L’Etat islamique expliqué à mon fils
L’Islam, la violence, la guerre sainte et le califat: voici une conversation à trois voix pour répondre aux questions les plus fréquentes que l’actualité de ces derniers mois impose. Dialogue avec Martino Diez et Michele Brignone, recueilli par Maria Laura Conte.
Marialaura Conte, Martino Diez, Michele Brignone | mercredi 3 septembre 2014
http://www.oasiscenter.eu/fr/articles/religions-et-espace-public/2014/09/03/l-etat-islamique-expliqu%C3%A9-%C3%A0-mon-fils
Que se passe-t-il en Iraq?
MD: En Iraq en ce moment on a affaire à un génocide commis par les milices sunnites de l’Etat Islamique contre les minorités religieuses, et contre quiconque ne se reconnaît pas dans leur version de l’Islam. La cause immédiate de ce génocide est la guerre en Syrie, qui a commencé en 2011 pour renverser le régime de Asad. Les groupes les plus fondamentalistes ont fini par prévaloir dans les rangs de l’opposition syrienne, avec notamment l’appui de nombreux combattants étrangers. Mais la guerre a pu se transférer de la Syrie en Iraq aussi facilement parce que l’Iraq n’a jamais pu se stabiliser véritablement après l’intervention américaine et la chute de Saddam Hussein. Plus profondément, il existe dans la région une rivalité séculaire entre sunnites et shiites, deux types d’Islam différents, qui sont en Iraq à peu près aussi forts numériquement l’un que l’autre. C’est à ce point qu’entrent en jeu les intérêts des pays voisins, en particulier de l’Iran shiite et des sunnites wahhabites de l’Arabie Saoudite, qui cherchent à exploiter cette rivalité à des fins politiques. L’idéologie wahhabite-saoudite, depuis le XVIIIème siècle, est un grave facteur de déstabilisation car elle enseigne un Islam pur et dur qui se proclame comme le seul authentique.
Au début, les medias parlaient de ISIL (Etat Islamique de l’Iraq et du Levant), puis d’ISIS (Etat Islamique de l’Iraq et de la Syrie) ; à présent, il se donne le nom d’IS (Etat Islamique): qu’est-ce donc que ce califat?
MB: Le califat est une institution classique de l’Islam. Littéralement, le terme de calife (khalîfa) indique celui qui succède è Muhammad à la tête de la communauté islamique pour «la sauvegarde de la religion et la gestion des affaires terrestres». Après les premiers califes, appelés les « bien guidés », le califat a assumé – d’abord avec la dynastie des ommayades (661-750), puis surtout avec celles des abbasides (750-1258) – les caractères d’un empire multiethnique et multireligieux à vocation universelle. A l’époque moderne, après l’abolition du califat ottoman en 1924, califat est devenu le synonyme de “Etat islamique”. L’organisation de l’Etat islamique incarne de la manière la plus radicale le mythe de la construction d’une entité politique fondée sur une interprétation rigoriste de la Loi islamique, une entité qui n’a probablement jamais existé dans les termes avec lesquels on l’envisage aujourd’hui.
Quel rapport y a-t-il entre IS et Al-Qaïda de Bin Laden? Quelles sont les principales différences?
MB: L’Etat Islamique n’a jamais été un affilié d’Al-Qaïda, même si, au moment de sa constitution en Iraq (2006), Al-Qaïda en a soutenu les activités. C’est la guerre en Syrie qui a brisé leur alliance, au point qu’ils sont aujourd’hui en concurrence entre eux. L’Etat Islamique vise à l’institution immédiate d’une entité politique dans laquelle on applique la sharî’a et on élimine toutes les formes d’Islam qui divergent de sa conception rigoriste. Les partisans d’Al-Qaïda pensent au contraire à une instauration plus progressive du califat. En outre, alors qu’Al-Qaïda a agi, et agit toujours, à un niveau global avec des initiatives terroristes spectaculaires y compris en Occident (voir la destruction des tours jumelles à New York) et la création de nombreux fronts locaux, l’Etat Islamique vise à concentrer ses efforts sur l’instauration d’un Etat doté d’une capacité propre d’expansion.
