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l'entreconnaissance

Publié le Mercredi 27 Août 2014 à 17:15:07

ANALYSE

Guerre de mouvement et attentats :

la stratégie à double détente de l'Etat islamique

Erbil (Kurdistan irakien) Correspondance

 

 

 

Les victoires fulgurantes de l'Etat islamique (EI) et de ses alliés, remportées à coups de convois de pick-up lancés à travers la plaine et de bombardements au moyen de blindés et de pièces d'artillerie arrachés à l'armée irakienne, ont pris le monde de court depuis juin. Elles ont montré la capacité du groupe djihadiste à mener une offensive conventionnelle visant la conquête de territoires où il s'attache à présent à mettre en œuvre son utopie millénariste.

Le concours apporté par l'aviation américaine aux forces kurdes et irakiennes a permis d'interrompre, depuis la mi-août, ce mouvement d'expansion. Mais les capacités militaires dont l'EI dispose lui permettent à ce stade de préserver les zones placées sous son contrôle d'une contre-attaque massive. Et si les djihadistes ont prouvé qu'ils étaient capables de mener une attaque territoriale classique, ils maîtrisent aussi les fondamentaux de la guérilla et de l'action terroriste.

Les attentats qu'ils ont revendiqués le 23 août, à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, et dans la ville de Kirkouk – passée sous le contrôle des forces kurdes après le retrait de l'armée irakienne en juin –, l'ont rappelé à ceux qui auraient été tentés de l'oublier.

" La capacité de projection de l'Etat islamique a été sérieusement diminuée par les frappes américaines, mais nous redoutons maintenant un recours massif aux attentats-suicides et aux voitures piégées dans des villes qu'il ne peut plus attaquer frontalement ", explique Polad Talabani, un officier des forces antiterroristes kurdes.

Cette inquiétude est largement partagée au Kurdistan irakien qui, depuis 2003, était parvenu à se tenir à l'écart du chaos prévalant dans le reste du pays. La force de frappe américaine aura beau cantonner les djihadistes et mettre un terme à la guerre de mouvement qu'ils menaient face aux peshmergas (combattants kurdes) et à l'armée irakienne, elle ne pourra pas empêcher l'Etat islamique de maintenir un état de tension permanent par des voies détournées.

Les trois attentats-suicides de Kirkouk, qui ont fait 21 morts et 118 blessés, étaient directement dirigés contre les forces kurdes. Ils ont visé les locaux de leurs services de renseignement, des positions militaires ainsi qu'un marché aux armes où elles sont particulièrement présentes. La voiture piégée qui a explosé à la périphérie d'Erbil n'a fait que quatre blessés. Mais cet attentat instille à nouveau le doute sur la capacité des autorités du gouvernement autonome kurde à maintenir le statut particulier de la région. Un attentat-suicide perpétré en septembre 2013, le premier en six ans, avait déjà ébranlé la capitale du Kurdistan.

Si Erbil et les grandes villes de cette région se distinguent toujours par leur calme et leur prospérité et si l'atmosphère qui y règne n'a pas été radicalement affectée par la menace terroriste ou la proximité des forces djihadistes, parvenues à une trentaine de kilomètres de la capitale, les mesures de sécurité y ont été cependant renforcées.

L'action des services de sécurité de la région autonome alimente toutefois des tensions ethniques. Elle est en effet dirigée principalement vers les dizaines de milliers d'Arabes qui y ont trouvé refuge depuis l'offensive de l'armée irakienne contre la province sunnite d'Al-Anbar au début de l'année et les avancées de l'EI dans le nord du pays ces derniers mois. La défiance croissante de la population kurde à l'encontre de ces nouveaux venus empoisonne aussi l'atmosphère.

