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Lasserre family's trip

Tiboubou around the world

GRP 160 Publié le Mercredi 26 Août 2015 à 00:13:11

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GRP 160- 21 22 23 aout 2015

1. C'est parti:

La nuit dans mon petit fourgon, installée au fond du champ faisant office de parking à quelques 500m du centre de Vielle Aure, fut courte.

Me voici convergeant, comme plusieurs autres, vers la place du village. Il est 4h30, ce vendredi matin.

La nuit est belle, les étoiles par centaines, le croissant de lune apaisant, mais j’ai la tête pleine de doutes. Mon abandon de l’an dernier m’a laissé des traces. Je ne sais plus si je suis capable de tenir sur une telle épreuve. Physiquement, en dehors d’une blessure, je pense que oui. Et pour ce qui est de la météo, je me suis parfaitement (même trop) équipée cette année. Mais mentalement, rien n’est moins sur. Je n’ai plus la hargne d’il y a quelques années, je n’ai plus envie de me faire si mal, comme ça, pour « rien ». J’ai même pensé tout laisser tomber il y a quelques mois. Mais sur les conseils de mon entourage et de Maite, ma collègue de longues reco (et de quelques courses, hirukasko en équipe  ), je me dis que je ne veux pas avoir dépensé tout ce temps, cette énergie et ce matériel pour arrêter avant « la » course, l’objectif, le GRP 160.

Alors voilà, j’y suis. Il est 4h40, et dans cette belle nuit, chaque traileur se fait « badger » la puce électronique au départ pour valider sa présence.

Je retrouve Maite sur la place de Vielle Aure. Elle me dit s’être endormie vers 22h, alors que j’ai de mon côté tourné dans mon sac de couchage toute la nuit ! Elle semble en forme même si le doute est là comme chez chacun d’entre nous à cet instant.

Je regarde les ruelles de Vielle Aure, l’arche d’arrivée. Serai-je là dans 45h, trottinant accompagnée des miens pour passer cette fichue ligne d’arrivée ?

Un journaliste de « Tarbes infos » interviewe Maite sur d’où elle vient et quel objectif elle se fixe. Puis c’est à mon tour, et lorsque je lui annonce que je vis à Arcangues, il me demande si je chante comme Luis Mariano… 

Voilà déjà le moment du départ. A quelques mètres devant moi, Arnaud E.(l’ostéopathe qui a soigné mon problème de sciatalgie il y a quelques mois) me reconnaît et me souhaite bonne chance. Il a fini admirablement bien sur le 120 l’année dernière.

Cold Play aux oreilles comme l’an passé, nous nous élançons enfin, trottinant à peine au début car serrés les uns contre les autres, puis courant à un rythme raisonnable. Les 2 premiers kilomètres sont presque plats, je perd rapidement Maite de vue. J‘ai décidé de partir moins vite qu’en 2014 pour ne pas me griller et payer les mêmes erreurs.

2. Vielle Aure-La Mongie:

Vignec passe rapidement, et nous commençons à nous élever en une file lumineuse sur une grosse piste régulière. Beaucoup de femmes cette année je trouve parmi les fous. Mes bâtons m’aident bien, j’ai décidé de les garder 24h/24, en montée comme en descente, car j’ai appris à les utiliser et à bien les apprécier. Leur absence me manque ! Moi qui était « anti bâtons » jusqu’à début 2014, j’ai bien retourné ma veste !

La petite route du Plat D’adet est atteinte, et nous retrouvons quelques supporters matinaux de part et d’autres du chemin.

Nous voici alors remontant les premières pistes de ski raides de la station. Comme au même endroit l’an passé, les sommets pyrénéens se dessinent au loin, fières silhouettes au sein du brasier rose orange et rouge feu d’un lever du jour parfait.

Les souffles se font plus courts, les bâtons martèlent les pierres des bords du sentier. Le franchissement de notre 1er col (Portet) se fait sentir ! Ouf, un peu de redescente, et le 1er ravitaillement de Merlans, avec ses gentils bénévoles nous tend les bras. Je me sens bien, même si je progresse moins vite que l’année dernière. La chemin est très long, l’objectif est de ne rien lâcher.

