Plus de 250 millions d’esclaves dans le monde. Enfants exploités, travail au noir, conditions de travail précaires ou à la limite de la légalité, les esclaves modernes sont souvent derrière les bénéfices records des multinationales, derrière la luxure des villas, derrière les coutumes et traditions, prisonniers d’un système qui a su au fil des siècles s’adapter aux époques et aux milieux. Malgré les instruments juridiques internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme[1] ou les règles de l’Organisation international du Travail[2], l’exploitation forcée de l’être humain au mépris de toute dignité est l’une des particularités de la société contemporaine. Même si tout le monde convient à dire, du moins en public, que c’est une pratique répugnante, il n’en demeure pas moins que les chiffres officiels[3] montrent que le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur et qu’il semble échapper à tout contrôle. Au-delà des sentiments humanistes exprimés, quelques fois la main sur le cœur, et rapidement passées au broyeur des intérêts inavouables, c’est l’ensemble des valeurs acquises durant des siècles de lutte et des décennies d’évolution presque « acharnée » qui semble remis en question par la profusion des pratiques esclavagistes et honteuses. Les sweatshop des années 1930 aux Etats-Unis portés par le vent "mondialisationiste" se sont exportés en Inde, en Chine, au Pakistan etc. Et la pauvreté, hydre aux multiples voracités, continue à pousser chaque jour des millions de personnes vers un cruel destin.
Après les travaux forcés[4] et le code de l’indigénat du colonialisme qui ont accouché des routes et autres « effets positifs », il aura fallu attendre jusqu’en 1980 pour voir la Mauritanie[5] adopter une loi qui mit fin « officiellement » à l’esclavage, véritable « tradition » locale. Une décision tardive qui reflète en fait tout le malaise des pays africains face à l’exploitation des êtres humains. Sujet tabou, sujet délicat, la condition servile est dans de nombreuses sociétés africaines, une culture, une tradition, une attitude de droit ou de fait. Ainsi, l’esclavage n’est plus simplement le « commerce de l’homme par l’homme » mais un vestige des mœurs ancestrales qui résistent toujours au temps[6]. Trop souvent la tradition a justifié et légitimé cette pratique, excusant le laxisme voire le laisser-faire des responsables politiques qui sont restés longtemps sans réaction face à cette violation des principes humains (liberté et dignité). Durant des décennies, l’esclavage a continué à sévir dans certaines régions africaines à l’instar du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest. Le Soudan déchiré par un conflit génocidaire est devenu un carrefour du commerce d’êtres humains où les esclaves sont majoritairement des femmes et des enfants. Une activité lucrative qui nourrit d’obscurs réseaux avec la complicité plus ou moins directe des Etats. Prostituées, ces esclaves vont nourrir le marché du sexe qui se délecte de ces produits de consommation d’un type bien particulier. A la tombée de la nuit, les ruelles africaines vomissent de jeunes machines qui, jusqu’au petit matin, donneront du plaisir aux notables, aux touristes, aux diplomates, à tous ceux qui pour quelques pièces voudront assouvir leur envie d’interdit. Cela sous l’œil vigilant du proxénète qui ira verser sa commission au commissaire de police. On les retrouvent aussi dans les domiciles de monsieur-tout-le-monde, employées de maisons au service de familles ayant sur ces esclaves un droit de quasi propriété. Sévices corporels, viols réguliers, le quotidien de ces êtres est un enfer où chaque instant est un supplice. Quittant Lagos ou Cotonou pour les agglomérations urbaines de la sous-region, des milliers d’enfants vont finir dans les plantations en Côte d’Ivoire, au Cameroun ou au Ghana. Arrachés à l’enfance, ils grandissent dans les mines d’or au Burkina Faso, leur production va enrichir les collections des marques de luxe, et brille autour du cou des plus grandes personnalités défilant sur les tapis rouges au crépitement des flashs. Que dire de