Quelques audacieuses, parmi lesquelles la belle Mme Hamelin, osèrent se promener entièrement nues dans un fourreau de gaze ; d'autres montrèrent leurs seins. découverts, mais ces tentatives impudiques ne se renouvelèrent point ; le bon sens blagueur du populaire les fit avorter dès le début et les extravagantes qui n'avaient pas eu le sentiment de leur impudeur sentirent la crainte de leur impudence quand les huées et les apostrophes des passants les poursuivirent jusques à leur domicile.
Les modes transparentes se modifièrent cependant peu à peu ; tout change vite dans l'empire féminin. Vers le mois de brumaire an VII, les robes à l'Égyptienne, les turbans à l'Algérienne, les fichus au Nil et les bonnets en crocodile occupèrent un instant l'esprit de nos frivoles. La campagne d'Égypte mit en vogue d'énormes turbans multicolores à côtes et à plumes recourbées, dont le fond était de nuance unie opposée à la toque ; le réticule ou ridicule revint en faveur sous une forme militaire, on le varia à l'infini, et les devises, les devinettes, les arabesques, les camées, les chiffres l'ornèrent tour à tour.
On ébouriffa à la main les cheveux à la Titus ou à la Caracalla ; on porta des chapeaux jockey, des chapeaux de courrier, des chapeaux de chasse, garnis de velours coquelicot ; le chapeau au ballon et le casque eurent grand succès. La multiplicité des modes qui se rivalisaient, se croisaient, se succédaient « avec la rapidité des éclairs », arriva à égarer et effarer jusqu'aux directeurs de journaux attitrés.
Un tripot au Palais Royal,
An VIII (1800)
Les schalls surtout défrayèrent la chronique ; on les portait en sautoir, bien drapés sur l'épaule et ramenés sur le bras, les extrémités flottant au vent; on raffina sur les schalls aux couleurs vives, ponceau, orange, abricot avec bordures à la grecque noires ou blanches; on en essaya de toutes les formes, de toutes les étoffes, de tous les tons ; on en fabriqua en drap, en casimir, en serge, en tricot de soie et plus communément en poil de lapin gris. Schalls en pointe, schalls carrés, schalls houppelandes, d'hiver et d'été. Les élégantes commencèrent à couvrir leurs appas et les souliers cothurnes disparurent peu à peu.
Quant au costume des hommes au milieu de l'an VII, en voici un croquis ébauché par la tête. Le chapeau demi-haut de forme est à petits bords, relevés sur les côtés et abaissés sur le devant et à l'arrière ; les cheveux sont toujours à la Titus, en accord avec les favoris, qui tombent au milieu de la joue et descendent parfois jusque sous le menton ; le bon ton exige que les favoris soient noirs, lors même que les cheveux seraient blonds ; les impossibles ont plus d'un moyen pour satisfaire à la mode. La cravate est haute, toujours blanche et à nœuds très affilés en queues de rat. Elle engonce le cou jusqu'à l'oreille. La chemise plissée est en fine batiste ; on la voit à travers la large échancrure du gilet.
L'habit est ordinairement brun foncé, à collet noir ou violet, croisé avec boutons de métal uni. Le pantalon, très collant, est en casimir chamois ; il règne sur les coutures une petite ganse d'or, à la manière des hussards. La mode implique un énorme cachet de parade à l'extrémité des chaînes de montre : au lieu de canne un simple petit crochet de bambou, bottes molles venant à la naissance du mollet ; au bal, frac noir, culotte de couleur et souliers. La nuance des pantalons est jaune serin et vert bouteille.