Je repars rapidement, bien décidée cette année à profiter à fond de la beauté des lacs. C’est magnifique, l’une des plus grandiose portion de cette belle course selon moi. Les lacs, tous différents, bleus, verts ou turquoises, nous apaisent et nous rafraichissent, contrastant avec la dureté des blocs de pierre aiguisés et agressifs du sentier. Je me dis à nouveau que je reviendrai, avec mes enfants ou mes amis, passer une nuit dans ce petit refuge, lové au creux des rochers surplombant le sentier.

Col de Bastanet, raide et rude comme dans mes souvenirs. Nous venons à peine de partir, et déjà les quadriceps ressentent la difficulté du terrain. On tient bon, on avance.

Redescente vers le barrage et le refuge suivant, je me sens toujours bien mieux dans les descentes, même si je reste cette année sur ma réserve et trottine simplement, sans chercher à dépasser à tout prix. Quelques gamelles sans gravité devant moi. Dans le peloton, ça parle anglais, espagnol ; créole (la Réunion lé la !!!),.. Zut, on nous fait déjà remonter un 1er petit col (il y en aura 2 pour rejoindre la Mongie), je marche tranquille, je souhaite juste passer dans les temps, et surtout aller jusqu’au bout.

Je me retrouve en compagnie de 2 agréables compagnons de quelques heures : une raideuse qui a déjà terminé le Tor des Géants en 140h et quelques (« c’est à faire, vraiment ! » me dit-elle) et a participé à d’autres courses folles et mythiques avec son mari (Vallée de la Mort aux States avec des températures à 50°C puis -10°C ..) Et un entraineur de rugby, qui (encore une fois, ce n’est pas le premier) me dit qu’il me suit depuis plusieurs heures et qu’il est bluffé car je progresse d’une manière extremement régulière, « comme un métronome ». Il était inscrit pour demain sur le 80km, mais a finalement modifié son inscription à la dernière minute. Il court depuis ce matin avec nous mais sait déjà qu’il s’arrête à Pierrefitte ce soir car doit encadrer une compétition de rugby demain ! « Ca fait déjà une belle course » nous dit il. Oui, c’est vrai !

En discutant, on progresse sans trop s’en apercevoir, mais je laisse mes 2 compères partir devant car le dénivelé se fait déjà bien sentir. Voici La Mongie. Le soleil cogne, nous ne sommes que le matin, ça promet pour la suite. Les bénévoles du poste sermonent à chacun de ne pas oublier de recharger son sac en eau.

Je bois une soupe, je ne parviens pas à manger autre chose… Zut, ça ne laisse rien présager de bon ! Je n’ai presque pas touché à mes réserves de nourriture dans mon sac..

3. La Mongie-Pic du Midi:

Ma collègue de course me propose de repartir du poste en même temps qu’elle. Je lui avais en effet raconté avoir énormément souffert de la solitude l’année dernière sur le GRP. C’est adorable, merci beaucoup, mais je vais rester là encore quelques minutes…

C’est reparti. Sentier d’abord tranquille pour quitter la station, puis un peu plus escarpé, et surtout en plein soleil. Nous rejoignons alors la piste de 2014 qui s’élève vers le Col de Sencours depuis Artigues. Un enfant et un adulte sont au bord du sentier, le garçon allongé paisiblement dans l’herbe, à l’ombre, le bras sur la tête. Comme je l’envie ! Qu’est ce que je ne donnerai pas pour m’allonger à sa place là, sans besoin de me relever et de repartir vers la souffrance et les épreuves ! Mais on a signé, c’est pour en ch… ! Alors, on avance.

La grosse montée de feu commence. Il fait très chaud. J’ai, à nouveau (c’est fréquent depuis quelques années) du mal à manger. Je bois cependant une gorgée d’eau toutes les 5-10 minutes. Mes cuisses recommencent à m’envoyer quelques éclairs au cerveau, que j’ignore. Je ralentis, je me fais dépasser. Certains ont l’air plus mal que moi… Tout le monde monte pourtant tant bien que mal.

Parmi les messages d’encouragement et de soutien, celui de ma sœur Caro qui m’annonce qu’elle est en place à Sencours, et que Fred, mon beau frère, descend à ma rencontre. Zut, je suis encore loin, ils vont m’attendre un moment !