ces adultes qui pour un salaire de misère risquent leur vie tous les jours dans ces mines de chrome du Zimbabwe, dans des conditions insoutenables. Et ces adolescents qui sans renumérotation aucune, sont forcés de s’éteindre lentement dans l’obscurité des gisements de diamant en République Démocratique du Congo. Ou de ceux-là à El Moqatam[7] en Egypte vivant du ramassage et du triage d’ordures. Quelques fois, ils se retrouvent enroulés de force dans des conflits armés à la solde des chefs de guerre, conflits dont ils ignorent les enjeux réels. Le plus important étant d’en faire de véritables monstres et de sadiques meurtriers[8]. C’est ainsi qu’en première ligne, ils se rendent souvent coupables des pires atrocités, ou tombent finalement sous le feu adversaire. Le travail des enfants est un sujet problématique et complexe. Il n’est considéré comme « intolérable » que lorsqu’il se fait dans « situations dangereuses » ou « impliquant l’exploitation » selon la formulation du Bureau International du Travail[9]. Ainsi des enfants travaillant plus de 10 heures par jour dans des plantations en Tanzanie ou dans des « usines » à tapis en Inde, tous les jours de la semaine, sans salaires et maltraités, sont des enfants exploités qui devraient être protégés. Mais alors que penser d’un enfant qui vend en cette période de vacances scolaires ses bananes dans les rues de Douala pour pouvoir aider ses parents « miséreux » à lui payer l’école en septembre prochain ? Ce travail là serait-il condamnable ? La question demeure au cœur du débat entre abolitionnistes et non abolitionnistes. Pour les premiers, il faudrait abolir « complètement » le travail des enfants[10] au profit d’une plus grande scolarisation, comme cela a été le cas à la fin du XIXème siècle en occident. Pour les seconds, c’est une vision « utopique » qui ne tient pas compte des réalités du terrain, une sorte de dogme occidental décalé du vrai. C’est aussi la position des Ong locales et internationales comme Oxfam. Car il est vrai qu’empêcher un enfant de participer à la « survie » de sa « famille » donc à la sienne, serait absolument « contre-productif ». La meilleure manière de lutter efficacement contre ce travail des enfants, c’est de mettre fin à la pauvreté et de permettre par ricochet aux familles d’avoir le temps, l’argent d’envoyer leurs enfants à l’école. Même si l’on adopte des milliers de conventions pour la protection de l’enfant et que l’essentiel c’est-à-dire la lutte contre la pauvreté n’est pas réellement engagée, l’effet sera nul. Du coup, permettre aux enfants par des activités « supportables » et moins « dangereuses » d’aider leurs parents à leur garantir une scolarisation, est un moyen raisonnable de leur assurer le minimum. L’esclavage ne se définit pas uniquement par l’asservissement presque animal de l’homme, il peut recouvrir une barbarie plus subtile, comme celle de la déshumanisation de l’être dans les entreprises où la politique du chiffre et le diktat du bénéfice autorisent tout, surtout l’indécent. Alors les sévices corporels deviennent psychologiques, la torture des esprits finit par provoquer des tentatives de suicide. Dans les sociétés occidentales, le monde du travail est cannibale. Il connaît des dérives dangereuses. Le stress permanent et la compétitivité à outrance ne sont que les expressions d’une certaine forme d’oppression de l’entreprise. Les employés ne sont que des moyens de production comme d’autres, de sorte de zombies qui mécaniquement sont programmés pour des taches bien précises. Avec la pauvreté des fins de mois et des budgets de plus en plus difficiles à tenir, les employés n’ont d’autre choix que d’adhérer massivement à ce « travailler plus pour gagner plus », cette invitation à plus de servitude pour un résultat discutable. Sous la menace des délocalisations massives, les employés sont obligés d’accepter des conditions esclavagistes, de renoncer au minimum social, leurs droits, pour tenter de sauver leur emploi et éloigner le spectre du chômage. Il y va de la survie de leurs familles et de l’avenir de leurs enfants. En Asie, le commerce de