TEMOIGNAGE DE MERIEM – "Je vends du porc mais ce n'est pas pêché car je n'ai pas le choix"
Casablanca, le quartier Oasis. Au milieu des étals, celui de Meriem, Marocaine musulmane de 44 ans, qui vend du porc et différents plats depuis ses 20 ans. Lepetitjournal.com a rencontré cette femme au métier singulier qui a su, au fil du temps, se faire une place dans un monde essentiellement masculin.
Lepetitjournal.com : Meriem, que vendez-vous ?
Meriem : Dans ce marché, je vends du porc, jambon, saucisses, côtelettes, rôtis etc... ainsi que différentes pâtisseries, gâteaux et plats salés tels que paëlla, pastilla, tartes et quiches. Tout est fait maison et je me lève à 4h00 tous les matins sauf le lundi, mon jour de repos.
Pourquoi avoir choisi ce métier ?
Si je vends du porc, c'est parce que je n'avais pas le choix et pas d'autres ressources. A un moment de ma vie, je n'avais même pas de quoi me nourrir, j'étais divorcée avec deux enfants de bas âge. J'ai eu l'opportunité de travailler ici et je ne pouvais pas refuser. Dans le Coran, il est dit que si tu n'as pas le choix, ce n'est pas un pêché de vendre du porc. Donc, dans ma tête je me dis que ce que je fais n'est pas pêché.
Comment votre famille a-t-elle réagi?
Les réactions de ma famille ont été variées. Ma mère m'a dit "tant que tu gagnes ta vie, pourquoi pas puisque tu ne voles pas les gens". Nous sommes 6 frères et sœurs et seul l'un de mes frères n'a pas été content. Au début, il ne voulait plus venir manger chez moi. Il est allé voir un Imam qu'il lui a dit que cela ne devait pas lui poser de problème et que c'était mon affaire, entre Dieu et moi. Par la suite, il a accepté de venir à la maison. En fait, j'ai une famille ouverte.
Votre travail vous plait-il ?
Je n'aime pas trop mon travail mais je gagne ma vie et j'aime les clients. Je suis fière lorsque l'on me commande un plat à emporter car cela veut dire que l'on me fait confiance. Pour moi, bien travailler, c'est être honnête, souriante, ne pas tricher sur la qualité de la marchandise et son prix. C'est une question d'éducation. Lorsqu'on est honnête, déjà avec soi-même, alors on se sent bien !
Est-ce difficile de travailler dans ce milieu masculin ?
Travailler dans ce marché n'a pas été facile. J'y travaille depuis 24 ans et nous ne sommes que trois femmes dans un monde d'hommes, Khadija travaillant depuis toujours avec son père à la droguerie, et une nouvelle femme qui fait de la cuisine à l'autre bout du marché. On ne se voit pas beaucoup. Pour travailler ici, il faut être dure, vigilante, avoir du caractère, être sérieuse et ne pas se laisser faire. Au début, les hommes me testaient et voulaient me faire passer pour une mauvaise femme mais je me suis défendue et aujourd'hui, ça va bien et je suis respectée. D'autant plus qu'ils ont vu leur intérêt car j'amène beaucoup de clientèle européenne au marché, une clientèle fidèle et qui m'apprécie. Pendant un an, j'ai été obligée de fermer ma boutique et cela les a fait beaucoup réfléchir car il y a eu une baisse de la clientèle. Ils ne me disent rien sur mon travail parce que cela les arrange.
Nous sommes en plein Ramadan, qu'est-ce que cela signifie pour vous ?
Pour moi, ce n'est pas une période de fête. C'est un moment dans l'année où les gens doivent se tourner davantage vers Dieu. C'est une obligation et cela fait partie des 5 piliers de l'Islam, les autres étant : croire en Dieu et son prophète, faire la prière, donner aux pauvres une partie de ses économies et faire le pèlerinage à la Mecque.
> J'ai toujours fait Ramadan depuis mes 14 ans et il faudrait une décision venant de la bouche d'un médecin pour m'empêcher de le faire. Mais j'ai encore le courage pour cela.
> J'aimerais beaucoup me rendre à la Mecque. Mais cela coûte au moins 70.000 Dhs (NDR: soit environ 6300 euros). Je ne peux donc pas y aller pour le moment et surtout pas avec l'argent gagné ici car c'est de l'argent venant de la vente du porc. Je ne peux me le permettre puisque le porc est interdit dans la religion musulmane. Il me faudrait l'autorisation d'un Imam. Mais malgré cela, je crois que je ne le ferais pas...A quoi ressemble votre vie aujourd'hui ?
J'ai 44 ans, suis divorcée et j'ai deux enfants : Mon fils Yassine est ingénieur et ma fille Sabrinn poursuit ses études pour devenir négociatrice. Ils habitent tous les deux en France. J'ai moi-même eu mon bac.
Aujourd'hui, je n'ai aucune amie. Les gens ont toujours profité de la gentillesse de ma mère alors dans la famille, on a fini par vivre tous ensemble et on reste entre nous. Mes souvenirs d'enfance sont douloureux.
A 18 ans, je me suis mariée avec un européen catholique qui s'est converti à l'Islam. Je pensais que j'allais pouvoir être à la fois musulmane et moderne mais ma vie n'a pas été celle dont je rêvais et je me suis trompée sur mon mari qui n'était pas affectueux et sur qui on ne pouvait pas compter. Il est parti du jour au lendemain, on a divorcé par la suite.
Mais quand on a la foi, on dépasse les montagnes. J'attends ma deuxième chance. Sur Terre, ce serait savoir que mes enfants ont réussi même si je n'ai pas eu beaucoup d'argent pour les élever. Sinon, j'aimerais à ma mort être accueillie au Paradis par Dieu.