Comment fonctionne l’IS?
MB: L’Etat Islamique couvre un territoire à cheval entre la Syrie et l’Iraq qui compte quelque 4 millions d’habitants. Il est sans aucun doute doté de nombreux moyens technologiques et de ressources économiques qui seraient impossibles sans d’énormes financements externes. Preuves en sont ses capacités en matière de propagande et de medias, et ses équipements militaires, actuellement supérieurs aussi bien à ceux des forces gouvernementales qu’à ceux des combattants kurdes (peshmerga). Pour ne faire qu’un seul exemple, l’IS vient tout juste de conquérir une base militaire syrienne grâce à l’emploi de drones. L’ambition de l’Etat Islamique est certainement de créer une entité étatique stable qui soit en mesure de peser politiquement sur l’échiquier du Proche-Orient, et d’agir sur l’imaginaire des militants jihadistes du monde entier.
Quels sont ses sympathisants, et qui, au contraire, s’y oppose?
MB: L’IS est soutenu par une jeune génération de jihadistes venus d’horizons différents. En revanche, les idéologues jihadistes de la vieille génération, se référant à Al-Qaïda, lui sont hostiles, toute comme les idéologues musulmans qui se rattachent à l’expérience des Frères musulmans (en ce moment beaucoup plus concentrés sur la question palestinienne) et les musulmans qui ne s’identifient pas avec une interprétation radicale et violente de l’Islam. Mais en dépit de tant d’oppositions que l’Etat Islamique rencontre dans le monde islamique lui-même (et de fait, on ne manque pas de prises de distance individuelles), les autorités religieuses musulmanes surtout ne parviennent pas à se prononcer de façon unitaire.
L’IS invoque l’Islam, mais ses détracteurs disent qu’il exploite l’Islam à d’autres fins, que les jihadistes qui s’unissent à la lutte du Calife ne sont pas de vrais musulmans. Sont-ils ou non musulmans?
MD: C’est un fait que ces militants se déclarent musulmans, on le voit déjà ainsi dans l’adjectif “islamique” par lequel ils définissent leur Etat. Beaucoup d’autres musulmans estiment en revanche que leur comportement est une trahison de la foi musulmane authentique. Mais les autorités religieuses ne peuvent se borner à dire “ces gens ne sont pas de vrais musulmans”: ce n’est pas assez. Ils doivent se dissocier clairement de ces agissements, s’y opposer, et surtout montrer en quoi et pourquoi les miliciens de l’IS se trompent. Beaucoup de gens en Europe se lamentent de la difficulté qu’il y a à s’orienter entre les différents interlocuteurs islamiques. Une manière très simple de le faire, c’est de voir ce qu’ils disent ou ne disent pas sur la question irakienne.
Des informations qui nous parviennent, on déduit que l’IS est fondé sur l’usage systématique de la violence au nom du véritable Islam. Mais beaucoup d’imams et de fidèles musulmans en Occident parlent de l’Islam comme d’une religion de paix. Qu’en est-il exactement?
MD: L’Islam n’appelle pas à la violence indiscriminée, mais il n’enseigne pas non plus la non-violence. Il naît en tant que prédication militante, dans laquelle le croyant est appelé à un engagement personnel pour réaliser la volonté de Dieu sur la terre, avec le risque toutefois de se substituer à Lui. Car deux questions se posent: la première est de savoir si la volonté de Dieu se laisse connaître avec certitude jusque dans les détails de l’organisation politique d’un Etat. La seconde porte sur la méthode: que faire avec qui s’oppose à ce projet? Toute la question du jihad peut se ramener à l’étendue de l’autorisation à faire usage de la violence : est-elle admise uniquement pour la légitime défense ou également pour des attaques offensives? Il est certes encourageant de voir que de nombreux fidèles musulmans en Occident aussi bien que dans les pays à majorité musulmane parlent de l’Islam comme d’une religion de paix, mais il faut reconnaître que la question n’est pas résolue au niveau des sources. Il suffit d’aller sur un site jihadiste pour s’en rendre compte.
