Comment expliquer
la vague de barbarie
qui frappe le Proche-Orient ?
Lundi 25 août 2014 L’ORIENT LE JOUR
Antoine AJOURY | OLJ
« Nous nous guérissons de la violence subie
par la violence qu’on fait subir à l’autre »,
explique le psychanalyste Chawki Azouri.
Sommes-nous devant le retour à l’ère de la barbarie ? De Gaza à Bagdad, en passant par Raqqa et Mossoul, le Proche-Orient est frappé actuellement par une vague de violence indescriptible. Une violence née d’une frustration et d’une haine si fortes, et qui dépasse tout entendement.
La région semble tourner dans un cercle vicieux : en Irak, la chute du régime dictatorial de Saddam Hussein a entraîné la montée en puissance des chiites longtemps opprimés. Ces derniers, une fois au pouvoir, ont à leur tour marginalisé les sunnites qui se sont insurgés contre le gouvernement de Bagdad, sous la houlette des jihadistes de Daech. En Syrie, la population majoritairement sunnite se rebelle contre le régime dictatorial de Bachar el-Assad. S’ensuit une répression sanguinaire qui se transforme en guerre civile qui a fait, trois ans plus tard, plus de 180 000 morts. Le conflit israélo-palestinien fête près de 70 ans de guerre sans entrevoir le bout du tunnel. D’une guerre à une autre, les morts se multiplient, la vengeance et la haine entre les deux peuples aussi.
Comment expliquer ce schéma qui se perpétue d’une génération à l’autre ? Comment expliquer cette violence inhumaine et barbare qui inonde les réseaux sociaux et les télévisions ? Bien que rien ne puisse justifier ces atrocités, le pourquoi reste une question légitime pour mieux comprendre l’irrationnelle barbarie des protagonistes.
Le psychanalyste libanais Chawki Azouri explique la violence par une « impossibilité d’élaborer quelque chose avec des mots, et que la passivité devient une obligation ». Il donne l’exemple d’une enfant qu’on emmène chez le dentiste et qui subit passivement la douleur ou tout au moins la frayeur. « En revenant à la maison, cette enfant refait la même expérience traumatisante à sa poupée », affirme Chawki Azouri, ajoutant : « Pour comprendre ce mécanisme, l’identification à l’agresseur est le seul moyen éprouvé par l’enfant pour s’en sortir du traumatisme qu’elle a subi chez le dentiste dans un état de passivité. »
Guérir la violence par la violence
Selon lui, « le mécanisme est très simple : ce que nous avons subi d’une manière passive est insupportable. Par l’identification à l’agresseur, nous devenons nous-mêmes agresseurs. Nous nous guérissons de la violence subie par la violence qu’on fait subir à l’autre ».
Ce qui explique d’une certaine manière cette violence inconcevable que le Proche-Orient est en train de vivre actuellement. Ainsi, les chiites en Irak refont les mêmes erreurs du pouvoir baassiste. Ils font subir aux sunnites les mêmes discriminations qu’ils ont eux-mêmes subies sous le régime de Saddam Hussein. Pour se venger, les insurgés sunnites, guidés par les jihadistes de l’État islamique (ex-Daech), s’acharnent contre les autres communautés. Même les chrétiens. Faut-il rappeler les exactions des forces américaines dans la prison d’Abou Ghraib ? Les humiliations subies par les partisans sunnites du Baas de la part de l’armée américaine suffisent amplement à alimenter la haine contre les chrétiens.
Le schéma est identique en Syrie où la population est prise en tenaille par les forces de Bachar el-Assad et ses « chabbiha », d’une part, et une opposition divisée en milices et jihadistes qui s’entretuent aussi, d’autre part. Entre la haine d’un régime sanguinaire et la peur engendrée par un repli identitaire, le pays s’enfonce dans une violence inextricable où l’anéantissement de l’autre est le but ultime des protagonistes.
Chawki Azouri revient en outre sur le conflit israélo-palestinien. Selon lui, le peuple israélien est assez éduqué, les Israéliens sont intelligents. Comment peuvent-ils faire subir aux Palestiniens ce qu’eux-mêmes ont enduré ? « Il y a ainsi une violence insupportable subie dont on ne peut sortir qu’en la faisant subir aux autres. Ou alors cette violence se retourne contre soi-même. » Le psychanalyste revient sur la notion de culpabilité du survivant. « C’est un symptôme-syndrome qu’on a pu observer chez les juifs qui ont survécu dans les camps de concentration. Ils se sabotaient eux-mêmes. Ils se faisaient violence à eux-mêmes de différentes manières : en manquant par exemple un contrat important ; en ayant la possibilité de réussir quelque chose, ils se mettaient en état d’échec juste avant ; une IVG chez une femme qui aurait pu ne pas avorter... »
Une violence extrême
L’exemple le plus poignant est celui de Bruno Bettelheim, auteur notamment de Psychanalyse des contes de fées. Psychologue célèbre, fondateur de l’école de Chicago et survivant de l’Holocauste, il s’est suicidé par asphyxie de la même manière dont ses parents sont morts. « C’est pour dire que même un psychanalyste comme Bruno Bettelheim n’a pu dépasser sa culpabilité du survivant qui illustre une violence extrême dont ne peut sortir sauf par l’exercice de la violence sur autrui ou sur soi-même allant jusqu’au suicide », explique le psychanalyste.
Cet éclaircissement à lui seul ne suffit pas à analyser les atrocités commises par les groupes jihadistes en Syrie et en Irak. Un autre facteur joue également un rôle prépondérant. C’est l’appartenance à un groupe dans un contexte particulier, à savoir l’absence de l’État.
Chawki Azouri explique : « Quand on hypnotise quelqu’un en lui demandant d’aller tuer, l’hypnotisé ne peut pas le faire, contrairement aux idées reçues. Au moment où il s’approche de la victime pour obéir aux ordres, sa conscience morale, le sur-moi, lui interdit de tuer ». En groupe, la situation devient différente. Le moi s’efface complètement. « Sous hypnose collective, lui disant que la victime potentielle l’a trahi, a pris ses biens, a tué ses proches, etc., l’instinct grégaire devient plus fort que le sur-moi et la conscience morale, et l’individu pourrait ainsi faire collectivement ce qu’il n’a pas pu faire individuellement », affirme Chawki Azouri.
Nazisme, chabbiha, milices...