Lepetitjournal.com: Où puisez-vous votre foi
Je la puise surtout dans le souvenir de ma mère. J'ai eu la chance d'être élevée par une mère qui était très pratiquante. Elle a réussi à aller à la Mecque en économisant dirham après dirham. Cela a été une grande joie pour elle. Ma mère est tout pour moi, même si elle n'est plus là aujourd'hui.
Quels sont vos projets d'avenir ?
Tout d'abord, j'aimerais arrêter de vendre du porc. J'aimerais mieux ne faire que de la cuisine, préparer des plats, faire de la pâtisserie.
Je ne veux pas que mes enfants m'aident, c'est ma fierté ! Sauf pour une chose : Me payer mon pèlerinage à la Mecque. Ça, j'aimerais vraiment...
Quels conseils donneriez-vous aux femmes marocaines?
D'abord, je remercie 1.000 fois Sa Majesté le Roi Mohammed VI car grâce à lui, la femme est vue autrement aujourd'hui.
Les femmes doivent croire en ce qu'elles font et garder leurs convictions. D'une façon générale, les Marocains sont très aimés dans le monde entier car ils ont réussi à forger leur place.
Lorraine Pincemail (www.lepetitjournal.com/casablanca) Mercredi 11 septembre 2013
Meriem
Stalle 21-22 marché Oasis - quartier Oasis
Boulevard Abderrahim Bouabid, en face de la Poste
Ne relâchons pas la pression militaire
sur Bachar Al-Assad
La proposition du ministre russe des affaires étrangères de placer les armes chimiques sous contrôle international pour les neutraliser semble soudainement changer la donne de la crise syrienne, alors qu'en réalité, les fondamentaux sont toujours là. Depuis le début de la révolte en Syrie, les capitales occidentales n'ont cessé de tergiverser sur la nature de l'aide à apporter à l'opposition syrienne, sur la création de zones d'interdiction aériennes, sur les réactions à avoir au moment des premières utilisations d'armes chimiques... A chaque nouveau drame, le scénario fut toujours à peu près le même : des discours fermes suivis aussitôt du report de toute action concrète. Qui, par exemple, en dehors des Syriens, se souvient de l'indignation considérable que déclencha, en mai 2012, le massacre d'une centaine de personnes perpétré à Houla par les forces du régime ? La France avait même voulu saisir le Conseil de sécurité de l'ONU. Et pourtant, rien ne se passa. Peu à peu, on s'est comme habitué et donc résigné à la longue litanie des drames pourtant plus poignants les uns que les autres. La rapide dégradation de la situation en Syrie a provoqué un chaos dans lequel des djihadistes de toute tendance se sont aussitôt engouffrés, au point d'apparaître, au moins dans l'imaginaire occidental, comme les principaux acteurs de cette révolte. Dès lors, cela fournissait aux Occidentaux un puissant motif pour ne rien faire, puisque toute initiative ne pourrait servir qu'à ces dangereux extrémistes. Le cercle vicieux était en place : l'inaction renforce les islamistes radicaux, et leur présence légitime l'inaction. Comme pour se donner bonne conscience, les Etats-Unis ont alors évoqué, avec une apparente fermeté, ces fameuses lignes rouges concernant l'utilisation des armes chimiques. Quelque temps plus tard, ces armes furent pourtant utilisées, mais le président Obama s'est contenté de mettre en garde contre " toute décision hâtive " d'intervention... Et donc, encore une fois, rien ne se passa. Le massacre chimique du 21 août a brutalement replacé les puissances occidentales devant leurs responsabilités, car personne ne peut sérieusement douter qu'il soit l'oeuvre du régime. Compte tenu de ce qu'on vient de rappeler, rien d'étonnant à ce qu'elles aient à nouveau tergiversé encore et encore. Londres, d'abord, qui s'est finalement retiré parce que David Cameron s'est heurté au refus d'un Parlement encore traumatisé par le mensonge d'Etat de Tony Blair ; Obama, ensuite, qui consulte son Congrès, alors qu'il n'y est pas tenu juridiquement ; et, enfin, Paris, qui, avec une certaine constance, doit s'adapter sans cesse à ces nouvelles péripéties sur lesquelles il n'a aucune prise. Ces ambiguïtés et ces incertitudes sont aussi apparues dans la formulation même des objectifs annoncés. On a parlé successivement de " coup d'arrêt ", de " dissuasion ", de " coup de semonce ", ou encore de " punition ". C'est ce dernier terme qui s'est finalement imposé. Or ce terme, " punir ", n'a guère de sens en droit international en dehors du cadre des juridictions pénales, à commencer par la Cour pénale internationale qui est compétente pour juger des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Hormis le cas de légitime défense, le recours à la force n'est possible que sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies lorsque la paix et la sécurité sont menacées. On aurait pu soutenir qu'elles le sont ici. On a préféré faire référence à cette improbable " punition ". Dans ce contexte d'indétermination chronique, la proposition russe est particulièrement habile. Elle consiste à donner raison aux Occidentaux dans leur condamnation des armes chimiques tout en réussissant à soutenir le régime de Damas ! C'est un tour de force tactique de la part des Russes, à moins qu'il n'y ait eu au préalable, au G20 de Saint-Pétersbourg ou ailleurs, un accord entre Washington et Moscou pour sortir par le haut de cette confrontation annoncée aux risques imprévisibles pour tout le monde. Cette proposition est d'autant plus efficace, dans le grand jeu de la communication politique, qu'elle surgit juste avant le vote du Congrès des Etats-Unis ; et on peut facilement imaginer que bien des sénateurs et des représentants hésitants ou a fortiori réticents vont trouver là une bonne raison de refuser l'intervention. Et, quel que soit le vote du Congrès, le président Obama pourra aussi s'en servir comme d'un excellent moyen de sauver la face : l'intervention armée deviendrait inutile si cette proposition était acceptée par Bachar Al-Assad. Tout le