Beaucoup de jihadistes arrivent de l’étranger: comment expliquez-vous l’attrait qu’exerce l’IS?
MB: Depuis des années désormais, le jihadisme exerce une fascination macabre globale. Le combattant jihadiste jouit dans certains milieux d’un grand prestige, qu’il tombe comme «martyr» ou dans la version vétéran du jihad, lequel pour certains représente une forme d’initiation à l’Islam le plus authentique. En ce moment le prestige de l’IS dépasse celui d’autres mouvements jihadistes, et semble avoir même détrôné celui de Al-Qaïda, qui, après la mort de Bin Laden, s’est restructuré sur de nombreux fronts locaux mais a perdu beaucoup de son incisivité sur le plan médiatique. Naturellement, le jihad recrute plus facilement parmi des gens qui sont désorientés ou dans une situation de malaise, non seulement économique, mais identitaire ou psychologique. Mais il est difficile de réduire le militantisme jihadiste à de pures catégories sociologiques. Il reste la zone d’ombre de l’appel que peut exercer la violence en soi même sur qui semblerait au-dessus de tout soupçon, assumant dans ce cas la forme de la guerre sainte.
La violence en cours dans le conflit syro-irakien assume-t-elle des formes nouvelles?
MD: Oui, il y a un élément nouveau: l’assassinat exhibé sur les medias, nous pensons à la vidéo de la décapitation du journaliste américain James Foley. La violence est un virus très contagieux: au début, elle se revêt d’objectifs politiques (« créer un Etat Islamique »), mais plus elle croît, plus elle échappe au contrôle de ceux qui la pratiquent en devenant une fin en elle-même (tuer pour le plaisir de tuer). L’exhibition médiatique accélère cette contagion avec le risque d’une surenchère de la violence.
Certains pensent qu’il s’agit d’un conflit religieux et de civilisation, d’autres, au contraire, que la religion n’a rien à voir avec ces événements, motivés en réalité par des questions géostratégiques, économiques et sociales. A qui donner raison?
MD: Il y a sans aucun doute bon nombre de motifs politiques et économiques pour expliquer la guerre actuelle en Iraq et en Syrie. Mais ceci ne doit pas nous faire sous-évaluer l’élément religieux. On dit souvent que les guerres ont toujours des raisons économiques, que l’on déguise en motivations religieuses ou idéologiques. Ce n’est pas vrai. Les motivations religieuses sont une force primordiale, tout autant que les facteurs économiques ou stratégiques. En outre, insister uniquement sur les causes politico-sociales peut porter à sous-évaluer ou à gommer la responsabilité morale de la personne.
L’IS est en train de mener une persécution violente contre les chrétiens et les autres minorités religieuses: comment intervenir pour freiner cette violence?
MB: Naturellement, plus l’IS avance, plus il sera difficile de l’arrêter. D’un côté, une action politique est indispensable qui prévoie aussi l’emploi de la force. Plus le front international pour protéger les victimes sera ample et multilatéral, plus il y aura de possibilités de succès non seulement du point de vue militaire mais aussi sur le plan de la légitimité juridique. L’Etat Islamique marque le point le plus élevé de la menace jihadiste, car celle-ci dispose à présent d’une base territoriale ample et d’une dimension politique effective. Mais dans le même temps, il pourrait en représenter la crise, car beaucoup de musulmans à présent le contestent et en subissent directement la violence. Le vaincre serait un signe d’espérance pour les musulmans eux-mêmes, mais l’entreprise a une dimension culturelle et éducative bien plus importante que la dimension stratégique et militaire.
Quelle leçon l’Europe et l’Occident de façon plus générale peuvent-ils tirer du phénomène IS?
MD: Le cas de l’IS enseigne pour la énième fois aux occidentaux mais aussi à certaines puissances du Moyen-Orient que l’on ne peut utiliser les fondamentalistes islamiques pour obtenir des résultats politiques. Les américains l’ont tenté en Afghanistan et en Libye, ils ont failli recommencer en Syrie il y a un an. Mais les fondamentalistes religieux obéissent à leurs logiques propres: l’alliance avec eux est toujours à durée limitée et, à long terme, contre-productive.
