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l'entreconnaissance

Publié le Mercredi 3 Septembre 2014 à 09:04:37

Paris espère la signature de gros contrats lors de la venue du prince héritier saoudien

LE MONDE | 02.09.2014 Par Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)

La visite à Paris de Salman Ben Abdel Aziz Al-Saoud, le prince héritier saoudien, sera scrutée à la loupe par les milieux d'affaires français. Arrivé lundi 1er septembre pour un séjour de trois jours, le demi-frère du roi Abdallah, qui est aussi ministre de la défense, a été reçu dans la soirée par le président François Hollande. Il devrait rencontrer, mercredi, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius. Si la menace que l'Etat islamique fait peser sur l'équilibre du Proche-Orient est évidemment au coeur de ce déplacement, l'autre enjeu est économique.

Les responsables français espèrent que la venue du prince Salman facilitera la conclusion de quelques-uns des juteux contrats en cours de négociation entre Paris et Riyad, à commencer par le projet de rééquipement de l'armée libanaise, un marché de 3 milliards de dollars (2,3 milliards d'euros). La signature d'accords viendrait conforter les choix diplomatiques de M. Hollande qui, dès son accession au pouvoir, a refait de Riyad le principal partenaire de la France au Proche-Orient, alors que Nicolas Sarkozy lui avait préféré le Qatar.

Une absence de résultat pourrait au contraire fragiliser le président face à ceux qui estiment qu'à trop s'aligner sur les positions de Riyad, notamment sur les dossiers syrien et iranien, la France prend le risque de s'isoler. « C'est l'heure de vérité pour la diplomatie économique de Hollande, affirme un homme d'affaire français qui voyage souvent dans le Golfe. Le président a beaucoup donné et pour l'instant, il n'a pas beaucoup reçu. »

En décembre 2013, à l'occasion de la visite de François Hollande à Riyad, la monarchie saoudienne s'était engagée à octroyer 3 milliards de dollars à l'armée libanaise, afin que celle-ci, faiblement équipée, puisse se procurer des armes plus sophistiquées auprès de la France. Au mois de juin, une source diplomatique française assurait au Monde que cet accord tripartite était « en cours de finalisation » et que « les premières livraisons interviendraient avant la fin de l'année ». Mais les tractations entre les trois capitales ont semblé s'enliser durant l'été au point que, début août, le chef d'état-major libanais, Jean Kahwaji, dont les troupes bataillaient alors contre des djihadistes dans l'est du pays, a manifesté publiquement son impatience.

« ACCUEILLIS À BRAS OUVERTS »

Outre ce projet, l'industrie de l'armement française lorgne deux autres mégacontrats : celui du renouvellement du système de missiles sol-air à courte portée Crotale, qui pourrait échoir à Thalès ; et celui de la modernisation de la flotte de frégates (Sawari III) pour lequel le groupe DCNS est en lice.

Laurent Fabius, de son côté, espère que le programme d'investissements saoudiens en France, annoncé lui aussi lors de la venue de M. Hollande à Riyad, va commencer à prendre forme. Alors que les placements saoudiens en France se limitent traditionnellement à l'immobilier privé, le roi Abdallah s'est engagé à injecter des fonds dans des projets d'infrastructure ou de technologie innovante.

« On est confiant, si ça ne se fait pas pendant la visite, ça se fera dans les semaines qui suivent », estime un diplomate français, à propos de ce programme d'investissement. Selon cette source, la visite présidentielle de décembre 2013 a dopé la cote des entreprises hexagonales dans le pays. « Le roi Abdallah a donné comme instruction à ses ministres de travailler en priorité avec la France. On est accueillis à bras ouverts partout. Le montant des contrats signés en 2013 s'élève à 6,5 milliards d'euros, sans comparaison avec les années précédentes. »

Reste qu'il manque à la France un gros contrat, visible et structurant. Les marchés du métro de Riyad, dont un lot a été obtenu par Alstom en 2013, et du réseau de bus de la capitale, contrat décroché par la RATP au printemps, ne pèsent pas lourd face aux opportunités dans le domaine de l'armement ou du nucléaire. Un entrepreneur français installé de longue date dans le royaume redoute un excès de confiance côté français : « Nos élites n'ont pas vu le pays changer. Il y a un vrai ministère des finances, ici. On ne crée plus une ligne budgétaire aussi simplement qu'avant. Une visite du président, ça donne un schéma compatible, mais ça ne fait pas rentrer des contrats. » 

Qatar : "S'ils pouvaient,

ils achèteraient la Tour Eiffel" Tour Eiffel"

(Article publié dans "le Nouvel Observateur" du 3 janvier 2013).

L'émirat, qui s'apprête à racheter le Printemps, place des milliards d'euros dans les entreprises tricolores. D'où vient cette passion pour la France ? Et surtout que cache-t-elle ?

Le Qatar, qui s'est déjà offert plusieurs hôtels de luxe français et le Paris-Saint-Germain, s'apprête à finaliser l'acquisition des grands magasins du Printemps. L'origine précise des fonds qataris reste inconnue, et le rachat s'est fait dans la plus grande discrétion... Le 3 janvier, "le Nouvel Observateur" publiait une enquête sur la passion de l'émirat pour la France.

 Dans l'antichambre du juge suprême, l'attente est longue, pas franchement conviviale. Une grappe de barbus en dishdasha - l'élégante tunique des Bédouins - devisent à voix basse. Pas un regard, ni pour l'employé indien chargé d'étancher leur soif, ni pour la femme venue, non voilée, interviewer leur patron. Le docteur Ali ben Fetais al-Marri, procureur général du Qatar, quatrième personnage le plus puissant de l'Etat.

Il s'avance dans son bureau vaste comme une salle de bal, cuir et tentures crème et baies vitrées plongeant sur les gratte-ciel de West Bay sortis du désert. Prunelle de Sioux, sourire enjôleur, il prend place sous la photo de l'émir et commande du thé au thym. Au Qatar, il faut tout son temps pour parler de la France. Clermont-Ferrand, Besançon, Saint-Malo, Avignon, Paris, le procureur la connaît par coeur pour y avoir étudié douze ans, jusqu'au doctorat de droit. Il aime tout en elle : "Napoléon, de Gaulle, le Louvre, les fromages..." Il en a rapporté nombre d'ouvrages anciens qui trônent dans sa bibliothèque, à côté d'une kalachnikov en or offerte par Saddam Hussein.

Les amis Juppé, Villepin et Sarkozy

Il s'y est aussi fait beaucoup d'amis, des plus modestes qui, à 20 ans, ignorant tout de son pays, l'appelaient "le Cathare", aux plus célèbres, comme Juppé, Villepin ou Sarkozy qui, en 2008, l'a nommé chevalier de la Légion d'honneur. Son Excellence sait tout : comment les Guignols de Canal+ caricaturent son pays, comment la presse hexagonale l'a soupçonné - "à tort", s'amuse-t-il - d'être le père de Zohra Dati, et comment elle s'émeut ces temps-ci de ce poète qatari emprisonné à vie pour avoir produit quelques écrits appelant à renverser la famille régnante, les Al-Thani. Le docteur Al-Marri veut bien répondre à tout mais demande s'il peut, à son tour, poser une question :

Pourquoi les Français sont-ils comme ça, si méfiants ? Pourquoi avoir peur des gens qui veulent investir chez vous ?"

Les dirigeants qataris n'ignorent rien de la vague de défiance qu'ils suscitent en France. L'argent, l'islam, tout ce qu'ils symbolisent alimentent la machine à angoisses. Dans les cercles intellectuels, économiques, diplomatiques... on s'interroge sur les intentions de cet Etat, guère plus grand que la Corse et peuplé d'à peine 250.000 nationaux wahhabites, qui conquiert de belles enseignes - le PSG, le Royal Monceau, le Martinez (et bientôt peut-être le Crillon) -, mais aussi des fleurons de l'économie : Lagardère (12%), EADS (6%), Total (4%), Vinci (5%), Veolia Environnement (5%), Vivendi... Sans parler de ses projets, contrariés in extremis, de s'immiscer dans Areva et dans les banlieues françaises. Et de son entrée dans l'Organisation internationale de la Francophonie. La presse s'inquiète ; un député UMP, Lionnel Luca, a demandé en vain l'ouverture d'une enquête parlementaire sur le Qatar.

