L’autre
exemple est tiré d’animaux plus petits.
20Le
long d’un clair ruisseau buvait une Colombe,
Quand sur l’eau se penchant une Fourmis y tombe ;
Et dans cet Océan l’on eût vu
S
La Colombe aussitôt usa de charité ;
25Un
brin d’herbe dans l’eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où
Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain Croquant qui marchait les pieds nus
Ce Croquant par hasard avait une arbalète ;
30Dès
qu’il voit l’Oiseau de Vénus,
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu’à le tuer mon Villageois s’apprête,
Le Vilain retourne la tête.
35La
Colombe l’entend, part, et tire de long.
Le soupé du Croquant avec elle s’envole :
Point de Pigeon pour une obole.
Jean
de
Un
homme chérissait éperdument sa Chatte ;
Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate,
Qui miaulait d’un ton fort doux :
Il était plus fou que les fous.
5Cet
homme donc, par prières, par larmes,
Par sortilèges et par charmes,
Fait tant qu’il obtient du Destin
Que sa Chatte en un beau matin
Devient femme, et le matin même
10Maître
Sot en fait sa moitié.
Le voilà fou d’amour extrême,
De fou qu’il était d’amitié.
Jamais
Ne charma tant son Favori
15Que
fait cette Épouse nouvelle
Son hypocondre de Mari.
Il l’amadoue, elle le flatte ;
Il n’y trouve plus rien de Chatte,
Et poussant l’erreur jusqu’au bout,
20La
croit femme en tout et partout,
Lorsque quelques Souris qui rongeaient de la natte
Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés.
Aussitôt
Elle manqua son aventure.
25Souris
de revenir, Femme d’être en posture.
Pour cette fois elle accourut à point ;
Car ayant changé de figure,
Les Souris ne la craignaient point.
Ce lui fut toujours une amorce,
30Tant
le naturel a de force.
Il se moque de tout, certain âge accompli.
Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli.
En vain de son train ordinaire
On le veut désaccoutumer.
35Quelque
chose qu’on puisse faire,
On ne saurait le réformer.
Coups de fourche ni d’étrivières
Ne lui font changer de manières ;
Et, fussiez-vous embâtonnés,
40Jamais
vous n’en serez les Maîtres.
Qu’on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.
Jean
de
Comme un fleuve qui coule (extrait 6)
Isabelita me raconte la
légende suivante :
Un vieil Arabe analphabète
priait avec tant de ferveur, toutes les nuits, que le riche chef d’une grande
caravane décida de l’appeler.
« Pourquoi pries-tu avec
une telle foi ? Comment sais-tu que Dieu existe, alors que tu ne sais même pas lire ?
-Si, seigneur, je sais lire.
Je lis tout ce qu’écrit le Grand père Céleste.
-Comment cela ? »
L’humble serviteur
s’expliqua :
« Quand vous recevez une
lettre d’un absent, comment reconnaissez-vous celui qui l’a écrite ?
-Par l’écriture
-Quand vous recevez un bijou,
comment savez-vous qui l’a fabriqué,
-Par la marque de l’orfèvre.
-Quand vous avez entendu des
pas d’animaux autour de la tente, comment savez-vous si c’était un mouton, un
cheval ou un bœuf ?
-Par les traces »,
répondit le chef, surpris par ce questionnaire.
Le vieux croyant l’invita à
sortir de la tente et lui montra le ciel.
« Seigneur, ces choses
écrites là-haut, ce désert ici-bas, cela n’a pas pu être dessiné ou écrit par
des mains humaines. »
Paulo Coelho
Comme un fleuve qui coule (extrait 5)
Un de mes amis revient du Maroc avec une
belle histoire.
Un missionnaire, arrivant à Marrakech, décida
qu’il irait tous les matins se promener dans le désert qui se trouvait aux
limites de la ville. Lors de sa première promenade, il remarqua un homme couché
dans le sable, d’une main caressant le sol, l’oreille collée à la terre.
« C’est un fou »,
se dit-il.
Mais la scène se répéta tous
les jours et, au bout d’un mois, intrigué par ce comportement étrange, il décida
de s’adresser à l’étranger. Il s’agenouilla à coté de lui et, avec une grande
difficulté-il ne parlait pas encore l’arabe couramment-, lui demanda :
« Que faites-vous ?
-Je tiens compagnie au
désert, et je le console de sa solitude et de ses larmes.
-Je ne savais pas que le
désert pouvait pleurer.
-Il pleure tous les jours,
car il rêve de se rendre utile à l’homme et de se transformer en un immense
jardin, ou l’on pouvait cultiver des céréales et des fleurs, et lever des
moutons.
-Alors, dites au désert qu’il accomplit bien
sa mission, déclara le missionnaire. Chaque fois que je marche par ici, je
comprends la vraie dimension de l’être humain, car son espace ouvert me permet
de voir comme nous sommes petits devant Dieu.
« Quand je regarde ses sables, j’imagine
les millions de personnes qui sont nées égales, même si le monde n’est pas
toujours juste avec tous. Ses montagnes m’aident à méditer. Quand je vois le
soleil se lever à l’horizon, mon âme s’emplit de joie, et je m’approche du
créateur. »
Le missionnaire quitta l’homme et retourna à
ses occupations quotidiennes. Quelles
ne fut pas sa surprise, le lendemain matin, quand il le trouva au même endroit,
et dans la même position.
« Avez-vous rapporté au
désert tout ce que je vous avais dit ? » demanda-t-il.
L’homme acquiesça de la tête.
« Et cependant il
continue à pleurer ?