On parle de centaines de milliers de réfugiés du Proche-Orient qui tentent de fuir leurs pays pour gagner les pays européens: comment gérer ce problème? Peut-on penser réellement qu’ils pourront un jour revenir chez eux, ou n’ont-ils d’avenir qu’à l’étranger?
MB: Si l’on considère l’histoire de l’émigration du Proche-Orient, il est difficile de penser à un retour des réfugiés dans leur territoire d’origine. Pour que cela puisse se réaliser, il ne suffira probablement pas de rétablir des conditions minimales de sécurité, entreprise déjà ardue en soi, mais il faudra repenser radicalement les institutions politiques et économiques qui ont régi de nombreux pays du Proche-Orient.
Les évêques et les patriarches orientaux demandent depuis longtemps aux pays occidentaux de les aider, d’intervenir. Comment ceux-ci répondent-ils? Pourquoi ces hésitations, ou cette lenteur?
MB: Le chrétien, disait le théologien Balthasar, se distingue notamment parce qu’il est «inerme». Les chrétiens sont une composante sociale et culturelle fondamentale du Proche-Orient, mais ils ne disposent pas d’un poids politique autonome et ils sont restés écrasés par la situation politique complexe, et impitoyable, de la région. De surcroît, l’Europe est encastrée dans une crise qui n’est pas uniquement économique, et qui semble la rendre incapable d’agir. Les Etats-Unis d’Obama ne brillent pas par leurs choix de politique étrangère, même si une certaine hésitation est compréhensible après les années d’ « exportation de la démocratie ».
Les chrétiens sont-ils en train de disparaître définitivement du Proche-Orient? Ou peut-on encore arrêter ce processus?
MD: Nous en sommes au « dernier appel » pour toute la chrétienté irakienne. Les chrétiens sont un facteur de pluralisme au Proche-Orient. S’ils disparaissent, le Proche-Orient sera plus pauvre. Et une plus grande homogénéité ne réduira pas le conflit parce que, une fois les non-musulmans et les musulmans « hérétiques » ou tièdes chassés, il y aura toujours quelqu’un de « plus fondamentaliste que moi ». C’est une course-poursuite sans fin, qui risque de plonger la région tout entière dans un bain de sang. Le pape François, dans ses interventions publiques, ne cesse d’attirer l’attention sur cette blessure. Dès à présent, quiconque le peut quitte le Proche-Orient parce qu’il est en train de devenir impossible de vivre dans certaines régions, même pour les musulmans.
Les événements du Proche-Orient sont en train d’influer aussi sur notre manière de considérer les musulmans qui vivent parmi nous. Comment les connaître de la manière la plus correcte? Traiter avec un Marocain, un Tunisien, un Bengali, un Egyptien, est-ce la même chose?
MB: Les musulmans qui vivent parmi nous ont tant de points qui les distinguent, comme l’ethnie, ou l’origine nationale: par exemple l’Islam vécu au Maroc est différent de l’Islam asiatique ou de celui du Proche-Orient. Mais beaucoup de musulmans ont désormais perdu leur lien avec l’Islam du pays ou de la culture d’origine, ce qui a donné naissance à un « Islam mondialisé », selon l’expression d’Olivier Roy. Il est difficile de ce fait d’offrir des recettes pour affronter le phénomène islamique en général. D’un côté, il est de plus en plus nécessaire de grandir dans une connaissance plus approfondie de l’Islam et de ses formes multiples, qui font partie désormais, qu’on le veuille ou non, de nos sociétés. De l’autre, la connaissance – et cela vaut pour les musulmans comme pour tout homme – ne peut faire abstraction de la rencontre avec une existence concrète.
Les musulmans qui vivent dans les démocraties occidentales demandent que l’on reconnaisse davantage leur présence et leurs besoins, comme par exemple des lieux de culte adéquats (mosquées, etc.). La réponse à cette présence est diversifiée: elle va de la position la plus ouverte (« vive le multiculturalisme, nous sommes différents, mais, au fond, égaux ») à la plus fermée (« ce sont les musulmans qui doivent s’adapter, intégrer et assumer nos coutumes »). Quelle est la voie pour construire une cité accueillante mais respectueuse de toutes ses composantes?