l’être humain passe par les filières de prostitution dont l’un des buts reste de satisfaire les besoins du tourisme, comme c’est le cas en Thaïlande où l’on estime à près de 2 millions d’esclaves prostitués. Mais ce « business » de l’homme sert également à alimenter les ateliers de production et à servir les intérêts économiques. A l’instar de l’Afrique, les enfants et les femmes sont les premières victimes de ce système qui couvre l’ensemble de la région du Sud-Est asiatique. Les ateliers clandestins chinois et vietnamiens sont fournis en esclaves ramenés des îles du Pacifique pour fabriquer à moindre coût des produits destinés au marché occidental (nord américain et européen). Tandis qu’au Mexique, les réseaux mafieux contrôlent le commerce des êtres humains, utilisés dans le commerce de la drogue ou transférés aux Etats-Unis pour faire le bonheur des fermes agricoles. D’après Interpol, tous les continents seraient touchés par cet esclavage moderne, des Amériques à l’Europe, du monde arabe à l’Afrique sans oublier l’Asie, la traite des êtres humains affecterait la totalité des régions du monde. En Inde et au Pakistan, cet esclavage se traduit par une sorte de « servitude pour dettes » qui consiste à rembourser un prêt par un travail astreignant à la limite de la légalité. Quelques fois, il arrive que des personnes soient obligées de rembourser une dette exorbitante contractée auprès de passeurs pour entrer dans un pays illégalement, en travaillant dans des ateliers clandestins, comme c’est le cas en France et au Royaume Uni. De cette servitude pour dettes découle le travail forcé, assez répandu en occident, qui lui représente l’une des formes les plus violentes de l’esclavage moderne. Recrutés illégalement, ces travailleurs sont soumis à la menace de sévices ou de punitions. On y retrouve des « Etats », des « partis politiques », des « particuliers » qui par le recrutement illégal comme il a été dit précédemment, par exemple de « domestiques », encourageraient leur asservissement. Entre confiscations des papiers d’identité et les horaires de travail, normalement jugées inacceptables, sans congés et autres renumérotations, le travail forcé est l’un des cancers qui rongent les sociétés occidentales. Il n’y a pas si longtemps, l’Allemagne nazie bâtissait sa puissance sur le travail forcé de plus de 10 millions de personnes dont la majorité était des étrangers, prisonniers de guerre ou juifs. De même le Japon mit en esclavage près de 20 millions d’êtres humains, et l’Union soviétique élabora le vicieux système des Goulag. De nos jours, c’est la fameuse « reforme par le travail »[11] chinoise qui incarne le mieux cette dérive. Alors comment mener le combat contre l’esclavage moderne ? Avec des millions de victimes chaque jour, sur tous les continents, la réponse est compliquée. D’abord, il faudrait que les Etats africains et arabes se décident, sans attendre la pression des Ong internationales, à mettre fin définitivement à cet esclavage qui se pratique sournoisement. Il serait judicieux que les législations s’arment contre ces formes d’exploitation et que les services sociaux puissent avoir les moyens de réinsérer dans la société les victimes. Aussi, que ce soit en Occident, aux Amériques ou en Asie, le démantèlement des circuits mafieux et la fin de l’impunité puissent être les priorités des Etats[12]. Pour ce qui est du travail des enfants, la consommation dite « citoyenne » alliant le boycott à l’exigence de « produits propres »[13] appuyé par des campagnes de sensibilisation, peut constituer une réponse intéressante. Même comme le boycott peut se révéler à double tranchant en ce sens que par crainte de voir chuter leurs bénéfices les entreprises responsables de ce trafic se débarrassent rapidement des enfants qui se tourneront faute de moyens de subsistances vers l’informel (des métiers plus difficiles donc plus dangereux) et la prostitution. Ainsi le boycott n’est efficace que s’il est associé à l’aide à la scolarisation et à la protection[14]. Le développement du commerce équitable est également un moyen de s’assurer de la « propreté » des produits, la garantie que les travailleurs sont suffisamment rémunérés et que l’on ne se perd par dans les méandres de la sous-traitance. D’une part, l’action d’Interpol dans la lutte contre la pornographie infantile démontre que, en tant qu’organisation internationale de répression de crimes, elle peut contribuer à mettre hors-jeu les pires prédateurs sexuels (Vico etc.). Elle fait le pari qu’en « tapant » sur la « demande » forcement cela fera diminuer l’ « offre ». Une stratégie intelligente qui avec des actions d’éclat porte un coup à ce commerce. En somme, des solutions existent mais tout dépend de la volonté politique. Lorsque les dépenses militaires ou les conquêtes de l’espace engloutissent des centaines de milliards d’euro chaque année et que le dixième de ces dépenses pourrait mettre fin à certaines situations plus urgentes, l’on se dit que l’on vit sûrement sur la même planète mais pas dans le même monde. En attendant donc le « miraculeux réveil » de la communauté internationale, l’esclavage continue à se conjuguer au présent. [1] "Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes" [2] "Supprimer le travail forcé ou obligatoire et à n’y recourir sous aucune forme" [3] Selon Maurice Lengellé-Tardy dans "L’esclavage moderne", il y aurait « aujourd’hui 200 à 250 millions d’esclaves adultes à travers le monde auxquels s’ajouteraient 250 à 300 millions d’enfants de 5 à 14 ans au travail ». [4] « Le travail forcé constituait exactement les mêmes conditions pour les africains que dans les plantations : surexploitation, punitions corporelles, statut d’infériorité, répressions violentes, massacres. » - Source Wikipedia. [5] L’on estimait qu’en 1994, 11 millions d’habitants, soit 45 % de la population, sont esclaves – selon AntiSlavery International. [6] Ce n’est qu’en 1962 que l’Arabie Saoudite interdit l’esclavage. [7] « Ainsi, ce sont près de 350 000 personnes, coptes pour la plupart, qui vivent du ramassage et du tri des ordures. Parmi eux, on compte 180 000 enfants. Le quartier croule sous les ordures. Les "Zabaleen du Caire ” vivent de la collecte et du recyclage des poubelles de la cité. Partout dans les ruelles sombres de la colline, une odeur lourde et âcre prend à la gorge et persiste. Les rues sont noires. Les toits ploient sous les tonnes d’ordures rapportées de la mégapole. Les rez-de-chaussée de chaque immeuble sont transformés en dépotoirs qui débordent de détritus que trient à mains nues les femmes et les enfants. » - Source Unicef. [8] « Actuellement, il y aurait environ 300 000 enfants soldats dans le monde, impliqués dans une trentaine de conflits ; un tiers d’entre eux se trouvent en Afrique subsaharienne et dans les conflits réguliers en République démocratique du Congo, en Colombie (où entre 11 et 14 000 enfants feraient partie des forces paramilitaires) et au Myanmar (où 20 % de l’armée serait composée de mineurs » - Source Human Rights Watch. [9] Selon le Bureau international du travail (BIT), 250 millions d’enfants de 5 à 14 ans travailleraient actuellement dans le monde, dont 50 à 60 millions dans des conditions dangereuses. [10] Sur les 250 millions d’enfants qui travaillent – pour la moitié d’entre eux à temps plein –, 61 % vivent en Asie (dont un million dans le commerce du sexe), 32 % en Afrique et près de 7 % en Amérique latine. Deux millions de jeunes sont aussi concernés en Europe, notamment en Italie, en Allemagne, au Portugal et au Royaume-Uni. D’après le Sunday Telegraph, des centaines d’enfants arrivent chaque année en Grande-Bretagne pour travailler dans les restaurants, les ateliers textiles ou pour se prostituer. [11] Le système des Laogai en Chine. [12] « En France, où plusieurs milliers d’enfants vivent en dehors de toute scolarisation, bon nombre d’entre eux sont exploités, auxquels s’ajoutent ceux qui, sous couvert d’apprentissage, sont en fait déjà dans le monde du travail et de la production. Mais l’opacité la plus totale règne sur ces réalités. » - Source Unicef [13] En Inde, l’industrie du diamant emploie 20 % d’enfants, qui sont payés six fois moins que les adultes ; au