Depuis la chute de Saddam Hussein, en 2003, les prédécesseurs de l'Etat islamique, comme Al-Qaida en Irak, dirigé par Abou Moussab Al-Zarkaoui, ont tous nourri la haine communautaire. Les mesures de punition collective ordonnées par le pouvoir central à Bagdad, contrôlé par des formations chiites, en représailles à leurs opérations terroristes, ont soudé autour d'eux la population sunnite arabe. Ce fut notamment le cas lors de la guerre confessionnelle qui a ravagé l'Irak en 2006 et 2007.

L'Etat islamique est donc en mesure de jouer sur plusieurs tableaux à la fois. Il peut actionner des méthodes qui ont prouvé leur sinistre efficacité par le passé tout en s'appuyant sur une force militaire conventionnelle à même de sanctuariser les territoires où il ambitionne de rebâtir un califat. Et les quelque 12 000 volontaires étrangers qui l'ont rejoint, selon le département d'Etat américain, lui offre même une capacité de projection internationale.

Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l'EI, a donc toutes les cartes en main pour exercer encore longtemps sa capacité de nuisance.

Allan Kaval

 

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Un djihadiste américain tué au combat en Syrie

Un Américain, Douglas McAuthur McCain, soupçonné d'être un djihadiste de l'Etat islamique (EI), a été tué dans des combats en Syrie, a indiqué, mardi 26 août, la Maison Blanche, confirmant des informations des chaînes NBC et CNN qui avaient révélé que McCain avait perdu la vie le week-end dernier lors d'affrontements armés entre groupes rebelles rivaux. D'après NBC, il faisait partie d'un groupe de trois combattants djihadistes étrangers des rangs de l'EI. Selon le département d'Etat, quelque 12 000 djihadistes étrangers venant de 50 pays différents se sont rendus en Syrie depuis le début du conflit il y a plus de trois ans, dont un " petit nombre d'Américains ". Des responsables américains avaient confié la semaine dernière que plus de 100 ressortissants des Etats-Unis sont partis se battre en Syrie ou ont tenté de le faire.

 

Washington rejette l'aide de Damas contre l'EI

Washington Envoyé spécial
Les Etats-Unis ont commencé leurs vols de reconnaissance en Syrie, au-dessus des zones contrôlées par les djihadistes

 

La posture est familière et l'offre de service est syrienne. Il n'a pas fallu attendre longtemps pour que le gouvernement de Bachar Al-Assad prenne la mesure de l'opportunité créée par l'expansion de l'Etat islamique (EI) et l'inquiétude que les djihadistes suscitent désormais à Washington. Dans un premier temps, le président des États-Unis, Barack Obama, avait circonscrit sa riposte au théâtre d'opérations irakien.

Appelé officiellement en renfort par Bagdad, Washington s'était borné à appuyer, par un soutien aérien, une contre-offensive des forces kurdes un instant mises en difficulté. L'exécution du journaliste James Foley, le 18 août, puis le constat, dressé trois jours plus tard par le plus haut responsable militaire du Pentagone, Martin Dempsey, que l'EI dispose en Syrie d'un sanctuaire échappant aux bombardements américains ont montré les limites d'un réengagement a minima. Il pourrait d'ailleurs s'étendre désormais en Irak à Amerli, une localité turkmène menacée par l'EI, qui ne figurait pas initialement dans les objectifs listés le 7 août par M. Obama.

Face à ce réengagement, Damas, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Walid Mouallem, s'est donc dit prêt, lundi 25 août, à coopérer " au niveau régional et international à la lutte contre le terrorisme ". Le régime syrien ne s'est pas opposé à des opérations américaines en Syrie à condition qu'elles soient coordonnées avec lui. Dans le cas contraire, elles relèveraient de l'" agression ". M. Mouallem a d'ailleurs assuré que le raid américain lancé pour tenter de libérer des otages, avant le début des frappes américaines en Irak, n'aurait sans doute pas échoué si Damas y avait été associé.