MB: Il faut se laisser interpeller par leurs requêtes, qui remettent en question des modalités de gestion de la sphère publique désormais inadéquates, et qui donc nous obligent à nous mettre tous en jeu pour régénérer notre vie sociale. Mais pour garantir la coexistence pacifique et constructive entre des personnes différentes, il est nécessaire que tous reconnaissent que vivre ensemble est, en soi, un bien.
Annexes
Le premier numéro de la revue DABID :
Le troisième numéro de larevue DABIQ :
Dans le petit seau en plastique jaune serré contre lui, l'enfant porte quelques piécettes, 120 CFA au total (0,18 euro), du riz et du mil. Mais il ne va pas à la plage, malgré la mer toute proche de ce quartier de Guédiawaye, à 10 kilomètres au nord de Dakar. Comme des milliers d'autres enfants, Djibril Ciss, 7 ans, mendie dans les rues. Il est en deuxième année de daara, l'école coranique. Avec son bermuda aux couleurs passées, son gilet beige à capuche rabattue sur la tête pour se protéger du vent, le garçon attend de remettre l'objet de sa collecte à l'un des lieutenants du maître coranique. Djibril Ciss est ce que l'on appelle un talibé.
Face au scandale de la mendicité des enfants, le gouvernement sénégalais dit vouloir mieux contrôler les daaras. Des institutions financières internationales ont même avancé des fonds afin de réformer ce système qui s'est perverti.
Venant principalement des zones rurales du Sénégal et aussi des pays frontaliers, les talibés sont des garçons de 4 à 18 ans, la plupart du temps envoyés par leurs parents pauvres chez des marabouts afin de suivre une éducation coranique. Mais si les enfants reçoivent bien un minimum d'enseignement religieux, assis par terre, serrés dans des pièces où ils dorment aussi, leurs rares affaires rangées dans un sac à dos pendu au plafond, ici, dans ce daara de Guédiawaye, ils n'ont pas de matériel scolaire. Juste des tablettes de bois où sont inscrits des versets du Coran. A peu près la seule discipline enseignée aux enfants.
Leur principale tâche est de mendier pour ramener chaque soir une somme d'argent fixée par le maître coranique. " L'enfant devient objet d'exploitation, dénonce Fodé Sow, responsable de l'association Intermondes. Il ne faut pas confondre les talibés avec les enfants des rues qui mendient pour survivre et se sont, la plupart du temps, enfuis de chez eux. " L'ONG, soutenue par l'Unicef, l'agence des Nations unies chargée de la protection de l'enfance, essaye de retirer les enfants des daaras, après les avoir repérés dans la rue et les avoir identifiés – une mission ardue, notamment pour ceux venant des pays voisins.
" Leurs conditions de vie se sont un peu améliorées, mais l'insalubrité reste importante ", dit Fodé Sow. L'insécurité aussi. Dans les buissons et les bosquets plantés autour des cabanes en bois pour retenir le sable des dunes, les vagabonds traînent souvent. La drogue est partout et les enfants peuvent être agressés.
Le nombre de ces daaras serait estimé entre 10 000 et 15 000 au Sénégal et près d'un million d'enfants seraient concernés. Guédiawaye, ville de quelque 500 000 habitants, compte environ 175 daaras, avec un minimum de 25 enfants par centre. Dans la rue, à chaque intersection, sur les marchés, ils sont là.
Le daara Serigne Pape Faye, du nom du maître coranique responsable du lieu, situé dans le quartier Hamo Tefess de Guédiawaye, héberge une quarantaine de jeunes. Ils partent chaque jour mendier vers 7 h 30 et reviennent pour l'apprentissage du Coran à 10 heures. La " classe " dure de 11 heures à 13 heures, puis de 16 heures à 18 heures.