Pakistan, dans la ville de Sialkot, 14 000 enfants sont employés dans l’industrie du ballon de football aux côtés de 42 000 adultes, mais ils gagnent 2 à 4 fois moins. - Source : M. Bonnet, « Regards sur les enfants travailleurs. La mise au travail des enfants dans le monde contemporain. Analyse et études de cas ». [14] « Dans le but de rassembler ces efforts, l’OIT a mis sur pied en 1992 le programme IPEC (International Programme on the Elimination of Child Labour, « Programme international pour l’abolition du travail des enfants »), visant en priorité les pires formes de travail, celui des filles et des moins de 12 ans. En plus des évaluations globales citées plus haut, le programme coordonne les acteurs autour de plans d’action et tente de trouver des solutions économiques avec les employeurs. Dans son rapport de 2006, l’IPEC estime que « les efforts engagés un peu partout dans le monde pour combattre ce fléau ont donné d’importants résultats », mais qu’une importante mobilisation reste nécessaire » - Source Wikipedia.
La famine n’a pas attendu l’euphorie médiatique autour de la crise alimentaire, ni le débat sur les agrocarburants pour toucher violemment les pays africains. Des milliers de familles sont en proie à ce fléau qui a des conséquences tsunamiques sur l’avenir de tout un continent. Le sommet du FAO tenu dans la capitale romaine, il y a quelques semaines, s’est efforcé, ou du moins a donné cette impression, à trouver des remèdes à cette maladie terrible qu’est la faim dans le monde. Malgré les prêches de prédicateurs présents, les dirigeants les plus puissants et des séances presque d’exorcisme, le miracle n’a pas eu lieu. Quelques milliards offerts gracieusement à ces millions de personnes qui chaque jour se meurent aux autres bouts de la planète, la communauté internationale s’est acheté une conscience et rapidement les émeutes de la faim ont été catégorisées comme des « incidents » contre lesquels on ne veut pouvoir rien faire.
Les raisons de la recrudescence de la famine sont multiples : la déforestation anarchique, la mauvaise modernisation du secteur agricole permettant l’usage de produits dangereux, le climat accentuant une désertification des terres et l’aridité des sols, etc. Si le manque d’eau demeure un problème majeur dans la lutte contre la famine en Afrique et qu’il contribue à l’affaiblissement substantiel de l’activité agro-pastorale (champs et bétail), il ne saurait expliquer à lui seul la virulence de ce mal comme l’on tend à le faire croire. Le problème est plus profond qu’il n’y paraît.
Des pays comme le Cameroun ou la République centrafricaine sont affectés par la faim au même titre que le Kenya ou l’Ethiopie, ainsi malgré une pluviosité plus importante ils ne sont pas à même de parvenir à une situation de sécurité alimentaire satisfaisante. D’un autre côté, les pays semi-désertiques ou désertiques de l’Afrique du Nord, dans le monde arabe, en Asie du Sud-Est arrivent au détriment d’un climat agressif et d’une quasi-absence d’eau à atteindre un seuil d’autosuffisance alimentaire enviable en Afrique subsaharienne. Alors la question ici est de savoir comment font-ils eux pour remplir, envers et contre la nature moins clémente, les conditions nécessaires pour développer leurs activités agro-pastorales ? Simplement en se réappropriant les « technologies traditionnelles » selon le mot de Vincent Kitio[1]. En effet, c’est grâce aux connaissances traditionnelles et aux techniques « de soulèvement d’eau des rivières et des eaux souterraines à des fins d’irrigation » que ces pays ont pu en partie « augmenter la production alimentaire ». Dans ce type de technologie nul besoin d’organisme génétiquement modifié, d’une utilisation excessive de pesticides et autres produits chimiques, c’est dans l’exploitation naturelle des éléments de l’environnement (l’effort humain, l’apport des animaux, la maîtrise du vent et du potentiel hydraulique même insignifiant) que les populations de ces pays parviennent à produire suffisamment pour se maintenir à l’abri des désastres que l’on a pu observé un peu partout en Afrique subsaharienne.
