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Philoprepa

Sem n°2 Publié le Mercredi 16 Décembre 2009 à 17:52:13

Extrait du livre Introduction à la philosophie réaliste , de Michel Ferrandi


Chapitre III

Le vivant

 

 

 

Le vivant tient une place particulière parmi les corps. Qu'une science particulière – la biologie – lui soit consacrée le manifeste suffisamment. De plus, le vivant possède des caractéristiques aux yeux de la science. Jacques Monod retient trois critères qui doivent être présents simultanément pour qu'un être puisse être qualifié de vivant. Le premier critère est la téléonomie, c'est-à-dire qu'un système vivant est toujours un être qui répond dans son ensemble ou dans chacune de ses parties à une fonction, donc à une fin. Le second est la morphogenèse autonome, c'est-à-dire que le processus de formation et de développement d'un être vivant est indépendant du milieu extérieur. La morphogenèse assure le développement jusqu'à la maturité, ainsi que l'autoréparation. Enfin l'invariance reproductive : le vivant se reproduit, ce que ne fait pas l'être inerte ; et la reproduction conserve les caractéristiques de l'espèce.

Qu'en est-il du point de vue philosophique ? Y a-t-il des caractéristiques philosophiques du vivant ?

1. Nature du vivant

1.1 Caractères distinctifs du vivant.

Le sens commun nous fait distinguer naturellement le vivant du non-vivant. C'est surtout au point de vue de l'activité que se manifeste radicalement la différence : se nourrir, croître, mourir, sentir, penser, se mouvoir localement, changer, et engendrer sont des activités propres aux vivants. Mais ces activités ne sont elles-mêmes que la conséquence d'une caractéristique plus fondamentale : l'organisation. Un végétal comprend des racines, une tige, des rameaux et des feuilles, autant de parties différentes en genre et qui concourent à la perfection de l'être total. Certes les parties du vivant sont elles-mêmes composées d'éléments qui sont les mêmes que ceux du monde inerte : les corps chimiques (eau, substances minérales, substances organiques). On retrouve aussi les molécules fondamentales (oxygène, carbone, hydrogène, azote…). Mais ces molécules se regroupent selon une organisation tout à fait originale : sous l'effet de l'ADN, elles forment la cellule. C'est au scientifique qu'il revient de percer le mystère de cette organisation.

Le philosophe, quant à lui, se contente de remarquer comme caractéristique, le mouvement. Le fait que les éléments pris au milieu ambiant soient transformés témoigne d'un mouvement intrinsèque. De même, le fait que l'organisme lui-même se renouvelle. Le mouvement du vivant apparaît donc comme intrinsèque. Le vivant se meut lui-même. Or se mouvoir soi-même, c'est être la cause de son mouvement, c'est donc être à la fois cause et effet. Mais on ne peut être les deux à la fois sous le même rapport. Le moteur ne peut pas être mû pour autant qu'il meut. Le mû ne peut être moteur pour autant qu'il est mû. Il est donc nécessaire qu'il existe dans le vivant des parties qui agissent les unes sur les autres et réciproquement, de façon à ce que l'ensemble soit sous des rapports différents moteur et mû (moteur par ses parties motrices, mû par ses parties mobiles). Le coeur meut le sang, mais le coeur en tant que muscle est mu par le sang. Ce n'est donc évidemment pas sous le même rapport que le coeur meut le sang, et que le sang meut le coeur. Ce sont des mouvements de genres différents, qui ne peuvent s'effectuer ensemble que parce que ces deux parties sont elles-mêmes de genres différents. Elles sont hétérogènes. Le corps vivant est ainsi un ensemble de parties hétérogènes agissant les unes sur les autres, et agissant dans l'ordre. Ceci fonde le fait que le vivant se meut lui-même. Ainsi la caractéristique de l'automouvement est fondée sur la composition de parties hétérogènes ordonnées entre elles, elle-même organisation caractéristique du vivant.

Le vivant est composé de parties fortement structurées, en particulier les organes. L'organe n'est pas un simple rouage comme dans une machine. L'organe est une matière structurée de l'intérieur, tellement organisé de l'intérieur qu'il en porte le nom. Sa forme lui est naturelle, alors que la forme de la roue ne sera qu'accidentelle pour le fer. D'autre part, son organisation correspond à une fin. L'oeil est organisé pour voir. Il est l'organe de la vision. De façon générale, tout organe est organisé pour une fonction dans le corps. Il est l'organe d'une fonction. L'organe est donc aussi l'organe d'une organisation plus vaste, celle du corps en son entier. Cet ordre et cette finalité présents dans l'intime de la matière, sont caractéristiques du vivant. Jamais la machine n'accède à ce niveau d'intimité dans l'ordre et l'organisation. Jamais le rouage ne sera structurellement organe. Ajoutons que la fonction dans le corps est la raison d'être de l'organe. Un oeil qui ne voit pas n'est plus vraiment un oeil.

Ainsi chaque organe, et même chaque partie du vivant, est intrinsèquement finalisée pour pouvoir interagir avec les autres parties, et cela en vue du bien du corps tout entier.

1.2 Définition du vivant

Les activités propres au vivant montrent que c'est de lui-même que le vivant agit, tandis que le non-vivant reçoit le mouvement de l'extérieur. On définit donc le vivant comme « un être qui se meut soi-même[1] ».

Il faut entendre ici par mouvement tout changement. On ne saurait se limiter au mouvement local. Il y a le mouvement de nutrition, de croissance, de sensation, d'appétit, etc.

Le mouvement appartient de façon remarquable au vivant. Ce n'est pas simplement un mouvement qui traverse la matière. C'est un mouvement assumé. Le vivant en est l'origine, le sujet et la fin. Une boule qui roule est traversée par le mouvement sans pouvoir se l'approprier, même si elle le conserve. La plante n'est pas seulement traversée par l'énergie de la lumière : elle se l'approprie. Chez le vivant, le mouvement physique, qui est simplement mécanique, est en quelque sorte assimilé par un changement qui va au-delà du simplement mécanique. Cela est encore plus vrai d'un mouvement dont le vivant est lui-même l'origine. La maîtrise du mouvement, l'orientation qui lui est donnée et qui le dépasse, cela montre que l'on n'a pas affaire à un mécanisme, mais à une animation. Par exemple, dans la digestion, il y a un effet chimique : l'action de l'acide sur l'aliment. Mais que cette transformation chimique soit utilisée pour le bien même du vivant, cela dépasse le mécanisme. « Qu'une substance individuelle s'étende elle-même ontologiquement en transformant d'autres substances en de nouvelles parties de soi-même, cela on ne le réalisera jamais artificiellement[2] ».

D'autre part se mouvoir soi-même ne signifie pas que le vivant est le principe absolu et inconditionnel de son mouvement. En effet, le mouvement vital est conditionné par des causes dont il dépend. Par exemple, l'arbre croît et porte des fruits, mais cet acte dépend aussi de l'environnement (terre, soleil). Tout seul, il ne peut passer à l'acte. Donc lorsqu'on dit que le vivant se meut lui-même, c'est au sens où le mouvement ne lui est pas communiqué mécaniquement du dehors, mais résulte, sous l'action des causes qui le rendent possible, du principe vital lui-même, c'est-à-dire de l'organisation même du vivant.

Le vivant est donc le principe du mouvement, mais il en est aussi le terme. En effet toutes les opérations vitales concourent à la propre perfection du vivant lui-même. Le vivant agit en vue de se parfaire lui-même. Cela s'exprime par le concept d'immanence : l'effet de l'action demeure dans l'agent, alors que dans l'action transitive l'effet passe à l'extérieur de l'agent.

1.3 Les degrés de la vie

On distingue dans la nature trois grands types de vivants : végétaux, animaux, hommes. D'où découlent trois degrés de vie : vie végétative, vie sensitive, vie intellective. Les degrés inférieurs se retrouvent aux degrés supérieurs.

Autant une nature est élevée, autant ce qui émane d'elle se trouve être plus intérieur. Pour les corps matériels, il n'y a émanation que sous l'influence d'un autre. Chez les végétaux, la graine émane de la plante, mais pour aboutir à un être distinct. Chez les animaux, le terme de l'émanation est immanent, puisque c'est l'image perçue par les sens, passant par l'imagination et conservée dans la mémoire. Mais il n'y a pas de réflexion. Enfin, avec l'homme, l'intelligence est réflexive. Cependant, l'intériorité humaine est limitée, puisque l'intelligence puise ses données premières à l'extérieur.

1.4 Le mécanisme, le vitalisme, le finalisme

Ce sont trois courants philosophiques principaux qui se partagent l'interprétation du vivant.

Le mécanisme professe que tout, dans un vivant, est réductible aux lois physico-chimiques, que tout s'explique mécaniquement. L'organisation du vivant n'est rien de plus qu'un mécanisme complexe. Empédocle expliquait la formation des vertèbres en disant que l'os du foetus, d'abord droit, est ensuite brisé par manque de place dans l'utérus. Descartes, en identifiant la substance à l'étendue, rejette la notion aristotélicienne de forme substantielle. Dès lors la substance, et donc le vivant, n'est plus susceptible que de changements mécaniques. C'est pour cela que Descartes assimile le vivant à une machine. Selon Darwin, les espèces évoluent sous le seul effet de causes antécédentes ou efficientes. Darwin dit que telle espèce est adaptée à son milieu non pas parce qu'elle a évolué pour cette fin, mais parce que sous l'effet de la variation du milieu et de la sélection naturelle, elle a évolué de telle sorte qu'elle s'est trouvée adaptée. Pour Darwin, l'adaptation est un résultat. La génétique moléculaire a aussi pris la voie du mécanisme. Avec la découverte de l'ADN par Watson et Crick en 1958, l'hérédité est expliquée par des mécanismes chimiques.

Selon le vitalisme, il existe en chaque individu vivant un « principe vital » distinct des propriétés physico-chimiques des corps (et de l'âme spirituelle chez l'homme), et gouvernant les phénomènes de la vie. Cette doctrine rencontre des difficultés : soit la vie ne peut être sans un support matériel, et le lien reste alors à expliquer ; soit la vie est séparée de la matière, elle est alors une substance immatérielle, c'est-à-dire de l'esprit, ce qui revient à conférer l'esprit à l'animal et au végétal. La doctrine vitaliste a cependant le mérite de souligner l'irréductibilité des phénomènes biologiques à des mécanismes.

On trouve enfin le finalisme. Selon Aristote, la cause finale est la cause des causes. Donc l'enchaînement des causes efficientes ne saurait suffire à expliquer les propriétés d'un vivant. Aristote donne un exemple pris au monde inerte : un lit. Le lit est un objet conçu pour qu'on puisse s'y étendre afin de se reposer. Secondairement, c'est une chose en bois, en métal… Ce qui fait son essence, c'est sa fin, et non les causes efficientes qui l'ont précédé. Il en est de même pour le vivant. Si un vivant a des yeux, c'est pour qu'il voie. Les yeux ne peuvent se réduire à un enchaînement de causes efficientes aveugles. Dès lors apparaît la nécessité de reconnaître une direction dans la nature. Le finalisme se définit alors comme une doctrine admettant, dans l'univers, des faits révélant une direction, notamment chez le vivant, mais pas seulement chez lui. Chez le vivant, la finalité est manifestée par le fait que l'activité a pour fin le développement, la conservation et la reproduction de l'organisme. Il s'agit d'une finalité immanente.

2. L'âme

2.1 Nature de l'âme

Comme tout corps, le corps vivant est un composé de matière et de forme. Le langage l'indique, le corps vivant est un corps ayant la vie. Ce n'est pas un effet de langage, mais c'est parce que l'esprit saisit spontanément la différence entre être un corps et être vivant, du fait même que tous les corps ne sont pas vivants. Dans le vivant, la vie est quelque chose que reçoit le corps. La vie est une forme. La vie suppose donc un sujet, un récepteur : le corps. Ainsi l'âme n'est pas le corps, mais ce par quoi le corps vivant vit. Et il manifeste que le corps a la vie de façon radicale : le corps en son entier est vivant. Il n'a pas la vie comme on a un accident, par exemple un vêtement. C'est toute la matière du corps qui est vivante. Par conséquent l'âme – ce qui anime, ce qui donne la vie au corps – n'est pas le corps lui-même, n'est pas non plus la matière, mais, par élimination, est la forme même du corps vivant. L'âme est la forme substantielle du corps vivant. Le cadavre le montre : privé de vie, le corps n'est déjà presque plus un corps. Il perd son unité, il est en voie de décomposition. Ainsi Aristote est fondé à donner cette définition précise : « l'âme est la forme d'un corps naturel ayant la vie en puissance ». Par cette formule, Aristote souligne bien que le corps est puissance par rapport à l'âme : il est comme la matière par rapport à la forme. Et pour insister sur cette présence substantielle et non accidentelle – sans pour autant que l'âme soit substance, ce qui sera le cas unique de l'homme –, Aristote ajoute que l'âme est substance comme forme, c'est-à-dire que c'est elle qui donne au corps d'être substance.