" J'ai travaillé ce matin au marché, à 500 mètres du daara ", raconte Djibril Ciss, originaire de la région de Mont-Rolland, à moins de 100 kilomètres de Dakar. C'est l'un des plus jeunes de ce groupe qui joue des coudes pour atteindre la petite table en bois où Pape Saliou inscrit méticuleusement sur un cahier le nom de l'enfant et la recette du jour. Pape Saliou, 25 ans, est l'un des sept lieutenants du maître coranique qui vit avec sa famille loin des baraquements misérables du daara.
Ils assurent la surveillance des enfants, pour leur sécurité disent-ils, et se préparent à remplacer le maître. " On s'interpose si un enfant a énervé quelqu'un, s'il déraille, on le ramène au daara ", explique Pape Saliou. Un autre lieutenant, Moussa Seck, 18 ans, est arrivé, lui, en 1998. Il avait alors 3 ans. " J'étais trop petit pour mendier. J'ai commencé à 8 ans. C'est mon père qui m'a envoyé ici. Les enfants donnent tout au maître. Ils n'ont besoin de rien, ils sont nourris et logés. Un taux est fixé et si l'enfant gagne plus, il peut garder la différence ", dit-il.
Un scénario qui se réalise rarement. " Si je n'amène pas ce qu'il faut, on ne me frappe pas mais on me gronde. Et je dois ramener plus le lendemain ", confie Alou Thiombanne, 14 ans, présent depuis quatre années au daara de Pape Faye, où il a, lui aussi, été envoyé par son père. " Mes frères et mes sœurs sont restés au village, près de Mont-Rolland. Ma maman me manque, je l'ai vue il y a six mois quand j'étais en vacances, raconte le jeune garçon. Mais je suis content d'être là, l'apprentissage du Coran me plaît. Et quand je suis dans la rue, je n'ai pas peur, on est en groupe. On en profite pour jouer au football. "
A quelques kilomètres, dans la commune de Medina Gounass, le centre Yaakaaru Guneyi (" l'espoir des enfants "), ouvert depuis juillet 2012, recueille les enfants mendiants. C'est un lieu d'accueil, de transit, dit Oumane Sonko, coordinateur du centre.
Ousman et Mamadou Baldé, 16 ans environ, sont cousins et originaires de Guinée-Bissau, de la région de Bafata. Signalés par une femme à qui ils demandaient de l'argent, les deux jeunes garçons ont avoué qu'ils s'étaient enfuis. " Nous n'allons jamais chercher un enfant dans un daara, si le maître coranique ne veut pas que nous entrions, c'est aux autorités de le faire, explique Oumane Sonko. Il est déjà arrivé que des lieutenants nous accueillent avec des bâtons. "
Les deux garçons se remettent avec peine de leur aventure. " Un maître coranique est venu nous chercher au village, en expliquant aux parents qu'il n'y avait pas d'opportunité pour faire du business en Guinée ", raconte Ousman Baldé. Son cousin poursuit le récit : " Il y a quelques jours, le marabout nous a demandé d'aller mendier et de ramener le quota de 750 CFA - 1,15 euro - . Nous n'y sommes pas arrivés, il nous a frappés et nous nous sommes enfuis. "Ousman Baldé a déjà fugué à trois reprises et il a été repris à chaque fois par les lieutenants.
Les garçons souhaitent rentrer en Guinée-Bissau. " Mais les familles voient parfois d'un mauvais œil le retour de ces enfants, cela fait une bouche supplémentaire à nourrir ", dit Fodé Sow.
A près de 700 kilomètres de Dakar, en haute Casamance, dans le village de Coumbacara, plusieurs dizaines d'enfants sont revenus des daaras de la capitale sénégalaise, rapatriés par l'ONG La Lumière. Parfois, le père se déplace lui-même, comme Abdoulai, parti chercher son fils Amadou, qui est au daara depuis l'âge de 5 ans. " Mon frère a profité de mon absence pour emmener Amadou à Dakar, expliquant à sa mère qu'il aurait une bonne éducation, raconte-t-il. Il a été battu, s'est enfui à plusieurs reprises, avant de pouvoir rejoindre la maison d'un oncle qui m'a alerté. "
Avant l'urbanisation exponentielle de l'Afrique, les enfants suivaient les cours de l'école coranique tout en réalisant des travaux des champs pour le maître. Ils devaient acquérir, expliquent les partisans des daaras, " le sens de l'humilité ", d'où l'expérience de la pauvreté.