Ce n'est pas la première fois que le régime syrien tente de jouer cette carte. La différence réside dans les dizaines de milliers de morts auquel il est associé depuis qu'il a militarisé la répression de la rébellion syrienne, à l'automne de l'année 2011. Ce qui a précipité la rupture entre les deux pays. Les voix restent ainsi très rares à Washington qui défendent l'argument du moindre mal : la défaite de l'EI valant bien à leurs yeux une réhabilitation, même partielle, de Bachar Al-Assad.

" Tout le camp pro-israélien s'y opposerait, parce que renouer avec Damas au nom de la lutte contre l'Etat islamique serait une première étape avant de renouer avec Téhéran pour la même raison, au risque de se montrer moins regardant sur la question du programme nucléaire iranien ", estime Joshua Landis, spécialiste de la Syrie à l'université d'Oklahoma. Le régime est " une partie du problème ", a estimé le 21 août Martin Dempsey.

L'initiative syrienne a coïncidé avec l'annonce du feu vert donné le 24 août par le président Barack Obama à des vols de surveillance du territoire syrien, par des drones et des avions espions, pour collecter des informations sur les positions tenues par l'Etat islamique. Si la Maison Blanche a exclu mardi toute coordination avec le régime de Bachar Al-Assad, par la voix de son porte-parole, Josh Earnest, l'offre de service syrienne n'en met pas moins en évidence les zones d'ombre de ce qui constitue pour l'instant la stratégie américaine : la participation à l'endiguement de l'Etat islamique pour permettre la constitution d'une coalition capable de le vaincre.

En Syrie, l'administration américaine est privée d'une bonne partie de ses cartes irakiennes, à commencer par la présence d'alliés au sol. En juin, M. Obama avait évoqué l'opposition modérée en la décrivant comme composée " d'anciens paysans, d'enseignants et de pharmaciens ", ce qui relativisait ses attentes. " En deux ans, Washington a dépensé moins d'argent - pour soutenir cette opposition - qu'en une seule semaine en Irak aux heures les plus difficiles ", assure M. Landis. De même, les États-Unis ne pourront pas se prévaloir avec la Syrie d'un appel à l'aide provenant des autorités officielles du pays, alors que l'état des relations avec la Russie, sur le fond de crise ukrainienne, complique considérablement tout passage par les Nations unies.

Refusant de monter trop visiblement en première ligne, Washington assure ensuite que la victoire contre l'Etat islamique peut être obtenue par une coalition régionale, sans en préciser la composition. Cette dernière irait au-delà des sept pays qui se sont d'ores et déjà mobilisés pour réarmer les forces kurdes et dont le secrétaire d'Etat à la défense américain, Chuck Hagel, a dressé la liste mardi (Albanie, Canada, Croatie, Danemark, France, Italie et Royaume-Uni). Elle reposerait logiquement sur les alliés traditionnels de Washington dans la région : la Turquie, la Jordanie et l'Arabie saoudite. Mais il est difficile d'imaginer ces pays s'impliquer dans une telle campagne faute de moyens opérationnels et, surtout, compte tenu des risques politiques d'un tel engagement.

Enfin, toute extension à la Syrie des efforts américains déjà portés en Irak va rester pour longtemps tributaire des résultats obtenus sur ce premier terrain. L'éviction du premier ministre sortant, Nouri Al-Maliki, a été un premier succès, mais les dérives sectaires ont atteint un tel niveau dans le pays au cours des derniers mois qu'un rapprochement entre chiites et sunnites — qui priverait l'Etat islamique d'une partie du terreau sur lequel il prospère — reste un objectif extrêmement ambitieux.

Gilles Paris

 

L'irrésistible ascension d'un djihadisme protéiforme

 

Alors que l'Etat islamique (EI) vient de proclamer un califat sur les territoires conquis en Syrie et en Irak, qui se souvient encore qu'il y a trois ans, le monde avait, dans une profusion hâtive de commentaires enthousiastes, signé l'acte de décès d'Al-Qaida et du djihadisme international ?

