Notre-Dame du Puits (Metn), dans le cadre d'une session de familiarisation de trois jours à laquelle assistaient une cinquantaine de figures religieuses chrétiennes et musulmanes, en présence de Mgr Chahé Barsoumian et du P. Michel Jalkh, représentant le Cemo, de cheikh Mohammad Nokkari, représentant Dar el-Fatwa, de cheikh Ahmad Abdel Amir Kabalan, représentant le Conseil supérieur chiite, et de cheikh Ghassan Halabi, représentant le cheikh Akl druze.

À la présentation du livre assistaient aussi de hauts responsables de la mission luthérienne danoise « Danmission », partenaire du projet, ainsi que le conseiller de l'ambassade du Danemark, Anders Oesterwang. Danmission est active au Moyen-Orient depuis une bonne centaine d'années. Le développement social fait aussi partie de sa vocation. 

Un contre-discours

Pour le cofondateur – avec Nayla Tabbara – d'Adyan, le prêtre maronite Fadi Daou, le manuel, fruit d'un effort interreligieux collectif de 18 mois, offre au lecteur « un contre-discours à celui qui dit : Tu crois, donc tu te bats ». En ce sens, c'est aussi « un acte de résistance spirituel et national ».

À l'heure où des courants régionaux puissants font pression sur le corps social libanais jusqu'à l'éclatement, le manuel établi par Adyan témoigne de la permanence des efforts visant, au contraire, à intégrer les communautés fondatrices du Liban en une seule nation ; une nation reposant sur des valeurs cohérentes, rationnellement élaborées et intériorisées, puisées aussi bien dans le christianisme que dans l'islam.

« Rien ne doit nous faire oublier qui nous sommes, ni les jours noirs que nous vivons, ni les images violentes qui envahissent nos écrans de télévision, ni les tiraillements politiques qui ont depuis longtemps dépassé toutes les bornes et règles du jeu politique », s'est exclamé Fadi Daou dans sa brève allocution d'introduction.

Et de rappeler que « parmi les ancêtres du partenariat islamo-chrétien nommé Liban, figurent l'imam Ouzaï, qui dissuada le gouverneur musulman d'alors d'opprimer les chrétiens ; l'émir Abdallah Tannoukhi, qui légua à ses voisins chrétiens ses propriétés ; le patriarche Élias Hoayek qui choisit l'écrin du Grand Liban pour y déposer la perle du vivre-ensemble, plutôt que de choisir le repli identitaire dans des entités confessionnelles, minoritaires, isolées ; l'imam Moussa Sadr, qui se claustra dans sa mosquée pour arrêter les combats fratricides et déclara qu'il considérait que chaque balle tirée sur Deir el-Ahmar et Chlifa était tirée sur sa propre personne ; le grand uléma de Saïda, cheikh Youssef el-Assir al-Azhari qui, avec Boutros el-Boustany et le missionnaire protestant Van Dyke, retraduisit vers l'arabe le Nouveau Testament ; l'évêque Salim Ghazal, homme de réconciliation et de paix, ou encore l'évêque Georges Khodr, amant passionné de la langue arabe et de la civilisation islamique ».

Le Liban « a fixé l'abîme »

Présent à la conférence de presse, le conseiller de l'ambassade du Danemark Anders Oestervang se félicite, pour sa part, de la parution du manuel. « L'éducation est l'une des clés de la promotion du dialogue et de la coexistence », assure-t-il, tout en ayant conscience que c'est « un processus long ». C'est pourquoi il dit partager aussi le sentiment d'urgence de bien des Libanais qui sont conscients qu'une course de vitesse est engagée entre le dialogue et la violence.

« Le Liban a une longue expérience de la coexistence, mais il a également fixé la profondeur de l'abîme. Il est qualifié pour servir de modèle s'il sait faire prévaloir le dialogue. Quelle chances a le dialogue de gagner la course ? Pour ma part, j'ai le sentiment que le niveau de cohésion des Libanais est un véritable modèle. L'important, c'est de sensibiliser et d'engager suffisamment de chefs religieux et civils dans ce programme pour atteindre la rue. C'est la clé. Il faut atteindre la rue. »

Ayant assisté à la conférence « à titre personnel », le député Farid el-Khazen, du bloc de la Réforme et du Changement (Michel Aoun), se félicite du spectacle. « Ce travail n'est possible qu'au Liban. En l'offrant au monde arabe, nous prouvons notre exception culturelle », assure-t-il, tout en mesurant la difficulté qu'il y a à surmonter notamment l'obstacle des écoles « embrigadées » dans des projets communautaires spécifiques.

« C'est pourtant le bon moment, dit-il. C'est le moment de mette en relief notre vivre-ensemble qui a fait naufrage ailleurs. Nous serions en train de rendre service à la religion, et spécifiquement à l'islam en crise. »

Dar el-Fatwa parraine un engagement islamo-chrétien contre « la tyrannie et le terrorisme »

 

Les chefs religieux chrétiens et musulmans réunis sous l'égide du mufti Abdellatif Deriane ont élaboré une « nouvelle charte du vivre-ensemble libanais » et arabe.

Sandra NOUJEIM | L’ORIENT LEJOUR 26/09/2014

Le document élaboré hier lors du sommet islamo-chrétien à Dar el-Fatwa est fondamental. Il valorise l'essence de la pluralité du modèle libanais, en l'élargissant à la région. Il assoit les normes de cette pluralité face à « la dualité du terrorisme et de la tyrannie ». Ces deux menaces à « l'État civil, seul garant de la diversité arabe », finiront par se dissiper, affirment en chœur les chefs d'Églises orientales, et les cheikhs musulmans et druzes, réunis hier sous l'égide du nouveau mufti de la République, cheikh Abdellatif Deriane.

