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Youth Ahead!

Ambition et Action.

Vers l’émergence du dragon africain Publié le Mardi 18 Novembre 2008 à 01:19:25

La Chine est devenue un partenaire économique d’une importance mondiale. Il est désormais difficile de la contourner et de faire sans. Au point où en Afrique l’on parle désormais de « Chinafrique ».

La Chine est en ce début de siècle la puissance économique qui force le respect et tend à s’ériger en modèle pour un bon nombre de pays en voie de développement. Forte de près d’1,2 milliard d’habitants, elle étonne en même temps qu’elle surprend le monde de l’économie par son dynamisme constant au point de susciter crainte et suspicion de la part des Occidentaux qui s’empressent depuis une décennie déjà de l’embrasser après l’avoir si longtemps méprisé.

Le dragon chinois tient sa revanche sur le monde. Grâce à son influence économique majeure, il parvient aujourd’hui à dicter sa loi à ces grandes moralisatrices qui ne cessent de se renier. Elles qui n’hésitent plus à troquer les exigences de démocratie et de liberté contre des contrats juteux. La politique des milliards ou la realpolitik a triomphé même là où il y a encore quelques mois, lors de grandes messes électorales, on avait signé son acte de décès. C’est vrai qu’avec une économie au ralenti, une recherche ironiquement vidée de cerveaux, des structures en désuétudes et des délocalisations en masse, certaines nations n’ont guère le choix que de mettre en berne leurs valeurs démocratiques en avalant douloureusement la couleuvre chinoise. Le passage de la flamme olympique dans les capitales occidentales a été un exemple de cette influence de la Chine. Le monde entier se souvient de ces hommes bleus, gardiens d’une flamme olympique souillée par le sang tibétain, qui imposaient la conduite à suivre aux organisateurs nationaux. Tout le folklore triste et insupportable qui a suivi le parcours de cette flamme demeurera dans l’esprit des millions de personnes comme l’un des plus grands fiascos de la démocratie de ce début de siècle. Certes les manifestations ont eu lieu, des milliers de personnes rassemblées[1] pour décrier ce que leurs gouvernements ne pouvaient que murmurer et encore. Timides dénonciations, déclarations en trompe-l’œil, silence complice assumé et décomplexé, les gouvernements occidentaux, pourtant si friands de leçons sur les libertés et les droits de l’homme, ont accueilli la flamme olympique les bras ouverts avec le sourire en prime. Le Dalaï-Lama peut toujours faire le globe-trotter, les Tibétains souffrir de massacres et être les victimes d’un véritable génocide culturel, le plus important c’est de préserver l’essentiel : les centaines de milliards de billets de banque offert par le marché chinois et les bénéfices qui vont avec.

D’énormes enjeux économiques qui justifient l’envoi d’émissaires de haute volée pour demander « pardon » au régime chinois pour les inconvénients liés aux manifestations pro-tibétaines. Le ridicule ne tuant pas, on le pousse jusqu’au bout. Et tous les arguments sont bons à prendre pour légitimer ce ridicule. « Si d’autres le font pourquoi pas nous ? », « alors on n’a pas à rougir de cela », entendons-nous souvent. Le problème c’est que les autres ne se prétendent pas « patrie des droits de l’homme », le problème c’est que les autres, qu’on diabolise trop souvent en indexant d’une manière condescendante les agissements indignes d’une grande nation démocratique et dont la flamme de la liberté devrait éclairer le monde, ont tout perdu dans la course au profit, y compris leur âme. Le problème c’est que lorsqu’on veut porter haut les « Lumières » on ne les éteint pas à l’approche des intérêts économiques et stratégiques. Le problème c’est qu’on copie un peu trop le pire faisant semblant d’ignorer qu’on peut aussi passer des contrats en affirmant ses principes de liberté et de démocratie. L’Allemagne n’est-elle pas la parfaite illustration que le plus important c’est de savoir être à la hauteur de son rang ?