Les modes furent si changeantes de 1795 à 1799 qu'il ne faudrait pas moins de deux gros volumes in-octavo pour en fixer les différents caractères et les principales variations. Mercier lui-même, qui saisissait cependant sur l'heure d'un crayon si habile et si fin ces physionomies parisiennes, semble déconcerté de se voir si vite distancé par le changement des costumes féminins :
« Il y a peu de jours, dit-il, la taille des femmes illustres se dessinait en cœur ; actuellement celle des corsets se termine en ailes de papillon dont le sexe semble vouloir en tout se rapprocher et qu'il prend le plus souvent pour modèle. Hier, c'étaient les chapeaux à la Paméla, aujourd'hui les chapeaux à l'anglaise ; hier elles se paraient de plumes, de fleurs, de rubans, ou bien un mouchoir en forme de turban les assimilait à des odalisques ; aujourd'hui, leurs bonnets prennent la même forme que ceux de la femme de Philippe de Commines ; hier, leurs souliers élégants étaient chargés de rosettes et fixés au bas de la jambe avec un ruban artistement noué ; aujourd'hui, une grande boucle figurée en paillettes leur couvre presque entièrement le pied et ne laisse apercevoir que le bout d'un léger bouquet dont la broderie vient finir sur la petite pointe du soulier. Et que l'on ne croie pas que ce soit ici la caricature de nos illustres ; à peine est-ce une légère esquisse de leurs folies, de leurs changements variés à l'infini. »
Les Merveilleuses survécurent de deux ans aux Incroyables ; Mme Tallien, cette éventée qui les personnifia si gracieusement, nous fournit un modèle de la dernière heure ; elle vint chez Barras, à la fin de 1795, avec une robe de mousseline très ample, tombant en larges plis autour d'elle et faite sur le modèle d'une tunique de statue grecque ; les manches étaient rattachées sur le bras par des boutons en camées antiques ; sur les épaules, à la ceinture, d'autres camées servaient d'attache ; pas de gants ; à l'un des bras, un serpent d'or émaillé dont la tête était une émeraude.
Les bijoux se portaient en nombre aux bras, aux doigts, au cou, en bandeaux, en aigrettes sur turbans ; on ne peut se faire une idée de la quantité innombrable de diamants alors en circulation ; les chaînes de cou, d'une longueur excessive, tombant jusqu'au genou, relevées et agrafées au-dessous du sein, étaient adoptées par la majorité des femmes. Des rivières de pierres précieuses et de diamants enserraient leur gorge ; les ceintures étaient gemmées et les perles couraient en zigzags sur la gaze des robes et des coiffures ; les camées, mis en relief clans les toilettes de Mme Bonaparte, à son retour d'Italie, ornèrent les cheveux et le cou ; on vit jusqu'à des perruques enrichies de plaques et de ces colombes, dits esprits, en diamants.
Dans une lettre inédite à une amie très tendre, la citoyenne Bazin, établie à Rouen, le nommé Favières, auteur dramatique alors célèbre, expose à la date de fructidor 1798, le charme des femmes qu'il coudoie. Nous en extrayons ce curieux passage :
« La mise des femmes à Paris est délicieuse, ma chère sœur ; la manche de la robe ne descend que cinq à six doigts au-dessus du coude, les rubans croisés par derrière et passant sous les bras en faisant le tour sur chaque épaule, reviennent former une ceinture avec une rosette sur le côté ; la taille est courte, ce qui grandit singulièrement la plus petite femme. Presque toutes vont à pied ; beaucoup, parées comme des nymphes, relèvent le jupon et la robe par le côté et portent avec grâce tout le flot des plis rassemblés sur le bras, découvrant ainsi la jambe jusqu'au genou par devant et quelque peu de jarret par derrière.
« Au total, il faut bien avouer qu'elles ont une langueur, un charme, une coquetterie, un petit air coquin et abandonné qui damnerait un hermite. – Toujours la perruque blonde, et presque rien autre sur le corps que du linon, de la gaze ou du crêpe. Le soulier plat de satin vert pomme, le bas de soie blanc à coins de satin brodé rose ou lilas ; le chapeau très large et plat tombant sur les côtés comme un parasol, et le tout garni de rubans à grosses coques, la forme toute ronde sur la tête. – Je t'assure, il faut voir tout cela pour modeler ses habillements si l'on veut être muse comme elles le sont. – Le détail n'est rien en comparaison de la vue. »
L'anglomanie sévissait sur les moeurs et les modes non moins que l'anticomanie ; pour certaines élégantes, rien n'était de bon goût et de jolie façon si l'usage n'en était pas établi à Londres. Ce fut au point que certaines ouvrières françaises franchirent le détroit pour satisfaire plus sûrement à leur clientèle ; elles retrouvèrent au delà de la France l'ancienne maison de Mlle Bertin, la célèbre modiste parisienne, ainsi que de nombreuses émigrées, alors établies marchandes de modes, et qui avaient su vulgariser pour autrui le goût exquis qu'elles montraient autrefois à la Cour pour elles-mêmes.