Certes cela peut paraître irréaliste et totalement hors de propos, mais il convient de rappeler que ces technologies traditionnelles ont fait leur preuve durant des siècles en Europe[2], en Asie et en Méditerranée bien avant l’arrivée de techniques révolutionnaires, coûteuses en énergie et extrêmement polluantes. Pour un continent qui n’a pas encore les moyens de sa politique agricole et face aux subventions des productivités agricoles occidentales, cette vulgarisation des technologies traditionnelles en Afrique subsaharienne pourrait constituer une réaction, a minima peut-être, des gouvernements en vue d’assurer au moins une autosuffisance décente sans toujours tendre la main à l’aide alimentaire avec ses aléas. C’est là une « solution durable » à la sécheresse et aux grandes et virulentes famines qui interpellent en même temps qu’elles stigmatisent douloureusement un continent qui n’en a que faire de la pitié du monde.
La famine en Afrique est un sujet qui reste au cœur de tous les débats et avec les émeutes de la faim de ces derniers mois, tout a été dit sans que jamais rien de concret ne puisse se faire. Pourtant c’est une situation qui aurait pu être évitée et les effets plus maîtrisés, mais face à la corruption, la mauvaise gouvernance, le changement climatique et le réflexe d’assistance alimentaire, l’Afrique subsaharienne s’est renfermée dans une dépendance terrible qui influe sur les initiatives individuelles et collectives empêchant toute « liberté »[3]. Les technologies traditionnelles à l’instar de la roue perse[4], de la noria[5], du sakia[6] ou de la pompe à vent pourraient contribuer à résoudre partiellement, mais durablement ce « handicap » africain. Cette réappropriation des techniques ancestrales et universelles donnerait ainsi l’occasion aux intellectuels et autres scientifiques africains de faire preuve d’audace et d’originalité quant à la manière la plus efficace de lutter contre la famine et à favoriser la vulgarisation de pareilles technologies à toutes les couches sociales à des prix abordables. Ce qui n’est pas souvent le cas des technologies modernes occidentales.
Il va de soi que cette solution (qui n’est en fait qu’un moyen) ne saurait constituer la finalité des politiques africaines de lutte contre la famine, car il faudrait une réforme structurelle et institutionnelle profonde pour parvenir à une véritable sécurité alimentaire, c’est-à-dire l’accessibilité pour chaque individu et à n’importe quel moment, à une nourriture quantitativement et qualitativement suffisante pour mener une vie saine et active, selon la formulation de Pierre-Jean Rocca de l’IFAID – Aquitaine. Et cette ambition nécessite la disponibilité de fonds financiers pour faciliter la distribution de la production alimentaire, de la stabilité politique pour créer et maintenir ces circuits de distribution, mais plus fondamentalement la capacité économique des populations à accéder convenablement et aisément à cette nourriture. Quand l’on voit les massacres et les tueries des conflits armés qui ravagent l’Afrique subsaharienne, la complexité de ces situations de guerre permanentes sur fond de disputes géostratégiques et énergétiques, sans oublier l’opacité dans la gestion des économies nationales, il est difficile d’être optimiste. Mais, si, à un niveau plus individuel, chaque Africain pouvait s’interroger sur l’efficacité des techniques traditionnelles liées aux activités agro-pastorales, et adopter ces technologies, propres et abordables, qui ont permis à d’autres peuples de palier le déficit des conditions naturelles favorables, la famine peut être vaincue avec l’irrigation des terres inexploitées, l’approvisionnement des marchés locaux en légumes, tubercules et autres produits agricoles.