La Chine est devenue un partenaire économique d’une importance mondiale. Il est désormais difficile de la contourner et de faire sans. Au point où en Afrique on parle désormais de « Chinafrique ». Les échanges entre le continent africain et la Chine ne sont pas nouveaux. Déjà, il y a quarante années, les régimes du continent avaient passé de nombreux partenariats avec la République populaire de Chine. Avec la chute du rideau de fer, ces échanges se sont accélérés d’une manière spectaculaire allant jusqu’à rivaliser et mettre à mal les Occidentaux installés en Afrique. Au début, cette implantation de la Chine suscita beaucoup d’ironie et de scepticisme, forts de leurs entrées dans les palais présidentiels africains, les Occidentaux ne s’imaginaient pas une telle fulgurance. Le pré carré et autres reliques du passé colonial étaient des acquis qui ne pouvaient garantir que la pérennité d’un système à bout de souffle et qui a montré toutes ses limites. A l’heure actuelle, c’est pratiquement une razzia à laquelle on assiste dans les villes africaines qui se modernisent peu à peu sous la houlette des Chinois. D’Abidjan à Yaoundé en passant par Bamako, les villes africaines se transforment et se renouvellent au travers de chantiers entre les mains d’ouvriers chinois.

C’est vrai, la difficulté rencontrée dans ce partenariat « gagnant-gagnant » est sans doute le communautarisme. Les Chinois vivent entre eux, presque coupés du monde, ils importent tout leur matériel y compris leur main-d’œuvre ne participant pas alors à la lutte contre le chômage des nationaux. Mais est-ce leur rôle ? Les gouvernements locaux ont la responsabilité de penser les moyens de lutter efficacement contre le chômage des jeunes sans forcément compter sur les Chinois. D’ailleurs si l’on compare les pertes des gouvernements africains qui recevaient et prenaient en charge les coopérants occidentaux, extrêmement coûteux et pas souvent compétents, on peut conclure que les Chinois présentent cet avantage du travail fait aussi bien que les Occidentaux sans solliciter les fonds des Etats. On entend des fois la critique dire que les produits chinois ont submergé les marchés africains. C’est aussi vrai pour ce qui est des produits importés occidentaux entassés dans les rayons de supermarchés de Douala, Libreville ou Dakar, à la différence près que les prix des Chinois sont imbattables. Conséquence directe : un nombre important de ménages africains peut joindre les deux bouts avec un pouvoir d’achat presque dérisoire. Si le tissu économique interne des pays africains tend à être encore plus fragilisé par cette compétitivité virulente, c’est parce que longtemps les politiques économiques (privatisations en masse afin de satisfaire les programmes d’ajustement structurels de la Banque mondiale) ont été inadaptées, dictées pour la plupart par les institutions de Bretton Woods et par les aléas indicibles de l’aide, voire de la coopération. Les économies nationales sont donc victimes de leur impréparation face au phénomène chinois. Et comme partout ailleurs cette situation provoque et attise les attitudes xénophobes, un peu comme les Africains dans les pays occidentaux qui viennent « voler » la place des nationaux. Une situation qui fait le bonheur électoraliste de la droite et de son extrême.

Depuis que les marchés publics au Cameroun sont gagnés par les Chinois, on assiste à une profonde transformation du paysage urbain. Les constructions et les bâtisses poussent comme des champignons et la modernisation des structures connaît une certaine accélération. Avant la réalisation de ces marchés publics était bâclée, les entrepreneurs occidentaux faisaient un travail largement insuffisant, loin des normes internationales. Aujourd’hui, en faisant un tour du côté de Cotonou, de Gahni à Fidjrossé, on peut admirer le travail nettement meilleur des entrepreneurs chinois. En outre, des centaines de jeunes Africains vont de plus en plus en Chine se former et grâce aux accords bilatéraux[2] ils reviennent dans leurs pays d’origine monter avec l’aide de la coopération chinoise des entreprises qui embauchent les nationaux. Un processus qui contribue à détourner lentement, mais durablement la jeunesse africaine de l’Occident. D’ailleurs, à part les pays nordiques (Suède, Norvège) et anglo-saxons (Etats-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Canada), l’Occident pour les jeunes étudiants africains ne fait plus rêver car certaines destinations européennes, naguère favorites, sont désormais désuètes[3], sans valeur académique, ni professionnelle, mais engluées dans une arrogance débridée qui vient flatter un nationalisme à peine avoué.