Les infirmières bulgares, le PSG, la grippe A…

Tout ce "bruit politico-médiatique" n'assombrit pas le beau sourire de son ambassadeur en France. "Encore une exception culturelle française, soupire Mohamed al-Kouwari, en sirotant sa tasse de thé. Ni le Royaume-Uni, qui a cédé des pans de son économie aux Qataris (Harrods, 15% du London Stock Exchange, Salisbury, le village olympique...), ni l'Allemagne (où l'émirat a investi dans Volkswagen, Porsche, le géant du BTP Hochtief) ne font de telles manières. Qu'ils geignent, les Français, en oubliant que le Qatar a beaucoup payé pour eux, des infirmières bulgares à la guerre en Libye, du PSG dont personne ne voulait aux vaccins invendus de la grippe A. Qu'ils fassent leurs fiers !

En attendant, le monde entier - et nombre de leurs compatriotes - se presse à Doha pour tenter de décrocher les chantiers pharaoniques lancés par la famille Al-Thani en prévision de la Coupe du Monde de football 2022, discuter du sort de la Palestine ou de la Syrie, assister aux conférences sur l'éducation, l'environnement, la corruption, le dopage, la démocratie... Et tant pis si les leçons professées valent surtout pour les autres.

Ban Ki-Moon, David Guetta, Tariq Ramadan...

Ici, tout est possible. On peut croiser Ban Ki-moon et Moussa Koussa, l'ex-ministre des Affaires étrangères de Khadafi, sulfureux protégé - parmi d'autres - de l'émirat ; David Guetta, qui mixe souvent dans les palaces, et Tariq Ramadan, qui enseigne à la Qatar Foundation ; la fille de Ben Ali et la veuve de Saddam Hussein, toutes deux exilées dans de belles villas. Avant Noël, c'était Nicolas Sarkozy qui paradait au forum Doha Goals, à côté de son ancien rival Richard Attias et de son ex-épouse Cécilia. Et, sur la terrasse du Ritz Carlton, Dominique de Villepin, désormais conseil du fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA), profitait encore de la tiédeur de Doha.

En janvier dernier, pour sa première visite dans le Golfe, François Hollande s'est rendu à Abu Dhabi, mais ne s'est pas arrêté à Doha, soucieux d'en finir avec le "tout Qatar" de son prédécesseur et de renouer des liens forts avec le frère ennemi d'Arabie saoudite. Dans l'émirat, on se fait fort de le séduire. Qui peut résister au charme et à l'argent de la tribu Al-Thani ?

Dès le 6 mai 2012, avant même l'annonce de la victoire de Hollande, le Qatar a témoigné son empressement au nouveau président français. "Ses proches ont été assaillis de coups de fil, raconte un diplomate. Les Qataris souhaitaient s'assurer de la continuité des liens." Un mois après, le 7 juin, François Hollande recevait à l'Elysée le Premier ministre Hamad ben Jassem al-Thani, dit "HB J", cousin de l'émir. Les deux hommes s'étaient discrètement rencontrés durant la campagne, grâce à Mohamed al-Kouwari, qui avait bien entendu préparé avec soin l'alternance. Neuf ans que M. l'ambassadeur tisse sa toile dans la vie politique française, à coups de déjeuners au Fouquet's, de petits cadeaux chez Hermès, de remises de prix de la "diversité", de la "culture", de la "poésie"... avec quelques chèques de 10.000 euros à la clé. Qui, à part Stéphane Hessel [mort le 27 février 2013, NDLR], les a déjà refusés ?

"Il faut mettre le regard sur ce monsieur"

Se créer des obligés, c'est la marque de fabrique des Qataris, l'une des clés de leur succès. Et, à ce jeu-là, Al-Kouwari est un as. Personne n'est jamais négligé, à droite comme à gauche. Et s'il faut convaincre Marine Le Pen, l'ambassadeur s'y attellera (il lui a envoyé une invitation pour rencontrer l'émir). Dès 2006, il est allé rendre visite à François Hollande au siège du Parti socialiste ("J'ai aussitôt dit au gouvernement, se souvient le diplomate : 'Il faut mettre le regard sur ce monsieur'") sans réussir à le faire venir à Doha. Mais tous ses camarades socialistes, eux, ont fait le voyage, Ségolène Royal, Bertrand Delanoë, Najat Vallaud-Belkacem, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Laurent Fabius... L'un des intimes du président, Me Jean-Pierre Mignard, a même accepté, en 2010, d'être l'avocat de l'ambassade "sur les questions culturelles".

Ainsi, le Qatar compte presque autant d'amis en hollandie qu'il n'en avait en sarkozie. Et il n'a jamais eu autant de projets pour la France. Outre les 150 millions d'euros attribués au fonds PME, 10 milliards d'euros d'investissements sont annoncés dans des groupes tricolores, sans compter des subventions pour des associations à but social, une Maison du Qatar à Paris (que l'émirat confierait bien à ... Ségolène Royal), une version d'Al-Jazeera dans la langue de Molière, et pourquoi pas des écoles françaises, dans le Golfe et en Afrique, sur le modèle du lycée Voltaire de Doha

"La France, c'est l'amour et les investissements"

"La France, pour nous, c'est l'amour et les investissements", jubile M. l'ambassadeur. C'est aussi une liaison de quarante ans, lorsque, en 1971, à peine libéré du joug britannique, l'émirat coincé entre deux géants hostiles, l'Iran et l'Arabie saoudite, décide de se tourner vers Paris. Une aubaine pour la France qui, dans cette région du monde, n'a guère d'influence. La coopération militaire ne cessera de se renforcer.

A cette époque, en 1976, un professeur de lettres, Pierre Larrieu, est contacté par l'attaché culturel de l'ambassade de France à Doha, pour "introduire le français au Qatar". La ville ne compte alors qu'un hôtel, des maisons de pêcheurs et à peine quelques centaines d'étrangers attirés par les champs de pétrole. La découverte récente du plus grand gisement gazier du monde, North Field, sous les eaux du golfe Persique, n'est encore qu'une promesse de richesse. Pierre Larrieu est présenté au fils de l'émir, un chaleureux gaillard de 25 ans, alors engagé dans l'armée. Hamad ben Khalifa al-Thani veut apprendre le français.

"Il est tombé amoureux de cette langue qui chante", se souvient le professeur. Le prince est francophile, et son coup d'Etat en 1995, contre son père, renforcera encore ses sentiments. Jacques Chirac reconnaît sans sourciller le nouvel émir, et une compagnie française, Total, l'aide à réussir le pari fou qu'il mène pour extraire et exporter l'or bleu de North Field.

 

L'été dans les Ardennes

Les Al-Thani, cette tribu méprisée du Golfe, retrouve enfin son honneur. Plus personne n'osera demander à Hamad si son pays existe sur la carte. "L'émir m'a encore récemment parlé du rôle que nous avions joué dans la prospérité de son pays, confie Stéphane Michel, directeur général de Total dans l'émirat. Les Qataris sont des gens incroyablement fidèles quand on ne leur fait pas défaut."

Les liens avec la France se renforcent, ce qui n'empêche pas l'émirat de s'allier avec les Etats-Unis en accueillant, en 2002, la plus grande base militaire américaine en plein désert. Pierre Larrieu continue d'apprendre le français à l'émir, à sa seconde et seule épouse publique, la cheikha Moza, à son Premier ministre, à ses généraux et à une bonne partie de ses vingt-quatre enfants.