Distinguons bien l'âme de toute forme accidentelle. L'âme est forme substantielle, c'est-à-dire qu'elle fait être. Alors que la forme accidentelle fait être de telle ou telle sorte. Pas plus qu'on ne peut réduire l'être à un simple accident, pas plus on ne peut réduire l'âme à une forme accidentelle.

Il y a un autre sens de l'acte qui nous permet d'éclairer encore ce qu'est l'âme. L'acte ne renvoie pas qu'à l'être, il renvoie aussi à l'agir. Cela est capital pour le vivant puisqu'il se définit par sa capacité d'agir par lui-même. L'âme est ce qui le fait agir. De plus, l'agir – sentir, croître, penser, etc. – est tellement naturel qu'il ne peut être le fait que de ce qui nous fait être, c'est-à-dire de notre forme, de notre âme. C'est pourquoi l'agir est révélateur de ce qu'est l'âme. Mais bien évidemment, l'agir n'est pas permanent, il est effectif, il cesse, reprend, etc. L'illustration la plus forte en est l'alternance de la veille et du sommeil. Or quand nous dormons, nous ne cessons pas de vivre. L'âme est donc là comme principe d'activité et de repos.

On peut distinguer deux sortes d'actes. L'acte de celui qui possède la science sans l'exercer, et l'acte de l'exercice même de la science. L'exercice de la science est un acte second qui présuppose l'acte premier qu'est la possession de la science, laquelle n'en demeure pas moins en puissance et ordonnée à cet acte second. De façon générale, l'être est acte premier ordonné à cet acte second qu'est l'agir. L'âme est l'acte de la première sorte puisqu'elle est là dans le sommeil, c'est-à-dire quand nous n'exerçons pas nos facultés. De même que la science précède l'exercice de la science, de même l'âme précède l'activité. L'âme est donc acte premier du corps en ce sens qu'elle précède toute activité, qu'elle est là quand l'activité n'est pas là, et que toute activité viendra d'elle. L'âme est bien actualité première du corps vivant.

L'organisation elle-même relève de l'âme. Nous avons vu combien l'organisation était caractéristique du vivant. L'organisation signifie la diversité des organes. Cette diversité a pour fin de permettre des activités diverses. Plus les activités du vivant sont diverses, plus il faut d'organes divers et complexes. Là où la plante n'a besoin que d'une tige, la jambe a besoin de parties différentes qui permettent la mobilité. Cela est particulièrement manifeste chez les arthropodes, qui gardent encore quelque chose de l'apparence végétale. Ainsi la raison d'être de l'organisation consiste dans l'activité pour laquelle les organes sont faits. Cela manifeste la finalité. L'organe est tel en raison de sa fin. L'oeil est tel en raison de sa fin qui est de voir. Ainsi l'âme, en tant qu'elle est principe des activités du vivant, est aussi principe de l'organisation du vivant : elle se manifeste par la finalité qui traverse le corps, et qui est aussi ce qui fait la beauté du vivant. L'âme est donc bien « l'acte premier d'un corps naturel organisé », et organisé en vue de ses activités.

La comparaison avec un être artificiel est instructive. Aristote compare le vivant avec la hache. Ce qui fait la hache, c'est sa forme, c'est-à-dire son tranchant. Si la hache était naturelle, sa forme serait substantielle au lieu d'être accidentelle. Et si la hache était vivante, sa forme serait âme. Elle serait tranchante en vertu même d'un principe immanent d'organisation, et elle se mettrait à trancher le bois par elle-même. Mais la hache est un être artificiel. Son tranchant est un accident, et elle ne tranche qu'en étant mue par un autre, la main de l'homme. Lorsque la hache perd sa forme accidentelle – imaginons une hache de l'âge de fer retrouvée de nos jours –, il reste la substance, c'est-à-dire le fer. Alors que pour le vivant, il est impossible de séparer l'âme et la substance. Un corps mort n'est plus un corps. Il en est de même pour les parties du vivant. Un oeil qui ne voit plus n'est plus un oeil. Il est semblable à un oeil de verre.

Pour établir l'existence et la nature de l'âme, on peut aussi partir du fait de vivre. Les mouvements vitaux sont la nutrition, la croissance, la décroissance, la sensation, et l'intellection. Il est indéniable que tous les végétaux vivent. C'est dire qu'ils possèdent en eux-mêmes le principe de leur mouvement de nutrition, de croissance et décroissance. Ce principe n'est pas la nature mais l'âme, car la nature ne meut pas vers des lieux contraires. Le feu se meut vers le haut ; la pierre est mue vers le bas. Or le végétal pousse à la fois vers le haut et vers le bas. C'est l'âme qui le meut ainsi, et non un mécanisme physique.

Remarquons que la nutrition est première parmi les activités, car la croissance et la poursuite de la vie en dépendent. Remarquons aussi que cette vie végétative ne dépend ni de la vie sensitive, ni de la vie intellective. De sorte que la vie végétative constitue un degré de vie. Remarquons enfin que si la vie végétative est séparable des degrés supérieurs de vie, en revanche le degré supérieur ne l'est pas de l'inférieur. S'il n'y a pas de nutrition, le vivant meurt, et il n'y a plus ni sensation ni intellection.

Vivre pour un animal, c'est d'abord sentir. La sensation – et non le mouvement local – est la caractéristique la plus générale du règne animal, puisque certains animaux comme l'huître ont la sensation mais pas le mouvement. Et le premier des sens est le toucher. Il est d'ailleurs séparable des autres sens puisque certains animaux n'ont que lui.

Enfin la vie existe sur le mode intellectif, ce qui renvoie aussi à l'âme, mais cette fois-ci une âme spirituelle.

2.2 L'âme et les facultés

Se demander de quelle manière l'âme est présente dans le corps, c'est aussi se demander de quelle manière est-elle dans les facultés. Y est-elle totalement, ou bien y a-t-il plusieurs âmes : l'âme végétative, l'âme sensitive, l'âme intellective ?

En ce qui concerne les plantes, on constate que les branches coupées, puis greffées ou plantées, poussent. Ce qui montre que l'âme est présente dans la partie, et elle y est présente comme un tout. De même en sectionnant certains animaux, nous voyons qu'ils continuent de vivre séparément. Ici chaque partie possède donc l'âme, et elle la possède avec ses attributs : sensibilité et ce qui l'accompagne (imagination, appétit, motricité). Ainsi, dans un organisme peu complexe, l'âme est présente avec toutes ses facultés. Cependant, chez les animaux plus complexes, certaines facultés comme la vue ou l'ouïe, ne sont pas présentes dans tout le corps, mais sont localisées dans l'oeil, l'oreille, etc. Le toucher est plus répandu dans le corps. Ainsi, dans un organisme complexe, l'âme anime une partie du corps proportionnellement à son activité. Elle est donc partout présente, mais pas avec toutes ses facultés.

Rappelons alors que l'âme est l'acte premier du corps organisé. L'âme est donc ce par quoi nous vivons. Cela inclut les activités végétatives, sensitives, intellectives. L'âme est ce par quoi nous croissons, sentons, etc. Elle est le principe premier de toutes ces activités. Les activités du vivant lui sont si naturelles qu'elles ne peuvent venir que de ce qui le constitue dans l'être : sa forme, son âme. C'est par la forme même de son corps qu'il se nourrit, sent ou pense. C'est pourquoi l'homme est fondé à dire : je mange, je vois, je pense… Dès lors, il ne peut pas plus y avoir plusieurs âmes dans le même être qu'il n'y a plusieurs êtres en lui. Ce qui le montre encore, c'est que les activités du vivant ne peuvent pas se dérouler conjointement. Sa sensation ne peut pas être concomitante avec la pensée. L'acte d'une faculté empêche celui d'une autre. C'est donc bien la même âme qui est au principe de chacun de ces actes.

Quant aux puissances de l'âme, que sont-elles et combien sont-elles ? Les puissances de l'âme correspondent à ses activités. Or quelles sont les activités de l'âme ? Il y a tout d'abord les activités qui consistent dans la conservation de l'existence. Comme les êtres inertes, les vivants ont l'être et le conservent, mais sur un mode plus parfait : alors que les êtres inertes sont engendrés et sont conservés par un principe extrinsèque, les êtres vivants sont engendrés par un principe intrinsèque présent dans la semence ou dans la cellule qui se divise, et sont conservés par un principe nutritif. Déjà là se vérifie la caractéristique du vivant : se mouvoir soi-même. Cette vie végétative qui est matérielle relève de l'âme. La première puissance de l'âme est donc la puissance végétative.

La seconde sorte d'activité consiste à s'ouvrir à d'autres êtres, à les devenir immatériellement. Ces activités immatérielles apparaissent avec l'animal. La sensation suppose une certaine immatérialité, car sentir, c'est recevoir la qualité sensible sans la matière. Cependant, ce n'est pas une activité parfaitement immatérielle puisqu'il y a un organe sensoriel, et que les qualités senties sont individuelles. Cette activité sensitive supposera dans l'âme une puissance sensitive. Pour l'activité intellective qui, elle, est parfaitement immatérielle, il faudra une puissance intellective.

Il faut doubler les puissances de connaissance de puissances appétitives. En effet, à toute forme suit une inclination, et de celle-ci suit une activité. Ainsi la forme sensible appelle l'appétit sensible, et la forme intelligible appelle l'appétit intellectuel. Il y a donc en tout cinq puissances de l'âme.

Remarquons qu'il y a une suite logique entre les puissances de l'âme. La puissance végétative, on l'a vu, permet de conserver l'être. La puissance sensitive ne peut pas exister sans la puissance végétative qui apparaît comme son fondement. Parmi les sens, le toucher est premier. Certains animaux n'ont que lui. Le toucher a un lien direct avec la vie végétative, car c'est grâce à lui que nous connaissons l'aliment. Remarquons aussi que la faim et la soif sont des appétits qui découlent du sens tactile. Ainsi le toucher est consécutif à la vie végétative. Les autres sens parfont la vie sensitive. Ensuite, il y a une consécution entre le principe sensitif et le principe moteur. La motricité n'a de raison d'être que pour un être capable de sensation qui trouvera en des lieux différents de quoi conserver son être et se parfaire. Au contraire, la plante, vivant non doué de motricité, trouve en le lieu où elle a germé tout ce qui lui est nécessaire pour se parfaire – si la terre est bonne. Enfin, la puissance intellective est consécutive à la vie sensitive.

2.3 Conséquences

La première conséquence est l'unité du vivant. De même qu'il y a unité substantielle de la matière et de la forme pour composer un corps, de même il y a unité substantielle de la matière et de l'âme pour composer un corps vivant. Cette union est immédiate et constitutive contrairement à ce qu'enseigne la thèse vitaliste. Et de même qu'il n'y a qu'un vivant, il n'y a qu'une âme. Ce sera important pour l'homme car la multiplicité et l'hétérogénéité des activités humaines – vie végétative, sensitive, intellective – peut laisser penser qu'il y a plusieurs âmes. D'après ce qui précède, il n'existe qu'une âme, qui devra assumer toutes les fonctions.

La seconde conséquence est que l'unité de l'âme, qui tient à l'unité du vivant, entraîne son indivision. Pas plus qu'on ne peut diviser le vivant en parties distinctes, on ne peut diviser l'âme en parties distinctes. Donc l'âme est partout présente dans le corps, et présente comme un tout. Cela ne veut pas dire que tout sera animé de la même façon : l'oeil n'est pas animé de la même façon que la main. Mais toutes ces activités diverses seront animées par l'âme.

En troisième lieu, l'âme est mortelle. Lors de la génération, l'âme surgit ou est éduite de la potentialité de la matière. Lorsque les conditions corporelles ne suffisent plus, l'âme retourne progressivement à la potentialité dont elle avait été tirée. Le cas de l'âme humaine demandera à être considéré à part.

Enfin, quant à la motion de l'âme sur le corps, elle ne peut être conçue comme l'action d'une cause efficiente. Selon Platon en effet, l'âme serait comme un pilote dans un navire. Il n'y aurait alors qu'un lien accidentel entre l'âme et le corps. La thèse platonicienne est fausse en raison de l'unité substantielle du vivant. C'est le vivant tout entier qui exerce une action. L'âme est donc le principe par lequel le vivant agit.

3. L'Evolution

3.1 Les théories scientifiques de l'Evolution

Les théories de l'évolution prennent racine dans l'anatomie comparée[3], et la paléontologie à la fin du XVIIIe siècle. On découvre alors que la vie avait évolué dans ses formes et espèces. Mais ce fait de l'Evolution a eu de multiples interprétations. Le Fixisme explique l'évolution des espèces vivantes par des renouvellements périodiques dus à des cataclysmes. Ainsi l'évolution vient de l'extérieur, non pas des espèces, qui restent fixes.