Il y avait certes eu au moins trois signes encourageants : l'arrivée au pouvoir de Barack Obama avec l'objectif de retirer l'armée américaine d'Irak puis d'Afghanistan, et surtout des révoltes arabes animées par un désir de démocratie plutôt que par l'activisme islamique, et enfin la mort d'Oussama Ben Laden, le 2 mai 2011 au Pakistan. Ces événements, ainsi que le fractionnement d'Al-Qaida en filiales autonomes, n'ont toutefois en rien signé l'acte de décès du djihadisme, loin de là.

Au début des années 2000, le premier essor djihadiste fut dû à de multiples facteurs, dont la seconde Intifada et la colère face à l'interminable drame palestinien, l'émergence de la figure charismatique de Ben Laden et le fait qu'il soit parvenu à ébranler les Etats-Unis, puis la nature de la réponse américaine aux attentats du 11-Septembre : occupation de l'Afghanistan alors que les talibans avaient quitté le pouvoir et que les survivants d'Al-Qaida étaient réfugiés au Pakistan, création du camp de Guantanamo, usage de la torture, invasion de l'Irak.

Le déclencheur, cette fois, fut la résistance opposée par un dictateur arabe, Bachar Al-Assad, à la contestation populaire en Syrie, et sa détermination à plonger son peuple dans une spirale de l'horreur (200 000 morts) plutôt que de quitter le pouvoir. L'autre raison est l'accélération de l'affrontement violent entre sunnites et chiites au Moyen-Orient.

La rivalité actuelle entre Al-Qaida, dirigée par Ayman Al-Zawahiri, et l'EI, dirigé par Abou Bakr Al-Baghdadi, devenu le calife Ibrahim, ne devrait pas conduire, cette fois non plus, à en conclure trop hâtivement à la mort d'Al-Qaida. La proclamation du califat le 29 juin par l'EI est une remarquable victoire pour le mouvement djihadiste mondial.

Ayman Al-Zawahiri a commis une erreur tactique dans la guerre de Syrie : il a confié le label d'Al-Qaida au seul Front Al-Nosra, groupe djihadiste dont l'agenda est prioritairement syrien, et a demandé à l'EI de se cantonner à l'Irak. L'ambitieux Abou Bakr Al-Baghdadi a refusé, préférant la scission avec Al-Qaida.

Cette dernière n'est pas irréversible. Il y a dix ans, Ben Laden et Al-Zawahiri avaient déjà été réticents à adouber le fondateur du djihadisme irakien, Abou Moussab Al-Zarkaoui, avant de céder et de lui accorder leur label sous le nom d'Al-Qaida au pays des Deux Fleuves, ancêtre de l'EI.

La rivalité entre les têtes actuelles du djihadisme mondial se traduit aujourd'hui par une lutte à deux niveaux, international et local.

Vers une nouvelle alliance ?

Au niveau international, Al-Qaida résiste. Son commandement central survit clandestinement au Pakistan et son allié taliban a retrouvé des forces en Afghanistan. Ses deux principales filiales, Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), basée au Yémen, et Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), basée dans le Sahel, ont renouvelé depuis le 29 juin leur serment d'allégeance à Zawahiri. Les Chabab somaliens ont suivi. Quelques serments au califat sont également apparus sur des forums djihadistes, sans conséquences notables. La principale défection remonte au 31 mars, lorsque neuf commandants de la zone pakistano-afghane avaient prêté allégeance à l'EI et rejoint la Syrie.

Au niveau local en revanche, c'est l'EI qui a clairement le vent en poupe. Malgré l'arrivée signalée de renforts al-qaïdistes du Pakistan aux côtés du Front Al-Nosra en Syrie, le califat est devenu tellement puissant militairement et financièrement, attractif pour les djihadistes étrangers, et il inspire une telle terreur aux populations, qu'il est en train d'établir des bases solides dans les territoires qu'il a conquis, à partir de ses fiefs de Rakka en Syrie et Mossoul en Irak.

L'avenir dira si la rivalité est destinée à durer, si Al-Qaida va tenter de réagir spectaculairement, ou si Al-Zawahiri et Al-Baghdadi négocieront une nouvelle alliance, sous l'égide d'Al-Qaida ou du califat.