L'été, les héritiers sont envoyés dans les Ardennes, chez des professeurs de sport belges exilés au Qatar, avec qui Hamad, jeune, jouait au tennis et qu'il a chargé du "développement de la gymnastique dans l'émirat". Pierre Larrieu peaufine aussi son enseignement lors des virées des Al-Thani à Paris et de leurs voyages en jet privé entre Rome, Miami et Tahiti. Certains sont doués, en particulier le prince héritier, Tamim, qui dévoilera son excellent français, lors du discours de candidature du Qatar à la Coupe du Monde de football.

Parler français, c'est chic

Parler français, c'est chic, comme de s'habiller en Chanel ou en Dior. C'est aussi un choix politique. "Lorsque l'émir décide, en 2003, d'envoyer son fils Joaan à Saint-Cyr[alors que ses aînés ont été formés à l'Académie royale militaire de Sandhurst, au RoyaumeUni], c'est un signe fort, un moyen de renforcer nos accords militaires", se rappelle Michelle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense. Dans les brumes de Coëtquidan, les premiers temps sont rudes. Le prince ne pense qu'à retrouver son désert, grimper les dunes en 4x4, chasser avec les faucons ou rejoindre, d'un coup de Falcon, les clubs londoniens.

Mathieu Guidère, islamologue réputé, est alors chargé par le ministère de la Défense de "lui faire aimer la France" : "C'est un tournant, explique le professeur agrégé d'arabe. Jusqu'en 2003, les Qataris, très tournés vers la Grande-Bretagne, ne connaissaient pas grand-chose de l'Hexagone." Joaan n'entend rien à l'histoire de France, mais comme il "s'identifie bien à la période monarchique" son tuteur l'emmène à Versailles et sur les traces des batailles napoléoniennes.

Personne ne sait qui il est : la discrétion est dans l'ADN de ces richissimes Bédouins qui craignent, à chaque instant, pour leur sécurité. Au volant de sa Mercedes McLaren à 1 million de dollars, le jeune Al-Thani découvre aussi les palaces et les restaurants étoilés. Il y reviendra avec le prince héritier Tamim, et sa soeur, la cheikha Al-Mayassa, qui, à son tour, étudiera en France, à Sciences-Po, avant de faire son stage à Canal J, chez Lagardère. Jean-Luc, ami fidèle de l'émir, n'est malheureusement plus là. Mais la princesse a table ouverte chez Marie-Laure et Dominique de Villepin, le héros des Al-Thani depuis son discours sur la guerre en Irak.

Porsche et chameaux

A cette époque, la famille royale achète plusieurs hôtels particuliers dans la capitale, dont l'hôtel d'Evreux, place Vendôme, pour 230 millions d'euros, un château en Loire-Atlantique, quelques somptueuses propriétés à Mouans-Sartoux, près de Grasse... QIA, qui a pour mission de préparer l'après-gaz en injectant ses fonds dans le monde entier, est installé dans l'hôtel de Coislin, place de la Concorde. Là, dans ce bijou du XVIIe siècle, sécurisé comme un coffre-fort, l'émir qui aime tant les déjeuners dans les brasseries parisiennes s'est réservé une pièce pour faire sa sieste.

Le 14 juillet 2007, tandis que son fils Joaan défile sur les Champs-Elysées, il glisse à Sarkozy : "Vous savez, notre fête nationale à nous sera bientôt aussi belle." Inspiré par les cérémonies tricolores, décidé lui aussi à renforcer le patriotisme dans son petit pays en proie aux divisions tribales, le cheikh Hamad demande que l'on écrive pour son pays un hymne plus long et plus chantant. Désormais, le 18 décembre, jour de la fête nationale qatarie, les militaires aussi paradent sous des pluies de drapeaux... au milieu des Porsche et des chameaux.

"Le Qatar est sincèrement fasciné par la France, il n'existe aucun équivalent dans le Golfe, insiste la politologue spécialiste de la péninsule Arabique, Fatiha Dazi-Héni. Ils veulent être comme nous, ils tentent de s'acheter une histoire, une culture, un passé." Dans ce pays capable de reconstituer un souk en prenant le soin de faire pendre de faux fils électriques pour lui donner un semblant d'authenticité, la french touch est le must absolu.

La Maison du Caviar, Lenôtre, Ladurée, Cartier…

La Maison du Caviar, Lenôtre, Ladurée, Cartier, les Qataris désormais ont tout. Et même un Cézanne, "les Joueurs de cartes", acheté 191 millions d'euros. Jean Nouvel construit leur Musée national, Guy Savoy a ouvert un restaurant sur le complexe dont ils sont si fiers, The Pearl ; Laurent Platini, fils de Michel, s'occupe de leurs investissements sportifs, Charles Biétry, l'ancien de Canal+, directeur d'Al-Jazeera Sport France, Djamel Bouras, le judoka, de leur jeunesse - en tant que conseiller du prince héritier -, et un ancien de LVMH, Grégory Couillard, se charge de leur bâtir un empire du luxe. Il dirige aussi Le Tanneur, racheté par la cheikha Moza qui avait, lors d'un thé avec Carla Bruni, apprécié un sac de la marque et écouté l'histoire centenaire de cette entreprise de maroquinerie menacée par la crise.

"Les Al-Thani se prennent pour les rois du monde, observe un diplomate. S'ils pouvaient, ils achèteraient le Louvre, la tour Eiffel, la Bibliothèque nationale..." Lors de son séjour à l'hôtel Meurice, au printemps dernier, la cheikha Moza ne s'est pas contentée d'aller rendre visite à son coiffeur préféré, Christophe Robin, elle a aussi participé à une longue réunion, à SciencesPo. Sa dernière lubie ? Installer, dans l'émirat, une école de droit à la française. C'est la Sorbonne qui devrait finalement remporter la mise. A condition que la faculté s'accroche.

Les nouveaux "rois du monde"

Car les Qataris, jadis peu regardants sur les dépenses, sont devenus durs en affaires. "Ils sont très pro. Ils cherchent l'excellence et la rentabilité", décrypte le directeur de HEC, Bernard Ramanantsoa. Lui seul a réussi à s'implanter à Doha, alors que les autres projets de partenariats avec l'Insead, Saint- Cyr, l'Institut Pasteur n'ont pas abouti. HEC forme chaque année une trentaine d'élèves en master, dont la moitié de Qataris. Une goutte d'eau tricolore au milieu de l'océan de facs américaines qui ont ouvert à Education City, l'immense campus voulu par la cheikha Moza.

Elle et son mari n'ont qu'une obsession : construire au plus vite une élite qatarie. Car ces nouveaux "rois du monde", comme les appelle, avec un brin d'ironie, un ancien diplomate en poste à Doha, sont pour l'instant dépendants des étrangers, consultants, juristes ou ingénieurs qui, aux côtés des hordes d'ouvriers venus d'Asie, représentent 80% de leur population. Inacceptable pour un pays qui prétend désormais discuter d'égal à égal avec les grandes nations. La "qatarisation" décrétée par l'émir, qui vise à imposer des quotas de nationaux dans les secteurs public et privé en obligeant notamment les entreprises étrangères à les former, prendra du temps.

Les jeunes Qataris, choyés au berceau par leur famille et par l'Etat qui leur offre des dizaines de subventions (à l'occasion de leur naissance, de leurs études ou de leur mariage...), ne sont pas des foudres de guerre. Et malgré tous les efforts des Al-Thani pour les mettre au sport, les éloigner de la junk food et des écrans plats, qu'ils consomment même quand ils partent le week-end, dans le désert, sous leurs tentes climatisées, beaucoup sont diabétiques et obèses. Ils souffrent aussi de nombreux handicaps, dans un pays où plus de 50% des mariages sont consanguins. Un fichier génétique national est en train d'être constitué, pour tenter de limiter les dégâts.