Du pays des brumes nous vinrent des douillettes bordées de velours, le spencer bordé en poil, ouvert sur la poitrine demi-nue, donnant aux dames un faux air Lodoïska ; les bonnets paysanne, les dolmans, qu'on écrivait dolimans, et une multitude de costumes d'un arrangement assez heureux. – Les chapeaux-capotes en linon, en organdi, en dentelle avec ganses perlées, furent bien accueillis sur la fin de l'an VII ; on les portait de nuance blanche, rose, jonquille ou bleue ; ils accompagnaient la mode des tabliers-fichus, de couleur assortie ; ces tabliers formaient à la fois ceinture et fichu ; on les nouait d'abord par derrière avec des rubans en rosettes.
Les Petis Patriotes An VIII (1800)
Cette parure pouvait paraître au premier coup d'oeil un objet de luxe ; mais, dit un écrivain de modes, « si l'on en venait à considérer la finesse transparente de la robe qui servait souvent de chemise, on lui reconnaissait la même utilité qu'aux tabliers des sauvages ».
Un citoyen « amateur du sexe », Lucas Rochemont, songea, vers la fin du Directoire, à ouvrir un concours de modes nouvelles entre les véritables élégants de France, la mode primée devant porter le nom de sa créatrice. Il fit part à La Mésangèrede cet ingénieux projet dans la lettre que voici :
« Vous parlez périodiquement, Citoyen, des prodiges de la Mode, de ses formes multipliées, de ses succès inouïs ; mais vous gardez le silence sur les séduisants objets qui lui ouvrent une si brillante carrière. En effet, que serait la Mode sans les grâces du sexe charmant qui la fait admirer? Une fugitive qui échapperait à tous les yeux. Mais elle doit tout aux belles ; et son élégance, et sa richesse, et sa simplicité ; rien n'est bien, n'est beau sans leur concours. N'est-ce pas le bon goût qui admet telle ou telle folie de la Mode ? et le bon goût n'est-il pas le cachet de la beauté ? A ce titre, je voudrais, Citoyen, qu'à chaque époque qui nous amène une mode nouvelle, vous rendissiez justice à qui elle appartient, et que vous nommassiez celle qui l'a créée ; ce serait un moyen d'émulation qui nous mettrait en mesure de connaître à qui nous sommes redevables de tel ou tel changement clans la parure des dames et qui nous ouvrirait un temple où chacun aurait la faculté de porter son encens aux pieds de la divinité à laquelle il accorderait la préférence. »
Ce projet original n'eut pas de suite, et cela est fâcheux, car, à part une vingtaine de jolies femmes à demi célèbres de l'entourage de Notre-Dame de Thermidor, nous ignorons presque complètement les noms des élégantes de l'époque du Directoire. Toutes ces nymphes et merveilleuses sont anonymes, toutes ces beautés grecques et romaines passent voilées, et l'histoire anecdotique reste aussi muette à leur égard que s'il s'agissait des pimpantes petites chercheuses d'amour des Prés-Saint-Gervais.
Ces « beautés fières et majestueuses » se nomment Calypso, Eucharis, Phryné ; elles ont tout laissé voir à travers leurs robes ouvertes aux Apollons du jour sous les ifs chargés de lampions septicolores de Frascati ; mais, de cette longue mascarade dans les jardins d'Armide des bons républicains, peu de personnalités ressortent ; l'eau de volupté qui brillantait leurs charmes d'éternelle jeunesse les a confondues dans une même vision idéale de charmeuses.
Un salon de Fracasti, An VIII (1800)
Quoi qu'il en soit, ces modes extravagantes qui, pour ainsi dire, « essuyèrent les plâtres » de la société nouvelle, ces modes folles, incohérentes, insaisissables que nous venons de décrire d'une plume cursive, ces modes de nos Impossibles peuvent être considérées comme les types fondamentaux et transitoires qui influencèrent le costume civil de ce XIXe siècle entier. A ce titre, elles mériteraient de trouver leur monographe.
Nous voudrions voir écrire l'Histoire des modes sous la Révolution et le Directoire. – Pour avoir à peine effleuré le sujet, comme un hanneton éperdu dans cet immense vestiaire de gazes, nous n'en sommes pas moins assuré que ce serait là un sujet passionnant pour quelque chercheur convaincu, amoureux du passé et assez furieusement féministe pour aimer à secouer toutes ces légères tuniques encore si pénétrantes et si troublantes en raison des belles formes voluptueuses et de la vie tout ivre de mouvement et de plaisir qu'elles ont contenu.