Quand la loi de la jungle prédomine, c’est le groupe, la bande, le gang les plus forts, les plus terrifiants, qui s’imposent pour survivre, qu’ils soient motivés par une idéologie nationaliste, religieuse, tribale ou autre. Dans ce contexte, la liste est longue : les nazis en Allemagne, le conflit en ex-Yougoslavie récemment en Europe, le génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda, les Khmers rouges au Cambodge, etc. C’est tout à fait le cas en observant les exactions des milices pendant la guerre libanaise et irakienne, celle des chabbiha en Syrie, des jihadistes dans l’État islamique, du Hamas à Gaza, etc.
Y a-t-il un moyen de sortir de cet engrenage de la violence ? « L’exemple principal d’un travail de mémoire relativement réussi s’est passé en Afrique du Sud », explique Chawki Azouri. Selon lui, « on a remarqué dans ce pays que le fait de proposer aux anciens tortionnaires d’éviter un tribunal classique, mais d’être condamnés symboliquement par un tribunal spécial, a permis d’identifier ces personnes et de les présenter devant la justice. Ces tortionnaires ont donc reconnu, même si c’était parfois malgré eux, qu’ils ont torturé le fils d’un tel ou le mari d’une telle, etc. En reconnaissant de tels actes, ils ont demandé pardon aux familles de leurs victimes. Le pardon demandé par ces anciens tortionnaires ne pouvait être obtenu qu’après la reconnaissance des méfaits, des tortures et des assassinats. Et les familles des disparus acceptaient de leur pardonner ».
Faire le deuil
Le psychanalyste raconte en outre que « pendant toute cette période, le plus grand signe de violence a été un crachat qu’une mère a lancé au visage du tortionnaire de son fils qui reconnaissait ses agissements et demandait pardon ».
De ce fait, on peut se demander si le fait qu’un tortionnaire ayant reconnu ses méfaits, ses meurtres, ses assassinats et demandé pardon à une famille pourrait suffire à diminuer quantitativement le volume de la violence. Pour répondre à cette question, il faut l’analyser du point de vue du deuil. L’impossibilité du deuil qui a frappé une communauté déterminée durant une guerre, une période dictatoriale, l’occupation d’une armée étrangère joue un rôle important.
Chawki Azouri explique : « Dans le deuil, la première chose que nous éprouvons pour le mort, c’est de la haine. C’est cette dernière qui va nous permettre de faire notre deuil. Comment ? Au début, on éprouve de la haine, et le deuil nous empêche d’en prendre conscience parce qu’il y a un mort, la vue du cadavre, la réalisation de la mort réelle. Par la suite, la prise de conscience de cette haine envers la personne disparue va m’emmener à m’en vouloir de lui en vouloir... et donc je rentre en tant qu’endeuillé dans un cercle vicieux qui ne se termine qu’après l’épuisement de cette ambivalence, à savoir le rapport amour-haine envers le mort qui se traduit à merveille par les rites mortuaires qui ont bien saisi cette période d’ambivalence dans le deuil : trois jours, une semaine, 40 jours, une année. »
Que se passe-t-il si on a un mort ou un disparu dont on ne connaît pas la raison de la mort, dont on ne connaît pas l’assassin ? « Je ne peux pas en vouloir à mon mort ! Je ne peux en vouloir qu’à l’assassin de mon mort. Tant que j’en veux à son assassin, je ne peux pas entrer dans mon deuil. Si je n’entre pas dans mon deuil parce que je ne hais pas le mort, mais son assassin, je serai comme un mort-vivant. Voilà en quelques mots toute la mécanique de l’histoire. »
Ainsi, pour revenir au cas sud-africain où une mère a craché sur l’assassin de son fils, que s’est-il passé ? En lui disant que c’est lui l’assassin, le tortionnaire a soulagé la mère du poids d’un deuil inaccompli : à partir d’aujourd’hui, elle sait qui a tué son fils, et elle peut le haïr et faire son deuil.
Contribution extérieure
Pour sortir de ce cercle vicieux de la vengeance, Chawki Azouri propose de revenir sur un texte écrit par Sigmund Freud à Albert Einstein et intitulé « Pourquoi la guerre ? ». Dans cette lettre, le père de la psychanalyse propose, pour pouvoir arrêter la violence sur un plan mondial, la mise en place d’une force internationale qui puisse intervenir d’une manière juste et équilibrée. En gros, il faut la contribution d’un pouvoir extérieur coercitif plus fort que celui des protagonistes. On peut ainsi se poser aujourd’hui la question de savoir que si l’Occident, avec à sa tête les États-Unis, avait frappé le régime de Bachar el-Assad il y a un an, on n’aurait pas pu éviter ce bain de sang quotidien avec ces dizaines de milliers de morts depuis un an ainsi que l’émergence de l’État islamique. Ensuite, il faut élaborer, sans copier ce qui s’est passé en Afrique du Sud, un processus juridique qui relève du pardon et de la réconciliation.
Barbarie vs humanité
Enfin, Chawki Azouri se penche sur cet état de barbarie dans lequel est noyée la région. Ce qui caractérise la violence aujourd’hui, c’est le fait qu’elle a perdu toute humanité. Le psychanalyste s’indigne face aux violences perpétrées contre les convois funéraires. Il se rappelle ainsi les frappes israéliennes contre une foule qui enterrait un proche lors de la guerre de 2006 ou bien contre un cimetière à Gaza récemment. Ou bien des kamikazes qui se font exploser dans des mosquées en Irak. Ou bien l’exhibition par les jihadistes des têtes décapitées sur les places publiques... Il y a trois tabous qui désignent anthropologiquement le début de l’humanité et donc du dépassement de la barbarie : l’inceste, le parricide et l’enterrement des morts. « On a commencé par enterrer les morts pour ne plus les manger parce que le cannibalisme prévalait dans une perspective tout à fait barbare : par exemple, manger son ennemi après l’avoir tué pour prendre sa force. Aujourd’hui, on revient à une période où il n’y a aucun respect pour les morts, on a l’impression de retourner à l’état de barbarie », conclut-il.