Aaaaaaiiie !!!!! Crampe paralysante quadriceps gauche. Ce coup là, je ne peux plus l’ignorer. J’essaie de m’étirer comme je peux sur le bord du sentier. Je bois encore, je me force à manger un bout de barre de céréales qui m’écoeure immédiatement. Je repars, et au bout de 5 minutes c’est l’autre cuisse qui devient comme du béton et me stoppe instantanément. Pfffff, c’est pas gagné cette ascencion du col de Sencours!!!!! A ce rythme là, Caro et Fred auront le temps de monter 3 fois au sommet du Pic du Midi et de redescendre que je ne serai pas encore à mi pente.

Mais petit à petit, crampe après crampe, pause après pause, j’aperçois mon beau frère quelques centaines de mètres plus haut, qui discute avec un VTTiste qui descend dans les éboulis.

Le col n’est plus loin. Je rejoins Fred et on continue un petit bout ensemble.

Fred, (avec qui j’avais l’habitude, depuis mon adolescence, de faire des sorties rando-courses en montagne, de nous amuser à doubler les randonneurs en courant, de nous baigner dans les lacs encore cernés de névés), semble désemparé de me voir progresser à ce rythme dérisoire. Je m’arrête tous les 100m, j’ai des crampes, j’ai mal, j’ai chaud, je n’ai plus de ju.

-« Tu ne m’avais encore jamais vu sur un ultra. Et bien, souvent, mon rythme, c’est celui-là ! Ca change de nos sorties en montagne de quelques heures !!! »

 

Caro nous fait des signes et me crie des encouragements depuis le col et le poste de ravitaillement. Elle essaie de me filmer, mais devant ma lenteur, elle est contrainte d’eteindre son appareil !

J’atteind ENFIN le col de Sencours, et je me tord un instant de douleur, les 2 cuisses prisent simultanément de crampes intolérables. Mes muscles semble déformés, tout boursouflés. Une adorable infirmière bénévole me fait asseoir et tente de me masser. Un coureur témoin de la scène m’offre un comprimé de sportenine, m’assurant que « ça fonctionne ». L’infirmière me conseille enfin de baisser mes compressions de mollet qui pourraient « déplacer » les crampes vers le haut des jambes ( ??).

Ne perdons pas trop de temps, le sommet du Pic du Midi n’est pas si proche qu’il en a l’air, beaucoup de coureurs redescendent et passent à côté.

Le panorama est magnifique, la chaine des Pyrénées grandiose.

Caro m’emboite le pas, on discute un peu en montant, ou plutôt elle me fait la conversation car mon mental est à ce moment précis bien bas. Malgré le temps radieux, j’ai un gros nuage noir au dessus de la tête. Courage, ça va passer. Heureusement que ma famille est là, et que mon téléphone me transmet régulièrement les pensées chaleureuses de mes proches.

 

J’aperçois soudain, dans un virage, Maite qui redescend du sommet. Je ne l’avais plus vue depuis le départ.

-« Comment ça va ????!!!! »

-« J’ai trouvé très dur la montée au col de Sencours » me dit-elle

Je la trouve pourtant l’air en forme, j’essaie de la rassurer en lui disant que les forces vont revenir, que je ne suis vraiment pas au top non plus ! Et je lui dis de prendre garde aux 3 cols sadiques de la portion entre Sencours et Hautacam. Courage et bonne fin de course Maite !!!

Je croise également mes 2 collègues de marche de tout à l’heure, qui me lancent quelques mots d’encouragement. Beaucoup de touristes, promeneurs sur les derniers lacets qui montent au Pic du Midi cette année. Des lamas en contre bas (non non, ce ne sont pas des hallu ! Caro et Fred aussi les ont vu !), les télécabines qui passent au dessus de nos tête dans leur manège incessant.

Sommet et pointage!!!! Ouf c’est beau ! Mais je préfère déjà redescendre, les jambes reviennent. Je trottine un peu, et j’essaie d’encourager chaque trailer que je croise et qui souffre dans la montée.

4. pic du Midi-Pierrefitte:

Nouveau passage à Sencours, les crampes ont disparu mais je garde un fond de douleur musculaire continu, tolérable. Soupe et je repars vers la très longue portion vers Hautacam.