Le Bal de l'Opéra, An VIII (1800) |
Rien de moins français que la mise des élégantes à ce début de l'an V. Ce ne furent que tuniques grecques, cothurnes grecs, dolmans turcs, toquets suisses ; tout annonçait des voyageuses disposées à courir le monde. Ce qui surprit davantage après les Titus, les coiffures à la victime et à l'hérissé, ce fut la préférence aveugle donnée aux perruques. Peu auparavant, à ce seul nom, une belle frissonnait ; mais le sacrifice de ses cheveux en cette époque républicaine était devenu un triomphe... ; avec cela, robe retroussée jusqu'au mollet : ce dégagement, d'accord avec les souliers plats, donnait aux femmes une allure décidée et hommasse peu en rapport avec leur sexe.
Sur les coiffures on disposait un coquet béguin, assez semblable aux toquets du premier âge ou bien un chapeau spencer à haute calotte cannelée avec plume de vautour. La même année vit les toquets froncés à coulisses, le toquet d'enfant garni en dentelles, tantôt en linon, tantôt en velours noir, cerise, violet ou gros vert, avec une ganse plate sur les coutures et une dentelle froncée sur le bord.
On porta même le turban à calotte plate, orné de perles et d'une aigrette, mis à la mode par l'arrivée d'un ambassadeur turc à Paris ; on vit en plus la capote anglaise garnie de crêpe, le bonnet à la jardinière, le chapeau casque-ballon, le bonnet à la folle, garni de fichus multicolores, de blondes et de dentelles, qui cachaient à demi le visage ; la cornette en linon gazé, le chapeau blanc à la Lisbeth sur un toquet cerise que la Saint-Aubin venait de mettre en vogue clans l'opéra de Lisbeth au Théâmtre-Italien ; le chapeau à la Primerose, également emprunté à la pièce de ce nom, le casque à la Minerve, le turban en spirales et vingt autres couvre-chefs plus charmants, plus gracieux les uns que les autres, mais qui, pour extravagants qu'ils fussent, seyaient à merveille à tous ces provocants et animés par la fièvre de vivre.
Le fichu fut également porté en négligé, drapé, chiffonné au hasard ; aucune règle n'en détermina la forme, le goût seul présidait à sa confection, et ce fut bien la plus adorable coiffure du monde, la plus coquine : point de chignon, quelques cheveux épars sur le front, une draperie amplement bouillonnée, une bride noire et l'attention de ménager les trois pointes, voilà seulement ce que l'usage généralisa.
Il fallait voir les grisettes en négligé du matin : une gravure nous présente une Parisienne dans cette tenue de la première heure ; le premier fichu blanc venu lui tient lieu de coiffe, les cheveux errent à l'aventure et le chignon reste invisible ; camisole blanche serrée à la taille et jupon rayé, bas à coins ; mules de maroquin vert : ainsi costumée, la belle s'en allait chercher sa provision au marché le plus proche ; point de panier, mais un mouchoir blanc à la main pour recevoir les œufs, les fleurs et les fruits. Avec cette grosse emplette on la voit revenir gaiement, tenant d'une main le petit paquet et de l'autre le jupon, relevé très haut jusqu'au genou afin de bien laisser voir la chemise blanche et le mollet convenablement placé et enfermé dans son tricot blanc immaculé.
Il est bon de dire que la ci-devant Mme de Fontenay montra toujours vis-à-vis de tous les déshérités une charité inépuisable ; ce qui fit dire a juste titre que si la citoyenne Bonaparte avait acquis le surnom de Notre-Dame des Victoires, la charmante Mme Tallien méritait en tous points celui de Notre-Dame de Bon Secours.
Le plus éclatant salon du Luxembourg, celui où la meilleure compagnie tenait à se rendre, était incontestablement le salon de Barras. Il était simple et plein de bonhomie ; on y causait peu avec cet esprit de conversation d'autrefois, mais on y riait, on y jouait, on y plaisantait sans façons. M. de Talleyrand s'y asseyait complaisamment à une table de bouillotte et Mme de Staël y venait chuchoter avec Marie-Joseph Chénier ou François de Neufchâteau.