De la noria[7] au sakia en passant par la roue perse[8] ou la pompe à vent[9], toutes ces méthodes devraient permettre au paysan africain de soulager la rudesse de la sécheresse ou d’exploiter intelligemment les « ruisseaux » et les « rivières » qui existent en zone tropicale. Ce qui équivaudrait à une autonomisation du fermier africain face aux « pénuries alimentaires » actuelles. En attendant que se concrétisent des volontés politiques louables, mais encore loin d’être réalisables, il suffit désormais que les Africains pensent utilement et aient des idées contre la fatalité.
[1] Vincent Kitio est architecte camerounais et expert en énergie renouvelable et en technologies appropriées pour le développement durable. Il travaille au siège de l’organisation onusienne sur l’habitat, UN-HABITAT, à Nairobi, en qualité de conseiller en énergie.
[2] « Les Romains comptaient sur les systèmes d’irrigation pour assurer la sécurité alimentaire dans l’empire. Des architectes et ingénieurs romains ont élaboré différentes techniques, tel que le décrit Vitruvius en 01 avant J.-C. dans ses Dix Livres sur l’architecture, afin d’appuyer leur agriculture. Certains de ces systèmes d’irrigation ont survécu jusqu’à ce jour. » - source Vincent Kitio
[3] « Il y a plusieurs années, une agriculture dépendant de la pluviométrie ne constituait pas un handicap en Afrique, puisque des communautés entières pouvaient migrer des zones frappées par la sécheresse vers des pâtures plus vertes. Tel n’est plus le cas faute de terres disponibles. » - source Vincent Kitio.
[4] « On estime qu’une roue perse peut irriguer jusqu’à un hectare de terres. » - source Vincent Kitio.
[5] « Les norias trouvées en Espagne furent introduites pendant la domination musulmane, avec deux ensembles de seaux de chaque côté de leurs jantes. D’autres ont deux roues sur le même arbre, permettant au système d’augmenter la quantité d’eau puisée. Des prêtres espagnols introduisirent les norias en Mexique au cours de la période coloniale. Certains d’entre eux sont toujours en activité dans les fermes situées dans la partie Nord du pays. » - source Vincent Kitio.
[6] « Selon la Station égyptienne de recherche et d’expérimentation hydraulique, plus de 300 000 sakias sont en utilisation dans la vallée et le delta du Nil, surtout conduits par des animaux. Un sakia de 5 m de diamètre peut puiser 36 m3 d’eau par heure. » - Vincent Kitio.
[7] « Certains fermiers à Hama utilisent la noria dans l’agriculture urbaine. Et occasionnellement, lorsque la circulation de l’eau ne suffit pas pour faire tourner la roue hydraulique, on a besoin jusqu’à cinq pompes à moteur pour soulever l’eau vers l’aqueduc. Cette technologie aussi vieille que le monde convient bien au mode de vie rural en Afrique, surtout avec la montée du prix du carburant qui est déjà en train d’avoir un impact négatif sur la croissance économique. » - Vincent Kitio.
[8] « Dans la région entre l’Inde et le Pakistan, les roues perses, connues comme des Rahat à Urdu, sont des instruments traditionnels utilisés pour l’irrigation. Avant leur introduction dans la région, l’irrigation était une activité très ennuyeuse et inefficace, comme elle le reste aujourd’hui dans les zones rurales africaines où les gens doivent marcher sur de longues distances pour chercher de l’eau. L’introduction de cette technologie a amélioré la productivité agricole de façon sensible en Inde au Moyen Âge. » - source Vincent Kitio.
[9] « De simples pompes à vent, par opposition à celles qui sont sophistiquées et coûteuses que l’on voit occasionnellement dans certaines zones rurales africaines, constituent une autre solution appropriée pour l’irrigation. Sur le plateau de la montagne de Lassithi à Crète, en Grèce, de simples pompes à vent ont été utilisées pendant plus de 400 ans pour irriguer la terre et produire des légumes, des fruits et du blé. Les zones côtières de l’Afrique et les régions montagneuses ayant des vents en permanence sont des endroits idéaux pour l’application de cette technologie. » - Vincent Kitio.