monde semble ainsi pouvoir y trouver son compte... Sauf l'opposition syrienne. Car, dans une telle hypothèse, des dimensions essentielles de la crise seraient oubliées. Comme l'a rappelé Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, un crime contre l'humanité a bien été commis le 21 août. Mais ce n'est pas du fait de la nature des armes. Un crime contre l'humanité ne se définit en aucune façon par le moyen utilisé. Selon les termes de l'article 7 du statut de la CPI, c'est un " acte (meurtre, extermination, déportation, torture, viol...) commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile (...) ". C'est ce que fait Bachar Al-Assad depuis plus de deux ans ! Le génocide rwandais, qui a fait 800 000 morts en moins de cent jours en 1994, a été perpétré avec des fusils et des machettes ! Ce qui revient à dire qu'Al-Assad pourrait continuer sa répression sauvage, et donc commettre d'autres crimes contre l'humanité, à condition qu'il n'utilise plus les armes chimiques... Il vient encore de le montrer en larguant des bombes incendiaires (russes) au nord d'Alep cinq jours après l'attaque du 21 août. Parmi les enseignements à tirer de ce nouveau rebondissement, l'un est fondamental : les Occidentaux ne pourront rien faire s'ils n'affichent pas leur inébranlable fermeté qui, en dernière instance, peut passer par des frappes militaires. Si les lignes ont bougé ces derniers jours, c'est bien parce que cette menace d'intervention avait, malgré tout, quelque crédibilité. Il ne faut donc, en aucun cas, relâcher la pression, d'autant que la mise en oeuvre de la proposition russe est aussi complexe qu'aléatoire et pourrait finalement être qu'une manoeuvre de diversion. Et, pour que tout cela ait du sens, il faut utiliser cette situation de tension constructive pour aller bien au-delà de la question des armes chimiques en redonnant à l'opposition syrienne - à laquelle on a fait tant de promesses non tenues - des raisons d'espérer ; c'est-à-dire en lui offrant enfin les moyens militaires qu'elle réclame pour qu'une conférence internationale baptisée Genève 2 ait quelque chance de se tenir. Une solution politique n'a aucune chance d'aboutir sans une modification substantielle du rapport de forces. Comme l'écrivait Raymond Aron, l'art de convaincre du diplomate et l'art de contraindre du soldat sont indissociables. Jean-Paul Chagnollaud ,Professeur des universités, directeur de l'Iremmo © Le Monde 11 septembre 2013 |
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Professeur de science politique, et directeur de la revue " Confluences Méditerranée ", Jean-Paul Chagnollaud dirige L'Institut d'études et de recherche sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, laboratoire d'idées et d'analyse des grandes questions politiques du bassin méditerranéen. Il a notamment publié " Quelques idées simples sur l'Orient compliqué " (Ellipses, juin 2008) |
Huit histoires de nouveaux convertis
Ils étaient athées, ou juifs, ou musulmans. Ils sont arrivés à la foi chrétienne en partant de rivages parfois lointains et hostiles. Le dernier de la série: un musulman turc devenu docteur en théologie catholique
par Sandro Magister
http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350595?fr=y
ROME, le 10 septembre 2013 – Notre époque n’est pas particulièrement brillante pour ceux qui se convertissent au christianisme. Souvent ceux qui "dialoguent" avec l’Église tout en restant à l’extérieur sont plus respectés que ceux qui embrassent la foi chrétienne et demandent le baptême.
Mais il est également vrai que les conversions au catholicisme sont plus nombreuses que l’on ne pense. À partir des rivages les plus divers, y compris les plus lointains et les plus hostiles.
Quatre ans après avoir réalisé une première série d’interviews qui ont été réunies dans son ouvrage "Nuovi cristiani d'Europa. Dieci storie di conversione tra fede e ragione [Nouveaux chrétiens d’Europe. Dix histoires de conversion entre foi et raison]", Lorenzo Fazzini – journaliste et dynamique directeur d'EMI, Editrice Missionaria Italiana – a entrepris l’exploration de huit autres histoires de grands convertis.
La dernière interview de cette nouvelle série a été publiée dimanche 1er septembre dans "Avvenire", le quotidien de la conférence des évêques d’Italie. L’interviewé est un musulman converti au christianisme, qui est né et a grandi en Turquie et qui réside aujourd’hui en Allemagne.
Il s’appelle Timo Aytaç Güzelmansur (photo). Il est né en 1977 à Antakya, l'Antioche de l’antiquité, où – selon les Actes des apôtres – les disciples de Jésus de Nazareth ont été appelés chrétiens pour la première fois.
Après s’être converti et avoir reçu le baptême il a étudié la théologie de 2000 à 2005 à Augsbourg, en Allemagne, puis à l’Université Pontificale Grégorienne, à Rome. Il a obtenu un doctorat de recherche à la Hochschule Sankt Georgen de Francfort, la faculté de théologie où Jorge Mario Bergoglio, quand il était encore un jeune jésuite, souhaitait compléter ses études.
Son “mentor” a été un autre jésuite, Christoph Tröll, grand expert de l’islam, très apprécié en raison de cette compétence par la conférence des évêques d’Allemagne et par Joseph Ratzinger lui-même qui fit appel à lui, en 2005, alors qu’il venait d’être élu pape, pour faire l’introduction de la session d’études annuelle destinée à ses anciens étudiants en théologie qui a lieu à Castel Gandolfo.
Dans cette interview, qui est reproduite ci-dessous, Timo Aytaç Güzelmansur ne nie pas la "dangerosité" d’une conversion dans un pays tel que la Turquie et à plus forte raison dans d’autres pays musulmans encore plus intolérants.
Mais il souligne que les conversions ne manquent pas, y compris celles qui ont lieu pour un motif très semblable au sien : la découverte que "Jésus nous a aimés au point de se donner pour nous sur la croix".