Mais les marabouts ne sont plus soumis à la pression sociale du village qui les poussait à instruire vraiment les enfants. " La combinaison de la hausse des prix des denrées, du logement et de l'absence de supervision des daaras fait que le sort des enfants dépend entièrement du marabout qui l'encadre ", écrivait le professeur Iba Der Thiam dans une étude publiée en 2013, Les Daaras au Sénégal : rétrospective historique. Certains, soulignait l'ancien ministre de l'éducation des années 1980, possèdent même plusieurs daaras et s'enrichissent sur le dos des enfants, tout en cachant la vérité aux parents.
Objet de nombreuses critiques, les daaras vont devoir se réformer. Dix milliards de CFA (15,2 millions d'euros) ont été prêtés par la Banque islamique de développement pour un plan de modernisation des écoles coraniques. Soixante-quatre daaras doivent être construits, dont la moitié dans le secteur public, gérés par l'Etat. " Mais nous sommes en retard, nous venons de déterminer les référentiels de compétence, les programmes, explique Mamadou Bass, inspecteur des daaras pour le compte du ministère de l'éducation. Une loi doit être votée prochainement pour mieux contrôler ces écoles. " La Banque mondiale a aussi prêté de l'argent, en 2014, pour l'enseignement de la lecture et du calcul dans ces établissements. Une expérimentation est en cours dans une centaine d'écoles.
Autant d'initiatives destinées à faire évoluer cet enseignement, même si le gouvernement redoute le poids électoral des maîtres coraniques. " Si l'on connaît toutes ces difficultés, c'est parce que l'Etat n'est pas suffisamment engagé. Pour fermer des daaras, il suffit de faire des contrôles la nuit et voir dans quelles conditions vivent les enfants ", regrette Mouhamadou Niass, maître coranique du daara Had Omar Tall, à Guédiawaye.
Ancien enfant talibé et mendiant des rues, cet homme de 56 ans, engagé pour " éradiquer la pratique de la mendicité ", dénonce aussi les autorités religieuses qui ferment les yeux. " Puisque ce sont des guides religieux, ils ne devraient pas laisser faire, cela salit le Coran ", dit le marabout.
Le 3 mars 2013, un incendie dans un daara a coûté la vie à 9 enfants. L'émotion a été considérable, suivie de fermes promesses de mettre fin à ces conditions de vie désastreuses. Une loi de normalisation des daaras, en préparation depuis plusieurs mois, devait être votée durant l'été. Mais septembre est arrivé sans que rien ne change.
Rémi Barroux
Rassemblement des Musulmans de France
Communiqué
Deux semaines après l'annonce de l'exécution de M. James
Foley, le prétendu "Etat islamique" autoproclamé en Irak a revendiqué
la décapitation d'un deuxième otage, M. Steven Sotloff.
Le "Rassemblement des Musulmans de France" (RMF)
condamne avec la plus grande vigueur ces actes lâches et barbares qui
heurtent la conscience humaine.
Le RMF rappelle que l'Islam accorde une place considérable à la
vie humaine. En effet, Le Coran nous invite à travers une multitude de
versets au respect et à la sacralité de la vie :
« Quiconque tue une personne (...) c’est comme s’il avait tué toute
l'humanité » (Sourate5, Verset 32).
Le RMF appelle la communauté internationale à réagir
énergiquement pour arrêter au plus vite ces violences inqualifiables et
cette effusion de sang qui ne peut se réclamer d'aucune religion ni
d'aucune valeur humaine.
Fait à Paris, le 4 septembre 2014
Anouar KBIBECH
Président
06.11.14.12.65
Rassemblement des Musulmans de France
1-13, Rue L’Escaut 75 019 PARIS
Tél. / Fax : 01.53.26.70.43
Des érudits musulmans jugent que l’état islamique “viole la charia”
01/09/2014 by Agustin Arteche Leave a Comment
L’Union mondiale des oulémas musulmans, dirigée par l’influent prédicateur qatari Youssef Al-Qaradaoui, a jugé mercredi 27 août que les actions de l’Etat islamique violaient la charia. L’Union mondiale des oulémas musulmans estime que le groupe djihadiste perpètre « un acte criminel » et « viole la charia » en Syrie et en Irak.