Caro et Fred me laissent pour redescendre vers leur fourgon garé plus bas vers un grand lac. Encouragements, mots de soutien. Merci, merci vraiment d’avoir été là. Malgré mon silence relatif, votre présence a rechargé mes batteries.

Je me greffe à un petit groupe de marcheurs et nous partons vers le premier col d’une longue série qui nous ménera à Hautacam (et au souvenir de mon calvaire de l’an dernier).

Je décide que je ne m’arrêterai pas, durant les 20km et les 850m de D+ qui nous séparent du prochain poste. Ma technique (inaplicable en 2014 en raison du froid paralysant) empruntée aux Réunionnais : « Tipa tipa » ou « ne crains pas d’être lent crains simplement d’être à l’arrêt ». Je progresse donc comme un endormi, un pied tout juste posé devant l’autre, à un rythme auquel mon cœur garde une fréquence acceptable. Et ça marche. Je m’élève vers les 3 cols successifs, peu à peu, sans lâcher.

Je fais de nouvelles rencontres. Un homme qui a déjà participé à la Diagonale des fous, et dont la fille pharmacienne habite à l’Eperon ( !). Un autre coureur, qui progresse avec l’un de ses bâtons rafistolé à la bande élastique, qui ne tient plus rien du tout. Je lui conseille de contacter le SAV de Black Diamond, car j’ai aussi cassé un bâton de la marque après moins d’un an d’utilisation, et on m’a renvoyé rapidement une nouvelle paire neuve ! Il est embêté, se demande comment récupérer un 2eme baton à Pierrefitte, prochain poste et 1ère base vie.

-« Mais…j’en ai un ! J’ai mis un bâton de secours dans chacun de mes sacs de base vie, en cas de casse ! Je te le laisse, et tu me le rendras à Vielle Aure dimanche ».

On poursuit presque toute la descente ensemble. Lui aussi a terminé le Grand Raid de la Réunion en 2013, en 53h et quelques ! On a déjà du se croiser un paquet de fois alors, car j’avais fini en un temps similaire.. !

Hautacam, enfin, à la tombée du jour. Le panorama est fantastique. Les couleurs à couper le souffle (c’est d’ailleurs le cas !). Chacun ressort sa frontale et se prépare à affronter cette 2ème nuit.

Je suis étonnée, au poste, de voir que le PC médical est installé au milieu des tables et des gens qui se ravitaillent ou se reposent. Je reconnais des coureurs croisés à plusieurs reprises et avec qui j’ai échangé quelques mots, blottis sous une couverture et branchés à un scope, l’équipe médicale ayant leur dossard en main. Bizarrement, j’avoue presque les envier. Je rêverai d’être allongée au chaud sous cette couverture, et de redescendre en voiture !!!! !!!!

Je repars, accompagnée de mon accolite, père de la pharmacienne réunionnaise, pour ne pas être seule dans la nuit qui s’épaissit. Finalement on forme rapidement un groupe d’une dizaine de personnes, scintillants de nos bandes réfléchissantes dans les faisceaux des frontales.

La piste est longue, on court presque tout le chemin, mais c’est interminable. L’heure tourne. Les barrières horaires se rapprochent. Pourquoi est ce que cette année, on nous rajoute du dénivellé et des kilomètres pour passer par la Mongie, et que , en contreparti, on a retiré une demi heure de barrière horaire à Hautacam et à Pierrefitte ??

Nous atteignons enfin la route, mais le tracé nous fait remonter raide dans la forêt. Arg, on s’en serait bien passé !!! Elle est où cette base vie ? On arrive enfin oubien ?

Pierrefitte. Première base vie. Pointage entrée. Pas beaucoup de temps, il va falloir faire des choix avant de repartir rapidement. Je regarde autour de moi, pas de Maite en vue. Elle a du repartir depuis un moment. Elle est rapide Maite, j’espère que tout va bien pour elle.

Je récupère mon sac d’assistance, je laisse mon bâton Black Diamond à Christian (on s’aperçoit alors que ce n’est pas la bonne taille !), il me donne son numéro de gsm pour dimanche.