Les autres Directeurs recevaient chacun un jour de la décade, mais leurs réceptions manquaient d'éclat. Chez La Revellière-Lépeaux, –Laide peau, comme on le nommait, – le vulgarisateur de la théophilanthropie, on ne parlait que de la religion nouvelle et l'on « mettait ses vices à la question ». Chez Carnot, qui donnait de mesquines soirées dans un petit appartement bas de plafond, on chantait quelques ariettes guerrières et on ne jurait que par « l'Évangile de la gendarmerie ». Chez Letourneur et Rewbell, c'était pis encore on y bâillait et on n'y causait point.
Le Jardin des Tuileries, An VII (1799)
Mais la France entière n'était pas à Paris, elle était représentée surtout au palais Serbelloni à Milan et au château cle Montebello, où une cour brillante se pressait pour rendre hommage à la séduisante Joséphine qui faisait par ses grâces non moins de conquêtes que, par son génie, son illustre époux.
Le vrai salon du Directoire, ce fut la rue ; ce fut le Petit Coblentz, puis Tivoli avec ses quarante arpents de verdure, Monceau, et aussi Idalie ; ce fut Biron, ce fut l'Élysée, ce fut même enfin la Butte Montmartre, d'où montèrent tous les soirs dans la nuit dix feux d'artifice qui secouaient sur Paris leurs gerbes de pierreries, leurs paillettes d'or et d'émeraudes. La rue fut agitée par une éternelle fête ; chaque nuit y défilaient, se rendant à Feydeau et aux autres spectacles, les bandes élégantes des agioteurs, des fournisseurs en compagnie de leurs bruyantes maîtresses.
Les agioteurs au Palais Royal,
An VII (1799)
L'été, le plaisir se montrait sous la feuillée, à Bagatelle, au Jardin de Virginie, faubourg du Roule, au ci-devant hôtel Beaujon. Les aimables et les Merveilleux raffolaient de ces endroits gazonnés, pleins de ruisseaux, de cascades, de grottes, de tourelles, éclairés de flammes rouges, remplis par le bruit des fanfares, où les nymphes à demi nues ne songeaient guère à fuir sous les saules. Le principal temple de la Joie, le plus attirant fut Tivoli, mélange de côteaux, de cascatelles, de sentiers sinueux, où l'on passait au milieu d'une haie de jolies femmes, et où se tenaient tous les jeux connus à Cythère. Dans ce pays de l'Astrée éclairé par les fantaisies pyriques des Ruggieri, égayé par les cabrioles, les chansons légères, les parades de foire, par l'apparition des acrobates de tous genres, la société du Directoire se complaisait inconsciente et carnavalesque.
« Bruyants plaisirs, s'écriait Mercier, les femmes sont dans leur élément au milieu de votre tumulte ! Le contentement perce dans leur maintien, malgré leur déchaînement épouvantable contre le temps qui court ; jamais elles n'ont joui d'une telle licence chez aucun peuple ; la rudesse jacobine expire même devant les non cocardées. Elles ont dansé, bu, mangé, elles ont trompé trois ou quatre adorateurs de sectes opposées, avec une aisance et une franchise qui feraient croire que notre siècle n'a plus besoin de la moindre nuance d'hypocrisie et de dissimulation et qu'il est au dessous de nous de pallier nos habitudes et nos goûts quels qu'ils soient.
Une cohue de jeunes gens l'environne avec le langage d'une joie dissolue. Encore une hardiesse de Merveilleuse, et l'on pourrait contempler parmi nous les antiques danses des filles de Laconie il reste si peu à faire tomber que je ne sais si la pudeur véritable ne gagnerait pas à l'enlèvement de ce voile transparent. Le pantalon couleur de chair, strictement appliqué sur la peau, irrite l'imagination et ne laisse voir qu'en beau les formes et les appats les plus clandestins ;... et voilà les beaux jours qui succèdent à ceux de Robespierre ! »
Le Luxembourg, dont les cinq Directeurs avaient pris possession, était devenu, ainsi que le remarque un poète du temps, une véritable cour ; et, comme cette cour était très accessible aux femmes, grâce au voluptueux Barras, elles y avaient apporté les manières les plus douces. La galanterie avait fait disparaître peu à peu les austérités républicaines et les femmes reprenaient largement l'empire dont elles avaient été dépossédées pendant le long règne de la Convention.