L'evolutionnisme scientifique interprète l'Evolution comme une descendance reliant tous les vivants par une filiation générale. Les savants cherchent alors à établir l'arbre généalogique de la Vie. On vit se développer différentes théories complémentaires, regroupées sous le terme de Transformisme, car l'évolution s'expliquerait par des transformations successives et graduelles. On trouve la théorie de l'adaptation au milieu » (Lamarck, 1744-1829), et surtout celle de la « sélection naturelle » (Darwin, 1809-1882).

Le lamarckisme donne l'explication suivante : lorsque des vivants changent de milieu et de climat, ils éprouvent des besoins nouveaux, qui entraînent de nouvelles activités. Ces besoins et ces activités deviennent des habitudes durables. Se développent alors les organes appropriés et les autres s'atrophient. De nouveaux organes peuvent être engendrés, d'autres disparaître : « la fonction crée l'organe ». Ce jeu de besoin se transmet par hérédité.

Darwin, quant à lui, subordonne le jeu des besoins et des habitudes à celui de la sélection naturelle. Au sein d'une même espèce, le nombre d'individus croît, ce qui entraîne une lutte pour la vie, et donc une sélection naturelle des plus aptes à vivre, c'est-à-dire de ceux qui présentent et transmettent à leurs descendants des variations (par rapport à l'espèce) utiles. Cette sélection naturelle entraîne la disparition des formes inférieures et produit de nouvelles espèces.

3.2 Les théories philosophiques de l'Evolution

La théorie de l'Evolution fut exploitée dans le sens d'un matérialisme, ne voyant en l'homme qu'un primate plus évolué que les autres, et en l'intelligence qu'un produit évolué de la matière.

Le XXe siècle a réagi avec l'idée d'une « Evolution créatrice » (Bergson, 1859-1941). Le thème central de l'Evolution créatrice » est l'élan vital. Cette notion suppose le transformisme et s'oppose au mécanisme et au finalisme. Les espèces évoluent, c'est un fait. Le mécanisme et le finalisme sont incapables d'expliquer cette évolution, car tous deux supposent que tout est donné (le mécanisme considère que tout l'avenir est contenu dans le passé et inversement pour le finalisme). Or la vie est « une imprévisible création de formes », « un immense courant de conscience », « une force spirituelle qui tire d'elle-même plus qu'elle ne contient ». Elle est donc un pur élan. Mais elle rencontre la matière avec laquelle elle lutte, ce qui produit les ramifications de la vie végétale, animale et humaine qui sont « trois directions divergentes d'une activité qui s'est scindée en grandissant ».

On peut considérer aussi comme un essai de réaction l'oeuvre de Teilhard de Chardin, centrée sur une spiritualisation de la matière.

3.3 Appréciation de la théorie philosophique de l'Evolution

Le mécanisme ne voit dans le vivant qu'une machine résultant d'interactions physico-chimiques, ignorant tout du finalisme. Le vitalisme explique le vivant en ayant recours à une « force vitale », extérieure à la matière, et dissocie la matière et la vie. Le darwinisme explique l'Evolution par la sélection naturelle. Certes celle-ci intervient dans l'Evolution, mais de façon limitée : elle n'a pas pour effet de parfaire l'espèce, mais de faire durer un état physiologique moyen. Et puis elle ne suffit pas à expliquer le perfectionnement d'organes complexes comme l'oeil.

Comment devons-nous donc comprendre philosophiquement l'Evolution[4]? Il faut distinguer deux problèmes, celui de l'évolution des espèces et celui de l'apparition de l'homme au sein d'une espèce issue de l'évolution. Il est bien évident que l'âme humaine, si elle est de nature spirituelle, ne peut pas provenir de la matière, ni donc de l'évolution. Mais il est bien évident aussi que l'évolution est un fait dont on ne peut nier l'existence.

Pour éclairer le problème, il convient de réfléchir à la hiérarchie que l'on constate dans les degrés de vie. Nous voyons que la matière tend vers le degré supérieur. La matière tend vers l'élément, l'élément vers le mixte, le mixte vers le végétatif, le végétatif vers le sensitif, le sensitif vers l'intellectif. Cette tendantialité est présente et active dans la génération substantielle. Elle est fondée sur la tendance en chaque être vers la ressemblance divine. Cela constitue une aspiration transnaturelle.

Qu'en résulte-t-il pour l'évolution des espèces ? Nous savons que telle espèce nouvelle apparaît à partir d'une lignée, que l'évolution peut passer par des paliers progressifs jusqu'à ce que cette espèce se stabilise, et qu'une fois stabilisée, cette espèce se perpétue. Comment s'effectue cette évolution ? Il est évident qu'elle passe par la génération. Or, depuis la conception jusqu'à la naissance, l'embryon se forme en suivant des étapes, notamment le passage de la vie végétative à la vie sensitive. Cette évolution est placée sous la causalité de la vertu générative. Il est évident que la seule vertu générative ne peut pas produire une évolution. Un animal de telle espèce engendre un animal de même espèce. Il faut donc que Dieu lui-même soit la cause de l'évolution, puisque les géniteurs ne peuvent pas engendrer plus que ce qu'ils sont. Mais il faut tenir compte de ce que la matière tend vers des formes supérieures. Il y a donc dans l'embryon une participation à l'évolution. Cette participation consiste en un véritable dynamisme de la nature qui n'agit cependant que sous l'activation divine surélévatrice, à la différence du dynamisme de la nature qui oeuvre dans la formation de l'embryon. Ces deux causalités – celle de Dieu et celle de la nature – font que l'embryon passe d'une vie végétative à une vie sensitive plus évoluée que celle de ses géniteurs.

En ce qui concerne l'homme, qu'en est-il ? Pour que le primate qui a précédé l'homme puisse recevoir l'esprit, il fallait que son corps et sa forme soient aptes à cela. Autrement dit, ce primate supérieur était issu d'une évolution qui le rendait apte à recevoir l'âme spirituelle. Ce primate supérieur avait certainement un psychisme très développé par rapport aux autres animaux, mais il n'était qu'un animal. Il devient homme par création d'une âme spirituelle en lui. Cependant l'évolution ne permet pas de rendre raison de l'existence d'un primate supérieur apte à l'âme spirituelle. Parce qu'il est impossible à la matière de se faire esprit, il faut que le corps soit exceptionnellement disposé, afin de recevoir l'âme spirituelle. Il faut même que la vie végétative et sensitive de ce préhomme soient déjà virtuellement humaines sous l'effet d'une causalité spéciale de Dieu.


Michel Ferrandi




[1] Saint Thomas, Somme Théologique, q.18, a.1.

[2] Maritain, Oeuvres Complètes, vol. VI, p.994

[3] Elle est fondée par Cuvier (1769-1832).

[4] Cf. Maritain, Approches sans entraves, II, chap. VI, Oeuv. Comp., vol. XIII.

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Sem n°1 Publié le Mercredi 16 Décembre 2009 à 17:46:08

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Aristote - De l’âme

 

LIVRE II: L'ÂME, LES SENS ET LES SENSATIONS.

 

Chapitre 1: Ce qu'est l'âme.

 

En voilà assez sur les doctrines traditionnelles de nos prédécesseurs au sujet de l’âme. Reprenons de nouveau la question comme à son point de départ et efforçons-nous de déterminer ce qu’est l’âme et quelle peut être sa définition la plus générale.

L’un des genres de l’Être est, disons-nous, la substance; or la substance, c’est, en un premier sens, la matière, c’est-à-dire ce qui, par soi, n’est pas une chose déterminée; en un second sens, c’est la figure et la forme, suivant laquelle, dès lors, la matière est appelée un être déterminé; et, en un troisième sens, c’est le composé de la matière et de la forme. Or la matière est puissance, et la forme, entéléchie, et ce dernier terme se dit en deux sens: l’entéléchie est soit comme la science, soit comme l’exercice de la science.

Mais ce que l’opinion commune reconnaît, par dessus tout, comme des substances, ce sont les corps, et, parmi eux, les corps naturels, car ces derniers sont principes des autres, Des corps naturels, les uns ont la vie et les autres ne l’ont pas: et par "vie" nous entendons le fait de se nourrir, de grandir et de dépérir par soi-même. Il en résulte que tout corps naturel ayant la vie en partage sera une substance, et substance au sens de substance composée. Et puis qu’il s’agit là, en outre, d’un corps d’une certaine qualité, c’est-à-dire d’un corps possédant la vie, le corps ne sera pas identique à l’âme, car le corps animé n’est pas un attribut d’un sujet, mais il est plutôt lui-même substrat et matière. Par suite, l’âme est nécessairement substance, en ce sens qu’elle est la forme d’un corps naturel ayant la vie en puissance. Mais la substance formelle est entéléchie; l’âme est donc l’entéléchie d’un corps de cette nature. Mais l’entéléchie se prend en un double sens; elle est tantôt comme la science, tantôt comme l’exercice de la science. Il est ainsi manifeste que l’âme est une entéléchie comme la science, car le sommeil aussi bien que la veille impliquent la présence de l’âme, la veille étant une chose analogue à l’exercice de la science, et le sommeil, à la possession de la science, sans l’exercice. Or l’antériorité dans l’ordre de la génération appartient, dans le même individu, à la science. C’est pourquoi l’âme est, en définitive, une entéléchie première d’un corps naturel ayant la vie en puissance, c’est-à-dire d’un corps organisé. Et les parties de la plante sont aussi des organes, mais extrêmement simples: par exemple, la feuille est l’abri du péricarpe, et le péricarpe, du fruit; les racines sont l’analogue de la bouche, car toutes deux absorbent la nourriture. Si donc c’est une définition générale, applicable à toute espèce d’âme, que nous avons à formuler, nous dirons que l’âme est l’entéléchie première d’un corps naturel organisé. C’est aussi pourquoi il n’y a pas à rechercher si l’âme et le corps sont une seule chose, pas plus qu’on ne le fait pour la cire et l’empreinte, ni d’une manière générale, pour la matière d’une chose quelconque et e dont elle est la matière. Car l’Un et l’Être se prennent en plusieurs acceptions, mais leur sens fondamental c’est l’entéléchie.

Nous avons donc défini, en termes généraux, ce qu’est l'âme: elle est une substance au sens de forme, c’est-à-dire la quiddité d’un corps d’une qualité déterminée. Supposons, par exemple, qu’un instrument, tel que la hache, fût un corps naturel: la quiddité de la hache serait sa substance, et ce serait son âme; car si la substance était séparée de la hache, il n’y aurait plus de hache, sinon par homonymie. Mais, en réalité, ce n’est qu’une hache. En effet, ce n’est pas d’un corps de cette sorte que l’âme est la quiddité et la forme, mais d’un corps naturel de telle qualité, c’est-à-dire ayant un principe de mouvement et de repos en lui-même.

Appliquons maintenant ce que nous venons de dire aux parties du corps vivant. Si l’œil, en effet, était un animal, la vue serait son âme: car c’est là la substance formelle de l’œil. Or l’œil est la matière de la vue, et la vue venant à faire défaut, il n’y a plus d’œil, sinon par homonymie, comme un oeil de pierre ou un oeil dessiné. Il faut ainsi étendre ce qui est vrai des parties, à l’ensemble du corps vivant. En effet, ce que la partie de l’âme est à la partie du corps, la sensibilité tout entière l’est à l’ensemble du corps sentant, en tant que tel.
 D’autre part, ce n’est pas le corps séparé de son âme qui est en puissance capable de vivre: c’est celui qui la possède encore. Ce n’est pas davantage la semence et le fruit, lesquels sont, en puissance seulement, un corps de telle qualité.
Ainsi donc, c’est comme le tranchant de la hache et la vision que la veille aussi est entéléchie; tandis que c’est comme la vue et le pouvoir de l’outil que l’âme est entéléchie; le corps, lui, est seulement ce qui est en puissance. Mais de même que l’œil est la pupille jointe à la vue, ainsi, dans le cas qui nous occupe, l’animal est l’âme jointe au corps.

L’âme n’est donc pas séparable du corps, tout au moins certaines parties de l’âme, si l’âme est naturellement partageable: cela n’est pas douteux. En effet, pour certaines parties du corps, leur entéléchie est celle des parties elles-mêmes. Cependant rien n’empêche que certaines autres parties, du moins, ne soient séparables, en raison de ce qu’elles ne sont les entéléchies d’aucun corps. De plus, on ne voit pas bien si l’âme est l’entéléchie du corps, comme le pilote, du bateau. Ce que nous venons de dire doit suffire pour un exposé en résumé et une esquisse d’une définition générale de l’âme.

 

Chapitre 2: Explication de la définition de l’âme.