Lorsque d’un côté on ne cesse de décrier les malheurs de l’Afrique, à appeler à la prise de conscience de la jeunesse africaine, comme si les milliers de jeunes morts à Conakry, à Douala, à Pointe-noire ou au Caire protestant contre les abus des régimes dictatoriaux et les injustices sociales, ne comptent que pour du beurre, les mêmes vertueux signent des contrats dans les antichambres où le sort des millions de vies humaines est scellé. Vente d’armes, interventions armées, amitiés fraternelles et autres sordidités d’usage pour encenser les pires crapules politiques africaines, c’est là la triste réalité d’une politique occidentale qui perdure bien au-delà des hommes. Ce qui est intéressant avec la Chine dans tout ce concert d’hypocrisie, c’est qu’elle est consciente de ses propres faiblesses, une république manifestement démocraticide où le pouvoir central contrôle tout. Et donc elle n’a pas la prétention de dicter une conduite politique ou morale aux Africains, son attitude ambiguë au Darfour en est une illustration. On la critique sur ce dossier et c’est une bonne chose. Mais une question mérite d’être posée : si les Etats-Unis, l’Angleterre ou la France avaient détenu des droits d’exploitation pétrolière importants de la Chine au Soudan, auraient-ils trouvé ce régime infréquentable ? Les exemples du passé sont des réponses fortes. Panama, Irak, Ouganda, etc.

Il y a quelques années, Mugabe était fréquentable quand il faisait le bonheur des multinationales occidentales. Kadhafi n’a-t-il pas été réhabilité grâce à son pétrole qui attise toutes les convoitises ? Idriss Deby, Omar Bongo, Paul Biya, Sassou Nguesso, Faure Nyassimbé, pour ne citer que ceux-là, ne sont-ils pas des nababs qui arrosent les entreprises occidentales et les hommes politiques ? Qui ignore encore que l’argent de ces tyrans va souvent financer les campagnes électorales des leaders occidentaux ? Il y a une sagesse africaine qui conviendrait mieux pour expliquer cette attitude : « la bouche qui mange ne parle pas ». Lorsqu’on pille les ressources d’un pays, qu’on vampirise littéralement sa matière grise, on évite de froisser en même temps le républicain monarque africain qui veille scrupuleusement à ce que le pillage se fasse dans les normes. Les droits de l’homme et la démocratie sont des notions à géométrie variable, la Chine l’a comprise et s’en sert pleinement.

Mettant de côté cet aspect peu glorieux de la Chine, les gouvernements africains devraient songer à adapter les recettes de l’économie chinoise aux réalités locales. Ce modèle économique asiatique pourrait servir d’exemple à un continent qui a de nombreux atouts et lui inspirer de nouvelles politiques de développement. Il faudrait à cet effet redéfinir les « secteurs à cibler en priorité » et la « stratégie de réforme à poursuivre ». Il est vrai que la Chine n’a pas commencé sa transition économique avec un « programme de stabilisation macroéconomique »[4]. En Afrique, le point de départ devrait être la garantie de la stabilité politique afin de s’assurer d’une relative stabilité économique. Les guerres, les conflits armés sont autant de facteurs qui mettent à mal le continent.

Après cette stabilisation politique, l’accent sera mis sur le secteur qui offre les plus fortes chances de réussite. Pour les pays comme la Côte-d’Ivoire ou le Cameroun, le secteur agricole représente un « secteur-clé en termes d’emploi ». Celui-ci peut éventuellement servir de « tremplin » pour la mise en œuvre de réformes à venir ou ultérieures. Une revalorisation qui passe par une modernisation du secteur, mais aussi une réorientation des politiques agricoles. De tels efforts augmenteraient « la productivité à travers la réallocation des ressources », la « croissance de la production et l’augmentation du revenu des paysans ». Tout ceci devrait favoriser la création et le renforcement d’une « épargne rurale » importante et des « fonds pour l’investissement des communes[5] et des villages ». Ces derniers devraient donc être la dynamique majeure en dehors de l’Etat (une main-d’œuvre nombreuse[6] préalablement formée, qualifiée, flexible, mais surtout bon marché, est un atout fondamental). Dans le domaine industriel, comme les Chinois dans les années 1980, la priorité sera mise sur « une plus grande autonomie des entreprises ». L’éclosion des entreprises implantées dans les zones rurales devraient être encouragée en s’appuyant sur la « libéralisation des marchés et de la concurrence » avec la soumission des entreprises à « la sanction de la contrainte financière », également favoriser une émulation des collectivités locales.