C’est un motif qui est également intervenu pour certains des convertis interviewés par Fazzini, comme le montrent les entretiens publiés par "Avvenire" à partir du 15 juillet dernier.
Ce sont dans l’ordre :
1. PETER HITCHENS – Frère moins connu de Christopher – qui forme, avec Richard Dawkins et Daniel Dennett, la triade du "nouvel athéisme" – il a lui aussi commencé par une opposition radicale à toute foi religieuse. D’abord trotskyste, il est ensuite devenu un ardent partisan du communisme de stricte observance soviétique. Il s’est converti au christianisme à l’âge adulte, à partir d’une réflexion sur un tableau de Rogier van der Weyden représentant le Jugement dernier.
> Hitchens: "Dio è sempre una possibilità"
2. PATRICK KÉCHICHIAN – Du Paris de Jacques Lacan et de la psychanalyse au Christ de Péguy et de Claudel. En passant par les pages du “Monde”, le quotidien français de la "laïcité". La conversion de Patrick Kéchichian, critique littéraire et écrivain, a trouvé dans l’amour du Nazaréen – à travers les pages de Kierkegaard – la réponse aux questions qui se pressaient en lui.
> Kéchichian. Il mistero doloroso che va verso la luce
3. TATIANA GORITCHEVA – Théologienne et activiste russe, elle a choisi l’Évangile et accepté la prison et l’exil comme prix de son refus de l’"idéologie diabolique" d’un marxisme qui voulait changer l’homme en reniant toute ouverture vers le ciel. Aujourd’hui elle vit à Paris et, de cette ville, elle met l'Occident hédoniste en garde contre un autre veau d’or, la frénésie de consommation qui annule la soif spirituelle de l’être humain.
> Goritcheva: l'alba dopo il sovietismo
4. STRATFORD et LÉONIE CALDECOTT – Ils vivent dans une ville anglaise, Oxford, qui est synonyme de pouvoir intellectuel. Mais Stratford Caldecott et son épouse Léonie ont été conquis par la grâce que la foi chrétienne, découverte comme don et vécue en liberté, peut offrir au monde contemporain
> Caldecott: l'élite di Oxford non ama i cristiani
5. FRANÇOIS TAILLANDIER – Est-il possible de se convertir au christianisme grâce à la figure de Jean-Paul II, tout en restant "progressiste" dans la vision que l’on a de la vie ? Pour François Taillandier, écrivain et journaliste français, c’est ce qui s’est passé. Il a effectivement vécu son entrée dans la foi grâce au pape Karol Wojtyla, à sa parole exigeante par rapport à la mentalité commune, à sa dénonciation d’un capitalisme impitoyable envers les pauvres.
> Taillandier: "Io, convertito dal papa combattente"
6. MYROSLAV MARYNOVYCH – Son engagement en faveur des droits de l’homme dans ce qui était alors l’Union Soviétique lui a valu dix ans de prison et d’exil. Aujourd’hui il est vice-recteur de l’Université Catholique Ukrainienne à Lviv, où il dirige l’Institut de la religion et de la société, qu’il a fondé en 1997. Il a également fondé la section ukrainienne d’Amnesty International. Il a participé comme auditeur au synode des évêques de 2001.
> Marynovych, un mistico nel gulag sugli Urali
7. JEAN-MARIE ELIE SETBON – Les romans de l’écrivain juif américain Chaim Potok, qui ont comme protagoniste un peintre juif ultra-orthodoxe qui peint une crucifixion et suscite ainsi le scandale dans sa communauté à New-York, semblent s’être incarnés en Jean-Marie Élie Setbon. Juif de père et de mère, attiré depuis l’enfance par Jésus crucifié, il a été ordonné à Jérusalem rabbin du mouvement traditionaliste Loubavitch. Aujourd’hui, devenu catholique, il cherche à transmettre à tout le monde sa rencontre avec le Christ.
> Setbon. Dalla kippah al Crocifisso
Et ce qui suit est la huitième et dernière interview de la série.
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GÜZELMANSUR, UN MUSULMAN CONQUIS PAR JÉSUS
Interview accordée par Timo Aytaç Güzelmansur
Q. – Comment vous êtes-vous converti au catholicisme ?
R. – J’ai commencé à me rapprocher de la foi chrétienne à l’âge de 18 ans, après avoir fait la connaissance, dans ma ville, Antakya, d’un chrétien qui est devenu un ami pour moi. Je viens d’une famille musulmane pas particulièrement religieuse et, en tout cas, j’ai reçu une instruction fondée sur des principes musulmans : mes parents appartiennent à la communauté alaouite.
Après avoir rencontré quelques chrétiens, j’ai commencé à lire la Bible et en particulier le Nouveau Testament. Et j’ai été immédiatement fasciné par la personne de Jésus. Cette fascination, qui me captive encore aujourd’hui, et la surprise (à cause de l’émerveillement) de savoir que Jésus m’aime au point d’avoir été crucifié et d’avoir donné sa vie pour moi, sont les raisons pour lesquelles je suis devenu chrétien.
Q. – De quelle manière les personnes de votre entourage ont-elles réagi à l’annonce de votre conversion au christianisme ?
R. – Il y a eu différentes sortes de réactions. Dans ma famille s’est manifestée une certaine inconscience de ce que signifiait le fait que l’un des enfants, âgé d’une vingtaine d’années, ait décidé de se faire baptiser. Probablement à cause d’un sentiment de honte, en raison de ma décision de ne pas beaucoup extérioriser les raisons de mon choix religieux, il s’est produit un certain éloignement entre mon père et moi, à tel point que j’ai dû, pendant un certain temps, quitter le domicile de mes parents et émigrer en Turquie orientale. Selon certains de mes amis, je n’étais plus le même. En fait, ils me traitaient comme un renégat et ont rompu tout contact avec moi.
