Marcher, marcher toujours ...
Pareil au vaisseau qui, de son étrave,
Fend résolument les flots incertains,
L'homme, pas à pas, lourd de ses entraves,
Du levain des jours, pétrit son destin.
Il a tant cheminé, la nuit, le jour,
Cent fois trébuché, le coeur en déroute,
Et pourtant il lui faut marcher toujours.
Le lot de la vie, n'est-ce pas
A dos d'arc-en-ciel, à bras de mirages,
Qu'importe le sol rude à son pied nu,
Ou que l'air du temps ride son visage,
Il est riche même ayant tout perdu.
L'ombre et la lumière en lui se confondent,
Et l'onde et le feu. Mais de l'athanor,
Divine, jaillit la source féconde,
En souffle d'azur et paillettes d'or !
Au sein de l'Immense, il est une étoile
Eprise d'amour et de plénitude
Qui vers des lointains vogue à toute voile
Les yeux pleins de rêve et d'infinitude.
Alain Gautron
Détour
Il voulait partir loin, s'endormir, oublier,
Laisser là d'un seul coup sa vie d'oiseau blessé.
Son rêve était ailleurs, si lumineux, si chaud ...
Il tendait bien les mains, implorant tous les dieux,
Mais l'horizon fuyait devant ses pieds si las.
Alors vint le chaos où tout n'était plus rien,
Où s'ouvrait un abîme à défaut d'espérance,
Où le moindre faux-pas ... Mais où est le vrai pas
Sous un ciel sans étoiles, quand le gris tient la plume
Et colorie les mots de glace et de silence ?
Ses mots, les mots d'avant, il ne les comprend plus.
Il hante malgré lui de ténébreux séjours,
Puis à la fin s'écrie : « Faut-il donc s'égarer
A vouloir en finir ?
-- Oui, lui répond
Mais pour me revenir. Seul peut goûter le jour
Celui qui sait la nuit. C'était juste ... un détour ! »
AG
Magicienne
Elle a pris dans ses doigts
La terre du chemin,
Elle a parlé tout bas
Et soufflé sur ses mains,
Dit quelques mots étranges
En regardant les nues,
Puis a fermé les yeux
Et s'est mise à chanter.
Alors cent mille étoiles,
Attirées par son jeu,
Sont descendues danser
Dans l'or de ses cheveux.
Son chant était si doux,
Son souffle si léger,
Que
Y semblaient suspendus.
Debout, comme en prière,
Elle fut ainsi longtemps
Au milieu du chemin
Et si loin cependant.
Lorsque dans un sourire
Elle entrouvrit les yeux,
De ses mains s'envola
Un petit oiseau bleu.
AG
Le noctambule
J’aime beaucoup la nuit. C’est quand Il dort que je peux enfin être libre, me promener à ma guise, penser comme bon me semble, faire ce que je veux. Le jour, c’est impossible, évidemment, c’est Lui qui pense pour moi, qui me dit tout ce que je dois faire …
Cette nuit, puisque je me trouve actuellement en ville, je décide d’aller me balader dans les rues, au hasard, histoire de me vider la tête.
Il n’y a pas grand monde. Personne que je connaisse. Mais d’ailleurs, comment les gens me reconnaîtraient-ils ? Je suis sans visage. Vous avez bien entendu : j’ai une tête comme tout le monde, mais pas de visage. A son emplacement, il y a un flou comme dans les reportages à la télévision, quand on ne veut pas que les personnes soient reconnues. Alors, vous imaginez … peut-être me reconnaîtraient-ils à la voix, à condition encore que je leur parle … Ce qui est étrange, c’est que, quand ils me regardent, les gens font comme si de rien n’était, comme si c’était normal. Je ne me l’explique pas. Ils m'imaginent peut-être, et cela leur suffit. Encore une bizarrerie de cette vie.
Un petit café est encore ouvert. « Au rêve bleu », un joli nom ! J’entre. Quelques clients accoudés au bar parlent du match de football de ce soir. Le patron dort à moitié au milieu d’un nuage de fumée de cigarette. Je commande un expresso. Sur la banquette, j’avise un journal ouvert abandonné là par je ne sais qui. Mais quel n’est pas mon effroi de lire à la une :
« Assassinat hier matin du professeur Lenoir » !
Un long article détaille les circonstances du drame, avec photos à l’appui … Je n’arrive pas à me concentrer tellement le choc est rude. Mes mains tremblent, mon cœur s’emballe, je me sens soudain comme vidé de l’intérieur, parce que … parce que … le professeur Lenoir, c’est MOI !
Je me pince pour m’assurer que je suis bien vivant. Pas de doute. Mais alors … On écrit que j’ai été tué par la mafia italienne … à Paris, rue Tiquetonne ? Par exemple ! Si c’est un canular, il est du plus mauvais goût ! J'en aurai le coeur net :
« Patron, ce … ce journal, c’est celui d’aujourd’hui ?
― Oui, enfin d’hier, parce qu’il est une heure du matin, Monsieur.
― Vous connaissiez ce professeur Lenoir ?
― Moi non, mais c’était un grand savant, spécialisé dans la recherche nucléaire, je crois. Sa mort est une grande perte pour
― Merci. »
Ça, je le savais déjà, je sais qui je suis, quand même ! Encore heureux qu’on me regrette ! Cela voudrait donc dire que je n’existe déjà plus ?
Je sors du café, chancelant, ne sachant où aller. Je ferais mieux d’attendre demain matin qu’Il se réveille. Je Lui demanderai des explications. Ah ! c’est sûr, Il va m’entendre !
…
« Alors comme ça, vous me faites disparaître dès le premier chapitre, et au début, encore ! Me voilà au chômage, maintenant ! Je me plaindrai au syndicat ! Je ...
― Ah ! tu es déjà au courant ! Oui, j’ai rêvé ça cette nuit. Que veux-tu, c’est moi qui décide, je suis l’auteur, pas vrai ? Et je te rappelle que tu n’es qu’un personnage tout à fait secondaire de mon roman ! Estime-toi déjà heureux que je parle de toi !»
Le dos courbé, de noir vêtue,
Elle chemine à petits pas
Dans sa mémoire et dans la rue,
Ce présent qui n'écoute pas
Ses pauvres mots, si grands soient-ils.
En s'éloignant, les voix amies
De ces lieux firent son exil.
Le monde est jeune et on l'oublie.
Mais ce soir, son heure est venue :
Un voile s'entrouvre et voici
Sa douce étoile revenue,
Un flot d'amour qui l'éblouit.
Sans un regret, guidée par elle,
La voilà qui, d'un seul élan,
Folle de jeunesse nouvelle,
Traverse le miroir du temps.
Le vieux manteau du désespoir,
Son pauvre corps si fatigué
Sont là, gisant sur le trottoir.
A-t-elle déjà oublié ?
Enfin retrouvés, ceux qu'elle aime !
En ce Jardin illuminé
Que dans ses plus beaux songes même
Elle n'avait imaginé.
Chacun l'embrasse, l'encourage,
Autres décors, nouveaux matins.
La joie rayonne des visages.
Pour elle, tout s'éclaire enfin.
Mais dans la rue, l'on ne sait pas
L'infini bonheur qui l'emporte.
On se veut triste, on parle bas,
Les passants disent ... qu'elle est morte !
Alain Gautron