 

Puisque c’est de données en elles-mêmes indistinctes, mais plus évidentes pour nous que provient ce qui est clair et logiquement plus connaissable, nous devons tenter de nouveau, de cette façon-là du moins, d’aborder l’étude de l’âme. Car non seulement le discours exprimant la définition doit énoncer ce qui est en fait ainsi que procèdent la plupart des définitions, mais elle doit encore contenir la cause et la mettre en lumière. En fait, c’est sous forme de simples conclusions que les définitions sont d’ordinaire énoncées. Par exemple, qu’est-ce que la quadrature? C’est dans l’opinion commune la construction d’un rectangle équilatéral égal à un rectangle oblong donné. Mais une telle définition est seulement l’expression de la conclusion. Dire, au contraire, que la quadrature est la découverte d’une moyenne, c’est indiquer la cause de l’objet défini.

Nous posons donc, comme point de départ de notre enquête, que l’animé diffère de l’inanimé par la vie. Or le terme "Vie" reçoit plusieurs acceptions, et il suffit qu’une seule d’entre elles se trouve réalisée dans un sujet pour que nous disions qu’il vit: que ce soit, par exemple, l’intellect, la sensation, le mouvement et le repos selon le lieu, ou encore le mouvement de nutrition, le décroissement et l’accroissement. C’est aussi pourquoi tous les végétaux semblent bien avoir la vie, car il apparaît, en fait, qu’ils ont en eux-mêmes une faculté et un principe tel que, grâce à lui, ils reçoivent accroissement et décroissement selon des directions locales contraires. En effet, ce n’est pas seulement vers le haut qu’ils s’accroissent, à l’exclusion du bas, mais c’est pareillement dans ces deux directions; ils se développent ainsi progressivement de tous côtés et continuent à vivre aussi longtemps qu’ils sont capables d’absorber la nourriture. Cette faculté peut être séparée des autres, bien que les autres ne puissent l’être d’elle, chez les êtres mortels du moins. Le fait est manifeste dans les végétaux, car aucune des autres facultés de l’âme ne leur appartient. C’est donc en vertu de ce principe que tous les êtres vivants possèdent la vie. Quant à l’animal, c’est la sensation qui est à la base de son organisation même, en effet, les êtres qui ne se meuvent pas et qui ne se déplacent pas, du moment qu’ils possèdent la sensation, nous les appelons des animaux et non plus seulement des vivants. Maintenant, parmi les différentes sensations, il en est une qui appartient primordialement à tous les animaux: c’est le toucher. Et de même que la faculté nutritive peut être séparée du toucher et de toute sensation, ainsi le toucher peut l’être lui-même des autres sens (par faculté nutritive, nous entendons cette partie de l’âme que les végétaux eux-mêmes ont en partage; les animaux, eux, possèdent manifestement tous, le sens du toucher). Mais pour quelle raison en est-il ainsi dans chacun de ces cas, nous en parlerons plus tard .

Pour l’instant, contentons-nous de dire que l’âme est le principe des fonctions que nous avons indiquées et qu’elle est définie par elles, savoir par les facultés motrice, sensitive, dianoétique, et par le mouvement. Mais chacune de ces facultés est-elle une âme ou seulement une partie de l’âme, et, si elle en est une partie, l’est-elle de façon à n’être séparable que logiquement ou à l’être aussi dans le lieu? Pour certaines d’entre elles, la solution n’est pas difficile à apercevoir, mais, pour d’autres, il y a difficulté. Ce qui se passe dans le cas des plantes, dont certaines, une fois divisées, continuent manifestement à vivre, bien que leurs parties soient séparées les unes des autres (ce qui implique que l’âme qui réside en elles est, dans chaque plante, une en entéléchie, mais multiple en puissance), nous le voyons se produire aussi, pour d’autres différences de l’âme, chez les insectes qui ont été segmentés. Et, en effet, chacun des segments possède la sensation et le mouvement local; et, s’il possède la sensation, il possède aussi l’imagination et le désir, car là où il y a sensation il y a aussi douleur et plaisir, et là où il y a douleur et plaisir, il y a aussi nécessairement appétit. Mais en ce qui touche l’intellect et la faculté théorétique, rien n’est encore évident ; pourtant il semble bien que ce soit là un genre de l’âme tout différent, et que seul il puisse être séparé du corps, comme l’éternel, du corruptible. Quant aux autres parties de l’âme, il est clair, d’après ce qui précède, qu’elles ne sont pas séparées de la façon dont certains philosophes le prétendent ; que pourtant elles soient logiquement distinctes, c’est ce qui est évident. En effet, la quiddité de la faculté sensitive est différente de celle de la faculté opinante puisque l’acte de sentir est autre que l’acte d’opiner. Et il en est de même pour chacune des autres facultés ci-dessus énumérées. De plus, certains animaux possèdent toutes ces facultés, certains autres quelques-unes seulement, d’autres enfin une seule (et c’est ce qui différenciera les animaux entre eux). Mais pour quelle raison en est-il ainsi, nous l’examinerons plus tard. C’est à peu près le cas aussi pour les sensations : certains animaux les ont toutes, d’autres quelques-unes seulement, d’autres enfin une seule, la plus indispensable, le toucher.

Mais l’expression "ce par quoi nous vivons et percevons" se prend en un double sens, comme " ce par quoi nous connaissons ", autre expression qui désigne tantôt la science et tantôt l’âme (car c’est par l’un ou par l’autre de ces deux termes que nous disons, suivant le cas, connaître); c’est ainsi encore que "ce par quoi nous sommes en bonne santé signifie soit la santé, soit une certaine partie du corps, soit même le corps tout entier. Or, dans tous ces exemples, la science et la santé sont la figure, la forme en quelque sorte, la notion, et, pour ainsi dire, l’acte du sujet capable de recevoir, dans un cas, la science, et dans l’autre, la santé (car il semble bien que ce soit dans le patient, dans ce qui subit la disposition, que se réalise l’acte de l’agent);d’autre part, l’âme est, au sens primordial, ce par quoi nous vivons, percevons et pensons: il en résulte qu’elle sera notion et forme, et non pas matière et substrat. En effet la substance se prend, comme nous l’avons dit en trois sens, dont l’un désigne la forme, un autre la matière, un autre enfin le composé des deux, la matière étant puissance, et la forme, entéléchie; d’autre part, puisque c’est l’être animé qui est ici le composé de la matière et de la forme, le corps ne peut pas être I’entéléchie de l’âme; c’est l’âme qui est l’entéléchie d’un corps d’une certaine nature. Par conséquent, c’est à bon droit que des penseurs ont estimé que l’âme ne peut être ni sans un corps, ni un corps: car elle n’est pas un corps, mais quelque chose du corps. Et c’est pourquoi elle est dans un corps, et dans un corps d’une nature déterminée et nullement à la façon dont nos prédécesseurs l’adaptaient au corps, sans ajouter aucune détermination sur la nature et la qualité de ce corps, bien qu’il soit manifeste que n’importe quoi ne soit pas susceptible de recevoir n’importe quoi. C’est à un même résultat qu’aboutit d’ailleurs le raisonnement : l’entéléchie de chaque chose survient naturellement dans ce qui est en puissance cette chose, autrement dit dans la matière appropriée. Que l’âme soit donc une certaine entéléchie et la forme de ce qui possède la puissance d’avoir une nature déterminée, cela est évident d’après ce que nous venons de voir.

 

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EC1 n°18 Publié le Mardi 15 Décembre 2009 à 22:34:41

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Kant – Préface à la critique de la raison pure - Extraits

 

 

La mathématique et la physique sont les deux connaissances théoriques de la raison qui doivent déterminer a priori leur objet, la première d'une façon entièrement pure, la seconde du moins en partie, mais aussi dans la mesure que lui permettent d'autres sources de connaissance que la raison.

La mathématique, dès les temps les plus reculés où puisse remonter l'histoire de la raison humaine, a suivi, chez l'admirable peuple grec, la route sûre de la science. Mais il ne faut pas croire qu'il lui ait été aussi facile qu'à la logique, où la raison n'a affaire qu'à elle-même, de trouver cette route royale, ou pour mieux dire, de se la frayer. Je crois plutôt qu'elle est restée longtemps à tâtonner (surtout chez les Égyptiens), et que ce changement fut l'effet d'une révolution due à un seul homme, qui conçut l'heureuse idée d'un essai après lequel il n'y avait plus à se tromper sur la route à suivre, et le chemin sûr de la science se trouvait ouvert et tracé pour tous les temps et à des distances infinies. L’histoire de cette révolution intellectuelle, beaucoup plus importante cependant que la découverte de la route par le fameux cap, l'histoire aussi de l'homme qui eut le bonheur de l'accomplir n'est pas parvenue jusqu'à nous. Cependant la tradition que nous transmet Diogène Laërce, en nommant le prétendu inventeur de ces

éléments les plus simples des démonstrations géométriques qui, suivant l'opinion commune, n'ont besoin d'aucune preuve, cette tradition prouve que le souvenir du changement opéré par le premier pas fait dans cette route nouvellement découverte, a dû paraître extrêmement important aux mathématiciens, et a été sauvé par cela de l'oubli. Le premier qui démontra le triangle isocèle (qu'il s'appelât Thalès ou de tout autre nom) fut frappé d'une grande lumière ; car il trouva qu'il ne devait pas s'attacher à ce qu'il voyait dans la figure, ou même au simple concept qu'il en avait, mais qu'il avait à engendrer, à construire cette figure, au moyen de ce qu'il pensait à ce sujet et se représentait a priori par concepts, et que, pour connaître avec certitude une chose a priori, il ne devait attribuer à cette chose que ce qui dérivait nécessairement de ce qu'il y avait mis lui-même, en conséquence de son concept.

La physique arriva beaucoup plus lentement à trouver la grande route de la science ; car il n'y a guère plus d'un siècle et demi, que l'essai ingénieux de Bacon de Vérulam a en partie provoqué, et, parce qu'on était déjà sur la trace, en partie stimulé encore cette découverte, qui ne peut s'expliquer que par une révolution subite de la pensée. Je ne veux ici considérer la physique qu'autant qu'elle est fondée sur des principes empiriques.

Lorsque Galilée fit rouler ses boules sur un plan incliné avec une accélération déterminée et choisie par lui-même, ou que Toricelli fit porter à l'air un poids qu'il savait être égal à celui d'une colonne d'eau à lui connue, ou que, plus tard, Sthal transforma des métaux en chaux et celle-ci à son tour en métal, en y retranchant ou en y ajoutant certains éléments, alors ce fut une nouvelle lumière pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison n’aperçoit que ce qu'elle produit elle-même d'après

ses propres plans, qu'elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements suivant des lois constantes, et forcer la nature à répondre à ses questions, au lieu de se laisser conduire par elle comme en lisières ; car autrement nos observations faites au hasard et sans aucun plan tracé d'avance ne sauraient se rattacher à une loi nécessaire, ce que cherche et exige pourtant la raison. Celle-ci doit se présenter à la nature tenant d'une main ses principes, qui seuls peuvent

donner à des phénomènes concordants l'autorité de lois, et de l'autre l'expérimentation, telle qu'elle l'imagine d'après ces mêmes principes. Elle lui demande de l'instruire, non comme un écolier qui se laisse dire tout ce qui plaît au maître, mais comme un juge en fonctions, qui contraint les témoins à répondre aux questions qu'il leur adresse. La physique est donc redevable de l'heureuse révolution qui s'est opérée dans sa méthode à cette simple idée, qu'elle doit chercher (et non imaginer) dans la nature, conformément aux idées que la raison même y transporte, ce qu'elle doit en apprendre, et dont elle ne pourrait rien savoir par elle-même. C'est ainsi qu'elle est entrée d'abord dans le sûr chemin de la science, après n'avoir fait pendant tant de siècles que tâtonner.

La métaphysique est une connaissance rationnelle spéculative tout à fait à part, qui s'élève entièrement au-dessus des leçons de l'expérience, en ne s'appuyant que sur de simples concepts (et non en appliquant comme les mathématiques ces concepts à l'intuition), et où, par conséquent, la raison doit être son propre élève. Cette connaissance n'a pas encore été assez favorisée du sort pour pouvoir entrer dans le sûr chemin de la science, et pourtant elle est plus vieille que toutes les autres, et elle subsisterait toujours, alors même que celles-ci disparaîtraient toutes ensemble dans le gouffre d'une barbarie dévastatrice. La raison s'y trouve continuellement dans l'embarras, ne fût-ce que pour apercevoir a priori (comme elle en a la prétention) ces lois que confirme la plus vulgaire expérience. Il y faut revenir indéfiniment sur ses pas, parce qu'on trouve que la route qu'on a suivie ne conduit

pas où l'on veut aller. Quant à mettre ses adeptes d'accord dans leurs assertions, elle en est tellement éloignée qu'elle semble plutôt être une arène exclusivement destinée à exercer les forces des jouteurs en des combats de parade, et où aucun champion n'a jamais pu se rendre maître de la plus petite place et fonder sur sa victoire une possession durable. Il n'y a donc pas de doute que sa marche n'ait été

jusqu'ici qu'un pur tâtonnement, et, ce qu'il y a de pire, un tâtonnement au milieu de simples concepts.