"Vous êtes un pays d'arriérés"

"Vous êtes un pays d'arriérés, a dit la cheikha, un jour de 2010, à un politique français. Vous ne savez pas vous ouvrir au monde." Le Qatar est-il, lui-même, si tolérant ? Ici, un ouvrier pakistanais n'est qu'un sous-homme. Et un expatrié, soumis à un sponsor qatari qui détient au minimum 51% du business, peut être expulsé du jour au lendemain. Pour un excès de vitesse sur la corniche de Doha, un mot déplacé envers un important, un sujet de recherche délicat. Il y a deux ans, une sociologue française qui s'intéressait aux bidouns, ces apatrides du Golfe exclus de la société qatarie, a été expulsée manu militari.

Les Al-Thani clament : "We are ready for democracy", mais les élections législatives, promises de longue date, n'ont toujours pas eu lieu, la liberté de la presse est une fiction. Au royaume de la cheikha Moza, triomphante épouse d'un mari polygame, les femmes portent sous leur abaya des lingeries fines mais doivent regarder "Titanic" expurgé, par la censure, des baisers de Leonardo. Les chrétiens peuvent aller prier à l'extérieur de Doha, dans l'église spécialement bâtie pour eux, mais les sapins de Noël sont déconseillés dans les lieux publics.

"Dehors les étrangers", clament régulièrement les imams. Dans les majlis, ces conseils où l'on discute entre hommes, l'"activisme" et l'"occidentalisme" d'Hamad et de la cheikha sont régulièrement critiqués. La Coupe du Monde de 2022 fait déjà peur. L'alcool, les prostitués, les dérapages... Doha perdra -t-il son âme ? "Nous ne voulons pas devenir comme Dubaï ", disent nombre de jeunes Qataris. La modernité oui, mais sans abandonner leurs racines. Ils ont raison de s'interroger et d'être vigilants. Au Qatar comme en France, les investissements étrangers ne sont pas sans influence.

Sophie des Déserts - Le Nouvel Observateur

Mondial 2022 : le Qatar aurait versé de généreux pots-de-vin

le 01-06-2014

La presse britannique lance - preuves à l'appui - de nouvelles accusations contre le Qatar, qui aurait acheté plusieurs responsables de la Fifa pour organiser la Coupe du monde.

 

L'attribution du Mondial 2022 au Qatar est au centre de nouvelles accusations après les révélations du "Sunday Times" affirmant dimanche 1er juin qu'un ancien haut responsable qatari aurait versé des pots-de-vin pour s'assurer de soutiens en vue de la candidature de son pays.

A 8 ans du coup d'envoi de la Coupe du monde dans le richissime émirat gazier du Golfe Persique, la polémique n'en finit pas de rebondir sur les modalités d'attribution de la compétition par le comité exécutif de la Fifa, le 2 décembre 2010 à Zurich.

La nouvelle salve est encore venue de la presse britannique, à la pointe sur le sujet et qui ne cesse de dénoncer un système présumé de corruption ayant abouti à la désignation du Qatar. L'Angleterre était candidate à l'organisation du Mondial 2018, confiée à la Russie.

Le "Sunday Times" précise être en possession de milliers de courriels et d'autres documents attestant de présumés versements d'argent effectués par le Qatarien Mohamed Bin Hammam, alors membre du Comité exécutif de la Fifa et radié à vie en 2012 pour corruption.

Ces documents tendent à démontrer que Bin Hammam, qui était également président de la Confédération asiatique, se servait de caisses noires pour verser des sommes en espèces à des personnalités éminentes du football international afin d'obtenir un soutien massif à la candidature du Qatar.

Axe Bin Hammam-Warner-Afrique

Le journal britannique ajoute que Bin Hammam a versé des pots de vin à hauteur de 200.000 dollars sur des comptes contrôlés par les présidents de 30 fédérations africaines et a organisé des soirées caritatives en Afrique au cours desquelles il a également délivré des fonds pour soutenir la candidature du Qatar.

Toujours selon le "Sunday Times", Bin Hammam aurait aussi versé 1,6 million de dollars sur des comptes appartenant à l'ex-président de la Concacaf Jack Warner, également ex-vice président de la Fifa démissionnaire en juin 2011. 450.000 dollars lui auraient été versés avant le vote pour désigner le pays organisateur du Mondial 2022.

Le "Daily Telegraph" avait déjà pointé il y a deux mois le rôle trouble joué par Jack Warner, expliquant que des membres de sa famille auraient reçu environ 1,43 million d'euros d'une entreprise du Qatar détenue par Mohamed Bin Hammam.

Des pressions de Paris ?

Ces révélations interviennent à une semaine du Congrès de la Fifa, du 9 au 12 juin à Sao Paulo, où le président Joseph Blatter devrait annoncer sa candidature pour un 5e mandat. Le dirigeant suisse âgé de 78 ans, lancé dans une pré-campagne électorale, ne cesse depuis des mois d'exprimer des réserves au sujet du Qatar sans remettre en cause la tenue du tournoi dans l'émirat.

Blatter, qui avait voté en faveur de la candidature des Etats-Unis, a ainsi reconnu le 16 mai que confier l'organisation du Mondial 2022 au Qatar en été avait été une "erreur" et pointé des pressions politiques de la France et de l'Allemagne pour favoriser ce pays où les températures frôlent les 50° en juin-juillet.

Des accusations qualifiées par Paris "d'allégations sans fondement".

Des voix pour un nouveau vote

En mars, la Fifa avait expliqué avoir "une part de responsabilité" dans le sort des travailleurs immigrés sur les chantiers, dénoncé par de nombreuses organisations des droits de l'Homme, obligeant le Qatar à prendre une série de mesures pour les protéger.

Ni la Fifa, ni les autorités du Qatar, joints par l'AFP, n'ont réagi aux affirmations du "Sunday Times".

Si Joseph Blatter s'est prononcé pour la tenue du Mondial-2022 en hiver, il a toujours indiqué que la compétition se jouerait bel et bien au Qatar.

En août 2012, l'ancien procureur américain Michael Garcia, à la tête de la chambre d'instruction du nouveau comité d'éthique, indépendant de la Fifa, avait annoncé qu'il allait enquêter sur l'attribution des Coupes du monde 2018 et 2022 afin de distinguer "allégations" et "informations".

Des voix se font désormais entendre, essentiellement au Royaume-Uni, pour demander le retrait du Qatar. John Whittingdale, président de la commission parlementaire britannique chargée des Sports, a réclamé l'organisation d'un nouveau vote.

L'un des huit vice-présidents de la Fifa, le Nord-Irlandais Jim Boyce, a indiqué à la BBC qu'il serait favorable à cette issue si les accusations de corruption étaient confirmées par la chambre d'instruction.

Vif démenti du Qatar

Réagissant à ces accusations, le Qatar a nié "avec véhémence" toute irrégularité dans l'attribution du Mondial 2022.

"A la suite d'articles de presse d'aujourd'hui, nous nions avec véhémence toutes les allégations de mauvaise conduite", écrit le Comité de candidature du Qatar, dans un communiqué.

"Comme ce fut le cas pour tous les autres membres du Comité exécutif de la Fifa, notre équipe a dû convaincre M. Bin Hammam du bien-fondé de notre offre", a encore affirmé l'instance du Qatar.

La France "confiante" pour la vente du Rafale au Qatar

Le Nouvel Observateur avec AFPPublié le 24-06-2014

La visite en France de l'émir cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani a permis des discussions mais rien n'est encore signé.

Bas du formulaire

La France s'est dite "confiante" lundi 23 juin sur l'"issue positive" des discussions sur la vente du Rafale au Qatar, lors d'une visite officielle à l'Elysée de l'émir, cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, mais aucun contrat n'a encore été signé.

"Ils en ont parlé" et "les discussions se poursuivent", a déclaré une source française proche du dossier à l'issue d'un entretien entre le président François Hollande et l'émir du Qatar. "Nous sommes confiants sur une issue positive", a-t-elle ajouté.