Le monde désarmé face aux sociétés guerrières
Le monde vire au gris. De la Mauritanie jusqu'aux confins de la Chine via tout le Moyen-Orient, un épais nuage recouvre lentement mais assurément l'ensemble des Etats. Sur son passage, la tempête gomme les souverainetés, efface les frontières et détruit l'ordre établi. La désintégration totale et irréversible des Etats-nations n'y est plus une menace, c'est devenu une réalité. Jusqu'aux attentats du 11-Septembre, les terrorismes et guérillas qui rongeaient ces sociétés étaient marginalisés, mobilisateurs certes de ressources mais pas vraiment dominants. Une vie normale pouvait s'accomplir à Nouakchott comme à Damas ou encore à Islamabad. Aujourd'hui, le djihadisme s'est diffusé sur l'ensemble du corps social, laissant apparaître des sociétés guerrières solidement établies de la côte ouest de l'Afrique jusqu'aux montagnes d'Asie centrale. Ce n'est plus l'Etat-nation, même autoritaire, qui est la norme de cet ensemble en pleine déliquescence, mais la religion radicalisée et la violence portée par des sociétés dépourvues de tout autre mode de régulation. Le syndrome afghan, cet Etat en guerre quasi permanente depuis près de quatre décennies, a proliféré tel un virus foudroyant entraînant dans son sillage la déconstruction de l'Etat. On a cru pendant longtemps que le reste du monde était à l'abri de ce vieux conflit lié à la guerre froide. A tort. Petit à petit, le modèle de la société djihadiste ou guerrière a contaminé l'Etat-nation là où il montrait de forts signes de vulnérabilité. On a également eu tort de penser que l'Etat-nation était l'aboutissement logique du développement politique, comme s'il ne pouvait pas y avoir une alternative à ce modèle de souveraineté, comme si l'histoire s'était arrêtée au carcan national et que le postnational n'était que chimère. On n'a pas voulu voir – car l'esprit cartésien l'interdit – que, si l'on n'y prenait pas garde, l'Etat pouvait être privé de son monopole de la violence légitime au profit de groupes islamistes où chaos et nihilisme font bon ménage. Ce qui se passe dans cette région en collier de perles djihadistes vient en fait fermer la parenthèse de Westphalie, cet acte de naissance de la souveraineté délivré en 1648 à la fin de la guerre de Trente Ans. Après plus de trois siècles de construction nationale, le monde se désinstitutionnalise sous nos yeux et à grands pas. La thèse du retour à l'âge médiéval n'a jamais été aussi pertinente qu'aujourd'hui. La modernité de l'Etat-nation ne fait plus recette, et sa chute commence là où la demande sociale des peuples fragilisés par l'histoire et la géographie n'est plus assouvie et se transforme en désillusions sur place et indifférence sinon mépris de la part de nos sociétés prospères. Le système international peut-il arrêter la destruction de sa vieille maison ? Aujourd'hui, il ne peut pas grand-chose. Pour deux raisons. D'une part, il est responsable de cette situation, car à force de traiter ces crises par l'usage des moyens militaires, les puissances majeures, garantes de l'ordre mondial, ont fini par décourager les populations prêtes désormais à suivre ou subir les idéologies les plus obscurantistes ne serait-ce que pour essayer de s'en sortir. La nature ayant horreur du vide, en l'absence d'institutions, ces groupes humains se tournent vers ce qui leur semble le plus " sécurisant ". Folle spirale du chaos D'autre part, le système international est impuissant, car il repose sur des échanges permanents entre interlocuteurs identifiés et légalisés. Or il n'y a plus d'interlocuteurs fiables ni d'autorités incontestables dans la plupart des ces pays : avec qui discuter ? Avec qui négocier ? Des leaders djihadistes ? Des chefs terroristes invisibles dont la seule ambition est de briser le système des souverainetés pour créer un " nouveau monde " ? Le système international est désarmé, désemparé, face à la disparition de toutes normes politiques au profit de la norme religieuse. Si le système n'est pas en mesure de mettre un terme à cette anomie, à cette folle spirale du chaos dont le centre nerveux se trouve aujourd'hui sur les ruines de la Syrie et de l'Irak, il est dans l'obligation de s'interroger sur ses capacités de rénovation et de correction de ses difformités au moment où le monde touche à nouveau le fond avec un crime génocidaire en Mésopotamie. Comme tous les génocides, les crimes contre l'humanité commis à l'encontre des yézidis et des chrétiens d'Orient ne relèvent pas du hasard ni du court terme. Outre les causes immédiates comme les discriminations religieuses ou les haines raciales, il y a aussi des causes lointaines, comme par exemple la souveraineté excessive des Etats ou les logiques d'exclusion et de marginalisation. Tant que les puissances n'auront pas réglé les défauts de fabrication du système international, d'autres tragédies sont, hélas ! à prévoir en Afrique, au Moyen-Orient ou en Asie. Tant que les puissances attendront l'inconcevable pour réagir, alors qu'elles peuvent intervenir dès les premiers signes d'autoritarisme d'un tyran et de ses sicaires, les dictateurs auront un bel avenir devant eux. Bref, il est difficile d'expliquer comment les puissances peuvent d'un côté être en mesure de pulvériser le monde avec leur arsenal nucléaire et de l'autre se montrer incapables de rectifier les défauts d'origine du système mondial générateurs de tragédies et de génocides. par Gaïdz Minassian Service Débats LE MONDE 25/08/14 |
Les Patriarches d’Orient :
« L’extrémisme religieux est une menace majeure pour la région et pour le monde »
Le 7 août 2014, au cœur d’un Moyen-Orient à feu et à sang, les Patriarches d’Orient ont publié un communiqué condamnant les guerres et les violences qui déchirent la région, et tout particulièrement la persécution d’innocents et de chrétiens. Le fondamentalisme religieux, et ceux qui le nourrissent en finançant ses mouvements armés, portant atteinte à l’équilibre et à la stabilité de la région, est dénoncé sans détour. Les Patriarches lancent un appel urgent à la communauté internationale.
Communiqué de leurs Béatitudes les Patriarches d’Orient
Suite à une fraternelle invitation de Sa Béatitude et Son Eminence le Cardinal Bishara Boutros Al Raï, Patriarche d’Antioche et tout l’Orient pour les Maronites, leurs Béatitudes, les Patriarches des Eglises Orientales se sont réunis au Palais Patriarcal de Dymane, le 7 août 2014.
Etaient présents:
Le Catholicos Aram Kshishian I , Catholicos de Beit Kilika pour les Arméniens Orthodoxes ; le Patriarche Grégorios Lahham III, Patriarche d’Antioche et d’Orient, d’Alexandrie et de Jérusalem pour les Grecs Melkites Catholiques ; le Patriarche Yuhanna Al Yazajee X, Patriarche d’Antioche et d’Orient pour les Grecs Orthodoxes ; le Patriarche Mar Aghnatios Yousef Younan III, Patriarche d’Antioche pour les Syriaques ; le Patriarche Mar Aghnatios Afram II, Patriarche d’Antioche et d’Orient pour les Syriaques Orthodoxes ; le Patriarche Narcis Bedros XIX, Catholicos et Patriarche de Kilika pour les Arméniens Catholiques ; le représentant du Patriarche Louis Raphaël Sakko I, Patriarche de Babel pour les Chaldéens, l’évêque Shlimon Wardouni, Vicaire Patriarcal.