Les citoyennes de Staël, Hamelin, de Château-Regnault, Bonaparte et Tallien étaient les reines de Paris, et il n'était point de fêtes sans elles. La fille du comte de Cabarrus, l'ex-épouse de M. de Fontenay, la future femme du comte de Caraman-Chimay, la belle en Tallien, semblait surtout la souveraine incontestée du Directoire ; on avait pu attacher au bas de son costume romain cet écriteau satirique : Respect aux propriétés nationales.
Ce Bal des Victimes devint vivement, en raison de sa société relevée et de ses démences, le point de mire du Paris joyeux. Ce fut là qu'on vint contempler les nouvelles Modes du jour, et les jeunes filles qui y dansaient les valses de récente importation rivalisaient de toilettes et de grâces... ; peu à peu elles quittèrent le deuil et arborèrent effrontément le satin, le velours et les kachemirs aux tons chauds.
Ce fut à ces insolentes réunions qu'apparurent les premières tuniques laconiennes et les chlamydes à méandres de couleur, la chemise de perkale, les robes de gaze ou de linon et le provocant cothurne avec ses charmants enlacements de rubans sur le cou-de-pied. Toutes les fantaisies romaines et grecques du costume furent inaugurées pour la plupart par des descendantes de guillotinés ; quelques aimables dames architondues poussèrent l'amour du réalisme et de l'horreur jusqu'à serrer autour de leur cou un mince collier rouge qui imitait à ravir la section du couperet. Les Incroyables juraient leur petite pa'ole d'honneu panachée que c'était divin, admi'able, 'uisselant d'inouïsme.
Dans les intervalles des contredanses, on ingurgitait glaces, punch, sorbets ; on prenait la main de sa danseuse dont on recevait des déclarations d'amour ; de plus, s'il faut en croire un témoin oculaire, « on finissait par convenir entre soi qu'après tout cet excellent Robespierre n'était pas si diable qu'il était noir et que la Révolution avait son bon côté ». Ripault, dans Une journée de Paris, an V, nous montre aussi un témoin oculaire qui est Polichinelle, égaré au bal des Victimes :
« Je vis un beau jeune homme, et ce beau jeune homme me dit : « Ah! Polichinelle... ils ont tué mon père ! – Ils ont tué votre père ? „ – et je tirai mon mouchoir de ma poche – et il se mit à danser :
Zigue rague don don,
Un pas de rigaudon.
Il ne manquait plus à ces insensés que de chanter, à l'imitation de la belle Cabarrus, le couplet d'une chanson satirique alors à demi célèbre chez les Directeurs :
Quand Robespierre reviendra,
Tous les jours deviendront des fêtes.
La Terreur alors renaîtra
Et nous verrons tomber des têtes.
Mais je regarde... hélas ! hélas !
Robespierre ne revient pas.
A côté du Bal des Victimes, tout Paris donnait les violons, c'était un branle général ; on sautait par abonnements au Bal de Calypso, faubourg Montmartre, à l'hôtel d'Aligre et à l'hôtel Biron, au Lycée des Bibliophiles et des nouvellistes, rue de Verneuil ; rue de l'Échiquier, chez le fleuriste Wenzell ; dans toutes les rues de la Cité. La bonne société se rendait de préférence à l'hôtel Longueville où la belle et voluptueuse Mme Hamelin ne dédaignait pas de montrer ses grâces nonchalantes et d'afficher ses déshabillés inoubliables.
Tous ces bals étaient ouverts le quintidi et le décadi à la moyenne bourgeoisie. Frascati et le Pavillon de Hanovre étaient le rendez-vous des hautes classes de la société. Dans la Cité se trouvait le bal de la Veillée, où l'on donnait de singuliers concerts miauliques ; il y avait là une vingtaine de chats dont on n'apercevait que les têtes, disposés sur les touches d'un clavecin : ces touches étaient des lames pointues dont chacune allait frapper la queue d'un chat qui poussait un cri, chaque cri répondait à une note de musique et l'ensemble produisait un charivari admirable ; ce bal de la Veillée est devenu depuis le fameux Prado, cher aux étudiants.