Q. – Pourquoi, au moment de vous faire baptiser, avez-vous décidé de prendre le nom de Timothée ?
R. – À peu près deux ans après avoir commencé à m’intéresser au christianisme, j’ai pris la décision de me faire baptiser. Un prêtre des Petits Frères de Jésus m’a préparé au baptême. Le 6 janvier 1997 j’ai été baptisé, sous le nom de Timothée, dans ce qui était alors la cathédrale du vicariat apostolique d’Anatolie, dans la ville de Mersin. Mon baptême a été célébré dans l’après-midi, en présence d’un petit nombre de personnes.
Ce nom, c’est moi qui l’ai choisi, personnellement, parce que Timothée était un disciple de saint Paul. Timothée était originaire d’Iconium, qui est aujourd’hui la ville turque de Konya. Lorsqu’il a commencé, avec Paul, à évangéliser l’Anatolie, il était jeune comme moi quand j’ai demandé le baptême. Dans une lettre, Paul a écrit à Timothée : “Que personne ne méprise ton jeune âge. Au contraire, montre-toi un exemple pour les croyants, par la parole, la conduite, la charité, la foi, la pureté” (1 Tm 4, 12).
Q. – Quel est l'aspect du christianisme qui vous a le plus frappé ?
R. – Je me suis converti au christianisme à cause du Christ ! Comme je l’ai déjà dit, ce qui me fascine encore actuellement, c’est l’amour de Jésus pour les hommes. Il nous a aimés au point de se donner pour nous sur la croix. Si Jésus donne sa vie pour moi, comment puis-je répondre ? Pour moi cela constitue la question fondamentale. Et il m’a paru logique de répondre à cet amour en suivant le Christ et en recevant le baptême.
Q. – Y a-t-il des aspects de l'islam que vous considérez comme positifs ?
R. – L’islam n’est pas une religion homogène. On y rencontre de nombreux courants religieux ainsi que différentes empreintes culturelles et les uns comme les autres sont présentés comme musulmans.
Par exemple je trouve formidable le fait que l’islam ne fasse pas de différences entre les races ou de discriminations reposant sur la couleur de la peau : tous les hommes sont traités comme des frères. En particulier chez les alaouites, la communauté musulmane à laquelle appartiennent mes parents, l’amour du croyant envers Dieu et envers les hommes est mis en évidence.
Toutefois il y a différents aspects de l’islam que je ne peux pas accepter, comme, par exemple, le rapport entre homme et femme, le rapport avec la force qui n’est pas clair, le concept souvent cité de “guerre sainte”.
Q. – Une coexistence pacifique entre les chrétiens et les musulmans est-elle possible ?
R. – Oui, je pense que c’est possible, même si j’ai l’impression que, aussi bien en Europe qu’en Turquie, chaque communauté ne connaît pas grand-chose de l’autre. Bien souvent nous vivons les uns près des autres mais pas l’un avec l’autre. Il faut que nous montrions davantage d’intérêt pour la vie des autres en nous communiquant nos expériences religieuses. Dans la mesure où nous sommes des personnes à la recherche de la volonté de Dieu, il y a beaucoup de défis globaux que nous ne pouvons relever qu’ensemble.
Il me semble que le poids de l’Histoire continue à peser sur nous et sur nos possibilités de nous connaître mutuellement. En tout cas le moment est venu - comme l’a dit le concile Vatican II dans le document "Nostra ætate" à propos des religions – de laisser le passé de côté pour chercher à nous comprendre sincèrement et réciproquement et à soutenir ensemble la promotion et la défense des droits sociaux, qui sont des biens moraux ; parmi ces droits, la paix et la liberté pour les hommes ne sont pas les derniers. Il faut que nous ayons le courage de nous rapprocher les uns des autres.
Q. – Depuis votre observatoire allemand, constatez-vous une augmentation des conversions de l'islam au christianisme ?
R. – En Allemagne environ deux cents personnes originellement musulmanes sont baptisées chaque année dans l’Église catholique. On ne sait pas quel est le nombre de nouveaux chrétiens de confession protestante qui proviennent de l'islam parce qu’il n’existe pas de statistiques sur ce point.
Les gens qui abandonnent l'islam ont des motivations différentes au moment où ils décident d’accomplir cette démarche, qui est dangereuse. Certains d’entre eux disent : Mahomet a été un homme politique et religieux trop violent et cette violence s’est également transmise dans le Coran. D’autres, pour leur part, perçoivent les communautés arabes où l'islam est majoritaire comme très arriérées. D’autres encore ont abandonné l’islam parce qu’ils sont venus vivre en Occident et qu’ils veulent s’y intégrer complètement : selon eux, une démarche fondamentale consiste à accepter la croyance de la majorité, autrement dit le christianisme.
Mais surtout il y a des musulmans à la religiosité profonde qui sont à la recherche de Dieu et qui, pour cette raison, trouvent dans le christianisme un Dieu qui les aime et qui leur offre la paix et un accueil. Grâce à leur rencontre avec le Christ ils découvrent une image de Dieu que, bien évidemment, ils ne peuvent pas trouver à travers l’islam.
Q. – En Italie la situation actuelle du christianisme en Turquie est connue surtout à cause de deux faits graves, l’assassinat du prêtre Andrea Santoro et celui de l’évêque Luigi Padovese. Comment vivent les chrétiens dans votre pays d'origine, la Turquie ?