Ils déclarent être terrifiés par les incidents sans précédent et dangereux qui se passent dans la région, par les conflits et les guerres fratricides en Iraq et en Syrie, par le fondamentalisme religieux qui ronge le tissu social et son unité dans nos pays, par l’apparition d’organisations fondamentalistes et des « Takfiri » qui détruisent, tuent, dispersent, violent la nature sacrée des églises, brûlant son patrimoine et ses manuscrits, et par les mercenaires étrangers qui combattent à côté de ceux qui agressent les citoyens et leur dignité. Ils se sentent peinés par les tragédies de leurs frères Palestiniens à Gaza suite au bombardement aléatoire d’Israël, privé de tous sentiments humains et qui a ciblé des innocents, violant ainsi toutes les normes juridiques. Ils sont aussi profondément peiné suite aux événements d’Ersal au Liban, où des groupes terroristes étrangers ont attaqué l’armée libanaise et les forces de sécurité intérieure, causant la mort de nombreux soldats et la prise en otages de plusieurs soldats et membres de la sécurité. Ils ont également assiégé les habitants de la ville et les ont utilisé comme boucliers humains, les adjurant d’abandonner leurs maisons.
Après avoir évalué ces terribles événements de tous ses côtés, et avoir étudié les dangers qui menacent tous les habitants de la région sans exception et qui revêtent un habit de sectarisme et de confessionnalisme que l’on n’a jamais connu dans l’histoire, et après avoir examiné les éventuels effets que ces conflits vont avoir sur les peuples qui habitent la région, y compris leurs fils les chrétiens qui vivent au milieu de ces troubles, et croyant au rôle de l’Etat dans la protection de ces personnes et de leurs propriétés, puisque la situation est arrivé à un point où ces personnes sont forcées à abandonner la terre de leurs pères et de leurs ancêtres, injustement et sans raison valable, ils ont publié à l’issue de leur rencontre, le communiqué suivant :
I. L’expulsion des chrétiens de Mossoul et la vallée de Ninive
1. Expulser tous les chrétiens de la ville de Mossoul, et maintenant de toutes les villes qui se trouvent dans la vallée de Ninive, ne peut pas être considéré comme un simple incident d’urgence qui s’inscrit dans les Chroniques des guerres et des conflits, ou comme une immigration volontaire à cause de la peur de ceux qui cherchent des abris provisoires et sûrs pour fuir la mort : cela est le résultat d’une décision de la part de l’EIIL et d’autres groupes djihadistes qui les a forcé à quitter leur terre et cela seulement à cause de leur appartenance religieuse et leur attachement à leur religion, ce qui contredit les lois internationales. Cette décision inique prise par des gens au nom de l’Islam, est une nouvelle calamité qui frappe la région arabe et musulmane et le vivre-ensemble entre ses habitants. Après les avoir chassés, ils leur ont tout pris. C’est un acte honteux de racisme que les peuples rejettent et que le communauté internationale condamne totalement.
2. Concernant cette dangereuse calamité, elle porte atteinte à des acquis religieux, culturels et humains nobles, qui ont formés au cours des siècles un riche patrimoine de vivre-ensemble entre chrétiens et musulmans. Nous condamnons et refusons vigoureusement l’expulsion de nos fils chrétiens de la chère ville de Mossoul, et des villes et villages de la vallée de Ninive, qui était un exemple de coexistence islamo-chrétienne, à l’instar de beaucoup d’autres anciennes villes arabes. Nous sonnons l’alarme en demandant à tous d’appuyer cette condamnation, qu’elle vienne aussi des musulmans, qui partagent avec nous le même destin, et que cela aboutisse à prendre des initiatives pour mettre fin à cette situation qui est une déviation des règles de vie normales données (par l’Islam). C’est regrettable que la position musulmane, arabe et internationale reste si faible, timide et insuffisante, qu’elle ne pèse pas le danger d’un tel phénomène dont les conséquences seront dramatiques pour la diversité démographique et historique des peuples de cette région. Rendant la situation encore plus dangereuse, certains pays européens encouragent les chrétiens à immigrer de leur terre, sous prétexte de les protéger des homicides et du terrorisme, ce que nous condamnons et refusons vigoureusement, car nous sommes attachés à notre mission dans ce cher Orient. La famille internationale, par l’intermédiaire du Conseil de Sécurité, doit prendre une décision catégorique afin d’obliger à que soit rendue cette terre à son peuple, avec tous les moyens possibles, et le plus vite possible. Nous ne demandons protection à personne, mais nous avons un droit et nous considérons que c’est le devoir des organismes internationaux de conserver leur crédibilité et d’empêcher tout changement démographique brutal, pour nous et pour d’autres religions.
Nous appelons également à nouveau tous les régimes et les pays qui soutiennent, arment ou financent, directement ou indirectement des organisations terroristes d’arrêter ce qu’ils font, car l’extrémisme religieux, d’où qu’il vienne, va faire mal à celui qui le prend en charge et affecte négativement celui qui n’a pas résisté contre lui.
Le déplacement forcé des chrétiens de leurs maisons, la prise de leurs biens, le meurtre de civils non armés, et les attaques contre les minorités religieuses et les églises et lieux de culte à Mossoul, Sadad, Ma’aloula, Kassab et autres villes est certainement un crime contre l’humanité et une violation des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Le procureur de la Cour pénale internationale, doit commencer une enquête afin de mettre terme à cela, rendre les citoyens à leurs foyers et qu’ils puissent retrouver leurs biens et leurs droits.
II. Le conflit en Syrie
3. Les événements sanglants en Syrie sont devenus une guerre absurde qui amène seulement à plus de destruction, de meurtre et de déplacements. Les Patriarches condamnent ces événements et exigent aux parties prenantes et aux États qui les soutiennent en leur fournissant de l’argent et des armes, de mettre fin à cette guerre, et de trouver des solutions politiques afin de parvenir à une paix juste, globale et durable, et à la possibilité du retour des Syriens déplacés dans leurs foyers et leurs terres, les soutirant de la misère dans laquelle ils se trouvent, alors qu’ils sont innocents, pour les libérer de tout abus politique, confessionnel ou terroriste.