Le dragon, gardien des trésors cachés, l'adversaire devant être vaincu pour y avoir accès, gardien sévère, symbole du mal et des tendances démoniaques, est en Occident le gardien de la Toison d'or et du jardin des Hespérides. Il s'identifie dans ce cas là au serpent.
La légende de Siegfried confirme que le trésor gardé par le dragon n'est autre que l'immortalité.
En Extrême-Orient, le dragon peut être aquatique, terrestre, souterrain et céleste. C'est pourquoi il a été rapproché de Quetzalcoatl, le serpent à plumes des aztèques. Ce ne sont que les aspects distincts d'un symbole unique, celui du principe actif et démiurgique : puissance divine, élan spirituel, dit Grousset.
Le dragon est symbole céleste, puissance de vie et de manifestation, il crache les eaux primordiales ou l'oeuf du monde, c'est une image du verbe créateur.
Puissance céleste créatrice et ordonnatrice, le dragon est symbole de l'empereur. Il symbolise les fonctions royales et les rythmes de la vie, garantissant l'ordre et la prospérité. Le dragon est une manifesttion de la toute-puissance chinoise. La face du dragon signifie la face de l'empereur, la démarche du dragon est l'allure majestueuse du chef, la perle du dragon qu'il est censé posséder dans la gorge est l'éclat de la parole du chef, la perfection de sa pensée et de ses ordres.
Unissant la terre et l'eau, il est le symbole de la pluie céleste fécondant la terre.
Le dragon est aussi symbole du mercure philosophal.
Le dragon enfermé est le symbole des forces cachées et contenues.
L'araignée, éphiphanie lunaire dédiée au filage et au tissage, figure de créatrice cosmique, est maîtresse du destin, tisseuse de la réalité. Elle est symbole de l'âme et de liberté. Chez les peuples altaïques d'Asie centrale et de Sibérie, elle est l'âme libérée du corps. L'araignée symbolise aussi un degré supérieur d'initiation. Sur le plan mystique, son fil évoque le cordon ombilical ou la chaîne d'or reliant la créature au créateur par laquelle elle tente de se hisser vers lui. Le fil de l'araignée est le support de la réalisation spirituelle.
Les achantis ont fait de l'araignée un dieu primordial : l'homme a été créé par une grande araignée. Chez les peuples d'Afrique occidentale, Anansé, l'araignée, a préparé la matière des premiers hommes, créé le soleil, la lune et les étoiles. Ensuite Nyamé a insufflé la vie en l'homme et l'araignée continue de faire le relais entre la divinité et l'homme. Elle apporte les céréales et la houe. Chez les bamoun du Cameroun la mygale a reçu du ciel le privilège de déchiffrer l'avenir. Dans l'ancien empire des Incas, le devin découvre un pot dans lequel est conservée l'araignée divinatrice. Si aucune de ses pattes n'est pliée, l'augure est mauvais. Pour les aztèques, elle est le symbole du dieu des enfers. Au sud Vietnam, elle est une forme de l'âme échappée du corps pendant le sommeil : la tuer c'est risquer de provoquer la mort du corps endormi.
L'araignée tissant sa toile est l'image des forces qui tissent nos destinées.
Cinq siècles avant notre ère, des druidesses à la recherche d’un refuge s’engagent dans la forêt de Voge, où elles traversent une rivière dont elles remontent le cours puisque le refuge souhaité doit comporter une source de grandes eaux vives. La rivière qui se forme là reçoit le nom de Sagone (Saône).
La présence des druidesses, aux mystérieuses pratiques, fait alors naître maintes légendes gauloises dont la plus belle reste celle du poisson Kupléa.
D’après les croyances populaires, ce poisson à grosse tête, à l’œil cyclopéen et pourvu de trois arêtes dorsales et trois ventrales, remonte des eaux de la Méditerranée vers la source sacrée de la Sagone pour y prélever un caillou qui possède la capacité de guérir les malades atteints du paludisme qui sévit alors dans le delta du Rhône. Pour rapporter cette pierre, précieuse par son pouvoir de guérison, le poisson Kupléa l’incruste dans sa tête et tous les malades qui touchent cette pierre sont guéris aussitôt.
Cette légende repose sur une croyance bien établie, puisque certaines monnaies gauloises frappées à l’atelier de Solina (actuel Soulosse, dans les Vosges) portent sur le revers le profil de ce poisson.