R. – C’est vrai, il y a malheureusement eu en Turquie, dans le passé récent, des vagues de violence contre les chrétiens qui n’ont pas été combattues. Je n’ai pas connu personnellement le père Santoro, mais j’ai fréquenté entre 1998 et 1999 l’église Sainte-Marie de Trabzon où il a été assassiné de manière barbare en 2006. D’autre part j’ai été le référent personnel de l’évêque Luigi Padovese dans la ville d’Iskenderun. Son assassinat par son chauffeur me laisse encore aujourd’hui stupéfait. À cette série de meurtres il faut ajouter ceux de trois chrétiens protestants et celui du journaliste arménien Hrant Zaehlen.
Depuis que ces événements se sont produits, les chrétiens qui vivent en Turquie se sentent de plus en plus mal à l’aise. L’humeur sociale du pays offre une grande variété de situations : cela va des comportements de voisinage amical jusqu’à des infractions hostiles. En fonction de l’endroit où l’on habite en Turquie, on peut vivre toutes ces situations. Dans la ville de Malatya, où trois chrétiens protestants ont été assassinés en 2007, encore aujourd’hui aucun Turc ne reconnaît qu’il est chrétien. Alors qu’à Antakya, au contraire, les représentants de l’État eux-mêmes se réjouissent des bons rapports qui existent entre les musulmans, les chrétiens et les juifs.
Q. – Existe-t-il, dans l'islam d’aujourd’hui, une attention plus grande que par le passé à la démocratie, aux droits de l’homme et à la liberté religieuse ?
R. – Lorsque les soulèvements désignés sous le nom de révolutions arabes ont éclaté, personne ne pouvait prévoir quelles dynamiques elles allaient déchaîner. Beaucoup de gens, en Égypte, en Tunisie, à Bahreïn et ailleurs, sont descendus dans la rue parce qu’ils étaient conscients qu’ils ne pouvaient plus se laisser exploiter par le pouvoir de l’État. Des hommes, des femmes, des jeunes, se sont soulevés pour défendre leurs droits et pour obtenir davantage de liberté.
Dans ce contexte aussi, les différentes traditions culturelles ont conditionné la vie politique et sociale de chaque pays. Je ne pense pas que la démocratie se situe aux antipodes par rapport à l’islam. Même si, en ce moment, il n’y a pas de bonnes nouvelles en provenance de la Turquie, nous devons nous rappeler que, dans ce pays, il y a une démocratie qui fonctionne, avec une population majoritairement musulmane. Je ne crois pas que la majorité de la population turque acceptera la charia comme système d’état. Ce qui est nécessaire, c’est davantage de formation et d’éducation. Nous avons besoin de voix musulmanes courageuses qui s’opposent au fondamentalisme afin de créer une liberté individuelle qui s’inspire des canons musulmans.
(Interview réalisée par Lorenzo Fazzini. Avec la collaboration d’Antonio Ripamonti)
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Pour les musulmans et les juifs qui se convertissent au christianisme, les rapports avec la communauté d’origine sont souvent difficiles, à des degrés divers. Mais il arrive également que les convertis ne soient pas non plus bien accueillis par les catholiques.
Voici comment le juif converti Jean-Marie Élie Setbon a répondu à une question à ce sujet :
"Oui, même ceux que nous appelons 'juifs réformés', les 'libéraux' qui participent au dialogue judéo-chrétien, même ceux-là n’ont pas apprécié ma conversion. Mais je ne suis pas une exception, puisque d’autres de mes frères et sœurs de sang ont vécu la même expérience. Je peux citer comme exemple le grand rabbin de Rome Eugenio Zolli. En définitive, je pense que, aujourd’hui, même dans l’Église, l’accueil d’un juif, et à plus forte raison celui d’un rabbin ultra-orthodoxe, reste un tabou, puisque cela ne devient pas un sujet dans le dialogue interreligieux".
On peut lire, à propos de la conversion, en 1945, du grand rabbin de Rome Zolli, cité par Setbon, et des réactions qu’elle a suscitées, cet article de www.chiesa, qui comporte un commentaire de l’historienne juive Anna Foa :
> Ce juif Jésus qui changea la vie du grand rabbin de Rome
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Traduction française par Charles de Pechpeyrou.
Le Monde.fr | 11.09.2013 à 03h23
Barack Obama a prononcé son discours en direct de la Maison Blanche, mardi 10 septembre. | AP/Evan Vucci
La proposition russe de placer les armes chimiques syriennes sous contrôle international représente un "signe encourageant" mais "il est trop tôt pour dire" si ce plan sera couronné de succès, a déclaré mardi le président américain Barack Obama. Même si une frappe "limitée" ferait passer un message fort, Washington entend poursuivre cette voie diplomatique, tout en maintenant le dispositif militaire américain déjà déployé en prévision d'éventuelles frappes, a ajouté le président lors d'une déclaration solennelle depuis la Maison Blanche.
OBAMA DEMANDE AU CONGRÈS D'ATTENDRE
Le cours de la guerre civile en Syrie a changé avec l'attaque chimique "écœurante" commise par le régime de Bachar Al-Assad le 21 août, ce qui pose un "danger" pour la sécurité des Etats-Unis, a affirmé Barack Obama. "Ne pas faire barrage aux armes chimiques encouragerait l'Iran dans ses menées", a ajouté le président américain.
"Nous savons que le régime d'Assad est responsable", a martelé M. Obama, ajoutant que "la question est maintenant de savoir ce que les Etats-Unis et la communauté internationale sont prêts à faire face à cela". Washington va donc coopérer avec Paris, Londres, Pékin et Moscou à une résolution de l'ONU exigeant d'Assad qu'il renonce à ses armes chimiques, a redit M. Obama.
Barack Obama a annoncé avoir demandé au Congrès de repousser son vote sur l'usage de la force en Syrie "tant qu'était suivie la voie diplomatique" ouverte par la proposition russe de placer les armes chimiques syriennes sous contrôle international. "Cette initiative peut permettre de mettre un terme à la menace des armes chimiques sans recourir à la force, en particulier parce que la Russie est l'un des plus puissants alliés d'Assad", a déclaré le président américain.