Cette transition économique des pays africains devraient accélérer leur intégration dans l’économie mondiale à travers l’ouverture plus importante au commerce extérieur et de l’investissement direct étranger en leur « faveur ». Le renforcement de l’intégration sous-régionale (liens économiques et culturels particulièrement) deviendrait une nécessité pour les Etats africains. A cet effet, la Chine est un exemple intéressant[7] mais aussi celui de ses dynamiques voisins, les fameux « dragons » d’Asie (Singapour, Malaisie). Une ouverture qui favorisera l’acquisition de technologies et l’appropriation d’idées novatrices.

Ainsi on le voit, l’Afrique gagnerait à se tourner vers le modèle chinois, du moins à tirer avantage de cette proximité « diplomatique et économique » qu’elle a su construire avec ce grand pays. Un choix qui se ferait dans un cadre de développement plus sain. L’accueil de la jeunesse africaine et sa formation par la puissance chinoise est une manière de pérenniser cette relation et de la renouveler sans cesse avec les générations. Une façon plus respectueuse et intelligente de contribuer à l’émergence du dragon africain.



[1] Mais tout ceci au prix de restrictions imposées par les représentations chinoises et un zèle un peu trop prononcé des forces de l’ordre.

[2] Le Japon et l’Allemagne ont aussi la même politique.

[3] Depuis deux ans, le nombre d’étudiants camerounais qui ont été séduits par le modèle académique suédois est en forte augmentation. Gratuit et le plus performant d’Europe, le modèle académique suédois offre l’avantage de s’ouvrir aux étudiants étrangers en facilitant leur intégration dans la société.

[4] James Kathuri in « L’Afrique peut s’inspirer du modèle chinois ».

[5] A l’instar du Fonds économique d’investissement inter-communautaire (FEICOM) au Cameroun.

[6] Contrairement aux institutions de Bretton Woods, il faudrait encourager les politiques démographiques natalistes. La démographie n’est pas l’une des raisons de la pauvreté, c’est le manque de structures capables de répondre aux besoins des populations qui posent problème. Il faut être en Afrique pour faire le constat que les familles nombreuses sont celles-là qui sont les moins handicapées. Au Cameroun, l’ethnie Bamiléké a réussi par une politique nataliste importante à devenir la principale du pays, et fort de cette représentativité à entrer dans tous les secteurs de l’économie jusqu’à devenir quasiment incontournable. D’ailleurs, on les surnomme avec respect les « Chinois d’Afrique ».

[7] Contrairement à certaines nations occidentales, la puissance de la Chine n’est pas issue du pillage colonial.

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Le suicide : le dernier tabou africain Publié le Mardi 18 Novembre 2008 à 01:12:41

« Une personne met fin à ses jours toutes les 40 secondes et l’on enregistre une tentative de suicide toutes les trois secondes. Aucun pays n’est épargné ». L’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait ce constat froid et inquiétant des ravages silencieux du suicide.

Il y a quelques jours, Myriam a été retrouvée morte dans sa chambre. A côté de son corps inerte, se trouvait un flacon de comprimés entièrement vidé. C’était une adolescente qui allait encore au collège à Yaoundé. Personne n’a rien vu venir. En guise d’adieu, elle a laissé une lettre à ses parents dans laquelle elle tentait d’expliquer son geste. D’expliquer l’inexplicable.

Du Royaume-Uni aux Etats-Unis d’Amérique en passant par l’Algérie[1], le suicide est une urgence qui est loin d’être exclusivement occidentale. Touchant la quasi-totalité des zones géographiques, des couches sociales, des jeunes aux adultes[2], le suicide interpelle aussi les sociétés africaines et exige qu’on lui consacre de véritables moyens de lutte.