4. Après un an et trois mois et demi, nous attendons avec un esprit d’espérance chrétienne le retour de nos frères les deux évêques enlevés : Boulos Yazigi et Youhanna Ibrahim, depuis le 22 Avril 2013, et nous continuons d’insister sur le fait que la réaction de la communauté internationale n’est pas suffisante. Bien sûr, nous remercions toute la solidarité et les condamnations, mais au même temps, nous sommes surpris de l’indifférence qui entoure cette question. Par conséquent, nous demandons au monde entier, à l’Orient comme à l’Occident, de traduire leurs paroles en actes afin que nous récoltions la libération immédiate des deux évêques enlevés.
III. Les événements de Gaza
5. Les événements de Gaza affligent les Patriarches, lorsque des citoyens palestiniens paient le prix fort, par leurs vies, leurs maisons et leurs institutions, à la suite d’un bombardement israélien inhumain. Ils demandent l’arrêt de cette agression, le retrait des forces israéliennes de Gaza, la levée du siège sur la Bande (de Gaza) et ses habitants, la libération des prisonniers et la fin des combats, qui ont tué ces trois dernières semaines, près de deux mille palestiniens. Ceci constitue un crime contre l’humanité. Les Patriarches font appel à la légitimité internationale pour résoudre la question palestinienne dans son ensemble, en approuvant un Etat pour les Palestiniens avec sa capitale à Jérusalem, selon le principe de deux Etats, et le retour des réfugiés palestiniens sur leurs terres, et le retrait d’Israël des territoires arabes occupés en Palestine, en Syrie et au Liban.
IV. Les événements de Arsal
6. Quant aux événements d’Arsal au Liban, ils ont affligé les Patriarches au plus profond d’eux même, à cause des attaques des groupes terroristes étrangers, profitant de la réalité de la ville et des camps des Syriens déplacés, et est destiné à un plan terroriste à grande échelle. Les Patriarches remercient la Providence qui a protégé cette chère patrie, et que les forces armées libanaises qui ont pu faire face à ces attaques et travailler progressivement pour aider les civils à sortir ce cette situation difficile, malgré leurs pertes subies. Les Patriarches expriment leur total soutien aux forces armées et aux forces de sécurité libanaises, et ils prient pour leur protection et leur succès. Ils font également l’éloge de la position libanaise unie qui soutient l’armée et qui ne tolère pas les terroristes et les groupes extrémistes. Cela a été exprimé par une déclaration du Conseil des ministres libanais, dans la bouche de son président, il y a trois jours.
V. L’expérience de la coexistence
7. L’histoire de cette région a connu des périodes de chaos et de violence, dont le prix a été payé par des nations qui n’aspiraient qu’à vivre dans la dignité et dans une citoyenneté véritable. Ces périodes ont été souvent le résultat des actions de dirigeants tyranniques dont les cœurs n’ont pas connu ni le Christianisme ni l’Islam. Mais nous avons mis de côté tout ce passé douloureux. Et nous avons travaillé à faire une purification de la mémoire de tous ces événements passés. Nous avons également ouvert une nouvelle page de coopération, basée sur le respect mutuel et la reconnaissance des sublimes valeurs spirituelles respectées par les deux religions. Cela nous a poussés, chrétiens comme musulmans, à considérer ceux-ci comme des initiatives positives avec lesquelles il faut collaborer afin d’établir une meilleure coopération entre les fidèles des deux religions partout dans le monde. Suite à cela, les dialogues entre chrétiens et musulmans ont commencé, en vue d’une coopération mutuelle et d’une contribution pour surmonter les inconvénients du passé et pour bâtir un nouvel avenir sur la base de la vérité, de la justice et de l’amour entre tous.
Allons-nous donc accepter que ce progrès dans les relations entre le Christianisme et l’Islam, soit exposé à des telles régressions qui menacent par l’élimination de toutes les choses positives, de nous faire revenir des générations en arrière?
VI. Le fléau de l’extrémisme religieux et le devoir de le contrecarrer
8. Les observateurs des événements dans le temps présent, voient dans l’extrémisme religieux une maladie qui menace le Moyen-Orient, avec toutes ses composantes, et considèrent qu’un temps doit encore passer avant que la région puisse être guérie de cette maladie. Nombreuses sont aussi les victimes qui sont tombées en raison de ses répercussions. Il est donc impératif que, chrétiens et musulmans, nous nous unissions ensemble que soient évitées de telles complications et afin d’épargner notre région et nos enfants de telles horreurs, et cela en sensibilisant les esprits et les consciences, et en appelant à s’attacher à ce qu’il y a d’authentique et d’essentiel dans la religion, et de ne pas l’exploiter pour des intérêts personnels ou pour réaliser des intérêts régionaux ou internationaux. Nous nous tournons vers les Etats et vers les média locaux et internationaux, afin qu’ils prennent conscience de la gravité du discours qui remplit les écrans et les réseaux sociaux, et afin qu’ils puissent ensuite, moyennant l’autorité morale qu’ils ont aujourd’hui, se dresser comme des digues, et de mettre en lumière les points de rencontres et de cohésion, laissant à Dieu Tout-Puissant le jugement des cœurs.
9. Un esprit de responsabilité doit prévaloir dans tous les milieux arabes et internationaux, afin de limiter cet extrémisme agresseur qui fait mal au chemin parcouru entre le Christianisme et l’Islam, que ce soit dans la région ou de par le monde, et de travailler à mettre fin à ses conséquences dramatiques. Si certains en cachette, financent ces extrémismes et dépensent l’argent pour répandre la corruption sur la terre, il est nécessaire de mettre à jour ces organes afin qu’ils rendent compte de cela devant l’opinion publique internationale et les forces des acteurs moraux du monde entier. L’unique moyen de faire cela, est que les arabes et les musulmans retrouvent un esprit d’unité entre eux et découvrent les avantages de la diversité qui est une caractéristique de notre Orient. Il est également nécessaire de s’accepter mutuellement et de vivre ensemble sur les bases du respect, de l’égalité et de la citoyenneté entre tous dans tous les pays. C’est un appel du fond du cœur que nous envoyons à tout le monde, étant des chercheurs d’unité avec nos frères musulmans, à la recherche d’une insertion dans un même destin nous unissant aujourd’hui et demain comme il l’avait fait hier, donnant ainsi des fruits abondants. Nous appelons aussi les autorités musulmanes, sunnites et chiites, de prononcer des « fatwas » officielles et claires qui interdisent les attaques contre les chrétiens et les autres personnes innocentes et leurs biens. Nous appelons également tous les parlements des pays arabes et musulmans à émettre des lois qui exhortent à cette ouverture, et qui rejettent clairement toutes les formes d’exclusion et de rejet de l’autre, rendant ainsi les gens qui font cela responsables devant la loi pour leurs fautes. Nous nous tournons aussi vers toutes les Eglises sœurs dans le monde, afin qu’elles soient solidaires avec nos demandes et nos prières, pour protéger le message salutaire du Christ dans les pays du Moyen-Orient, aujourd’hui ravagés par une vague massive de persécutions.