D’après Robert Pomel, extrait d’un texte écrit sur un panneau aux sources de la Saône
Chouette chevêche
L'instinct
L'instinct est un mode de comportement inné, commun à tous les individus d'une même espèce. Avoir des comportements instinctuels est indispensable pour une question de survie. Dès la naissance, les oiseaux savent donc ce qu'ils doivent faire dans des situations précises. Un jeune oiseau doit savoir voler dès qu'il quitte le nid pour échapper à ses prédateurs. Construire un nid est aussi une activité instinctive. Lorsqu'il se reproduit pour la première fois, un oiseau sait déjà comment construire son nid. Il sait choisir les matériaux dont il a besoin et sait les assembler ensemble.
Pour éloigner les prédateurs, certains oiseaux nichant au sol ont recours à une tactique qui s'appelle la parade de distraction. Lorsqu'un homme ou un animal s'approche trop près en direction de leur nid, l'adulte attire l'attention sur lui, en passant ostensiblement devant le prédateur et en simulant une blessure de l'aile. Ce faisant, il essaye d'entraîner l'intrus loin de son nid et lorsqu'il se trouve à bonne distance, l'oiseau s'envole brusquement pour se mettre lui-même en sécurité.
Tous ces comportements obéissent à des instructions préprogrammées qui se déclenchent au moment opportun. Le déclencheur peut être un stimulus visuel, comme la vue d'un prédateur, qui déclenche chez l'oiseau un signal d'alarme et une fuite, même si c'est la première fois dans sa vie qu'il rencontre un rapace. Le comportement des oiseaux est très dépendant du cycle saisonnier, en particulier des modifications de luminosité. Le printemps, avec ses jours qui s'allongent, est le signal pour les oiseaux qu'il est temps de penser à se reproduire. En automne par contre, le raccourcissement des journées est l'indicateur qu'attendent martinets et hirondelles pour commencer leur migration hivernale vers le sud.
Buse variable
Les oiseaux ne sont pas dépendants uniquement de leur instinct. Le comportement d'un oiseau peut souvent être modifié par l'apprentissage, ce qui lui permet d'être plus efficace pour faire face aux diverses situations de la vie. Un oisillon sait instinctivement comment battre des ailes pour voler, mais il doit apprendre pour manœuvrer habilement et pour atterrir en douceur. La nidification est instinctive, mais les oiseaux plus expérimentés construisent de meilleurs nids et en moins de temps. L'apprentissage est donc la capacité de modifier un comportement à la lumière de l'expérience.
Ces modifications comportementales peuvent se produire à la suite d'un tâtonnement. Dans les poulaillers, les poussins picorent instinctivement les petits cailloux au sol, puis l'expérience aidant, ils se mettent à picorer seulement des graines comestibles plutôt que des minéraux. L'instinct et l'apprentissage sont donc complémentaires. L'instinct est vital quand on manque d'expérience, puis l'apprentissage affine le comportement des oiseaux et le rend plus efficace.
Les oiseaux sont capables d'apprendre par imitation du comportement des congénères. Ils peuvent acquérir de nouvelles habitudes, notamment comment trouver un nouveau type de nourriture. En regardant faire les autres, les mésanges ont appris à percer des trous dans le couvercle des bouteilles de lait, et l'habitude s'est propagée rapidement par imitation. C'est également le cas des moineaux domestiques qui ont appris à se servir sur les mangeoires suspendues.
Les oiseaux peuvent aussi apprendre par déduction. Par exemple, un épouvantail deviendra inefficace dès l'instant que les oiseaux comprennent qu'il est sans danger pour eux.
Les oiseaux peuvent aussi s'adapter aux modifications de leur environnement et ils savent en tirer profil avantageusement. Ainsi, nombre d'espèces comme les moineaux ou les hirondelles ont changé de milieu de vie avec le développement de la civilisation. Il y a quelques millénaires, l'hirondelle de cheminée nichait en pleine nature dans un arbre creux ou une falaise. Depuis l'antiquité le développement des villes et des villages lui a offert de nouveaux sites de nidification et a favorisé son expansion. Quant au moineau domestique, parti de ses territoires originels asiatiques, il a suivi le développement de la civilisation humaine pour remonter de plus en plus au Nord en direction de l'Europe, au fur et à mesure de l'expansion de l'agriculture céréalière.