Je me lave les pieds et les jambes comme je peux dans un petit lavabo (pas de douche), je me met des habits propres et secs, et je fonce voir les kinés pour mes quadriceps. Un peu d’attente, oup’s ça tombe mal, on est limite au niveau timing. Je me rassure en me disant que je dormirai quelques minutes pendant mon massage. Les podo, médecins et kiné ont du boulot. Un gars a une entorse monstrueuse dont il ignorait l’existence, depuis Hautacam !!! Cheville écarlate triplée de volume. Incroyable.

Pas moyen de m’assoupir, le massage, ça fait trop mal ! Et un pauvre coureur contraint à l’abandon est pris de spasmes gastriques et essaie de vomir à quelques mètres de moi depuis son lit picot… « Euuuh, je vais vite finir mon massage hein ! » me dit mon gentil jeune kiné.

Un autre traileur debout à côté semble alors s’inquiéter.

-« En fait, je viens un peu pour la même chose que celui qui se spasme ! Est-ce que quelqu’un peut s’occuper de moi, je ne fais que vomir ! »

Ouf, me voici sur pied, sortie de cette salle des horreurs (courage les gars), les quadriceps plus frais. J’aperçois un de mes compagnons précédents qui s'apprete à repartir. Je lui demande si je peux me joindre à eux pour la nuit.

-« Bien sur, on t’attend ! »

Mais comme je lui dis que je n’ai encore rien eu le temps d’avaler, que je vais essayer de manger quelques pates, son collègue s’inquiète

-« Désolés, on doit partir immédiatement, la barrière horaire est trop proche pour Pouy Droumide ! Bon courage à toi»

Je vais prendre un petit bol de pâtes (qui ne passe pas, je dois avaler une dizaine de coquillettes) et j‘aperçois une raideuse assise sur un banc, entourée de quelques amis, souriante mais l’air fatiguée. Je l’ai entendu discuter avec un autre coureur quelques heures plus tôt, elle s’appelle Wendy.

-« Tu repars Wendy ? »

-« Non, mes amis arrêtent, l’un est blessé (l‘entorse magique?), l’autre hors délai. Je m’arrête ici.

-« Dommage, je t’aurai proposé que l’on reparte ensemble. Bravo pour ce que tu as déjà fait ! »

Je vais remettre mes affaires puantes dans mon sac d’assistance que je ramène aux bénévoles. Et je m’aprete à repartir. Il ne reste plus grand monde dans cette base vie, plus grand monde qui semble vouloir repartir en tout cas..

Bip, Pierrefite sortie, 0h40. Wendy me rejoins soudain :

-« Je repars avec toi ! »

Chouette, allons y. La nuit nous attend. La piste est longue.

 

5.Pierrefitte-Cauterets:

Nous marchons lentement, nos repères embrouillés par la nuit et la fatigue. 4 ou 5 concurrents redescendent, la mort dans l’âme.

-« Qu’est ce qui se passe ? »

-« Trop de crampes »

-« Plus de ju »

-« Mal au genou »

-« … »

C’est le cap de la course le plus difficile à passer, le niveau de doutes au maximum. Il ne faut rien lâcher là, il faut avancer. Passer cette zone rouge, franchir ce col et basculer de l’autre côté, sur l’autre versant de la course. Mettre son cerveau au repos, avancer coute que coute sans réfléchir. On réfléchira demain, là, il faut passer.

Nous depassons plusieurs coureurs endormis sur le côté du chemin. L’un d’eux a la tête dans le trou d’un tronc d’arbre creux !!

Inconsciemment ou pas, Wendy et moi nous arrêtons régulièrement sur le bord du sentier, comme pour jouer encore un peu plus à froler la barrière horaire. Juste souffler, s’étirer, se découvrir (la nuit n’est pas encore si fraiche que ça et je me suis bien couverte). Plusieurs personnes m’ont assuré qu’être hors délai n’est pas un abandon. On nous arrête c’est tout. Donc pas un échec au sens de mon abandon de l’an dernier. Et à ce niveau, même sans me l’avouer, je pense que j’aspire à être arrêtée. Les sentiments et les ressentis s’embrouillent. On ne sait plus trop quelle heure il est, si on est dans les temps ou pas, si on a encore des chances de passer ou non.. Ni si on souhaite être dans les barrières…

Je n’ai rien mangé depuis des heures. Je bois simplement de l’eau pure. Wendy me donne une gélule de sel et magnesium pour ne pas que je me rende malade à ne boire que de l’eau.