Le suicide est le cheminement qui va de l’intention d’en finir avec l’existence au passage à l’acte. Il est un processus personnel qui n’est pas aisé de détecter et pour de nombreuses familles l’étonnement vient souvent se mêler au désarroi après une tentative de suicide. Il est difficile de trouver l’élément déclencheur ou le « facteur déterminant » – celui qui a finalement poussé à franchir le point de non-retour. Ainsi, le suicide pousse à la remise en question et au questionnement du fonctionnement même des sociétés, des modèles de développement avec les modes de vie, les conditions de travail, l’individualisme qui se construisent et se structurent. C’est un appel à remettre l’individu au cœur des préoccupations et au centre des intérêts. Des millions de personnes chaque année se donnent la mort pour des raisons aussi multiples que diverses et l’augmentation des comportements suicidaires laissent prévoir que cette statistique macabre n’est qu’un avant-goût du désastre qui guette le monde (on estime que, dans moins de dix ans, le monde comptera plus d’1,5 million de suicidés). Malgré l’activisme de l’OMS – qui a par ailleurs instauré une Journée mondiale de prévention du suicide le 10 septembre – et de nombreuses ONG locales ou internationales, les politiques d’anticipation et de prévention comme élaborées en France ou en Suède, force est de constater que faute de lutter efficacement contre les raisons, les origines du malaise, on tente comme on peut de colmater les brèches. Plus meurtrier que tous les conflits armés qui sévissent à l’heure actuelle dans le monde, le suicide est une silencieuse violence qui fait moins de bruit qu’une kalachnikov, mais autant de victimes qu’un 11-Septembre.

En Afrique, la question du suicide est très vite éclipsée par la brutalité et la profusion des conflits fratricides, sans doute parce que le suicide tue loin des caméras et du sensationnel, à l’abri des regards qui n’osent voir et des voix qui préfèrent se taire, par pudeur ou par honte. C’est donc un sujet tabou dans son essence et dans sa manifestation. De nombreuses coutumes considèrent que le suicide est une malédiction ou un acte de sorcellerie[3]. Ainsi il est plus facile de parler d’« accident » pour dire « suicide ». Le mot étant banni, voire proscrit dans de nombreuses familles africaines, il est plus compliqué d’estampiller un suicide comme tel, d’où sans doute l’extrême difficulté à obtenir des statistiques officielles et régulières. En dehors de rares exemples médiatisés, retrouvés dans la rubrique « fait-divers » des journaux africains, le suicide est passé sous silence, et n’intéresse guère les responsables politiques qui semblent avoir d’autres priorités, comme leur enrichissement personnel par le détournement des deniers publics et les luttes de pouvoir.

A l’heure où l’Occident, confronté à une série de suicides collectifs chez les adolescents, à des initiatives plus individuelles chez des personnes broyées par la pression du travail, s’active et met en place des structures capables d’anticiper, de prévenir et de répondre à ces détresses humaines, l’Afrique, quant à elle, se réfugie derrière une lourde opacité indicible et un refus clair de communiquer sur un problème majeur. Pourtant, le suicide affecte les familles africaines, en particulier des adolescents qui quelquefois semblent perdus dans la quête de leur identité[4]. Si après les indépendances, la plupart « des anthropologues convenaient que le suicide était presque absent en Afrique », de même que dans les « sociétés islamiques traditionnelles », l’on peut penser qu’il soit lié au progrès économique et social des années 70 et 80[5]. Ainsi, il serait la résultante de l’émergence des « facteurs économiques » (le chômage[6], la pauvreté[7]) et « sociodémographiques » (chez les jeunes : la carence parentale, les abus de drogues et d’alcool, maladies graves, la solitude). Le milieu culturel reste un facteur déterminant, au travers de bouleversements et de pressions psychologiques[8], dans l’adoption de comportements suicidaires. En effet, l’infertilité ou la fornication (la perte de virginité avant le mariage chez les jeunes filles) dans des sociétés africaines à la fois imprégnées de valeurs traditionnelles et religieuses, n’est pas simple à assumer. Afin d’éviter la honte (le déshonneur familiale par exemple), la mort – le suicide – est souvent une alternative. D’un autre côté, il est à souligner que depuis qu’elle court après le modernisme néolibéral, l’Afrique a sacrifié sur l’autel de l’individualisme, son esprit de solidarité et de fraternité. Alors, l’affaiblissement du « soutien social » naguère l’une des caractéristiques du continent, ne permet plus la protection contre « l’éventualité du suicide ». Les hommes sont désormais des îlots, et les jeunes Africains en détresse se retrouvent trop souvent seuls et face à eux-mêmes. Le suicide demeure un acte considéré comme une souillure, quelque chose d’impropre et de malsain.