Contrats signés 

Si plusieurs contrats et accords ont été conclus lors de la visite du nouvel émir du Qatar, le Rafale ne figurait pas dans la liste.

Lors d'un toast prononcé à l'occasion du "dîner officiel" offert en l'honneur de son hôte, le président français a fait allusion aux négociations sur la vente de l'avion de combat de Dassault Aviation. "Le Qatar a toujours fait les choix pour son armée de la technologie française", a-t-il dit.

"Je sais que vous avez la plus grande attention et la plus grande bienveillance par rapport aux matériels que nous vous proposons dans tous les domaines et notamment aéronautique", a-t-il ajouté.

Le nouvel émir qui a consacré à la France sa première visite officielle en Europe et le président Hollande ont assisté à la signature par la Qatar Railways de contrats avec les groupes français Vinci et Alstom pour la "dernière phase" de la construction du métro léger de la ville nouvelle de Lusaïl et avec Systra pour la "supervision des systèmes" de la première ligne de métro de Doha.

Dans un communiqué, Vinci a précisé que le contrat du métro léger de Lusaïl, "d'un montant d'environ deux milliards d'euros", serait "réalisé par QDVC, filiale à 51% de Qatari Diar et à 49% de Vinci Construction Grands Projets". Ce projet porte notamment sur la construction de 25 stations et la livraison par Alstom de 35 rames pour 750 millions d'euros.

Un objectif de 36 rafales 

Deux accords ont été signés par ailleurs entre les gouvernements français et qatari pour la promotion des PME et la coopération culturelle tandis qu'un mémorandum porte sur la formation des diplomates qataris.

L'émirat, pays proche de la France, veut équiper sa force aérienne de 72 appareils de combat, la France espérant lui céder au moins 36 Rafale. L'armée de l'air qatarie est actuellement équipée de 12 Mirage 2000-5.

Un an plus tôt jour pour jour, le 23 juin 2013, le président François Hollande avait déjà évoqué le dossier du Rafale avec les dirigeants qataris, lors d'une visite à Doha.

L'avion de combat français a été retenu en janvier 2012 par l'Inde qui entend en acquérir 126 exemplaires mais les négociations à propos de sa fabrication sur place traînent en longueur.

Evoquant lors du dîner la crise syrienne qui "déborde en Irak", le président français a souligné que "la France sait compter sur le Qatar comme sur ses partenaires du Golfe pour lutter contre les mouvements terroristes et trouver des solutions politiques aux problèmes de la région".

Qatar: le calvaire de migrants expulsés de leurs logements à Doha

Par Le Nouvel Observateur

Publié le 17-07-2014 à 18h45

A Doha, alors que le ministère des Municipalités ne se dit pas responsable, des migrants sont expulsés malgré la pénurie de logement et l’épuisement lié à la période du ramadan pour certain.

Ils n’ont pas eu leur mot à dire. Expulsés de leurs logements dans un quartier en rénovation du centre Doha, de nombreux migrants, majoritairement asiatiques, se retrouvent sans abri, certains vivant dans la rue malgré la chaleur torride du Golfe.

Sous-payés dans un pays où les loyers s'envolent, certains ont trouvé refuge temporairement chez des amis. D'autres dorment dans la rue, dans leur voiture ou sur des parkings.

Cet épisode, qui se déroule dans l'indifférence totale, vient illustrer les mauvaises conditions des migrants dans ce pays gazier, l'un des plus riches au monde, qui suscitent de nombreuses critiques internationales.

 

Bas du formulaire

"Il y a (plus d') une semaine, à 21H30, la police est venue nous demander de quitter nos chambres avec toutes nos affaires", raconte, révolté, Mohamed Farouk, un maçon.

Jusqu'au 1er juillet, il vivait avec des migrants, pour la plupart originaires comme lui du Bangladesh, dans un immeuble de deux étages composé de huit chambres abritant chacune cinq ou six personnes.

Les occupants ont reçu l'ordre de ne plus remettre les pieds dans l'immeuble. Mais Mohamed revient tous les soirs se reposer devant son ancien logement avec ses camarades.

Expulsés manu militari 

Selon lui, quelque 4.000 à 5.000 personnes auraient subi le même sort à Musheireb, un quartier du centre Doha, dont les vieilles constructions ont été rasées pour laisser place à un nouveau quartier: Musheireb Down Town.

Des notices d'expulsion avaient bien été placardées, mais les habitants qui continuaient à payer un loyer sont restés chez eux jusqu'à l'arrivée de la police.

"Ils (les policiers) viennent après l'iftar (repas de rupture du jeûne musulman) et s'ils voient une porte fermée, ils la défoncent et enlèvent tout ce qui se trouve à l'intérieur", précise un autre migrant, un électricien.

"J'aurais pensé qu'ils attendraient au moins la fin du ramadan", s'offusque le doyen du groupe, Suleyman.

Après une longue journée de travail sur des chantiers, ces migrants, exténués par le jeûne, sillonnent dans l'après-midi les rues de Doha à la recherche d'un autre logement.

"Je suis inquiet à l'idée de devoir payer un loyer plus élevé entre 500 et 600 riyals", se plaint Mohamed Farouk qui, pour un salaire mensuel de 1.200 riyals (environ 330 dollars), payait jusqu'ici 300 riyals.

Il était arrivé à Doha en 2009 par le biais d'une agence de recrutement au Bangladesh qui lui a facturé ses services en échange d'une garantie d'emploi, d'une couverture sociale et d'un logement.

Mais les promesses se sont envolées. Il n'a jamais eu accès à une assurance-maladie et a dû se trouver un logement.

Il vivait avec 18 personnes qui se partageaient deux plaques de cuisson, une salle d'eau avec seulement un lavabo et deux toilettes.

Pour créer une chambre supplémentaire, les occupants avaient érigé "un mur en carton" et dormaient tous à même le sol.

Pas d'autre choix que de rester 

Tous disent n'avoir pourtant "d'autre choix que de rester" au Qatar. Ils parviennent à envoyer au Bangladesh entre 200 et 300 riyals par mois.

Majid, lui, a garé sa voiture sur un parking proche et y dort depuis les expulsions. Il travaille à la journée, changeant tous les jours d'employeur. Ses affaires et ses outils ont été stockés dans des malles le long de la palissade du parking.

A quelques mètres, des lits, des matelas et des affaires d'autres travailleurs délogés qui ont aussi trouvé refuge sur le parking.

Le relogement de ces migrants semble un mirage dans une ville confrontée à une pénurie de l'immobilier résidentiel, qui devrait s'aggraver avec l'arrivée attendue de quelque 500.000 nouveaux migrants sur les chantiers liés au Mondial-2022.

Alors que le Qatar est vivement critiqué pour les conditions de travail et de séjour de ses migrants, le ministère des Municipalités, contacté par l'AFP, a assuré "ne pas être responsable de l'expulsion des ouvriers" de leur logement.

 

Alice Colmart avec AFP.

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Publié le Mercredi 3 Septembre 2014 à 08:51:45

Chrétiens et yézidis ne se voient plus d’avenir en Irak

Depuis l’avancée de l’État islamique, au moins 700 000 non-musulmans ont trouvé refuge au Kurdistan, dans des conditions éprouvantes, voire indignes.

LACROIX 2/9/14 - 17 H 26

 

Une petite fille reçoit de la nourriture dans un camp de réfugié situé à 10 km d’Erbil, dans le K...

SAFIN HAMED/AFP

Une petite fille reçoit de la nourriture dans un camp de réfugié situé à 10 km d’Erbil, dans le Kurdistan irakien, le 30 août 2014.

SAFIN HAMED/AFP

 

A la crainte des exactions des djihadistes s’ajoute le traumatisme causé par les pillages menés par leurs « voisins musulmans », au point que toute coexistence leur apparaît désormais impossible.