-« Je ne sais pas si ça change quelque chose, mais ça ne coute rien d’essayer »

Merci Wendy, ta présence me fait du bien. Mon moral revient. J’aime la nuit, surtout une nuit étoilée et intense comme celle que nous vivons.

La fatigue m’écrase un peu, et je me souviens que j’ai mon Ipod dans la poche, avec la play list que j’ai préparée et que mon mari Ludo m’a enregistrée (plus rajouté quelques morceaux « surprises »).

Musique douce et rythmée dans le cœur, ciel bleu marine scintillant, lueurs des frontales avec silhouettes humaines irréelles sur les crêtes. Quelle belle épreuve, quelle aventure forte, quelle bonheur d’êre là, au sein d’une telle harmonie. Je pense au personnes que j’aime, à celles qui sont parties, à celles qui sont malades, qui cotoient la souffrance et la mort. Pour elles, je ne dois rien lâcher.

La nuit, la progression se fait de manière naturelle, sans réfléchir, comme sous hypnose. Pouy Droumide apparaît enfin, chapiteaux blancs lumineux dans un creux de montagne.

Pointage.

-« Sommes nous dans les temps ? »

-« Oui, bien sur ! »

Il est 4h30, barrière 4h45 ! Ouf.

Une soupe, et je demande si je peux m’allonger sur un lit de camp 10 minutes.

3 minutes à peine après, sans avoir pu m’endormir, on nous pousse dehors.

-« Il faut repartir, le serre file arrive ! »

Les blessés restent là, ils seront rappatriés dans les quelques véhicules présents un peu plus bas.

Un traileur les voutes plantaires pleines d’ampoules n’a pas de place dans un 4X4 et se voit donc contraint de repartir jusqu’à Cauterets avec notre wagon d’une dizaine des derniers survivants du GRP160.

La montée du Col de Contente est la plus difficile du tracé. Longue et ultra raide, asphyxiante et destructrice pour les jambes. Régulièrement, je repense au parcours déjà accompli : « nous sommes toujours en course ! » , on avance, on y est, on progresse, on est encore dans l’épreuve, on n’a pas lâché.

-« On ne sera jamais dans les temps pour Cauterets » assure un de ceux de notre petit groupe.

J’attend le lever du jour pour envoyer un message à Ludo, lui demandant s’ils viennent quand même passer le week end à Vielle Aure avec les enfants si je suis contrainte d’arrêter à Cauterets.

Col de Contente atteint. 2 jeunes hommes qui semblent avoir passé la nuit là (gros sacs de couchage, vestes épaisses) nous rassurent sur le fait que nous serons à Cauterets dans 2 heures !!! La descente se fait bien, je suis à présent en compagnie de 2 réunionnais de Trois Bassin. L’un d’eux marche avec un petit poste qui émet du reggae motivant.

Etonnant, il n’a jamais participé au Grand Raid de la Réunion mais fait sa première expérience dans les Pyrénées !

 

6.Cauterets-Tournaboup:

Enfin, Cauterets, nous avons une heure d’avance sur la barrière. La motivation revient. Maintenant qu’on est là, on continue jusqu’à Luz, d’autant plus que ma mère, mon mari et mes enfants y seront peut etre. 4 ou 5 personnes de notre petit groupe de la nuit s’arrêtent là. J’essaie de les motiver à progresser avec nous, tipa tipa, mais le cœur ne semble plus y être. L'homme aux ampoules qui était sensé abandonner à Pouy Droumide, par contre, poursuit la course le coeur léger!!!

Wendy semble aussi vouloir s’arrêter. Je la motive, lui dis qu’on avancera à notre rythme, tranquille, qu’on a déjà gagné une heure sur la barrière horaire qui ne va faire que s’élargir normalement.

On y va. Beaucoup de monde à Cauterets en cette fin aout. Nous sommes dans la toute fin des survivants, mais peu importe. Je suis fière d’en être encore, la moitié de ceux qui avaient pris le départ a déjà baissé les bras.

J’ai besoin de dormir, Wendy me dit qu’il y a un coin approprié à l’orée de la forêt un peu plus haut. Je ne tiens pas jusque là. Je les laisse continuer et je m’allonge sur le dos comme je peux dans les gravillons au bord du sentier. 7 minutes passent et je suis bousculée par le bruit de 2 randonneurs qui descendent.