Or, d'où vient qu'ici la science n'a pu ouvrir encore un chemin sûr ? Cela serait-il par hasard impossible? Pourquoi donc la nature aurait-elle inspiré à notre raison cette infatigable ardeur à en rechercher la trace, comme s’il s’agissait d'un de ses intérêts les plus importants ? Bien plus, comme nous avons peu de motifs de confiance en notre raison, si, quand il s’agit de l'un des objets les plus importants de notre curiosité, elle ne nous abandonne pas seulement, mais nous leurre de fausses espérances et finit par nous tromper ! Peut-être jusqu'ici a-t-on fait fausse route, mais sur quels motifs fonder l'espérance qu'en nous livrant à de nouvelles recherches nous serons plus heureux que

ne furent les autres avant nous ?

En voyant comment les mathématiques et la physique sont devenues, par reflet d'une révolution subite, ce qu'elles sont aujourd'hui, je devais juger l’exemple assez remarquable pour être amené à réfléchir au caractère essentiel d'un changement de méthode qui a été si avantageux à ces sciences, et à les imiter ici, du moins à titre d'essai, autant que le comporte leur analogie, comme connaissances rationnelles, avec la métaphysique. On a admis jusqu'ici que toutes nos connaissances devaient se

régler sur les objets ; mais, dans cette hypothèse, tous nos efforts pour établir à l'égard de ces objets quelque jugement a priori et par concept qui étendît notre connaissance n'ont abouti à rien. Que l'on cherche donc une fois si nous ne serions pas plus heureux dans les problèmes de la métaphysique, en supposant que les objets se règlent sur notre connaissance, ce qui s'accorde déjà mieux avec ce que nous désirons démontrer, à savoir la possibilité d'une connaissance a priori de ces objets qui établisse quelque chose à leur égard, avant même qu'ils nous soient donnés. Il en est ici comme de la première idée de Copernic : voyant qu'il ne pouvait venir à bout d'expliquer les mouvements du ciel en admettant que toute la multitude des étoiles tournait autour du spectateur, il chercha s'il n'y réussirait pas mieux en supposant que c'est le spectateur qui tourne et que les astres demeurent immobiles. En métaphysique, on peut faire un essai du même genre au sujet de l'intuition des objets.

Si l'intuition se réglait nécessairement sur la nature des objets, je ne vois pas comment on en pourrait savoir quelque chose a priori ; que si l'objet au contraire (comme objet des sens) se règle sur la nature de notre faculté intuitive, je puis très bien alors m'expliquer cette possibilité. Mais, comme je ne saurais m'en tenir à ces intuitions, dès le moment qu'elles doivent devenir des connaissances ; comme il faut, au contraire, que je les rapporte, en tant que représentations, à quelque chose qui en soit l'objet et que je détermine par leur moyen, je puis admettre l'une de ces hypothèses : ou bien les concepts à l'aide desquels j'opère cette détermination se règlent aussi sur l'objet, mais alors je me retrouve dans le même embarras sur la question de savoir comment je puis

en connaître quelque chose a priori ; ou bien les objets ou, ce qui revient au même, l'expérience dans laquelle seule ils sont connus (comme objets donnés) se règle sur ses concepts, et dans ce cas, j'aperçois aussitôt un moyen plus simple de sortir d'embarras. En effet, l'expérience elle-même est un mode de connaissance qui exige le concours de l'entendement, dont je dois présupposer la règle en moi-même, avant que des objets me soient donnés, par conséquent a priori ; et cette règle s'exprime

en des concepts a priori, sur lesquels tous les objets de l'expérience doivent nécessairement se régler, et avec lesquels ils doivent s'accorder. Pour ce qui regarde les objets, en tant qu'ils sont conçus simplement par la raison, et cela d’une façon nécessaire, mais sans pouvoir être donnés dans l'expérience (du moins tels que la raison les conçoit), nous trouverons en essayant de les concevoir (car il faut bien pourtant qu'on les puisse concevoir), nous trouverons, dis-je, plus tard une

excellente pierre de touche de ce que nous regardons comme un changement de méthode dans la façon de penser : c'est que nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes.

Cette tentative réussit à souhait et elle promet la marche assurée d'une science à la première partie de la métaphysique, à celle où l'on n'a affaire qu'à des concepts a priori, dont les objets correspondants peuvent être donnés dans une expérience conforme à ces concepts. En effet, à l'aide de ce changement de méthode, on peut très bien expliquer la possibilité d'une connaissance a priori, et ce qui est encore

plus important, munir de preuves suffisantes les lois qui servent a priori de fondement à la nature, considérée comme l'ensemble des objets de l'expérience ; deux choses qui étaient impossibles avec la méthode usitée jusqu'ici. Mais cette déduction de notre faculté de connaître a priori conduit, dans la première partie de la métaphysique à un résultat étrange, et, en apparence, tout à fait contraire au but que poursuit la seconde partie : c'est que nous ne pouvons, avec cette faculté, dépasser les bornes

de l'expérience possible, ce qui est pourtant l'affaire essentielle de la métaphysique. D'un autre côté, l'expérimentation nous fournit ici même une contre-épreuve de la vérité du résultat auquel nous arrivons dans cette première appréciation de notre faculté de connaître a priori : c'est que cette faculté n'atteint que des phénomènes et laisse de côté les choses en soi qui, bien que réelles en elles- mêmes, nous restent inconnues. En effet, ce qui nous pousse nécessairement à sortir des limites de l'expérience et de tous les phénomènes, c'est l'inconditionné, que la raison exige nécessairement et à juste titre, dans les choses en soi, pour tout ce qui est conditionné, afin d'achever ainsi la série des conditions. Or, en admettant que notre connaissance expérimentale se règle sur les objets, comme sur des choses en soi, on trouve que l'absolu ne peut se concevoir sans contradiction ; au contraire, si l'on admet que notre représentation des choses, telles qu'elles nous sont données ne se règlent pas sur ces objets, considérés comme choses en soi, mais que ce sont eux plutôt qui comme phénomènes, se règlent sur notre mode de représentation, alors la contradiction disparaît. Si en conséquence on se convainc que l'inconditionné, ne saurait se trouver dans les choses en tant que nous les connaissons (qu'elles nous sont données), mais en tant que nous ne les connaissons pas, c'est-à-dire dans les choses en soi, tout cela est la preuve que ce que nous n'avions d'abord admis qu'à titre d'essai est véritablement fondé. Mais, après avoir refusé à la raison spéculative tout progrès dans le champ du suprasensible, il nous

reste encore à chercher s'il n'y a pas dans sa connaissance pratique certaines données qui lui permettent de déterminer le concept transcendant de l'inconditionné et de pousser ainsi, conformément au vœu de la métaphysique, notre connaissance a priori au-delà de toute expérience possible, mais seulement au point de vue pratique. En procédant comme on vient de voir, la raison spéculative nous a du moins laissé la place libre pour cette extension de notre connaissance, bien qu'elle n'ait pu la remplir elle-même. Il nous est donc encore permis de la remplir, si nous le pouvons, par ses données pratiques, et elle-même nous y invite.

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EC1 N°17 Publié le Samedi 5 Décembre 2009 à 18:45:49

Descartes

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DISCOURS DE LA METHODE POUR BIEN CONDUIRE SA RAISON, ET CHERCHER LA VERITE DANS LES SCIENCES

Si ce discours semble trop long pour être lu en une fois, on le pourra distinguer en six parties. Et, en la première, on trouvera diverses considérations touchant les sciences. En la seconde, les principales règles de la méthode que l’auteur a cherchée. En la troisième, quelques unes de celles de la morale qu’il a tirée de cette méthode. En la quatrième, les raisons par lesquelles il prouve l’existence de Dieu et de l’âme humaine, qui sont les fondements de sa métaphysique. En la cinquième, l’ordre des questions de physique qu’il a cherchées, et particulièrement l’explication des mouvements du coeur et de quelques autres difficultés qui appartiennent à la médecine; puis aussi la différence qui est entre notre âme et celle des bêtes. Et en la dernière, quelles choses il croit être requises pour aller plus avant en la recherche de la nature qu’il n’a été, et quelles raisons l’ont fait écrire.

 

PREMIERE PARTIE

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Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; car chacun pense en être si bien pourvu [122] que ceux même qui sont les plus difficiles à Contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent: mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s’en éloignent.

….

Je me plaisois surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons : mais je ne remarquois point encore leur vrai usage; et, pensant qu’elles ne servoient qu’aux arts mécaniques, je m’étonnois de ce que leurs fondements étant si fermes et si solides, on n’avoit rien [129] bâti dessus de plus relevé : comme au contraire je comparois les écrits des anciens païens qui traitent des moeurs, à des palais fort superbes et fort magnifiques qui n’étoient bâtis que sur du sable et sur de la boue : ils élèvent fort haut les vertus, et les font paroître estimables par-dessus toutes les choses qui sont au monde; mais ils n’enseignent pas assez à les connoître, et souvent ce qu’ils apprennent d’un si beau nom n’est qu’une insensibilité, ou un orgueil . ou un désespoir, ou un parricide.

Je révérois notre théologie, et prétendois autant qu’aucun autre à gagner le ciel : mais ayant appris, comme chose très assurée, que le chemin n’en est pas moins ouvert aux plus ignorants qu’aux plus doctes, et que les vérités révélées qui y conduisent sont au-dessus de notre intelligence, je n’eusse osé les soumettre à la foiblesse de mes raisonnements; et je pensois que, pour entreprendre de les examiner et y réussir, il étoit besoin d’avoir quelque extraordinaire assistance du ciel, et d’être plus qu’homme.

Je ne dirai rien de la philosophie, sinon que, voyant qu’elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins il ne s’y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit douteuse, je n’avois point assez de [130] présomption pour espérer d’y rencontrer mieux que les autres; et que, considérant combien il peut y avoir de diverses opinions touchant une même matière, qui soient soutenues par des gens doctes, sans qu’il y en puisse avoir jamais plus d’une seule qui soit vraie, je réputois presque pour faux tout ce qui n’étoit que vraisemblable.

Puis, pour les autres sciences, d’autant qu’elles empruntent leurs principes de la philosophie, je jugeois qu’on ne pouvoit avoir rien bâti qui fût solide sur des fondements si peu fermes; et ni l’honneur ni le gain qu’elles promettent n’étoient suffisants pour me convier à les apprendre : car je ne me sentois point, grâces à Dieu, de condition qui m’obligeât à faire un métier de la science pour le soulagement de ma fortune; et, quoique je ne fisse pas profession de mépriser la gloire en cynique, je faisois néanmoins fort peu d’état de celle que je n’espérois point pouvoir acquérir qu’à faux titres. Et enfin, pour les mauvaises doctrines, je pensois déjà connoître assez ce qu’elles valoient pour n’être plus sujet à être trompé ni par les pro messes d’un alchimiste, ni par les prédictions d’un astrologue, ni par les impostures d’un magicien ni par les artifices ou la vanterie d’aucun de ceux qui font profession de savoir plus qu’ils ne savent.

C’est pourquoi, sitôt que l’âge me permit de sortir de la sujétion de mes précepteurs, je quittai [131] entièrement l’étude des lettres; et me résolvant de ne chercher plus d’autre science que celle qui se pourroit trouver en moi-même, ou bien dans le grand livre du monde, j’employai le reste de ma jeunesse à voyager, à voir des cours et des armées, à fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions, à recueillir diverses expériences, à m’éprouver moi- même dans les rencontres que la fortune me proposoit, et partout à faire telle réflexion sur les choses qui se présentoient que j’en pusse tirer quelque profit. Car il me sembloit que je pourrois rencontrer beaucoup plus de vérité dans les raisonnements que chacun fait touchant les affaires qui lui importent, et dont l’événement le doit punir bientôt après s’il a mal jugé, que dans ceux que fait un homme de lettres dans son cabinet, touchant des spéculations qui ne produisent aucun effet, et qui ne lui sont d’autre conséquence, sinon que peut- être il en tirera d’autant plus de vanité qu’elles seront plus éloignées du sens commun, à cause qu’il aura dû employer d’autant plus d’esprit et d’artifice à tâcher de les rendre vraisemblables. Et j’avois toujours un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie.