Sous une chaleur insupportable à peine tempérée par un ventilateur, Sami, syrien catholique de Qaraqosh, accepte de raconter son calvaire. Au fur et à mesure de son récit, ses compagnons de chambrée s’approchent, soit qu’ils guettent des bribes d’une histoire dont les bruits sont venus jusqu’à eux, soit qu’ils tiennent à y ajouter leur propre témoignage.

Il faut dire que, dans cette salle paroissiale de la cathédrale Saint-Joseph à Ankawa, où s’entassent sur des matelas plusieurs familles, dont de nombreux enfants et une jeune malade, les déplacés ne demandent qu’à être distraits de cet ennui qui les mine. « Quand tout le monde a fui, dans la nuit du 6 au 7 août, je dormais, personne ne m’a prévenu », commence Sami.

Avec une centaine d’autres chrétiens au moins – il ne saurait dire combien –, il s’est réveillé au matin sous le joug de l’État islamique. Qui, dès le lendemain, a entamé un pillage en règle : des voitures sont arrivées de Syrie emmenant avec elles « tous les appareils électriques ». Chaque jour pendant deux semaines, les djihadistes lui ont aussi demandé de se convertir, ce qu’il a, à chaque fois, refusé en citant le Coran : « Vous avez votre religion et j’ai la mienne. »

Tribunal islamique

Le 21 août au petit matin, leur stratégie a changé. Environ 70 des derniers chrétiens de la ville, dont de nombreuses personnes âgées, ont été convoqués à la mosquée. Après avoir séparé hommes et femmes, les combattants de l’État islamique ont fouillé méthodiquement leurs bagages, jusqu’aux sous-vêtements des femmes, puis les ont répartis dans des bus. Dans la confusion, ils ont enlevé un médecin, une jeune femme, Rita, d’environ 35 ans restée avec son père aveugle, et arraché à sa mère une petite fille d’environ 3 ans, Cristina.

Déposé devant l’ancien pont, détruit par les bombardements, de Khazer, le petit groupe a entamé une éprouvante fuite en plein soleil, dont il reste à Sami d’horribles images comme cet homme, croisé au bord de la route et qui poussait sa mère en chaise roulante « en tombant à chaque pas ». Seule la moitié d’entre eux est arrivée au check-point kurde  : malgré les recherches le long de la ligne de front, nul ne sait ce qu’il est advenu des autres. Selon des nouvelles alarmantes arrivées de Mossoul, il semble que les derniers otages de Qaraqosh, dont « de jeunes hommes et de belles femmes », aient été présentés à un tribunal islamique et contraints de se convertir. Et que ceux qui ont refusé l’aient payé de leur vie.

Les membres des multiples minorités irakiennes ne croient plus à la cohabitation avec les musulmans

La liste des exactions de l’État islamique ne cesse de s’allonger. Parce qu’elle n’appartient pas à ces « gens du Livre » que décrit le Coran, la communauté yézidie a été bien plus éprouvée encore, elle qui déplore le meurtre de centaines d’hommes et d’enfants, l’enlèvement d’au moins 1 300 femmes, sans que nul ne soit encore en mesure de dénombrer ces enfants, personnes âgées mortes de soif ou d’épuisement pendant leur marche forcée du Sinjar vers la Syrie puis le Kurdistan...

Mais à la terreur que suscitent les combattants de Daesh (l’acronyme arabe de l’EI), s’ajoute un traumatisme supplémentaire, attesté par tous ceux qui, comme Sami, ont eu le malheur de ne pouvoir partir à la première alerte : les « voisins » musulmans des réfugiés ont, eux aussi, participé au pillage de tous leurs biens. « Le matin, les gens de Daesh pillaient nos maisons (1). Le soir, c’était au tour des musulmans du village de Hawi », témoigne le vieil homme.

« Trahis » - selon eux - par l’armée kurde qui s’est retirée sans les prévenir pour provoquer grâce à cette fuite éperdue un « choc » dans l’opinion internationale et l’envoi d’armes susceptibles de l’aider à conforter son État, « trahis » aussi par leurs « frères » musulmans, les membre des multiples minorités irakiennes ne croient plus à la cohabitation avec eux. Désormais, et même en cas de retour dans leurs foyers, l’idée de devoir croiser ces derniers fait horreur aux chrétiens de Qaraqosh.

« Plus aucune garantie de vivre en sécurité »

Chef d’un clan de 46 familles kakaï (une religion antéislamique très discrète), accueillies à Ankawa au camp de Mart Schmouni au milieu de leurs voisins chrétiens, Mohammed ne dit pas autre chose. « Nous ne retournerons dans nos villages qu’à condition qu’on nous enlève le village musulman qui s’est construit au milieu ». Azhar Khalil Sulaiman, yézidie installé depuis une dizaine d’années à Souleymania, au sud du Kurdistan, où il enseigne à l’université, en est persuadé lui aussi : « Les yézidies n’ont pas d’avenir ici. Non seulement nous avons tout perdu, mais nous ne serons jamais en sécurité ». « Nous n’avons plus confiance », « plus aucune garantie de vivre en sécurité » aux côtés des musulmans, répètent-ils.

« Quand j’étais jeune, mon grand-père, mon père me répétaient de me méfier des musulmans, qu’un jour ils nous poignarderaient dans le dos », raconte le P. Amir Jaje, supérieur des dominicains d’Irak, reprenant une formule souvent entendue. « Je ne les croyais pas, j’ai étudié l’islam, ouvert l’Académie des sciences humaines à Bagdad pour favoriser les échanges... Aujourd’hui je pense qu’ils avaient raison. »

Alors qu’une partition du pays s’amorce entre kurdes à l’est, sunnites à l’ouest et chiites au sud, chabaks et turkmènes chiites, chassés par l’État islamique, sont priés de rejoindre « les leurs ». Mais où les yézidies, les chrétiens, les kakaïs et les Sabéens pourront-ils trouver refuge ? La crainte d’une éradication totale de ces religions anciennes, plus anciennes encore que l’islam, sur la terre qui les a vues naître n’est, hélas, plus infondée.

« Je pense toutefois que l’humain peut sauver la relation »

Venu vivre à Souleymania, au sein de la communauté Al Khalil fondée par le jésuite Paolo Dall’Oglio pour tenter d’établir un pont entre Églises orientales et musulmans, le frère Sébastien Duhaut ne peut que constater ces tensions. « J’entends tous les jours des choses très dures sur l’islam, religion du diable, ou des questions sur pourquoi en France nous ne ‘mettons pas dehors les musulmans’. J’écoute. Il faut rester modeste, je n’ai pas partagé leurs souffrances, leurs peurs », confie le jeune Français.

« Je pense toutefois que l’humain peut sauver la relation : les chrétiens essaient d’aimer les musulmans en dépit de leur religion qu’ils n’aiment pas. Et parfois, à ceux que je connais un peu mieux et qui disent ‘’détester les musulmans’’, je demande s’ils me détestent aussi parce que je lis un peu le Coran… » Fervent partisan du dialogue islamo-chrétien et organisateur régulier de rencontres entre croyants des deux religions comme prêtre à Mossoul, évêque à Kirkouk et désormais patriarche des Chaldéens à Bagdad, Mgr Louis Raphaël Sako s’inquiète lui aussi de cette montée du fondamentalisme « un peu partout dans l’islam » qui met en péril toute coexistence pacifique avec d’autres courants musulmans ou d’autres religions.

« Si ces voisins musulmans ont pris les biens des déplacés, c’est parce qu’eux aussi considèrent qu’il est justifié, au nom de l’islam, de les prendre », assure le patriarche Sako. Même à Bagdad, en ce moment, certains se rendent à l’administration, falsifient les titres de propriété et vont voir les chrétiens en leur disant qu’ils ont ‘’acheté’’ leurs maisons et les obligent à partir. Qu’elle soit due à l’ignorance ou alimentée par le discours des responsables musulmans, cette mentalité est terrible ».