VII. La solidarité avec nos frères et nos fils
10. Sur la base de cette croyance, et de ces principes, nous déclarons notre solidarité sans limite avec nos fils et nos frères déportés de leurs maisons et de leurs terres. Nous ferons tous les efforts possibles afin qu’ils retrouvent leurs foyers avec honneur et dignité et dans un climat de réconciliation et de fraternité retrouvé entre les peuples de toutes les nations de leur pays d’origine. Ainsi, ils vont retrouver l’unité de leur pays et avec cela une vie digne pour tous. Nous lançons un appel à la communauté internationale de ne pas abandonner ses responsabilités face à la réalité politique, humaine et sociale douloureuse subie par les peuples de l’Orient, et de ne pas transformer la cause de notre peuple, blessé dans sa dignité et ses droits et son existence, à une cause purement humanitaire qui attire la compassion et la charité, réglée en assurant l’hébergement aux exilés de ses membres en dehors de leur terre et de la culture de leur pays d’origine qui constituent l’un des trésors les plus précieux. Nous demandons également aux pays d’arrêter de traiter cette diversité culturelle avec la logique de minorité, et comme si la présence humaine n’était qu’un regroupement d’individus, oubliant la contribution que chaque personne peut apporter selon les talents et capacités que Dieu Tout-Puissant lui a donné. Pour cela nous allons chercher par tous les moyens à plaider cette cause auprès des plus hauts organes internationaux, à commencer par la Ligue arabe pour parvenir au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies et la Cour pénale internationale des Nations Unies, en espérant que tous vont être à la hauteur de la responsabilité civique qui leur incombe, et qu’ils vont s’élever au-dessus des intérêts politiques étroits qui portent atteinte à leurs propriétaires à chaque fois qu’ils trahissent leur conscience et les valeurs de justice et du droit découlant de la volonté du ciel.
11. La chose la plus urgente reste l’aide qu’il faut donner à nos fils déplacés et en détresse suite à ces attaques. Nous appelons les institutions internationales et les organisations pour subvenir à leurs besoins de base et assurer l’approvisionnement d’une vie décente, afin de faciliter leur mission de rester dans le pays de nos pères et grands-pères. Ils pourront ainsi, une fois le danger passé, retourner dans leurs foyers et retrouver la coexistence qu’ils menaient depuis des siècles.
VIII. Les demandes
12. A la fin de ce communiqué – appel, les Patriarches des Églises orientales déclarent que:
Premièrement : les chrétiens des pays du Moyen-Orient souffrent d’une grave persécution. Ils sont expulsés de leurs demeures et de leurs biens saisis par les fondamentalistes et « takfiri »[1] sous le voile d’un silence mondial. C’est une honte pour l’humanité. Comme si notre époque retournait à ce qu’elle était avant toute loi et coexistence humaine.
Deuxièmement: les composantes religieuses et les valeurs liées à la foi, ou qui sont de nature humanitaires, culturelles et éthiques sont toutes menacés, et demanière très dangereuse.
Troisièmement : l’extrémisme terroriste et « takfiri » au nom de la religion est une menace majeure pour la région et le monde.
13. C’est pourquoi (les Patriarches) exigent :
Premièrement : que tous les chefs religieux prennent une position commune, claire et forte contre cette persécution et cette menace.
Deuxièmement : que la Ligue arabe, la Conférence de la coopération islamique, le Conseil de sécurité des Nations Unies, la Cour pénale internationale et la communauté internationale agissent immédiatement par un acte de secours efficace et fort.
Troisièmement : que tous les États et les parties qui financent, directement ou indirectement, par l’argent et les armes, des groupes fondamentalistes, terroristes et « takfiri », pour des fins politiques et économiques, arrêtent ce financement et ce soutien.
14. (Les Patriarches) expriment leur soutien à leurs fils chrétiens expulsés de leurs maisons et de leurs terres par la force et le mépris, les assurent qu’ils sont près d’eux dans la prière et qu’ils font tout pour qu’ils trouvent un lieu sûr, avant de pouvoir retourner dans leurs maisons et propriétés, et que leur soient restaurés tous leurs droits.
Ils demandent également aux enfants de leurs églises disséminées sur les cinq continents d’être solidaires avec leurs frères et parents des pays de cet Orient souffrant, et de les aider matériellement, spirituellement et moralement, afin qu’ils puissent tenir dans leur pays avec une espérance chrétienne solide, et qu’ils puissent poursuivre en elle leur mission, en annonçant l’Evangile de fraternité, justice et paix, que le Christ leur a confié, lui le Rédempteur de l’homme et le Sauveur du monde et qui leur répète en ces moments difficiles: “Ne crains point, petit troupeau… Vous aurez des tribulations dans le monde; mais prenez courage, j’ai vaincu le monde.” (Luc 12: 32; Jn 16: 33).
Conclusion
15. Nous prions ensemble pour le repos des âmes de ceux qui ont été tués pendant ces événements tragiques, pour la consolation de leurs parents et pour la guérison de ceux qui sont blessés. Nous prions aussi afin que la sécurité et la paix règnent dans le monde et en particulier dans nos chers pays, en suppliant Dieu d’inspirer les responsables et les personnes de bonne volonté, afin qu’ils contribuent à mettre fin à cette période sombre et injuste de notre histoire, et que notre monde troublé retrouve la vie et la stabilité.
Source : http://fr.lpj.org/2014/08/11/les-patriarches-dorient-lextremisme-religieux-est-une-menace-majeure-pour-la-region-et-pour-le-monde/ Article du 11 août 2014
Réflexions à partir de la lecture du livre d’Amin Maalouf “ Les identités meurtrières ” (Ed. Livre de poche, 2001, 192 p.)
Si, avec Paul Valéry, nous nous intéressons à ce qui “ crée, anime ou ranime des problèmes dans notre pensée ”, le livre d’Amin Maalouf, Les identités meurtrières, fait partie de ceux dont je ne me détache pas facilement. Il suscite de nombreuses et fécondes conversations avec mes co-volontaires du Mouvement ATD Quart Monde. La question de l’identité est centrale. En effet le pire pour les personnes en grande pauvreté est de n’avoir aucune identité positive, d’être sans cesse définies par les autres (sans abri, sans formation, sans famille, etc.).