En Afrique, chaque décès par suicide a des conséquences dévastatrices du point de vue affectif, social et économique pour d’innombrables familles. Il s’agit d’un problème de santé publique majeur. Certaines ONG locales ont récemment constaté un accroissement alarmant[9] des comportements suicidaires chez les jeunes Africains. Cette recrudescence a pour origine la virulence de la « pauvreté et de la précarité, la perte d’un être cher, les disputes, une rupture amoureuse ou des ennuis personnels ». Quelquefois, pour les jeunes actifs, « les difficultés professionnelles, la discrimination, incluant l’exclusion, le rejet par autrui et le sentiment d’injustice sociale ». Dans certains cas, l’on trouve « l’isolement social, l’échec académique ou scolaire, les sévices sexuels (surtout en milieu carcéral) ». Les moyens les plus couramment utilisés pour « en finir » avec la vie sont variés, des pesticides aux armes blanches (couteaux, lames, ciseaux, etc.), en passant par la pendaison et les médicaments comme les analgésiques, toxiques en doses excessives.

Le malaise tend à prendre de l’ampleur. Se manifestant souvent très tôt dans la vie et dans la plupart de cas à l’adolescence[10], le comportement suicidaire, chez le jeune Africain comme partout ailleurs, est un cheminement long qui va de l’intention de se détruire à la tentative. Surtout, il est primordial de voir dans la « crise suicidaire »[11] un besoin presque viscéral « d’exprimer un mal-être », d’attirer subtilement l’attention sur son malaise, et de faire « disparaître la cause de la tristesse ou la douleur (souffrance) »[12]. Dans une Afrique où la jeunesse cherche à s’émanciper du poids des traditions en allant s’enfermer dans l’occidentalisation à outrance des comportements, sans repères, elle est aussi victime[13] d’une overdose de l’internationalisation et la sublimation du « spleen »[14]. Il est important qu’elle comprenne qu’être moderne et vivre la contemporanéité ne signifie nullement qu’elle devrait vendre au marché inéquitable et cannibale de la mondialisation, son âme. « Back to basics » sans pour autant s’engluer dans un africanisme débridé, risible et contre-productif qui consiste à troquer la chemise contre le cache-sexe, comme pourrait le souhaiter certains « has been » qui font de la résistance. Mais ce « Back to basics » devrait permettre une réappropriation de la solidarité africaine, de ces valeurs qui portent le « culte de la vie », c’est sans doute là une voie qui mérite d’être explorée.

Le suicide ne devrait plus être le dernier grand tabou africain. Lever l’omerta sur ce fléau qui constitue un frein, un autre, au développement de l’Afrique. Libérer la parole est le premier moyen de lutte contre le suicide, une réévaluation franche de son impact de la part des responsables politiques est nécessaire d’autant plus qu’elle permettrait de réfléchir sur la mise en place de programmes de prévention et d’anticipation[15].

Une telle reconnaissance favoriserait la formation d’« agents de santé » à « l’identification et au traitement » des personnes potentiellement fragiles ou à « risque ». Mais surtout, elle permettrait de créer une cellule du type « SOS suicide » comme dans la plupart des pays occidentaux, ce qui contribuerait à instaurer une relation de confiance entre la personne « à bout » et des agents compétents. Par ailleurs, élever la lutte pour la prévention du suicide au rang de priorité nationale dans les pays africains pousseraient à mettre sur pied des « campagnes de prévention en milieu scolaire », d’attirer « l’attention des éducateurs, le personnel pénitentiaire, les rescapés des tentatives de suicide ou les familles endeuillées par le suicide et la responsabilité des médias »[16] sur cette problématique puisqu’ils arrivent qu’ils y soient directement confrontés. Il faut d’urgence intensifier et coordonner l’action au niveau du continent pour éviter ces morts inutiles. Et le départ prématuré de jeunes dont l’Afrique a le plus grand besoin.