-« Ca va ? »

-« Oui oui mais j’essayais de dormir 5 minutes, nous sommes partis depuis hier matin 5h et n’avons pas dormi ! »

Je repars, et je rejoins Wendy plus haut qui s’est arrêtée avant le début de l’ascencion du col de Riou que l’on aperçoit plus haut. La montée se fait bien, régulière et en lacets doux. Quelques gouttes commencent à tomber, les sifflements de marmottes se font plus lointains.

J’arrive au col au milieu de rafales de vent glacial et d’une pluie qui se fait plus violente. J’enfile rapidement ma veste goretex et j’attend Wendy qui n’est plus loin.

Redescente vers Aulian (belle gamelle du coureur devant moi, qui me fait signe du pouce que tout va bien). Poste ravito, je recommence à manger un peu !!!!! Chouette !

Qu’est ce qu’il fait froid, je sors ma polaire et mes gants, j’hesite à mettre mon bonnet.

Ne trainons pas, Luz nous attend, le panneau GR10 indique 4h30, nous risquons d’être short. Finalement, après 30-45minutes de marche, la température remonte en flèche et nous avons à nouveau trop chaud. Il faut s’arrêter se découvrir.

Traversée de 2 petits villages, fontaines raffraichissantes. Puis longue route qui nous cassent les jambes pour redescendre vers Luz.

« Hé !! C’est ma fille ! Et là ma mère ! Et mon fils et mon mari ! »

Dernière avenue dans Luz et c’est la 2ème base vie. Nous sommes dans les derniers, 5 coureurs encore en course sur le 160 derrière nous.

Massage par le kiné, velouté d’asperges, lavage des jambes et vêtements propres. Nous repartons. Wendy a l’air motivée. On va le finir ! Fières d’être les dernières survivantes, mais d’en être encore ! J’apprend que Maite a arrêté à Pierrefitte…

Je dois finir ! On y va.

Remontée rude vers Viella puis d’autres villages plus hauts. On fait un petit bout avec une curiste de Barèges qui pose pleins de questions à Wendy. Les serres files nous rattrapent, débalisant le sentier derrière nous.

-« On est dans les temps ? » je leur demande

-« Ah oui, largement les filles ! Vous serez à Tournaboup à 19h au plus tard ! Tranquilles ! »

Le rythme accélère, Wendy, qui peinait dans les côtes, marche à présent d’un bon pas. Nous dépassons quelques concurrents.

Tournaboup approche, en même temps que le ciel s’assombrit et que les premiers éclairs et grondements de tonnerre apparaissent. La pluie fait son entrée, redoublant peu à peu d’intensité. Il fait froid. Nous qui avions si chaud il y a quelques heures à peine.

En descendant vers Tournaboup, nous savons que nous sommes sur la dernière étape et que à partir d’ici, nous n'abandonnerons plus. Nous allons finir. Dans quelques heures, cette dernière nuit, nous allons boucler la boucle. Nous allons venir à bout de ce GRP160.

Je pense alors à mon matériel pour la nuit. Au poste de Tournaboup, je m’équiperai avec mon surpantalon imperméable, polaire, gants, bonnet, et ma frontale. Wendy propose que nous dormions 20 minutes pour ne pas nous retrouver somnolentes dans l’orage et la pluie glacée lors de l'ascension vers la Hourquette Nere.

Chapiteau de Tournaboup en vue. Nous marchons d’un très bon pas, le cœur gonflé, la motivation au top. Une traileuse devant nous semble monter le ton en parlant d’un air virulent avec une voiture qui ralentit à son niveau. Elle nous attend ensuite, l’air grave.

-« La course est neutralisée. C’est fini. »

-« ???? !!!!!!! ????? »

C’est sur ? Définitivement ? Suspendue ? Qui ? Quoi ? C’es fini ? Mais comment ? Où ? Pourquoi ? Mais non !!!!!!

Nous fonçons jusqu’au poste où, à l’expression de chacun, nous comprenons que c’est fini. Les téléphones commencent à bipper de partout. On nous a noté comme « abandon » sur le suivi live de la course !