UNE IDÉE DE LONGUE DATE ?
Plus tôt dans la soirée, l'administration américaine a par ailleurs assuré étudier depuis des mois la proposition de placer ses armes chimiques sous contrôle international. Les responsables américains avaient semblé pris de court lundi matin, quand le secrétaire d'Etat John Kerry avait évoqué l'idée que des frappes pourraient être évitées en Syrie si le régime plaçait son arsenal chimique sous contrôle international – avant que son porte-parole ne qualifie cette proposition de purement "rhétorique".
L'idée n'est pas passée inaperçue, suscitant de nombreux commentaires et s'attirant de nombreux soutiens, et poussant les Russes à déclarer qu'ils formuleraient une proposition allant en ce sens avec le soutien des Syriens. Les commentateurs se demandent depuis s'il s'agissait d'une gaffe de John Kerry ou d'une manœuvre délibérée de l'administration Obama pour éviter un vote potentiellement difficile au Congrès.
"L'annonce faite par les Russes est le résultat de mois de réunions et de conversations entre les présidents Obama et Poutine, entre le secrétaire d'Etat Kerry et son homologue Lavrov, sur le rôle que pourrait jouer la Russie pour sécuriser ces armes chimiques", a insisté auprès de l'agence AFP un haut responsable de l'administration.
UN PARI "GAGNANT-GAGNANT"
L'idée, toujours selon ce responsable, a été évoquée pour la première fois il y a un an, lors d'un sommet du G20 à Los Cabos, au Mexique, par Barack Obama et Vladimir Poutine, et a ensuite été étudiée à plusieurs reprises ensuite, "même si un accord n'avait jamais pu être trouvé". Lors du dernier sommet du G20, tenu à Saint-Pétersbourg la semaine dernière, Poutine "a de nouveau abordé" cette idée et "Obama a estimé que ce pourrait être une voie de coopération".
Pour Barack Obama comme John Kerry, c'est un pari "gagnant-gagnant", assure ce responsable : "Soit vous réussissez à mettre en œuvre un système rapide et vérifiable, ou alors vous pouvez dire que vous avez exploré en vain une nouvelle voie diplomatique, ce qui vous apporte de la légitimité et vous permet de gagner des alliés et des élus au Congrès".
Le "bon coup" diplomatique
de Vladimir Poutine,
par Arnaud Dubien
Le Monde.fr | 10.09.2013 à 22h22
Le président russe Vladimir Poutine, le 9 septembre près de Moscou. | REUTERS/RIA NOVOSTI
Moscou retrouve une certaine centralité dans le processus politique au Moyen-Orient, quelques jours seulement après le sommet du G20 à Saint-Pétersbourg. Surtout, Vladimir Poutine coupe l'herbe sous le pied de Barack Obama et de François Hollande, dont les ministres des affaires étrangères ont déployé beaucoup d'efforts ces derniers jours pour constituer une coalition soutenant une opération militaire contre le régime de Damas.
Quels sont les objectifs de la Russie et quelle logique sous-tend sa politique dans le dossier syrien ? La grille d'analyse dominante en Occident met en avant trois éléments – le "soutien indéfectible" au régime de Bachar Al-Assad, les intérêts militaires du Kremlin à Damas et une posture de "guerre froide" qui conduirait invariablement Vladimir Poutine à s'opposer aux Etats-Unis aux quatre coins de la planète.
UNE GRILLE D'ANALYSE OCCIDENTALE INSUFFISANTE
Aucun de ces arguments ne suffit cependant à comprendre la position de Moscou. Si des liens privilégiés – bien que fluctuants – existaient à l'époque de la guerre froide entre la direction soviétique et Hafez Al-Assad, le père de l'actuel président syrien, ce n'est pas le cas entre Vladimir Poutine et Bachar Al-Assad, éduqué non à Moscou, mais en Occident. La fameuse "base navale" russe de Tartous, en Syrie, n'est en réalité qu'un point d'escale logistique pour la marine de guerre russe, dont l'état actuel ne lui permet pas d'être un acteur militaire significatif en Méditerranée orientale.
La Syrie ne représentait, en 2011, que 5 % des commandes de matériels militaires de la Russie – laquelle s'est d'ailleurs abstenue de livrer, dès avant le conflit, tout système lourd (chasseurs MiG-31, missiles antiaériens à longue portée S-300, chasseurs-bombardiers Su-30) susceptibles d'être utilisés contre Israël ou de modifier les équilibres régionaux.
Enfin, si l'antiaméricanisme est effectivement vivace à Moscou et régulièrement utilisé par le Kremlin à des fins de politique intérieure, l'optique de Vladimir Poutine, jusqu'au début de l'été en tout cas, était au contraire de relancer les relations avec Washington. Des échanges prometteurs avaient d'ailleurs eu lieu en avril et en mai 2013 avec l'envoyé spécial de Barack Obama, Tom Donilon.
LES QUATRE POINTS IMPORTANTS DE LA LIGNE RUSSE À DAMAS
Quatre facteurs au moins entrent en ligne de compte dans la position russe sur le dossier syrien : une certaine vision des relations internationales, le précédent libyen, la crainte d'une montée en puissance sunnite – légèrement atténuée par le récent coup de force des militaires égyptiens – et un profond rejet de tout ce qui peut contribuer au désordre.
Le Kremlin est convaincu que de la solution apportée à la crise syrienne dépendra la manière dont la communauté internationale réagira, dans l'avenir, aux conflits intérieurs des Etats. Or, pour la Russie de M. Poutine, la souveraineté n'est pas un concept négociable, surtout si sa remise en cause vise à installer des régimes favorables aux Américains dans les anciennes républiques soviétiques et sur tout le pourtour de la Russie.