-J’entends chacun de ses sanglots. Maintenant
il pleure parce qu’il a pensé durant des milliers d’années qu’il était
totalement inutile, et qu’il a perdu tout ce temps à blasphémer contre Dieu et
son destin.
-Alors dites-lui que l’être humain, même si
sa vie est beaucoup plus courte, passe aussi beaucoup de temps à penser qu’il
est inutile. Il découvre rarement la raison de son destin, et il croit que Dieu
a été injuste envers lui. Quand arrive enfin le moment ou un événement lui
montre pourquoi il est né, il pense qu’il est trop tard pour changer de vie, et
il continue à souffrir. Et comme le désert, il se reproche le temps perdu.
-Je ne sais pas si le désert entendra, dit
l’homme. Il est habitué à la douleur, et il ne peut pas voir les choses
autrement.
-Alors nous allons faire ce que je fais
toujours quand je sens que les gens ont perdu l’espoir. Nous allons
prier. »
Tous deux se mirent à genoux et
prièrent ; l’un se tourna vers
Le lendemain, quand le missionnaire reprit sa
promenade matinale, l’homme n’était plus là. A l’endroit où il avait coutume
d’embrasser le sable, le sol semblait humide, car une petite source était
apparue. Dans les mois qui suivirent, cette source grandit, et les habitants de
la ville construisirent un puits autour.
Les bédouins appellent l’endroit le
« Puits des larmes du désert ». Celui qui boira de son eau,
disent-ils, saura faire de la cause de sa souffrance un motif e joie et finira
par trouver son vrai destin.
Paulo Coelho
Comme un fleuve qui coule (extrait 4)
« Tout le monde sait que la vie des
nuages est très mouvementée, mais aussi très courte », écrit Bruno
Ferrero.
Et voici encore une
histoire :
Un jeune nuage naquit au milieu d’une grande tempête
en mer Miditérranée. Mais il n’eut pas le temps d’y grandir ; un vent
puissant poussa tous les nuages vers l’Afrique.
A peine avaient-ils gagné le continent que le
climat changea : un soleil généreux brillait dans le ciel, et au dessous
s’étendait le sable doré du désert du Sahara. Le vent continua de les pousser
vers les forets du sud, vu que dans le désert il ne pleut pas, ou presque.
Cependant, ce qui arrive aux jeunes humains
arrive aussi aux jeunes nuages : il décida de s’éloigner de ses parents et
de ses amis plus âgés, pour connaître le monde.
« Que fait-tu ? Protesta le vent.
Le désert est le même partout ! Rejoins la formation, et allons jusqu’au
centre de l’Afrique, ou il y a des montagnes et des arbres
extraordinaires ! »
Mais le jeune nuage, d’une
nature rebelle, n’obéit pas ; peu à peu, il perdit de l’altitude, et il
réussit à planer sur une brise douce, généreuse, prés des sables dorés. Après
une longue promenade, il s’aperçut qu’une dune lui souriait.
Il vit qu’elle aussi était
jeune, formée récemment par le vent qui venait de passer. Il tomba amoureux sur
le champ de sa chevelure dorée.
« Bonjour, dit-il.
Comment est la vie en bas ?
-J’ai la compagnie des autres dunes, du
soleil, du vent, et des caravanes qui de temps en temps passent par ici. Il
fait parfois très chaud, mais c’est supportable. Et comment est la vie
là-haut ?
-Il y a aussi le vent et le soleil, mais
l’avantage, c’est que je peux me promener dans le ciel et connaitre beaucoup de
choses.
-Pour moi la vie est courte, dit la dune.
Quand le vent reviendra des forets, je disparaîtrai.
-Et cela t’attriste ?
-cela me donne l’impression de ne servir à
rien.
-Je ressens la même chose. Dés que passera un
vent nouveau, j’irai vers le sud et je me transformerai en pluie ; mais
c’est mon destin. »
La dune hésita un peu, puis déclara :
« Sais-tu qu’ici, dans
le désert, nous appelons la pluie Paradis ?
-Je ne savais pas que je pouvais devenir si
important, dit fièrement le nuage.
-J’ai entendu des légendes racontées par les
vieilles dunes. Elles disent qu’après la pluie nous sommes couvertes d’herbes
et de fleurs. Mais je ne saurai jamais ce que c’et, parce que dans le désert il
pleut très rarement. »
A son tour le nuage hésita.
Mais bien vite un large sourire lui revint.
« Si tu veux, je peux te couvrir de
pluie. Je viens d’arriver, mais je suis amoureux de toi, et j’aimerais rester
ici pour toujours.
-Quand je t’ai vu pour la première fois dans
le ciel, moi aussi je suis tombée amoureuse,, dit la dune. Mais si tu te
transformes en pluie ta belle chevelure blanche, tu vas en mourir.
-L’amour ne meurt pas jamais, répliqua le
nuage.
Il se transforme ; et je
veux te montrer le Paradis. »
Et il commença à caresser la
dune de petites gouttes ; ainsi ils demeurèrent ensemble très longtemps,
jusqu’au moment ou apparut un arc-en-ciel.
Le lendemain, la petite dune
était couverte de fleurs.
D’autres nuages qui se dirigeaient vers
l’Afrique, croyant que se trouvait là une partie de la foret qu’ils
cherchaient, déversèrent leur pluie. Vingt ans plus tard, la dune était devenue
une oasis, et les voyageurs se rafraîchissaient à l’ombre de ses arbres.
Tout cela parce qu’un jour un nuage amoureux
n’avait pas craint de donner sa vie par amour.
Paulo Coelho