La construction d’une identité collective, celle de Quart Monde, a cherché à répondre à cette mort historique et sociale. Mais alors “ Quart Monde ”, un monde à part ? Quel paradoxe pour notre Mouvement qui, le premier, a dénoncé “ l’exclusion sociale ”1, une notion qui se propage de plus en plus dans le monde, pour faire prendre conscience que le pire de la misère était d’être mis à l’écart. Cette appellation de Quart Monde a été construite par référence aux Cahiers du Quatrième Ordre2 publiés en 1789 par Dufourny de Villiers, où il plaidait pour la nécessité de créer un ordre supplémentaire, “ l’ordre sacré des infortunés ”, sans lequel leur contribution à la Nation naissante ne parviendrait pas aux autres citoyens. Mais en même temps il appelait de ses vœux une société sans ordres. Le paradoxe était donc déjà présent.
Maalouf, écrivain et historien, tente depuis des années d’élargir la perception que nous avons de nous-mêmes en racontant notre propre histoire vue du Moyen Orient. Témoin de notre époque, il en critique ici un aspect saillant qu’il considère comme étant non seulement dangereux mais “ meurtrier ”. Il déconstruit le concept d’identité fondamentale et l’idéologie selon laquelle il faudrait se définir par une identité unique, produits de ceux qui voudraient nous sommer de nous définir suivant leurs questions, de ceux qui nous disent : soit tu es avec nous, soit tu es contre nous !
Son propos est simple et provocant. Vouloir se définir par une identité unique c’est un jour ou l’autre devenir meurtrier des autres. “ Etes-vous plutôt Libanais ou plutôt Français ? ” demandent des journalistes à Amin Maalouf. “ Lorsque j’ai fini d’expliquer, avec mille détails, pour quelles raisons précises je revendique pleinement l’ensemble de mes appartenances, quelqu’un s’approche de moi pour murmurer, la main sur mon épaule : Vous avez eu raison de parler ainsi, mais au fond de vous-même, qu’est-ce que vous vous sentez ? Cela supposerait qu’il y a, “ au fin fond de chacun ”, une seule appartenance qui compte, sa vérité profonde, son essence, déterminée une fois pour toutes à la naissance et qui ne changera plus. Comme si le reste, tout le reste – sa trajectoire d’homme libre, ses convictions acquises, ses préférences, sa sensibilité propre, ses affinités, sa vie en somme – ne comptait pour rien. Et lorsqu’on incite nos contemporains à “ affirmer leur identité ” comme on le fait si souvent aujourd’hui, on leur dit qu’ils doivent retrouver au fond d’eux-mêmes cette prétendue appartenance fondamentale (souvent religieuse ou nationale ou raciale ou ethnique) et la brandir fièrement à la face des autres. Quiconque revendique une identité plus complexe se retrouve alors marginalisé ”.
Ainsi une même personne peut, par exemple, selon les périodes et les idéologies, être forcée de se définir successivement comme membre de la classe ouvrière, puis comme croate, puis encore comme musulmane. Or mon identité, affirme Maalouf, est certes le fruit de mes appartenances, dont certaines sont choisies et d’autres héritées. Mais, suivant les circonstances et les combats que je veux mener, je peux choisir de faire jouer telle ou telle d’entre elles. De toute façon, l’identité de tout être humain est nécessairement complexe. Elle est déjà à la base le fruit de l’union de deux histoires : celle de son père et celle de sa mère. La vie biologique est ainsi faite. Et ce mélange même assure la diversité des êtres et contribue à leur liberté. D’autre part, ces héritages viennent de circonstances qui ne sont plus : le temps dans lequel je vis aujourd’hui est différent et je suis aussi façonné par lui. Nous sommes tous d’une certaine façon des immigrants, des “ immigrants vers l’avenir ”. “ Les hommes sont plus les fils de leur temps que de leur père ” disait Marc Bloch, cité par Maalouf. A la notion d’identité qui lui paraît un “ faux ami ”, Maalouf préfère celle d’appartenances. Mes appartenances me lient à plusieurs groupes, et chacun de ces groupes contient des diversités. Ainsi le fait d’assumer mes appartenances me force à comprendre celles des autres. C’est un chemin pour désamorcer les peurs. Mon identité personnelle est unique, mais elle est faite de toutes ces appartenances, qui se sont construites tout au long de la vie.
A travers ce petit livre, Maalouf explore les paradoxes de ce qu’il soulève, allant de son expérience personnelle à ses connaissances historiques et en ébauchant un essai politique sur les défis de notre époque mondialisée. “ On a tendance à se reconnaître dans son identité la plus attaquée... Affirmer son identité devient un acte de courage libérateur. ” ... “ Pour avoir vécu dans un pays en guerre, je sais que la peur pourrait faire basculer n’importe quelle personne dans le crime. ”. “ Ne disais-je pas tantôt que le mot identité est un faux ami ? Il commence par refléter une aspiration légitime et soudain il devient un instrument de guerre. ” Il explore avec précision comment il a vécu ses dilemmes d’immigrant avec, comme le dit Edgar Morin, la part qu’il faut assumer et la part qu’il faut créer. Ces dilemmes vus comme honteux sont peut-être une source d’avenir vers une meilleure compréhension de notre identité d’humains, tous migrants.
Sa réflexion résume son œuvre d’historien de la relation entre le monde occidental et le monde arabe. Depuis le XVème siècle, ce dernier voit que “ la modernité vient de chez l’autre ”. Elle approfondit les liens entre histoire et religion. Selon lui, on parle de l’influence des religions sur les peuples et sur leur histoire, et pas assez de l’influence des peuples et de leur histoire sur les religions. Il parle d’un événement sans précédent dans l’histoire quand l’Occident a réalisé que “ sa science est devenue la science, sa médecine la médecine, sa philosophie la philosophie. ” Mais l’Occident n’a pas su lier cette avancée à une générosité. Par exemple Muhamed-Ali, vice-roi d’Egypte, qui voulait apprendre comme Pierre le Grand et rejoindre cet espace moderne, en a été rejeté et son peuple en a été humilié pour longtemps. Ce n’est là qu’un exemple pris dans une analyse fouillée et rarement entendue.