Aujourd'hui, c'est le calife Ibrahim, l'homme pressé, qui a les cartes en main. Il a un territoire et une armée. Il s'est autoproclamé " commandeur des croyants ", alors que Ben Laden avait accordé ce titre à son hôte pachtoun taliban, le mollah Omar. Et il s'est autoproclamé " calife " dès ses premiers succès, alors que Ben Laden, en homme patient, n'espérait sans doute pas établir un califat de son vivant.

Les deux organisations sont cependant, au-delà des luttes de pouvoir, si proches, qu'elles finiront probablement par se rejoindre, d'une manière ou d'une autre. Si elle connaît un moment difficile, Al-Qaida est tout sauf morte. Et son idéal encore moins.

Ben Laden a simplement deux héritiers, d'un côté l'organisation qu'il a bâtie et les filiales sur lesquelles il a apposé son sceau, et de l'autre le fils inattendu et turbulent qui se proclame calife sans y être convié. Ce sont les aléas de l'histoire, et les surprises de la guerre. L'irrésistible ascension de ce djihadisme protéiforme n'en demeure pas moins une victoire incontestable.

par Rémy Ourdan

Service International

ourdan@lemonde.fr

 

Syrie : l'ONU dénonce les exécutions publiques du vendredi organisées par l'EI

Le Monde.fr avec AFP 27.08.2014

L'Organisation des Nations unies parle d'exécutions « devenues un spectacle ordinaire ». Dans un rapport, publié mercredi 27 août, une commission d'enquête des Nations unies affirme que l'Etat islamique organise des mises à mort publiques de civils les vendredis dans les zones syriennes sous son contrôle, à Rakka et dans la province d'Alep.

Cette commission, mandatée pour enregistrer les violations du droit international relatif aux droits humains en Syrie, souligne qu'il s'agit de crimes contre l'humanité. Pour elle, l'objectif de l'Etat islamique est d'« instiller la terreur parmi la population » et de s'assurer qu'elle soit soumise à son autorité.

DES ARMES CHIMIQUES UTILISÉES PAR DAMAS EN AVRIL

D'après les enquêteurs, les djihadistes encouragent, et obligent parfois, la population à assister à ces exécutions. Si la plupart des victimes sont des hommes, plusieurs garçons âgés entre 15 et 17 ans ainsi que des femmes ont été exécutés sommairement.

La commission d'enquête soupçonne également Damas d'avoir largué des barils d'explosifs additionnés de chlore à Kafr Zeita, à Al-Tamana'a et à Tal Minnis, dans l'ouest du pays. « Il existe des motifs raisonnables de croire que des armes chimiques, probablement du chlore, ont été utilisées » huit fois sur une période de dix jours en avril, affirment les enquêteurs.

 

 

Les chrétiens d'Irak font irruption

dans la campagne électorale suédoise

 

Södertälje (Suède) Envoyé spécial
Le premier ministre conservateur, donné perdant aux législatives, appelle à accueillir les réfugiés

 

 

Après la messe, dimanche 24 août, des familles se dirigent vers le sous-sol de la petite église Saint-Gabriel, dans le centre commercial de Ronna, l'un des deux quartiers à majorité assyrienne de Södertälje, à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale suédoise. Après avoir béni une jeune fille agenouillée face aux icônes de l'église syriaque orthodoxe, le père Yacoub disparaît lui aussi par les escaliers.

Dans la salle d'en bas se tiennent d'un côté les hommes, chapelet en main, de l'autre les femmes et les enfants. Une centaine de personnes en tout. Ils viennent de Syrie, de Turquie, d'Irak. À la tribune, la maire sociale-démocrate de Södertälje, Boel Godner, entourée d'Assyriens, au premier rang desquels Yilmaz Kerimo, député originaire de Turquie, élu du Parlement suédois depuis 2002, et le père Yacoub qui accueille tout le monde en syriaque.