Il est vrai que pendant que je ne faisois que considérer les moeurs des autres hommes, je n’y [132] trouvois guère de quoi m’assurer, et que j’y remarquois quasi autant de diversité que j’avois fait auparavant entre les opinions des philosophes. En sorte que le plus grand profit que j’en retirois étoit que, voyant plusieurs choses qui, bien qu’elles nous semblent fort extravagantes et ridicules, ne laissent pas d’être communément reçues et approuvées par d’autres grands peuples, j’apprenois à ne rien croire trop fermement de ce qui ne m’avoit été persuadé que par l’exemple et par la coutume : et ainsi je me délivrois peu à peu de beaucoup d’erreurs qui peuvent offusquer notre lumière naturelle, et nous rendre moins capables d’entendre raison. Mais, après que j’eus employé quelques années à étudier ainsi dans le livre du monde, et à tâcher d’acquérir quelque expérience, je pris un jour résolution d’étudier aussi en moi-même, et d’employer toutes les forces de mon esprit à choisir les chemins que je devois suivre; ce qui me réussit beaucoup mieux, ce me semble, que si je ne me fusse jamais éloigné ni de mon pays ni de mes livres.

 

 

DEUXIEME PARTIE

….

Le premier étoit de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c’est-à-dire, d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenteroit si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.

Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerois, en autant de parcelles qu’il se pourroit, et qu’il seroit requis pour les mieux résoudre.

[142] Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connoître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connoissance des plus composés, et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.

Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avoient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connoissance des hommes s’entresuivent en même façon, et que, pourvu seulement qu’on s’abstienne d’en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu’on garde toujours l’ordre qu’il faut pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu’on ne découvre. Et je ne fus pas beaucoup en peine de chercher par lesquelles il étoit besoin de commencer : car je savois déjà que c’étoit par les plus simples et les plus aisées à connoître ; et, considérant qu’entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n’y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu [143] trouver quelques démonstrations, c’est-à-dire quelques raisons certaines et évidentes, je ne doutois point que ce ne fût par les mêmes qu’ils ont examinées ; bien que je n’en espérasse aucune autre utilité, Sinon qu’elles accoutumeroient mon esprit à se repaître de vérités, et ne se contenter point de fausses raisons. Mais je n’eus pas dessein pour cela de tâcher d’apprendre toutes ces sciences particulières qu’on nomme communément mathématiques ; et voyant qu’encore que leurs objets soient différents elle ne laissent pas de s’accorder toutes, en ce qu’elles n’y considèrent autre chose que les divers rapports ou proportions qui s’y trouvent, je pensai qu’il valoit mieux que j’examinasse seulement ces proportions en général, et sans les supposer que dans les sujets qui serviroient à m’en rendre la connoissance plus aisée, même aussi sans les y astreindre aucunement, afin de les pouvoir d’autant mieux appliquer après à tous les autres auxquels elles conviendroient. Puis, ayant pris garde que pour les connoître j’aurois quelquefois besoin de les considérer chacune en particulier, et quelquefois seulement de les retenir, ou de les comprendre plusieurs ensemble, je pensai que, pour les considérer mieux en particulier, je les devois supposer en des lignes, à cause que je ne trouvois rien de plus simple, ni que je pusse plus distinctement représenter à mon imagination [144] et à mes sens ; mais que, pour les retenir, ou les comprendre plusieurs ensemble, il falloit que je les expliquasse par quelques chiffres les plus courts qu’il seroit possible ; et que, par ce moyen, j’emprunterois tout le meilleur de l’analyse géométrique et de l’algèbre, et corrigerois tous les défauts de l’une par l’autre.

Comme en effet j’ose dire que l’exacte observation de ce peu de préceptes que j’avois choisis me donna telle facilité à démêler toutes les questions auxquelles ces deux sciences s’étendent, qu’en deux ou trois mois que j’employai à les examiner, ayant commencé par les plus simples et plus générales, et chaque vérité que je trouvois étant une règle qui me servoit après à en trouver d’autres, non seulement je vins à bout de plusieurs que j’avois jugées autrefois très difficiles, mais il me sembla aussi vers la fin que je pouvois déterminer, en celles même que j’ignorois, par quels moyens et jusqu’où il étoit possible de les résoudre. En quoi je ne vous paroîtrai peut-être pas être fort vain, si vous considérez que, n’y ayant qu’une vérité de chaque chose, quiconque la trouve en sait autant qu’on en peut savoir ; et que, par exemple, un enfant instruit en l’arithmétique, ayant fait une addition suivant ses règles, se peut assurer d’avoir trouvé, touchant la somme qu’il examinoit, tout ce que l’esprit humain [145] sauroit trouver : car enfin la méthode qui enseigne à suivre le vrai ordre, et à dénombrer exactement toutes les circonstances de ce qu’on cherche, contient tout ce qui donne de la certitude aux règles d’arithmétique.

Mais ce qui me contentoit le plus de cette méthode étoit que par elle j’étois assuré d’user en tout de ma raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qui fût en mon pouvoir : outre que je sentois, en la pratiquant, que mon esprit s’accoutumoit peu à peu à concevoir plus nettement et plus distinctement ses objets ; et que, ne l’ayant point assujettie à aucune matière particulière, je me promettois de l’appliquer aussi utilement aux difficultés des autres sciences que j’avois fait à celles de l’algèbre. Non que pour cela j’osasse entreprendre d’abord d’examiner toutes celles qui se présenteroient, car cela même eût été contraire à l’ordre qu’elle prescrit : mais, ayant pris garde que leurs principes devoient tous être empruntés de la philosophie, en laquelle je n’en trouvois point encore de certains, je pensai qu’il falloit avant tout que je tâchasse d’y en établir ; et que, cela étant la chose du monde la plus importante, et où la précipitation et la prévention étoient le plus à craindre, je ne devois point entreprendre d’en venir à bout que je n’eusse atteint un âge bien plus mûr que celui de vingt-trois ans que j’avois alors, et que je n’eusse [146] auparavant employé beaucoup de temps à m’y préparer, tant en déracinant de mon esprit toutes les mauvaises opinions que j’y avois reçues avant ce temps-là, qu’en faisant amas de plusieurs expériences, pour être après la matière de mes raisonnements, et en m’exerçant toujours en la méthode que je m’étois prescrite, afin de m’y affermir de plus en plus.

 

QUATRIEME PARTIE

Je ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que j’y ai faites ; car elles sont si métaphysiques et si peu communes, qu’elles ne seront peut-être pas au goût de tout le monde : et [157] toutefois, afin qu’on puisse juger si les fondements que j’ai pris sont assez fermes, je me trouve en quelque façon contraint d’en parler. J’avois dès long-temps remarqué que pour les mœurs il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étoient indubitables, ainsi qu’il a été dit ci-dessus : mais pourcequ’alors je désirois vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu’il falloit que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrois imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne resteroit point après cela quelque chose en ma créance qui fut entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avoit aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer ; et parcequ’il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j’étois sujet a faillir autant qu’aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j’avois prises auparavant pour démonstrations ; et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étoient jamais entrées en l’esprit [158] n’étoient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulois ainsi penser que tout étoit faux, il falloit nécessairement que moi qui le pensois fusse quelque chose ; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, étoit si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étoient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchois.

Puis, examinant avec attention ce que j’étois, et voyant que je pouvois feindre que je n’avois aucun corps, et qu’il n’y avoit aucun monde ni aucun lieu où je fusse ; mais que je ne pouvois pas feindre pour cela que je n’étois point ; et qu’au contraire de cela même que je pensois à douter de la vérité des autres choses, il suivoit très évidemment et très certainement que j’étois ; au lieu que si j’eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j’avois jamais imaginé eût été vrai, je n’avois aucune raison de croire que j’eusse été ; je connus de là que j’étois une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui pour être n’a besoin d’aucun lieu ni ne dépend d’aucune chose matérielle ; en sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle [159] est plus aisée à connoître que lui, et qu’encore qu’il ne fût point, elle ne lairroit [sic] pas d’être tout ce qu’elle est.

Après cela je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie et certaine ; car puisque je venois d’en trouver une que je savois être telle, je pensai que je devois aussi savoir en quoi consiste cette certitude. Et ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en ceci, je pense, donc je suis, qui m’assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que pour penser il faut être, je jugeai que je pouvois prendre pour règle générale que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies, mais qu’il y a seulement quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement.

….

CINQUIEME PARTIE

Même, pour ombrager un peu toutes ces choses, et pouvoir dire plus librement ce que j’en jugeois, sans être obligé de suivre ni de réfuter les opinions qui sont reçues entre les doctes, je me résolus de laisser tout ce monde ici à leurs disputes, et de parler seulement de ce qui arriveroit dans un nouveau, si Dieu créoit maintenant quelque part, dans les espaces imaginaires, assez de matière pour le composer, et qu’il agitât diversement et sans ordre les diverses [170] parties de cette matière, en sorte qu’il en composât un chaos aussi confus que les poëtes en puisse feindre, et que par après il ne fit autre chose que prêter son concours ordinaire à la nature, et 1a laisser agir suivant les lois qu’il a établies. Ainsi, premièrement, je décrivis cette matière, et tâchai de la représenter telle qu’il n’y a rien au monde, ce me semble, de plus clair ni plus intelligible, excepté ce qui a tantôt été dit de Dieu et de l’âme; car même je supposai expressément qu’il n’y avoit en elle aucune de ces formes ou qualités dont on dispute dans les écoles, ni généralement aucune chose dont la connoissance ne fût si naturelle à nos âmes qu’on ne pût pas même feindre de l’ignorer. De plus, je fis voir quelles étoient les lois de la nature; et, sans appuyer mes raisons sur aucun autre principe que sur les perfections infinies de Dieu, je tâchai à démontrer toutes celles dont on eût pu avoir quelque doute, et à faire voir qu’elles sont telles qu’encore que Dieu auroit créé plusieurs mondes, il n’y en sauroit avoir aucun où elles manquassent d’être observées. Après cela, je montrai comment la plus grande part de la matière de ce chaos devoit, en suite de ces lois, se disposer et s’arranger d’une certaine façon qui la rendoit semblable à nos cieux; comment cependant quelques unes de ses parties devoient composer une terre et quelques unes des planètes et des comètes, et [171] quelques autres un soleil et des étoiles fixes. Et ici, m’étendant sur le sujet de la lumière, j’expliquai bien au long quelle étoit celle qui se devoit trouver dans le soleil et les étoiles, et comment de là elle traversoit en un instant les immenses espaces des cieux, et comment elle se réfléchissoit des planètes et des comètes vers la terre. J’y ajoutai aussi plusieurs choses touchant la substance, la situation, les mouvements, et toutes les diverses qualités de ces cieux et de ces astres; en sorte que je pensois en dire assez pour faire connoître qu’il ne se remarque rien en ceux de ce monde qui ne dût ou du moins qui ne pût paroître tout semblable en ceux du monde que je décrivois. De là je vins à parler particulièrement de la terre: comment, encore que j’eusse expressément supposé que Dieu n’avoit mis aucune pesanteur en la matière dont elle étoit composée, toutes ses parties ne laissoient pas de tendre exactement vers son centre; comment, y ayant de l’eau et de l’air sur sa superficie, la disposition des cieux et des astres, principalement de la lune, y devoit causer un flux et reflux qui fût semblable en toutes ses circonstances à celui qui se remarque dans nos mers, et outre cela un certain cours tant de l’eau que de l’air, du levant Vers le couchant, tel qu’on le remarque aussi entre les tropiques; comment les montagnes, les mers, les fontaines et les rivières pouvoient [172] naturellement s’y former, et les métaux y venir dans les mines, et les plantes y croître dans les campagnes, et généralement tous les corps qu’on nomme mêlés ou composés s’y engendrer : et, entre autres choses, à cause qu’après les astres je ne connois rien au monde que le feu qui produise de la lumière, je m’étudiai à faire entendre bien clairement tout ce qui appartient à sa nature, comment il se fait, comment il se nourrit, comment il n’a quelquefois que de la chaleur sans lumière, et quelquefois que de la lumière sans chaleur; comment il peut introduire diverses couleurs en divers corps, et diverses autres qualités; comment il en font quelques uns et en durcit d’autres; comment il les peut consumer presque tous ou convertir en cendres et en fumée; et enfin comment de ces cendres, par la seule violence de son action, il forme du verre; car cette transmutation de cendres en verre me semblant être aussi admirable qu’aucune autre qui se fasse en la nature, je pris particulièrement plaisir à la décrire.

Toutefois je ne voulois pas inférer de toutes ces choses que ce monde ait été créé en la façon que je proposois; car il est bien plus vraisemblable que dès le commencement Dieu l’a rendu tel qu’il devoit être. Mais il est certain, et c’est une opinion communément reçue entre les théologiens, que l’action par laquelle maintenant il le conserve, [173] est toute la même que celle par laquelle il 1’a créé; de façon qu’encore qu’il ne lui auroit point donné au commencement d’autre forme que celle du chaos, pourvu qu’ayant établi les lois de la nature, il lui prêtât son concours pour agir ainsi qu’elle a de coutume, on peut croire, sans faire tort au miracle de la création, par cela seul toutes les choses qui sont purement matérielles auroient pu avec le temps s’y rendre telles que nous les voyons à présent; et leur nature est bien plus aisée à concevoir, lorsqu’on les voit naître peu à peu en cette sorte, que lorsqu’on ne les considère que toutes faites.