« L’assassinat d’innocents, musulmans ou non musulmans, par certains groupes comme l’Etat islamique (EI) et sous le couvert de considérations confessionnelles répugnantes est un acte criminel et viole la charia », indique ce groupe dans un communiqué publié à Doha, où réside Youssef Al-Qaradaoui. « L’Union mondiale interdit catégoriquement ce genre d’actions commises par des groupes déviants », ajoute le texte du prédicateur controversé d’origine égyptienne considéré comme l’éminence grise des Frères musulmans.
L’ONU a accusé lundi 25 août de « nettoyage ethnique et religieux » l’Etat islamique, connu pour ses atrocités et ses vues radicales, et exhorté la communauté internationale à ne pas laisser ces crimes impunis. Cheikh Qaradaoui avait estimé en juillet que l’établissement par l’Etat islamique d’un « califat » à cheval sur l’Irak et la Syrie n’était pas conforme à la charia.
L’Etat islamique, une émanation d’Al-Qaïda ayant acquis une réputation d’extrême brutalité, a revendiqué mardi 19 août la décapitation du journaliste américain James Foley et menacé d’en tuer un autre en représailles aux frappes aériennes américaines en Irak. (AFP) (Source: Fait religieux: 28.08.2014)
http://www.arcre.org/2014/09/01/des-erudits-musulmans-jugent-que-letat-islamique-viole-la-charia/
Moines de Tibhirine : un juge français autorisé à enquêter en Algérie
Saphirnews
Rédigé par La Rédaction | Jeudi 4 Septembre 2014
La justice algérienne a autorisé, mercredi 3 septembre, la visite du juge français Marc Trévidic pour enquêter sur l’assassinat desmoines de Tibhirine. « Les autorités judiciaires ont donné leur feu vert à une visite les 12 et 13 octobre en Algérie », a déclaré le ministre algérien de la Justice, Tayeb Louh.
« Je prends acte avec satisfaction de cette déclaration à caractère officiel du ministre algérien de la Justice, dont j’espère qu’elle engage les autorités algériennes de manière définitive », a salué auprès de l’AFP Me Patrick Baudouin, l’avocat des proches des moines.
Cette décision intervient, après qu’Alger ait reporté à deux reprises la visite du juge antiterroriste. Il devra enquêter sur le meurtre des sept religieux français tués en 1996 et dont seules les têtes ont été retrouvées. Marc Trévidic devrait assister à leur exhumation et à leur autopsie. « La procédure d’expertise et d’autopsie sera assurée par des experts algériens », a précisé le ministre algérien de la justice.
Les zones d'ombre restent nombreuses sur l’assassinat de ce groupe de religieux, qui vivaient dans un monastère isolé de Tibhirine, à 90 km au sud d’Alger. Ils avaient été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 mais leur rapt n’avait été revendiqué qu’un mois plus tard par le Groupe islamique armé (GIA) via un communiqué. Le 21 mai, un second communiqué annonçait leur exécution.
Coup de théâtre en 2009 : l’ancien attaché militaire de l’ambassade de France à Alger, le général François Buchwalter contredit cette version dans sa déposition devant Marc Trévidic. Selon lui, les moines enlevés par le GIA ont été tués par erreur, lors d’un raid aérien de l’armée algérienne contre un bivouac du GIA. En vue de dissimuler cette bavure, ils auraient décapité les corps des moines.
Dans cette affaire, la responsabilité des services secrets français, accusés d'avoir couvert l’armée algérienne, est également pointée du doigt. Le magistrat algérien en charge de ce dossier doit, lui se rendre en France le 21 octobre pour mener des auditions auprès des anciens chef de ce service.
Lire aussi :
Tibhirine : les services secrets algériens accusés de la mort des moines
Le dialogue islamo-chrétien porté par « Des hommes et des dieux »