L'obstination de la Russie a également beaucoup à voir avec les événements de 2011 en Libye. A l'époque, le président russe Dmitri Medvedev, par son non-veto à l'ONU, avait ouvert la voie à l'opération occidentale contre Mouammar Kadhafi, le chef de l'Etat libyen. Ce geste est aujourd'hui unanimement considéré comme une erreur à Moscou. Les dirigeants russes ont eu le sentiment d'avoir été dupés par les Occidentaux, qui ont d'abord invoqué le devoir de protéger, avant de glisser dans une logique de cobelligérance ouverte. Ce malentendu libyen vient s'ajouter aux différends plus anciens mais dont le souvenir est très présent en Russie, que ce soit l'élargissement de l'OTAN à l'Est, la guerre au Kosovo en 1999 ou l'intervention américaine de 2003 en Irak.
Enfin, depuis le début du "printemps arabe", la Russie s'inquiète du renforcement des courants sunnites radicaux et, surtout, de ses conséquences dans le Caucase du Nord et en Asie centrale, où Moscou sera de nouveau directement confronté à la menace des talibans après le retrait de l'OTAN en 2014.
Rien ne dit que la proposition russe sera acceptée par Washington et Paris, même si l'on constate, ces dernières heures, que la "logique de guerre" recule. Pour le Kremlin, les enjeux sont importants. Une solution politique à la crise syrienne accroîtrait le prestige mondial de la Russie, très seule sur la scène internationale depuis la fin de l'URSS. Elle lui permettrait également de revenir en force dans le dossier iranien. La proposition russe, si elle est suivie d'effet à Damas, offrirait en outre une issue honorable à la Maison Blanche et à l'Elysée. Et elle ouvrirait probablement une période plus sereine dans les relations russo-occidentales.
Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe, à Moscou
Le Monde.fr avec AFP | 10.09.2013 à 15h13 • Mis à jour le 11.09.2013 à 02h09
Le Conseil de sécurité des Nations unies, ici en octobre 2011. | AFP/ESKINDER DEBEBE
UN PROJET FRANÇAIS DE RÉSOLUTION "INACCEPTABLE"
La Russie entend ainsi répondre à la France, dont le projet de résolution lui est apparu "inacceptable" parce qu'il prévoit en dernier recours l'usage de la force pour contraindre Damas à respecter les obligations de la résolution, selon le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov.
Un peu plus tôt, le chef de la diplomatie française avait en effet annoncé un projet de résolution auprès du Conseil de sécurité de l'ONU visant à "condamner le massacre du 21 août commis par le régime" et "exiger la lumière" sur le programme syrien d'armes chimiques, en réponse à la proposition russe de placer l'arsenal chimique syrien sous contrôle international.
"M. Lavrov a souligné que la proposition de la France d'approuver une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU (...) en attribuant aux autorités syriennes la responsabilité pour une possible utilisation d'armes chimiques était inacceptable", a complété le ministère russe dans un communiqué.
En revanche, la Syrie, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Walid Mouallem, a confirmé être prête à "se joindre à la convention pour l'interdiction des armes chimiques", ce qui mettrait automatiquement son arsenal chimique sous la supervision d'inspecteurs internationaux.
LA RÉUNION DU CONSEIL DE SÉCURITÉ REPORTÉE SINE DIE
La réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU sur la Syrie, qui devait débuter mardi à 16 heures heure locale (22 heures à Paris), a été reportée jusqu'à nouvel ordre, selon des diplomates.
Ce report a été décidé à la demande de la Russie, qui avait convoqué cette séance de consultations à huis clos. Les diplomates n'étaient pas en mesure de donner une raison de ce report, mais l'ont attribué aux Russes.
"DES IDÉES INTÉRESSANTES", SELON M. KERRY
Les Etats-Unis, et le secrétaire d'Etat John Kerry en tête, continuent d'évoquer la solution russe favorablement, mais avec prudence. M. Lavrov a "des idées intéressantes", a avancé M. Kerry lors d'un forum de discussion en ligne, mardi. "Si nous pouvons réellement sécuriser toutes les armes chimiques de la Syrie" par le biais d'une supervision internationale, "c'est clairement le moyen préférable, et de loin, et cela serait un véritable exploit", a renchéri le chef de la diplomatie américaine.
L'accueil réservé par Washington à cette initiative semble éloigner la perspective de frappes contre le régime syrien, accusé d'une attaque chimique le 21 août près de Damas, qui a fait plusieurs centaines de morts. Vladimir Poutine a ainsi jugé mardi que les Etats-Unis devaient renoncer au recours à la force en Syrie pour rendre efficace le contrôle international des armes chimiques.
Mais John Kerry a insisté sur le fait que ce processus doit "pouvoir être constamment contrôlé" avec un accès international à tous les sites en question et sur la nécessité d'"une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour être sûr qu'il y aura les moyens nécessaires".
Mais, a-t-il averti, "il doit également y avoir des conséquences, si l'on nous joue des tours ou si quelqu'un essaye de saper le processus. Le monde entier doit pouvoir s'investir".
Quelques jours à peine après être rentré d'une tournée qui l'a mené en Lithuanie, en France et au Royaume-Uni, John Kerry va rencontrer jeudi à Genève son homologue russe Sergueï Lavrov pour évoquer la situation en Syrie.
La situation en Syrie. Quatrième partie : La problématique du gaz interfère-t-elle dans la situation syrienne ?
Article publié le 03/05/2013
Par David Rigoulet-Roze
Si elle n’en constitue pas nécessairement le facteur nécessaire et suffisant pour expliquer l’évolution, sinon l’origine, de la crise syrienne, elle n’en demeure pas moins une variable importante qui ne saurait être sous-estimée dans le « nouveau Grand jeu énergétique » du début du XXIème siècle.
http://www.lesclesdumoyenorient.com/La-situation-en-Syrie-Quatrieme.html