De la description des corps inanimés et des plantes, je passai à celle des animaux, et particulièrement à celle des hommes. Mais pourceque je n’en avois pas encore assez de connoissance pour en parler du même style que du reste, c’est-à-dire en démontrant les effets par les causes, et faisant voir de quelles semences et en quelle façon la nature les doit produire, je me contentai de supposer que Dieu formât le corps d’un homme entièrement semblable à l’un des nôtres, tant en la figure extérieure de ses membres, qu’en la conformation intérieure de ses organes, sans le composer d’autre matière que de celle que j’avois décrite, et sans mettre en lui au commencement aucune âme raisonnable, ni .aucune autre chose pour [174] y servir d’âme végétante ou sensitive, sinon qu’il excitât en son coeur un de ces feux sans lumière que j’avois déjà expliqués, et que je ne concevois point d’autre nature que celui qui échauffe le foin lorsqu’on 1’a renfermé avant qu’il fût sec, ou qui fait bouillir les vins nouveaux lorsqu’on les laisse cuver sur la râpe : car, examinant les fonctions qui pouvoient en suite de cela être en ce corps, j’y trouvois exactement toutes celles qui peuvent être en nous sans que nous y pensions, ni par conséquent que notre âme, c’est-à-dire cette partie distincte du corps dont il a été dit ci-dessus que la nature n’est que de penser, y contribue, et qui sont toutes les mêmes en quoi on peut dire que les animaux sans raison nous ressemblent sans que j’y en pusse pour cela trouver aucune de celles qui, étant dépendantes de la pensée, sont les seules qui nous appartiennent, en tant qu’hommes; au lieu que je les y trouvois toutes par après, ayant supposé que Dieu créât une âme raisonnable, et qu’il la joignît à ce corps en certaine façon que je décrivois.

 

 

SIXIEME PARTIE

….

Mais, sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusques à présent, j’ai cru que je ne pouvois les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes : car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connoissances qui soient fort utiles à la vie; et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connoissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connoissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feroient qu’on jouiroit sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y [193] trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie; car même l’esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusques ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher. Il est vrai que celle qui est maintenant en usage contient peu de choses dont l’utilité soit si remarquable : mais, sans que j’aie aucun dessein de la mépriser, je m’assure qu’il n’y a personne, même de ceux qui en font profession, qui n’avoue que tout ce qu’on y sait n’est presque rien à comparaison de ce qui reste à y savoir; et qu’on se pourroit exempter d’une infinité de maladies tant du corps que de l’esprit, et même aussi peut-être de l’affoiblissement de la vieillesse, si on avoit assez de connoissance de leurs causes et de tous les remèdes dont la nature nous a pourvus. Or, ayant dessein d’employer toute ma vie à la recherche d’une science si nécessaire, et ayant rencontré un chemin qui me semble tel qu’on doit infailliblement la trouver en le suivant, si ce n’est qu’on en soit empêché ou par la brièveté de la vie ou par le défaut des expériences, je jugeois qu’il n’y avoit point de meilleur remède contre ces deux [194] empêchements que de communiquer fidèlement au public tout le peu que j’aurois trouvé, et de convier les bons esprits à tâcher de passer plus outre, en contribuant, chacun selon son inclination et .son pouvoir, aux expériences qu’il faudroit faire, et communiquant aussi au public toutes les choses qu’ils apprendroient, afin que les derniers commençant où les précédents auroient achevé, et ainsi joignant les vies et les travaux de plusieurs, nous allassions tous ensemble beaucoup plus loin que chacun en particulier ne sauroit faire.

Afficher le commentaire. Dernier par Magasin de jouets, jeux, jouet le 16-07-2013 à 08h34 - Permalien - Partager
EC1 n°16 - Notion de Dieu Publié le Vendredi 6 Novembre 2009 à 10:03:24

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Ferrandi - Introduction à la philosophie réaliste

 


Chapitre XI

Dieu

 

 

 

La métaphysique cherche les causes les plus profondes de ce qui est. Elle les trouve déjà dans l’être lui-même, c’est l’ontologie. Mais parce qu’aucun être contingent n’existe absolument par lui-même, la métaphysique ne peut pas se contenter de l’ontologie. Elle s’achève par la théologie qui établit l’existence d’une cause première et transcendante appelée Dieu. La théologie naturelle entre dans le mystère de la nature divine. Elle ne le fait pas à partir de la Révélation, mais à partir des êtres finis qui en sont comme le miroir. C’est alors à travers l’analogie que la philosophie peut tenir un discours sur l’être de Dieu.

1. L’existence de Dieu

L’existence de Dieu n’est pas évidente pour nous. Mais l’existence des choses renvoie notre raison à l’existence de Dieu. Nous connaissons alors Dieu indirectement. La contingence des êtres nous manifeste qu’ils n’ont pas en eux-mêmes la raison de leur existence. Il faut donc bien qu’il existe un être qui soit cause de l’être contingent sans être lui-même causé. Ce cheminement naturel de la raison vers Dieu prend une forme scientifique dans les preuves philosophiques de l’existence de Dieu. Ces preuves sont bien connues. En voici le résumé.

La preuve consiste à remonter de l’effet à la cause première. L’effet est pris dans l’expérience. Le principe formel de la démonstration est le principe de causalité. Ce principe implique que, dans une série d’effets et de causes essentiellement ordonnés entre eux, on ne peut pas remonter à l’infini.

La première preuve part du mouvement. Le mouvement existe, c’est une évidence. Or changer, c’est passer de la puissance à l’acte. Le gland n’est pas chêne en acte, il n’est qu’en puissance d’être chêne. C’est par un changement qu’il le devient en acte. Or cela même qui n’est que puissance ne peut pas se donner son actualité. Il faut donc un moteur qui le fasse passer de la puissance à l’acte. Tout ce qui est mû est mû par un autre. Quant à ce moteur, s’il est immobile, c’est le moteur premier ; s’il est lui-même en mouvement, il est alors mû par un autre. Et ainsi de suite. Or on ne peut pas aller à l’infini dans l’échelle des moteurs, car la cause du mouvement serait alors indéfiniment repoussée, et rien ne se mouvrait. Il est donc nécessaire qu’il existe un premier moteur non-mu, c’est-à-dire immobile, et qui est cause de tout mouvement.

Plusieurs objections peuvent se présenter. La première consiste à confondre l’être et le devenir. Les choses changent sans qu’il y ait de puissance et d’acte. Rien ne demeurerait, il n’y aurait aucune stabilité, aucune direction. La thèse de l’univers en expansion peut être interprétée en ce sens.

A cette objection, on peut répondre que le changement suppose un sujet, et ce sujet est en puissance par rapport à l’acte. Le pur devenir est impossible.

Une autre objection peut venir de la physique moderne qui nous présente la structure atomique comme origine du mouvement, et comme origine suffisante, sans qu’il semble y avoir besoin d’une cause supérieure. L’on peut répondre d’une part que la structure atomique est un modèle scientifique qui ne peut se substituer à la notion philosophique de substance, et d’autre part, que le mouvement des atomes est soumis aussi au principe selon lequel tout ce qui est mû est mû par un autre.

Quant au vivant, il se meut lui-même, ce qui peut apparaître comme une objection par rapport au principe précédent. Mais s’il se meut lui-même, c’est parce qu’il y a en lui du moteur et du mû, en raison d’une constitution en parties hétérogènes[1].

Enfin, il y a l’objection qui vient du principe d’inertie, selon lequel le mobile conserve sa quantité de mouvement indépendamment de tout influx du moteur. A cela, on peut répondre que si l’on considère le mouvement comme un état, alors il est évident que cet état du mouvement vient du moteur.

La seconde preuve part des causes efficientes. Nous constatons qu’il existe des relations de cause à effet, des causes efficientes ordonnées entre elles. Cet oisillon qui provient de l’oeuf provient d’une fécondation, elle-même liée à la saison des amours, elle-même dépendant de la révolution de la terre autour du soleil. Nous avons là un enchaînement de causes efficientes. Or il est évident que la cause efficiente ne peut pas se causer elle-même. Il faut donc une cause efficiente supérieure qui cause la cause efficiente inférieure. De plus, on ne peut pas aller à l’infini dans l’échelle des causes. Il faut donc s’arrêter à une première cause efficiente.

La principale objection vient de ce que l’enchaînement des causes efficientes est souvent temporel. Telle chose existe parce qu’elle a été produite par telle autre chose antérieure chronologiquement, et ainsi de suite. Or rien n’indique que le temps ait commencé. On pourrait remonter à l’infini dans le passé.

A cela on peut répondre qu’en effet, on ne peut pas démontrer le commencement du temps. Mais même à supposer un temps infini, l’argument précédent est valable car il analyse la causalité efficiente au plan ontologique. L’être même de l’effet dépend de la cause efficiente. Il s’agit donc de remonter verticalement l’échelle des causes, dans l’ordre même de l’intelligibilité. Et cela conduit, par nécessité, à une cause efficiente première à laquelle est suspendue toute efficience.

La troisième preuve se prend par la contingence. Le fait constaté est qu’il y a du nécessaire et du contingent dans le monde. S’il n’y avait que du contingent, alors à un certain moment, rien n’aurait existé, puisque le contingent peut ne pas être. Et si à un moment rien n’existe, alors rien n’existerait, car du néant, rien ne peut sortir par soi. Il y a donc du nécessaire. Or celui-ci est soit du nécessaire par soi, soit du nécessaire par un autre. Dans le second cas, on ne peut pas remonter à l’infini dans ce qui rend nécessaire, et il faut bien s’arrêter à un premier nécessaire, qui est Dieu.

Il y a des philosophies, comme celle de Heidegger, qui entendent partir du néant pour saisir l’être. « La thèse ancienne <ex nihilo nihil fit> (à partir de rien rien n’est fait) prend alors un autre sens, un sens qui concerne le problème de l’Etre lui-même, et elle est à énoncer ainsi : ex nihilo omne ens qua ens fit[2] (à partir de rien tout étant en tant qu’étant est fait) ». A cela nous répondrons qu’il est rationnellement absurde de partir du néant pour saisir l’être. Le rien ne donne que du rien, et ne peut être l’origine suffisante de l’être.

La quatrième preuve est fondée sur les degrés qui sont dans les choses. Il y a des degrés de bonté, de vérité, de beauté, etc. Les choses sont plus ou moins bonnes, plus ou moins vraies, plus ou moins belles. Or le plus et le moins se disent par rapport à un degré suprême. Il y a donc quelque chose qui possède au maximum la perfection que les autres possèdent à différents degrés. Il y a une chose qui est vraie en soi, une qui est bonne en soi, etc. De plus, toutes les perfections sont en un même être car l’Etre parfait contient nécessairement toute perfection. Et c’est celui qui possède au suprême degré une perfection, qui est cause de la présence de cette même perfection en un autre où elle y est à un état inférieur. Il y a donc un être parfait qui est cause de toute perfection.

A cela, on peut objecter que la comparaison qui se fait selon la couleur ou la chaleur renvoie certes à un maximum, mais sans que celui-ci soit hors du monde. C’est pourquoi il faut préciser que seules les perfections transcendantales – l’être, l’un, le vrai, le bien, le beau – permettent de conclure à l’existence de Dieu. En effet, chacune de ces propriétés est analogique, c’est-à-dire partout répandue dans le monde à différents degrés, et donc l’être parfait, le bon parfait, etc., dépasse la totalité des êtres finis.

La cinquième preuve se prend par l’ordre du monde. Le fait constaté est le suivant : les corps naturels, privés de connaissance, agissent en vue d’une fin. Or ce qui est privé de connaissance ne peut tendre à une fin qu’en étant dirigé par un être connaissant. Il y a donc un être intelligent par lequel toutes choses sont ordonnées à leur fin, et qui est Dieu.

On pourrait objecter que l’ordre constaté dans l’univers n’est que le résultat du hasard. Mais le hasard lui-même suppose de l’ordre : on dira que tel fait est un hasard s’il n’est pas contenu dans un enchaînement causal, ce qui suppose donc que des enchaînements causaux existent dans la nature. Plus exactement, le fait de hasard résulte de séries causales indépendantes. Ainsi le hasard ne peut pas être premier.

La finalité n’est pas non plus une sorte de projection que l’homme ferait de son propre mode de fonctionnement sur la nature. En effet, l’homme a l’intelligence des fins qu’il poursuit, la nature ne l’a pas. Si donc il y a une finalité dans la nature, ce n’est pas parce qu’elle serait intelligente. Certes, toute finalité renvoie à une intelligence. Il faut donc qu’il y ait une intelligence qui soit à l’origine de la finalité de la nature, et qui soit hors de la nature.