Les dernières parties de l’ouvrage sont des méditations sur les chemins possibles (même “ si l’Histoire ne suit jamais le chemin qu’on lui trace ”) pour ne pas se perdre dans l’universel qui n’est ni la standardisation ni la tentation des clans protecteurs. Maalouf décrit la place objectivement grandissante des appartenances linguistiques, et surtout des appartenances religieuses qui ont la taille critique pour être significatives à l’échelle du monde. La mondialisation pousse notre époque et nos démocraties à “ apprivoiser la panthère ” : notre désir d’identité, notre besoin d’appartenir. Elle peut tuer si on la blesse et la relâche dans la nature, mais elle peut aussi être apprivoisée.
Le grand paradoxe de l’immense puissance de l’Occident c’est de vouloir une société d’ouverture et de tolérance, tout en la fermant à un très grand nombre. “ Il faudrait que personne ne se sente exclu de la civilisation commune qui est en train de naître. ” On peut construire un sentiment d’appartenance à l’aventure humaine par l’intermédiaire de plusieurs appartenances
Il y a quelques années, Edgar Morin, un fils d’immigré lui aussi, nous invitait à méditer sur la complexité de “ l’identité humaine ” (titre du tome 5 de La Méthode, 2001). Nous pouvons et devons, je crois, poursuivre cette méditation en nous enrichissant du témoignage que nous apporte Maalouf. Son expérience des multiples identités qui sont en lui et que nous reconnaîtrons également en nous, comme son exceptionnelle culture d’historien, nous aideront plus encore à comprendre la souffrance des personnes et des peuples qui, par manque de pouvoir social, sont toujours obligés de se situer, de se définir dans les catégories décidées par d’autres. Cela fait écho à ce que nous a dit le père Joseph Wresinski, lui aussi un fils d’immigré, sur le danger de vouloir définir l’autre.
Bruno Tardieu anime actuellement le pôle formation d’ATD Quart Monde, après de nombreuses années passées aux Etats-Unis où il a contribué à des actions recherches formations au cœur de quartiers défavorisés, en lien avec des professionnels et des universitaires. (Cf. Quart Monde n°182)
LETTRE 119
Juin 2014
Editorial
Ensemble, dénoncer, comprendre, agir, prier
En ce début du mois de juin, la société française fait face à plusieurs chocs : à nouveau, celui de l’arrestation d’un jeune français de tradition musulmane, auteur présumé de l’assassinat de quatre personnes au musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014.Cet attentat antisémite a, très vite, été dénoncé par tous les responsables politiques et religieux, et parmi eux les diverses autorités musulmanes de notre pays. Comment ne pas penser à l’action de Mohammed Merah ? Quelques semaines auparavant les agissements de la secte Boko Haram au Nigéria avec l’enlèvement de deux cents jeunes filles avaient aussi suscité des condamnations unanimes dont celle de responsables musulmans en France. Ensemble, nous devons dénoncer tous ceux et celles qui utilisent le nom de Dieu ou la religion pour susciter la haine parmi les êtres humains ou pire encore tuer.
La société française est aussi sous le choc des résultats aux élections européennes, avec près des deux tiers de citoyens s’abstenant d’y participer et le Front national, devenant le premier parti représentant les Français au parlement Européen.
Dénoncer ne suffit pas. Il faut chercher à analyser et à comprendre, comme viennent de le faire, à Lyon, des responsables musulmans. Pourquoi des jeunes de familles musulmanes partent se battre en Syrie en invoquant un «jihad » ? Pourquoi une telle abstention dans les jeunes générations et tant de voix pour l’extrême droite ? Ce vote témoigne de la défiance de plus en plus grande vis-à-vis de la politique et des responsables politiques qui semblent vivre dans un autre univers que leurs concitoyens affrontés aux situations de plus en plus difficiles de précarité, de chômage. Il témoigne aussi d’une peur devant l’avenir, d’une désorientation au sens propre du terme : dans ce monde mondialisé, en crise, vers où se tourner pour orienter sa vie personnelle, familiale, celle de la société ou de l’Europe ? Le besoin de sécurité est clair mais s’en tenir à la seule réponse sécuritaire dans les enjeux de la présence et de la vie des musulmans en France est une vue à très court terme.
Comment entendre l’inquiétude de musulmans et de catholiques quand ils ont le sentiment que des piliers comme la famille sont mis en cause ? La défiance est en train de naître parmi des familles populaires, musulmanes en particulier, vis-à-vis de l’Education nationale, jusqu’ici lieu privilégié de l’apprentissage du vivre ensemble en France. Cette défiance est grave : les responsables politiques seront-ils capables de percevoir que le registre des valeurs est fondamental pour construire une vie humaine et une vie ensemble en société ? Musulmans et chrétiens, sommes-nous capables de nous retrouver pour analyser et comprendre les bouleversements en cours ? L’enjeu n’est pas de constituer un front commun des religieux contre les autres mais de rétablir ensemble une confiance et de prendre des initiatives communes aux croyants et non-croyants porteurs d’un certain sens de l’homme.
Ensemble dénoncer, ensemble nous retrouver pour analyser et comprendre, ensemble prendre des initiatives, croyants, musulmans et chrétiens et humanistes, oui !
Mais aussi ne pas oublier notre rôle de croyants en Dieu, celui de la prière.
Le Pape François nous y invite fortement à l’occasion de son pèlerinage en Jordanie, Palestine et Israël. Devant l’absence de toute perspective pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, l’impasse dramatique de cette situation pour tout le Proche-Orient, le pape François a déclaré « Il est temps de mettre fin à cette situation toujours plus inacceptable ». Il a proposé une initiative surprenante mais hautement symbolique en invitant à Rome le dimanche 8 juin, jour de la Pentecôte, les deux présidents, le juif Shimon Pérès et le musulman Mahmoud Abbas, à prier avec lui Dieu pour la paix. Reprenant, d’une certaine manière, l’initiative de Jean-Paul II à Assise en octobre 1985, Il rappelle aux croyants leur responsabilité spécifique, celle de supplier Dieu pour que la paix advienne. Chrétiens et musulmans, c’est aussi à cette condition que nous pourrons dans la société française être de véritables acteurs de paix et de fraternité.
Christophe Roucou, 4 juin 2014
NB L’ensemble du numéro comportant des textes importants du Pape François, du roi Abdallah de Jordanie,
Des échos d’ initiatives dans le champ des relations entre chrétiens et musulmans en France, des recensions de livres
paraitra dans le courant de la semaine prochaine (11 juin) Pour toute information :
S.R.I. (Service de la Conférence des Evêques de France) 71, rue de Grenelle, 75007 Paris
Tél. 01 42 22 03 23 - E-Mail : sri@le-sri.com - I.S.S.N. 0996-6935