« Nous avons le droit de vivre dans ce pays en tant qu’êtres humains »

Conscient du traumatisme profond créé par ce nouvel exode, le patriarche des Chaldéens plaide, comme beaucoup d’autres en Irak, pour « une intervention militaire internationale », suivie d’une force d’interposition là encore internationale, seule à même de permettre le retour - d’une partie au moins – des déplacés.

Au-delà, il attend aussi de la communauté internationale qu’elle exige des « pays arabes ou majoritairement musulmans qu’ils rééduquent leurs populations, en leur enseignant une culture ouverte, le respect de l’autre ». « Nous avons le droit de vivre dans ce pays en tant qu’êtres humains », rappelle-t-il. Un travail sans doute de longue haleine, reconnaît frère Sébastien  : « L’islam doit dépasser théologiquement, et non pas seulement du point de vue humaniste cette tentation radicale. Comme les autres monothéismes avant eux, les musulmans doivent trouver d’autres voies pour exprimer leur zèle religieux que le meurtre de ceux qu’ils considèrent comme déviants. »

Anne-Bénédicte Hoffner, à Erbil et Souleymania (Kurdistan irakien)

 

(1) Selon d’autres informations, l’État islamique aurait même miné les maisons de ceux qu’ils ont chassés.

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Publié le Mercredi 3 Septembre 2014 à 08:50:17

Bahreïn : la cathédrale bientôt en construction

Après un don du roi, l'édifice sera dédié à Notre Dame d'Arabie

Anne Kurian

ROME, 1 septembre 2014 (Zenit.org) - La future cathédrale du Bahreïn sera bientôt en construction, une perspective encourageante pour les chrétiens du Moyen-Orient. Le roi du Bahreïn a par ailleurs fait part de sa volonté d’aider deux cents familles chrétiennes de Mossoul.

Le roi du Bahreïn, Hamad bin Isa Al Khalifa, a en effet offert un terrain de quelque 9000m² pour la construction d’une cathédrale, qui sera dédiée à « Notre Dame d’Arabie ».

Un geste de détente

Mgr Camillo Ballin, vicaire apostolique d’Arabie du Nord, se réjouit au micro de Radio Vatican de ce geste de « détente », en une période où les minorités religieuses sont persécutées dans diverses régions du Moyen-Orient.

« Le roi me demande souvent des nouvelles de la construction de l’église. Quand je lui ai dit qu’elle serait dédiée à Notre Dame d’Arabie, il en a été très heureux », rapporte-t-il.

Le projet de l’édifice, qui pourra accueillir 2.300 personnes, a été confié à un architecte italien : « très simple », il représente la tente des Hébreux pendant l’exode. L’église sera de forme octogonale et aura un clocher.

Mais il n’y aura pas de croix ni d’autres signes religieux, « non pas parce que ce serait interdit ou parce que le roi ne le voudrait pas, mais parce que je ne veux pas susciter de réactions éventuelles de la part des fondamentalistes », précise Mgr Ballin.

Aider les familles de Mossoul

« Le roi du Bahreïn s’est déclaré disposé à aider deux cents familles chrétiennes de Mossoul et il est même prêt à les recevoir à Bahreïn. Cela démontre sa générosité à l’égard des chrétiens », confie-t-il par ailleurs.

Après le drame qui a récemment touché la famille du pape François, Hamad bin Issa Al Khalifa avait fait parvenir au pape un message de condoléances : « sa rencontre avec le pape (le 19 mai dernier, ndlr) avait été très positive. Je suis convaincu que le roi en a été très heureux : après la visite, il a voulu me rencontrer pour me remercier d’avoir travaillé à l’organisation de cette audience », ajoute le vicaire apostolique.

Le Bahreïn avait déjà donné un terrain pour la construction d’une église catholique, en 2009 (cf. Zenit du 7 janvier 2009). Les relations bilatérales n’ont cessé de progresser depuis 2008, après l'arrivée du premier ambassadeur et la rencontre entre Benoît XVI et le souverain du Bahreïn (cf. Zenit du 9 juillet 2008 et Zenit du 7 juillet 2009).

 

Selon des données de l’Aide à l’Eglise en détresse, les catholiques représentent un peu plus de 5% de la population (les chrétiens sont au total 9%) du pays, à majorité musulmane (84%).

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Publié le Mercredi 3 Septembre 2014 à 08:48:47

La déstabilisation du Golan par les djihadistes

inquiète l'armée israélienne

Jérusalem / Piotr Smolar / Le Monde 020914
Le Front Al-Nosra cible les casques bleus

chargés de contrôler le cessez-le-feu depuis 1974

 

 

 

Ils ont rampé la nuit, dans les collines, après deux jours de combats intenses. Ils ont refusé de déposer les armes face aux combattants islamistes du Front Al-Nosra, affiliés à Al-Qaida, racontèrent ensuite leurs supérieurs, fiers malgré la déroute.

Encerclés dans le campement de Rwihana, sur le plateau du Golan, à la frontière entre Israël et la Syrie, 40 membres philippins de la Fnuod, la Force des Nations unies chargée de surveiller cette zone tampon, ont réussi à s'extraire d'un piège redoutable, dans la nuit du lundi 1er septembre, avec l'aide militaire israélienne et syrienne.

Samedi, trente-cinq de leurs compatriotes, à Breika, avaient déjà été ramenés vers leur base, sains et saufs. En revanche, 45 soldats fidjiens, qui, eux, avaient choisi de déposer les armes face à l'adversaire, sont détenus depuis le 28 août par le Front Al-Nosra. Ce dernier demande l'acheminement d'aide humanitaire dans la région de Damas et de ne plus être classé comme organisation terroriste.

Pendant près de quarante ans, le plateau du Golan a été relativement calme. Puis la guerre civile a embrasé la Syrie, à partir de 2011, et les équilibres du passé se sont fissurés. Depuis plusieurs mois, les alertes se multiplient. Des tirs de roquette et de mortier, ou bien des salves d'arme automatique ont été déclenchés en direction d'Israël en provenance de la Syrie. Impossible d'établir clairement l'identité et les intentions des auteurs. L'armée israélienne choisit de répondre par le feu lorsque l'incident est jugé grave. Comme en juin, quand un adolescent de 15 ans est mort alors qu'il accompagnait son père, employé sur un chantier.

Dimanche, l'armée israélienne a abattu un drone syrien qui avait franchi la ligne de démarcation. Le modèle de l'engin et ses éventuelles capacités militaires n'ont pas été précisés. Le gouvernement s'est contenté de féliciter les forces aériennes pour leur vigilance et de poursuivre l'édification d'une imposante barrière de sécurité. La plupart des experts estiment que les rebelles syriens, éclatés en différents groupes, aux stratégies divergentes et aux ambitions parfois concurrentes, ont assez à faire face aux forces syriennes pour ne pas attaquer Israël de front.

Néanmoins, un nouveau degré d'alerte a été atteint le 27 août, lorsque des combattants d'Al-Nosra ont pris le contrôle du point de passage de Kuneitra, au prix d'intenses combats contre les soldats syriens, qui se poursuivent depuis. Plusieurs tirs de mortier ont touché le côté israélien.

Zone démilitarisée

Le plateau du Golan est une zone frontalière stratégique entre la Syrie et Israël, dont l'Etat juif s'est emparé après la guerre de 1967, avant de l'annexer en 1981. L'annexion n'a jamais été reconnue par la communauté internationale. La Force des Nations unies chargée d'observer le dégagement (Fnuod) a été déployée en 1974 dans la zone tampon, démilitarisée, d'environ 70 kilomètres entre le mont Hermon et le Liban, au nord, et la rivière Yarmouk et la Jordanie, au sud. Son objectif : veiller au respect du cessez-le-feu entre Israël et la Syrie. Mais cette donne diplomatique ancienne paraît menacée.