[1] L’Algérie enregistre annuellement une moyenne de 500 tentatives de suicide, selon les statistiques des services de la Protection civile. En 2007, 244 cas et 324 tentatives de suicide ont été dénombrés, alors qu’en 2006, il a été signalé 210 cas et 449 tentatives.

[2] « Depuis les chocs pétroliers, le suicide des jeunes augmente et celui de leurs aînés se maintient ou diminue. C’est sans doute le constat le plus grave » - Christian Baudelot and Roger Establet in Suicide, l’envers de notre monde, Le Seuil, Janvier 2006.

[3] Tout dépend du niveau de religiosité des familles, dans celles qui sont chrétiennes on parle de malédiction et, pour celles qui sont plus animistes, on parle de sorcellerie.

[4] De nombreux cas de suicides ont été signalés en 2007 au Cameroun concernant de jeunes homosexuels.

[5] « Le suicide accompagne les mouvements de la société. Il est en hausse lors des crises économiques, en baisse pendant les guerres. Il a crû avec le développement industriel du XIXe siècle, mais diminué avec l’expansion économique du XXe. » - Christian Baudelot and Roger Establet in Suicide, l’envers de notre monde, Le Seuil, Janvier 2006.

[6] « Le chômage tue : D’après les services de la sûreté nationale, l’esprit suicidaire est constaté plus parmi les personnes défavorisées. 63 % des suicidés sont sans profession, 8 % exercent une activité libérale et 6 % sont des étudiants algériens. » - Samia Kaci (Midi Libre).

[7] « Il est judicieux de lever le voile sur deux nouvelles formes de suicide en Algérie auxquelles recourent les kamikazes et les harragas (ces candidats à l’émigration clandestine mettent leur vie en péril en quête de cieux cléments. En 2007, 1 644 harragas ont été arrêtés par les gardes-côtes. Comparativement aux années précédentes, ce phénomène est en progression. En 2006, 750 jeunes ont été interceptés contre 327 en 2005.) – Samia Kaci (Midi Libre).

[8] Le mariage forcé chez les jeunes filles africaines est également une parfaite illustration de cette pression psychologique.

[9] Comparé à d’autres régions du monde, on considère cet accroissement encore très bas, mais inquiétant dans le long terme.

[10] Comme l’ont fait remarqué certains spécialistes, c’est au cours de l’adolescence que les jeunes, qui subissent de nombreuses transformations physiques et psychologiques, expérimentent le doute et dans le même temps un sentiment de toute puissance.

[11] Certes, si l’on admet dans la crise suicidaire la présence d’un événement déclenchant (traumatisme, viol, rupture, deuil, déception amoureuse), celui-ci vient réveiller un mal-être antérieur plus profond qui s’est déjà exprimé dans un faisceau de manifestations préalables, comme autant de signes d’appel non repérés.

[12] Ainsi chez l’adolescent, la mort est rarement souhaitée.

[13] Au même titre que les causes évoquées précédemment.

[14] La Nausée de vivre, Baudelaire.

[15] Il existe de nombreux moyens de protection et de prévention du suicide. On peut mentionner « l’éducation, l’estime de soi et les liens sociaux, surtout avec la famille et les amis, l’existence d’un appui social, une relation stable et un engagement religieux ou spirituel ».

[16] Comme l’a ajouté le Dr Saraceno, « Il apparaît aussi que les comptes-rendus dans les médias peuvent encourager le suicide par imitation et nous demandons instamment aux médias de faire preuve de la sensibilité voulue dans leur façon de traiter ces décès tragiques et souvent évitables. Les médias peuvent aussi jouer un rôle majeur pour réduire l’exclusion et la discrimination associées aux comportements suicidaires et aux troubles mentaux. »

Afficher le commentaire. Dernier par Communauté ésotérique et paranormal le 17-07-2013 à 11h03 - Permalien - Partager