Le communiqué lu à l'issue du sommet par le secrétaire général de la commission nationale du dialogue islamo-chrétien, Mohammad Sammak, a d'abord confié à la présidentielle libanaise une portée symbolique supranationale, liée directement à la maturation d'une citoyenneté arabe et plurielle.

Les dignitaires musulmans et chrétiens ont ainsi « exhorté le Parlement à accomplir son devoir constitutionnel fondamental en élisant immédiatement un président (...). Retarder l'élection du seul chef de l'État chrétien dans le monde arabe, à l'heure des souffrances extrêmes subies par les chrétiens d'Orient aux mains des forces terroristes fondamentalistes, paralyse le rôle du Liban dans l'accomplissement du message, à portée nationale et arabe, qui fait sa raison d'être ».

Le document a ensuite défendu, sans la mentionner explicitement, la politique de distanciation, qu'il a désignée par « l'éloignement du Liban des conflits extérieurs et des politiques des axes régionaux et internationaux ».

Le document a également appelé à une gestion « sage et responsable » du dossier des réfugiés syriens au Liban.

« Être fort par l'État, et non au détriment de l'État »

Redonnant un souffle au processus d'édification de l'État, le sommet a appelé à « ne pas paralyser les institutions, à être fort par l'État et non au détriment de l'État, (...) et à respecter le pacte de Taëf dans l'esprit et la lettre ».

Les dignitaires religieux ont « renouvelé leur engagement en faveur de la coexistence et de l'unité nationale, l'État étant la seule autorité habilité à résoudre les affaires nationales ».

Ils ont refusé « de tirer sa force de l'étranger, ou de se remettre aux armes à l'intérieur ».

Ils ont déclaré leur attachement au « dialogue national, comme base de la gestion de la pluralité ».

« Aucune cause ne devance la dignité humaine »

Transposant la teneur de ce discours au niveau régional, le sommet islamo-chrétien a déclaré qu'il « n'existe aucune cause sacrée au détriment de la dignité et des droits de l'homme ». De même, « il n'existe aucune guerre sacrée au nom de la religion », l'essence même de la religion étant la paix. « La paix est l'une des qualités de Dieu, et la cause la plus noble à laquelle tendent les vrais croyants. » « La paix est le sacré », a stipulé solennellement le document.

Le corollaire de ce principe serait notamment le respect de la liberté de culte et des propriétés privées et publiques. D'ailleurs, le discours d'investiture de cheikh Deriane, qui avait rejoint la déclaration d'al-Azhar en faveur des libertés publiques, a été salué hier.

Si le document élaboré hier a stigmatisé la violation de ces libertés, il a souligné que « les chrétiens et les musulmans, de Syrie et d'Irak, ont subi ensemble ces crimes contre l'humanité et la religion ».

En même temps, le document a mis sur un pied d'égalité les auteurs de ces actes, en évoquant « la dualité de la tyrannie et du terrorisme, longtemps subie par les sociétés arabes ». « Tirer les leçons de la crise sanglante et destructrice que ces sociétés traversent, c'est apprendre à défendre une gouvernance équitable, participative et favorable aux libertés », est-il indiqué. Deuxième stipulation-clé du document : « L'État civil, respectueux des religions et de la dignité humaine, est la seule formule ayant réussi à maintenir la stabilité et l'essor des États qui gèrent des sociétés plurielles, comme les sociétés arabes. »

Les droits des chrétiens arabes

C'est dans le cadre de ces constantes que s'inscrit la protection des chrétiens contre le fondamentalisme. « La stigmatisation des crimes d'agression et de déplacement forcé exercés par des fractions armées contre les chrétiens, les musulmans et d'autres, en Irak et en Syrie (...), impose de mettre en garde contre les conséquences de ces actes sur les chrétiens, ceux-ci étant amenés à se déraciner des patries dont ils sont le fondement depuis 2 000 ans. »

Le sommet appelle les victimes, « surtout les chrétiens, à rester attachés à leur terre », et annonce sa décision de « former une délégation islamo-chrétienne commune afin de sensibiliser les autorités religieuses, politiques et arabes à la violation des droits des chrétiens arabes ».

« Le crime contre l'humanité est le même, indépendamment de son auteur », a ajouté le document, associant « les atteintes contre les chrétiens de Syrie et d'Irak aux agressions israéliennes contre Gaza ».

Cheikh Mohammad Nokkari, membre du comité de dialogue islamo-chrétien, confirme à L'OLJ que ce document consacre « l'abandon de la logique des minorités, l'islam ne percevant que l'homme, égal de l'autre ». Il estime en outre que le sommet d'hier s'est démarqué d'autres sommets similaires par « l'accent mis sur les libertés ». C'est en cela d'ailleurs que le sommet « rejoint certainement la rencontre de Saydet al-Jabal », qui s'était tenue près d'un mois plus tôt.

L'une des figures de cette rencontre, et précurseur du vivre-ensemble, l'ancien député Samir Frangié, salue « l'excellente initiative de Dar el-Fatwa, qui rappelle le rôle, assumé il y a longtemps par l'Église maronite, à l'époque où les dirigeants politiques s'enfonçaient dans la léthargie ». L'autorité religieuse sunnite joue désormais un rôle essentiel dans la diffusion du « discours primordial de la modération », ajoute-t-il.

 

Le leader du Futur, Saad Hariri, a effectivement salué le document islamo-chrétien, qu'il a qualifié « de nouvelle charte de la coexistence et de puissant appel en faveur de l'entité libanaise ».

Un commentaire. Dernier par Honorat le 17-01-2015 à 08h20 - Permalien - Partager
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