Ceux qui sont monté jusqu’à la cabane d’Aygues Cluze doivent redescendre, les autres basculent vers Merlans et Vielle Aure. Il parait que l’orage est terrible, que des grelons gros comme des balles de ping pong ont déjà blessé des coureurs sur Merlans et Vielle Aure. L’organisation a décidé de nous rapatrier.

7.Tournaboup-Vielle Aure.... en navette:

2h30 de route dans un bus empestant le sportif à 300m. Je pense que je ronfle une bonne partie de la route. Les coureurs du GRP80 (qui n’ont fait « que » 51km) tchatchent et rigolent tout du long.

Ma famille m’attend à Vielle Aure, devant la salle des fêtes où l’on nous sert un plat chaud et du ravitaillement.

On nous pointe une dernière fois, et nous remet un T-shirt finisher..Ca réconforte, car nous sommes hésitants entre le fait de nous dire que nous l’avons fait ou pas. Je n’ai rien lâché, mais je ne suis pas revenue à Vielle Aure par la force de mes 2 petites jambes. Je n’ai pas affronté la terrible hourquette Nere de nuit et dans la tempête comme je l’aurai du. Mais si on nous avait retiré une étape au cœur de la course, il aurait été évident pour tout le monde que la boucle était bouclée ?

Je croise dans la salle des fêtes un patient de Bassu qui a tenu son épreuve sur le 80km malgré des problèmes de sciatalgie. Bravo!

Retour à la maison de loc, bain bien chaud et nuit dans un lit, je sombre dans un profond coma. Le réveil est douloureux, mes jambes ne sont plus que des zones de douleur, mais mes enfants et mon mari dorment près de moi, en paix.

 

 

8.Et après...

Je pense que le Grand Raid des Pyrénées a tout d’une grande, d’une très grande course d’ultra trail. Elle n’a vraiment rien à envier à ses sœurs beaucoup plus connues que sont l’UTMB ou la Diagonale des Fous.

Pour la première fois, j’ai du jouer avec les barrières horaires, apprendre à accepter de ne pas pouvoir prendre quelques minutes pour dormir, à douter sur le fait que le délai soit suffisant pour atteindre l’objectif suivant.

Le GRP160 est une aventure splendide, intense, extrême dans ses dénivellés et dans ses températures. Des paysages et des sommets grandioses, époustouflants.

Une difficulté extrême également, épreuve peut être plus « cassante » que la Réunion, plus sauvage que l’UTMB. Une expérience de vie, des rencontres toutes exceptionnelles. Une aventure humaine qui vous prend aux tripes. Une nouvelle marque indélébile au fond de moi, une nouvelle moi, survivante malgré tout de cette expérience exceptionnelle.

Encore une fois, merci à tous, famille, amis, proches, d’avoir à nouveau répondu présents pour votre soutien indispensable. J’ai cru à de nombreuses reprises baisser les bras, mais vous étiez là, présence invisible avec moi tout au long du trajet et des épreuves.

Merci aux bénévoles toujours souriants et réconfortant.

Merci à ceux qui ont accepté de progresser avec moi quelques heures sous le soleil ou les étoiles.

Merci à ma vie d’être ce qu’elle est, et au bonheur de l’accomplissement et du dépassement de soi d’exister.

 

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Brigitte Lasserre (152) sur la course : GRP160 - L'Ultra

CheckpointPassage
Départ Vielle-Aure 21/08 04:33:28
CP1 - Restaurant Merlans 21/08 07:41:42
CP2 - La Mongie 21/08 11:28:53
CP3 - Pic du Midi 21/08 15:19:34
CP3 Bis - Sencours 21/08 15:53:03
CP4 - Hautacam 21/08 21:12:06
CP5 - Pierrefitte Entrée 21/08 23:31:26
CP5 - Pierrefitte Sortie 22/08 00:44:53
CP6 - Pouy Droumide 22/08 04:29:20
CP7 - Cauterets 22/08 08:59:23
CP8 - Aulian 22/08 13:04:50
CP9 - Luz Saint Sauveur Entrée 22/08 15:11:45
CP9 - Luz Saint Sauveur Sortie 22/08 15:58:55
CP10 - Tournaboup Entrée 22/08 19:04:34
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