A trois semaines des élections législatives du 14 septembre, le sujet des chrétiens d'Irak domine la campagne électorale en Suède. A Södertälje, sanctuaire des chrétiens du Moyen-Orient depuis les années 1960, où l'on compte près de 30 000 Assyriens sur 90 000 habitants, tout ce qui se passe dans la province de Ninive, en Irak, a des répercussions directes sur cette cité industrielle ravagée par les problèmes sociaux.

" Södertälje est la ville la plus chrétienne de Suède ", s'enorgueillit la maire. Mais elle évoque rapidement les problèmes de logement. Les familles qui s'entassent à plusieurs dans un appartement, la surcharge dans les écoles. Dans la salle, les questions fusent, notamment sur l'accueil de non-chrétiens, bien que très minoritaires parmi les réfugiés. " Pourquoi on prend des musulmans ici ? ", demande une femme. " La Suède est un pays humanitaire qui accepte des réfugiés du monde entier. On ne peut pas refuser l'asile aux gens à cause de leur religion ", répond Boel Godner. " Et les bus 5 et 7 qui ont été supprimés ! ", s'insurge un homme aux cheveux blancs. Une autre femme intervient. " Si vous acceptez encore des réfugiés, comment allez-vous les loger ? "

La déclaration surprise du premier ministre conservateur, Fredrik Reinfeldt, quelques jours plus tôt, est encore dans toutes les têtes. Dans une campagne jusque-là dominée par la dégradation du système éducatif et les prises de bénéfice des entreprises privées œuvrant dans le secteur public, le chef du gouvernement a prévenu que la Suède allait faire face à une vague de demandes d'asile en raison de la situation dans le nord de l'Irak. L'Agence des migrations a demandé une rallonge de plus de 5 milliards d'euros pour les quatre ans à venir afin de faire face à cet afflux.

" Je sais que cela va provoquer des tensions, a dit le premier ministre. Aussi je demande au peuple suédois de faire preuve de patience et d'ouvrir son cœur. " Il s'est empressé d'ajouter que cet effort interdisait toute dépense supplémentaire dans d'autres domaines et que le temps des promesses électorales était révolu. Le gouvernement qu'il dirige depuis huit ans est en mauvaise posture alors que les sociaux-démocrates devancent largement les conservateurs dans les sondages.

Fredrik Reinfeldt a été accusé de faire le jeu de l'extrême droite et de faire croire que toute réforme à venir était bloquée à cause de l'accueil de réfugiés. Il a été particulièrement mal compris à Södertälje, d'autant que, comme l'a relevé le quotidien Dagens Nyheter, la commune a accepté 77 réfugiés pour 1 000 habitants entre 2006 et 2013, tandis que celle du premier ministre, Täby, au nord de Stockholm, en a accepté 3 pour 1 000.

" Nous n'avons pas attendu pour ouvrir notre cœur, martèle Boel Godner. Pendant huit ans, Anders Borg - le ministre conservateur des finances - a à peine bougé le petit doigt pour soutenir les communes qui accueillent des réfugiés. " Elle promet qu'avec les sociaux-démocrates au pouvoir, elle fera tout pour supprimer le libre établissement des réfugiés en Suède : " A la place, je favoriserai l'accueil solidaire des réfugiés par toutes les communes. "

Président de la Fédération des Assyriens de Suède, dont le siège est à Södertälje, Afram Yakoub préférerait aider les chrétiens sur place : " Nous sommes contre la venue des Irakiens ici. Il faut les aider à rester en Irak, sinon nous faisons le jeu des terroristes qui procèdent à la purification ethnique de la région. Que l'on nous arme plutôt, comme les Kurdes. " Un discours qui n'a reçu aucun écho.