Au terme de ces cinq preuves, nous savons que Dieu existe en tant que cause première du mouvement, de l’efficience, du nécessaire, de toute perfection transcendantale, et de la finalité. Mais ce n’est pas assez dire encore sur l’être de Dieu. Une fois établi son existence, il convient de se demander comment il est.

Il est capital de partir de la réalité et non pas d’une idée, comme le fait saint Anselme et plus tard Descartes, car alors on ne sort pas de l’idée que Dieu existe, laquelle n’est qu’une idée. Or il s’agit de montrer que l’existence de Dieu n’est pas seulement une idée, mais bien une réalité.

2. La nature de Dieu

2.1 Son être

L’être est analogue. La notion transcendantale de l’être va du fini à l’infini, du créé à l’incréé. Etre peut donc se dire de Dieu. L’être que nous pensons alors est l’être infini, l’acte pur d’être, l’être sans aucune limitation. Nous le pensons analogiquement avec l’être qui tombe sous nos sens, et qui est un être limité et composé. C’est donc en niant toute marque de finitude que nous élevons notre concept d’être jusqu’à Dieu. C’est la voie négative, par laquelle nous connaissons Dieu plus en ce qu’il n’est pas qu’en ce qu’il est. Nous connaissons Dieu comme inconnu. Par ailleurs en disant que Dieu est, nous disons vrai, car il est, il a l’être de façon éminente. Il est bien plus être que n’importe quel autre être, puisqu’il est infiniment être. C’est la voie d’éminence. Ainsi, c’est par la triple voie de causalité, d’éminence et de négation que nous pouvons dire ce qu’est Dieu.

Dieu est parfaitement simple. Il n’y a aucune composition en lui. Toutes les compositions que nous trouvons dans les créatures – celle de matière et de forme, celle de substance et d’accidents, celle d’acte et de puissance, celle d’essence et d’existence – toutes ces compositions doivent être niées en Dieu.

La distinction la plus fondamentale est la distinction d’essence et d’existence. Toutes les autres distinctions s’y rattachent. C’est pourquoi on énoncera ce qu’il y a de plus propre en Dieu en disant que son essence est d’exister. Dieu est acte pur d’existence. Son nom est l’Etre même subsistant par soi. La philosophie rejoint ici la Révélation lorsque Dieu répond à Moïse qui lui demande son nom : « Je suis celui qui est[3] ».

Si l’être de Dieu est parfaitement simple, en revanche la façon dont nous le nommons est multiple. Cela est inévitable, car la façon de signifier de ces noms est prise par rapport aux créatures, en lesquelles ces noms signifient des aspects différents. Mais en Dieu tous ces noms – l’être, l’unité, la bonté, la connaissance, l’amour, etc. – ont la même signification. L’être de Dieu est son unité, sa bonté, sa connaissance, etc.

2.2 Attributs entitatifs

Dieu est parfait. En effet Dieu est acte pur. Or c’est l’actualité qui est la raison de la perfection. Un être est parfait pour autant qu’il est en acte. De plus, Dieu est universellement parfait, c’est-à-dire contient toutes les perfections. En effet Dieu est l’être même subsistant. Or l’être est la perfection de toutes les perfections. Donc Dieu possède toutes les perfections.

Dieu est un, cela découle de sa perfection. En effet, s’il y avait plusieurs Dieu, ils seraient tous la perfection subsistante et donc rien ne les différencierait. L’unicité de Dieu vient aussi de ce qu’en Dieu, la nature est le sujet, et donc sa nature est incommunicable.

Dieu est bon, il est la bonté même. La bonté est une conséquence de la perfection. Un être est bon pour autant qu’il est parfait, car c’est en raison de sa perfection qu’il est attirant, et donc qu’il est bon. Et Dieu est la bonté même parce que toute bonté participe de sa bonté. Il est la bonté au suprême degré.

Dieu est infini. L’infini signifie l’absence de limites. La matière pure est infinie puisqu’elle peut recevoir n’importe quelle forme. Mais c’est un infini d’indétermi­nation, donc d’imperfection. L’infini de perfection est au contraire ce qui est déterminé de manière que rien ne le limite. La forme, lorsqu’elle n’est pas déterminée par la matière, a un certain caractère infini. C’est le cas de l’ange, forme pure. Mais en l’ange, l’acte d’exister est encore limité par l’essence qui la reçoit. Dieu seul est l’infini pur, car lui seul est forme absolument pure, puisqu’il est par essence l’acte d’être.

Dieu est immuable et éternel. Dieu est immuable parce qu’il est acte pur, et donc le changement, lequel suppose le passage de la puissance à l’acte, ne le concerne pas. Par conséquent Dieu est éternel. L’éternité n’est pas un temps infini, mais le pur instant sans changement. Le temps est lié au mouvement, comme nous l’avons vu. Dieu étant immobile, Dieu n’est pas dans le temps. Son être est plénitude de ce qu’il doit être. L’éternité en est la mesure. « L’éternité est la possession toute simultanée et parfaite d’une vie qui n’a pas de terme[4] ». Il en résulte cette conséquence remarquable, et fondamentale pour comprendre comment Dieu connaît le futur : tous les instants du temps sont présents au pur instant divin.

En Dieu, il n’y a aucune contrainte, car tout en lui est nature. Il est pure nature, aucune violence ne peut s’imposer à lui. D’autre part, Dieu est pure nécessité. Tout ce qui est en lui est nécessaire. Il est par lui-même l’être nécessaire.

Dieu est vérité. La vérité est adéquation de l’intelligence et de la réalité. Or en Dieu, cette adéquation est pleinement réalisée, puisqu’il y a identité de sa pensée et de sa substance, laquelle est le seul objet de sa pensée. Donc sa pensée est parfaitement vraie, et de plus elle est la vérité subsistante.

2.3 Attributs opératifs

Nous avons vu que l’être est pour l’agir. Si Dieu est l’être subsistant, il est aussi l’agir subsistant. En lui être et agir ne sont pas distincts.

Ce qui montre encore que Dieu agit, c’est qu’il est esprit. En effet, Dieu est au sommet de l’immatérialité, il est donc esprit. Or l’esprit a deux activités qui manifestent sa vitalité : connaître et aimer. Par son activité de connaissance et d’amour, l’esprit surabonde. Dieu, étant pur esprit, est pure surabondance de connaissance et d’amour.

En Dieu, être, c’est penser. Dieu est intellection subsistante. Mais que pense-t-il ? Dieu n’a pas d’objet en face de lui qui le ferait passer de la puissance à l’acte. Ce qui signifie que Dieu est lui-même son propre objet de connaissance. En lui, il n’y a pas de distinction de sujet et d’objet. De même, en Dieu, il n’y a pas de forme intelligible qui soit medium de connaissance. Ainsi Dieu se connaît lui-même, et c’est là toute sa connaissance, et ce faisant il connaît toute chose comme participation de son être. Dieu est le premier intelligible, en ce sens.

Dieu veut, et son être est son vouloir. Nous avons vu que de la connaissance procède un appétit, une tendance. La volonté est l’appétit qui procède de la connaissance intellectuelle. Dieu n’est pas attiré par un bien extérieur à lui qui s’imposerait à lui comme bon. Dieu est la bonté, et rien n’est bon en dehors de lui sinon par participation à sa propre bonté. Ainsi Dieu est à la fois la volonté, le bien aimé et l’acte de vouloir. Comme dans la connaissance, le sujet et l’objet sont un : il est lui-même l’objet aimable. De plus, tout en lui est volonté. Sa volonté n’a pas de replis, de reniements. Dieu est pur acte d’amour de soi-même.

S’aimant lui-même, Dieu aime toute chose, car toute chose vient de lui. Il aime parfaitement chaque chose, car il l’aime en raison de la vraie bonté de cette chose, à savoir qu’elle découle de la bonté qu’il est lui-même. C’est donc en raison de sa bonté et pour sa bonté qu’il aime chaque chose. Ce n’est pas là égoïsme, mais c’est fonder l’amour sur l’amabilité, car tout ce qu’une créature a d’aimable lui vient de Dieu.

2.4 La création

Nous forgeons la notion de cause à partir des êtres finis. Ces mêmes êtres finis nous renvoient à une cause première qui est Dieu. Cette cause est transcendante. Elle ne peut pas se confondre avec la forme du monde, encore moins avec sa matière. Les Grecs en étaient restés à une causalité divine limitée, car ils concevaient que Dieu avait donné une forme à une matière incréée. La Révélation judéo-chrétienne est venu apporter la notion de creatio ex nihilo, création à partir de rien. Dieu est cause efficiente des choses et de tout ce qui est en chaque chose. Autrement dit, Dieu est cause de l’être même de chaque chose. Il est l’être même subsistant. Tout être n’existe qu’en participant de l’être divin. Ce faisant, Dieu réalise en plénitude ce qu’est la cause. En effet, la cause est ce dont l’effet dépend. Or les créatures dépendent au suprême degré de Dieu, puisqu’elles dépendent de lui dans leur être même. Dieu est celui qui donne à l’effet l’être même, et il est le seul à pouvoir communiquer l’être. Une conséquence en découle : la création n’est pas un premier mouvement originaire qui se suffirait ensuite à lui-même, mais c’est une dépendance ontologique, et de tous les instants, de la créature vis-à-vis de son créateur.

D’autre part, l’influx causal en lequel consiste la création suppose la causalité exemplaire. Dieu est cause exemplaire des choses. Il est lui-même l’idée de tout ce qu’il fait. Dieu est donc le modèle des créatures. Les créatures lui ressemblent autant qu’elles sont fondées à pouvoir le faire. Elles sont évidemment déficientes par rapport à ce qu’est Dieu, non d’une déficience qui s’imposerait à Dieu lui-même, mais d’une déficience de nature. En effet, entre le modèle qu’est Dieu lui-même et les créatures, rien ne vient conditionner la réalisation qu’est la création. La création est donc tout ce qu’elle doit être au regard de l’intelligence et de la volonté divine, et ce qu’elle doit être enveloppe une déficience congénitale, car la création ne peut pas être parfaite comme Dieu est parfait.

Enfin, Dieu est la cause finale de sa création. Dieu, comme tout agent, agit en vue d’une fin. Mais il est lui-même la fin qu’il veut, car rien n’est bon en dehors de lui. Dieu veut donc son bien, et son bien c’est que toutes choses retournent à lui. Mais il y a un autre aspect du bien. Le bien est diffusif. Dieu veut se répandre. Son bien, c’est la diffusion de son être par la création. En retournant à Dieu, les choses réalisent leur propre bonté et leur « souhait » le plus profond. La bonté que Dieu se veut à lui-même c’est que les choses soient bonnes chacune dans son ordre.

2.5 La providence

Dieu ne délaisse pas sa création. Il pourvoit au bien de ses créatures. C’est le thème de la providence divine. Dieu veille à ce que chaque créature atteigne sa fin selon l’ordre de sa sagesse. Cet ordre de sagesse inclut la contingence. Le monde n’est pas déterminé de telle sorte que tout ce qui s’y passe s’y passe nécessairement. Il y a dans le monde un mélange de nécessité et de contingence. Dès lors que telle plante ne pousse pas parce que la graine sera tombée dans une terre aride, cela n’est évidemment pas dans la nature de la plante, mais c’est dans l’ordre du monde. La graine tend de façon contingente vers sa fin qui est d’être une plante. Dieu pourvoit à ce que cette graine tende vers sa fin, et qu’elle y tende de façon contingente. L’ordre de la sagesse divine inclut aussi la participation des créatures. Il convient à la bonté de Dieu que des créatures soient associées à son gouvernement, c’est-à-dire communiquent elles aussi de la bonté à d’autres, car, ce faisant, ces créatures actives sont bonnes en elles-mêmes, et elles le sont en tant que participant de la bonté divine, ce qui ne manifeste que davantage la bonté divine. Enfin rien ne peut se produire en dehors du plan divin, car Dieu est la cause de tout l’être. La causalité elle-même de la créature est causée par Dieu, de telle sorte que Dieu est la cause première de tout ce que fait la créature. Mais cela ne prive pas la créature d’une réelle causalité ; au contraire cela la fonde. Dieu est cause première de l’agir de la créature, et celle-ci en est cause seconde.

Ici se rencontre le problème du mal. S’il s’agit du mal physique, il est dans l’ordre des choses, car l’être physique est corruptible. Mais le mal moral est une autre affaire, car il est obstacle à Dieu de par sa fin même, et Dieu ne peut pas être la cause de ce qui lui fait obstacle. Il faudra donc dire que la créature spirituelle – puisqu’il s’agit d’elle dans le péché –, est seule cause du mal moral[5].




[1] Nous renvoyons au chapitre sur le vivant.

[2] Heidegger, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, 1987, p.69.

[3] Exode, 3, 14.

[4] Boèce, Consolation de la philosophie, V, 6.

[5] Nous renvoyons aux analyses approfondies que Maritain a faites dans Dieu et la permission du mal, OC, vol. XII.

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