La Fnuod compte près de 1 200 membres, originaires de six pays (Fidji, Inde, Irlande, Népal, Pays-Bas et Philippines). Plusieurs nations se sont déjà retirées à cause de la détérioration de la situation dans le Golan. Aujourd'hui, la question de la prolongation de la mission se pose avec acuité en raison de la multiplication des affrontements armés. L'Irlande a averti, lundi, qu'elle retirerait ses hommes si la mission n'était pas renforcée.

Sa remise en cause consacrerait les forces israéliennes en surveillant général de la zone. Mais l'alternative entre une victoire de l'armée syrienne et celle d'islamistes sunnites rêvant d'effacer les frontières régionales ne pousse guère Israël à faire un choix.

 

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Publié le Mercredi 3 Septembre 2014 à 08:47:04
 

L'Etat islamique (EI) a-t-il un avenir politique

au-delà des péripéties sanglantes de la guerre ?

Sa prise de la base aérienne de Taqba, il y a quelques jours, prive les troupes d'Assad d'un point stratégique important dans le nord-ouest de la Syrie et desserre l'étau sur l'arrivée de combattants étrangers par la Turquie, alors que le flux tendait à diminuer quelque peu.

Cette victoire (avant une nouvelle attaque d'Alep ?) montre une fois de plus que l'Etat islamique sait agir militairement sur plusieurs théâtres. Il sait aussi s'adapter : les quelques bombardements américains ont provoqué une fragmentation de ses convois qui sont désormais plus modestes et discrets.

Le projet politique de cette organisation est connu : établir un califat. Le moyen d'y parvenir est plus incertain, en particulier à long terme, et dans l'hypothèse où le conflit actuel se terminerait à son profit, ce qui n'est pas certain, quoi qu'on en dise.

Comme d'autres groupes violents non étatiques qui, comme lui, ont exercé une sorte de souveraineté non internationalement reconnue sur des territoires plus ou moins vastes (citons le Revolutionary United Front en Sierra Leone, le PKK au Kurdistan, le Hezbollah libanais, AQMI au Mali, les talibans en Afghanistan, Boko Haram depuis peu, etc.), et qui n'avaient pas forcément une même doctrine ou un objectif politique identique, il va affronter ou affronterait certains problèmes propres aux quasi-Etats que ces organisations ont parfois eu vocation à devenir.

D'abord, il serait difficile à un Etat islamique d'obtenir une reconnaissance internationale. En son temps, l'Emirat islamique d'Afghanistan (les talibans) n'était reconnu que par une poignée d'Etats en raison de ses nombreuses violations des droits humains.

Sur ce plan, l'Etat islamique ressemble au régime taliban. Au-delà de la barbarie baroque de ses militants et du fait que certains d'entre eux considèrent la guerre en cours comme l'ultime djihad de l'Histoire, ses exactions actuelles ont à ses yeux plusieurs avantages : la symbolique si djihadiste et califale des décapitations et l'application d'une charia particulièrement violente ne sont que les aspects les plus médiatisés de l'imposition d'un ordre politique et moral à base de tribunaux religieux locaux, d'émirs parfois autodésignés et, sans doute dès à présent, d'un endoctrinement des populations, en particulier des plus jeunes.

Ce fut fait en Afghanistan, tenté au Nord-Mali, en Somalie et au Yémen, partout où une organisation djihadiste contrôle un territoire et sa population.

Une capitale lui serait aussi nécessaire. Bagdad ou Damas, villes prestigieuses dans l'imaginaire arabo-musulman, feraient évidemment l'affaire, mais paraissent pour l'instant inaccessibles.

Surtout, le contrôle de la population vivant sur le territoire de l'" EI-land " passerait par la nécessité de lui fournir les biens publics collectifs – hygiène, santé, transport, électricité, etc. – indispensables à sa survie, d'où la demande récente (et très indicative) de l'organisation aux fonctionnaires, juges, médecins, professeurs et autres professionnels essentiels de rester ou de revenir chez eux.

On notera qu'il ne manquait – heureusement ! – pas d'ONG en Afghanistan pour aider les populations vivant sous le régime des talibans dans les années 1990, pays au demeurant beaucoup moins développé que la Syrie et l'Irak, surtout d'un point de vue sanitaire et médical.

Le contrôle de la frontière turque qui se joue ces jours-ci est important, car c'est la frontière de la pérennité de l'EI, quoique la frontière libanaise pourrait, au pire, jouer ce rôle – les militants étrangers arrivent d'abord par là, peut-être également un certain nombre d'armes par le biais de divers réseaux.

La question du pétrole produit dans la zone contrôlée par l'EI est évidemment fondamentale. Là encore, pour qu'elle perdure, il faut à cette organisation un débouché frontalier suffisamment poreux pour favoriser des échanges économiques, sinon officiels, du moins informels.

On se rappellera que vers 2005, les échanges entre l'Irak de Saddam, soumis à embargo, et les pays voisins étaient tolérés par la communauté internationale afin de favoriser la stabilité régionale et la survie politique des régimes voisins.

Enfin, si l'EI se stabilise dans des frontières, par exemple actuelles, et surtout dans l'hypothèse où le conflit s'achèverait à son profit, une réalité dramatique resurgirait bientôt : en l'espèce, jamais les djihadistes n'ont contrôlé dans l'Histoire contemporaine un territoire possédant un tel niveau de développement et de telles ressources.

S'il est difficile de faire une évaluation systématique des potentiels énergétiques, productifs et industriels actuels syriens ou irakiens contrôlés par l'Etat islamique, compte tenu des destructions possibles dues aux combats, ce qui subsiste paraît suffisant pour fournir à moyen et long termes des revenus importants.

Même à travers des circuits informels ou illégaux, ce qui suffit à faire des champs de pétrole et de gaz et des installations industrielles dépendantes autant d'objectifs de guerre. Les combats de début août autour d'un champ de gaz près de Palmyre ont montré à quel point cette question est un déterminant fort du conflit pour l'Etat islamique.

De surcroît, le potentiel technologique et l'expertise scientifique qui subsistent dans ces territoires, en personnels civils ou militaires et en gisement de données, sont un énorme problème pour la sécurité internationale.

Tandis qu'au Mali AQMI ne contrôlait aucun laboratoire d'aucune sorte ni aucune industrie manipulant des substances toxiques, par exemple en pétrochimie, l'Etat islamique a potentiellement des moyens de production industriels et des moyens de formation et de recherche scientifiques très importants, et même inusités au regard des critères habituels en matière terroriste.

En définitive, l'avenir de l'EI pourrait bien résider dans le soutien ou l'arrêt des soutiens des populations sunnites locales.

On sait en effet qu'une des raisons essentielles du succès actuel de l'EI est le soutien obtenu parmi les sunnites, en particulier parmi certains réseaux de combattants ou ex-militaires.

Même si l'EI réussissait à stabiliser militairement les multiples " fronts " et terrains " sur lesquels il est engagé, ce qui est loin d'être garanti, en particulier en raison du nouveau soutien occidental aux Kurdes, son enracinement politique resterait hypothétique.

Dès lors qu'il tentera d'appliquer son programme et sa vision politique sur les populations contrôlées, il sera intéressant d'observer parmi celles-ci l'essor de résistances.

Ce refus d'adhérer au " projet de société " de l'Etat islamique est d'ailleurs en train d'émerger ici ou là, y compris parmi les tribus sunnites.

Il reste à savoir avec quelle intensité et quelle chance de succès.

Une chose est sûre : une alliance opportune contre une dictature (en Syrie) ou les chiites (en Irak) n'est peut-être pas une justification suffisante pour vivre longtemps sous la loi rigoriste et sanglante d'un califat djihadiste.

Jean-Luc Marret

Chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et au Center for Transatlantic Relations de l'université Johns Hopkins (Maryland)

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