Au printemps, à Södertälje, c'est l'accueil des réfugiés syriens qui représentait l'urgence. " La vague irakienne entre 2006 et 2008 était unique, mais depuis l'été 2012, celle de Syrie est plus importante encore ", explique Johan Ward, responsable de l'accueil et de l'intégration des demandeurs d'asile dans la commune. Depuis septembre 2013, la Suède a décidé d'attribuer un permis de séjour permanent aux Syriens qui étaient autorisés à séjourner sur le territoire suédois pour des raisons de protection.

Ces chrétiens d'Orient ont développé un sanctuaire unique en Suède avec ses clubs de football concurrents, ses chaînes de télévision, ses succès économiques dans le secteur de la restauration, ses églises, ses divisions religieuses et politiques, et des élus que l'on retrouve de la gauche à l'extrême droite. A travers le pays, des dizaines d'Assyriens sont candidats aux élections. Ils ont déjà compté un ministre et plusieurs députés. Et le flux ne va pas tarir. Selon l'Agence des migrations, Södertälje devrait accueillir une partie des chrétiens fuyant le nord de l'Irak au printemps 2015.

Olivier Truc

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L'archipel des sunnites Publié le Mardi 26 Août 2014 à 22:44:06

L'archipel des sunnites

Henri Tincq

Slate.fr 19.08.2014

Frères musulmans, Hamas, al-Qaida, État islamique, Boko Haram... Derrière une matrice «salafiste» commune, une infinie variété de mouvements, des premiers islamistes modérés aux militants radicaux d’aujourd’hui et aux combattants du djihad mondial. Tentative de cartographie.

Après l’échec des deux totalitarismes meurtriers du XXe siècle, le nazisme et le communisme, le monde s'est cru, au moins pour quelque temps, à l'abri de nouvelles menaces grâce au retour à une certaine prospérité, très inégalement répartie, et à la paix. Mais depuis, les affrontements entre pays, races, ethnies n’ont guère cessé, alimentés par des haines religieuses instrumentalisées à des fins politiques. Cet extrémisme religieux contraint les pays démocratiques à une vigilance de tous les instants, pèse sur la politique internationale et, par contagion, nourrit d'autres extrémismes et entraîne une spirale sans fin de violences.

Le réveil du fondamentalisme sunnite est l’un des événements majeurs de la fin du dernier siècle. Il est un élément décisif de la déstabilisation politique au Proche-Orient (Frères musulmans, Hamas palestinien, al-Qaida et son dérivé, l’Etat islamique), en Afrique (al-Qaida au Maghreb islamique, Boko Haram au Nigéria), en Afghanistan et au Pakistan (talibans) et même, sous une forme plus modérée, en Turquie (AKP).

Cet islamisme sunnite est activé, depuis trente ans, par l’interminable conflit israélo-arabe, par des guerres désastreuses en Afghanistan et en Irak, par les révolutions arabes de 2011, par la contagion islamiste en Afrique, hier en Algérie, aujourd’hui en Afrique sahélienne. Avant de voir ce qui distingue ces mouvements, il faut commencer par étudier leur matrice commune.

1. La matrice salafiste 

Ces groupes islamistes s’enracinent tous plus ou moins dans la théologie salafiste, courant le plus rigoriste de l’islam sunnite. Le «salafisme» contemporain a été inspiré en particulier, au XVIIIe siècle en Arabie, par le penseur Mohamed Ibn Abdel-Wahhab. Pour lui, le déclin des pays musulmans face à l'Occident résulte de l'oubli du message originel de l'islam par des élites musulmanes raffinées et laxistes. Il prêche une lecture littéraliste et puritaine de l'islam et s'allie avec Mohamed Ibn Saoud, fondateur de la dynastie ultraconservatrice qui dirige encore aujourd'hui l'Arabie saoudite, inspiratrice de l’islamisme mondial.

Dans la diversité de leurs étiquettes, ces islamistes modérés ou radicaux qui défraient l’actualité ont en commun cette théologie salafiste ou wahhabite qui prône le retour au Coran, à la Sunna (la tradition du Prophète), à la charia (loi islamique), à la séparation stricte entre les sexes. Adeptes d'une lecture fondamentaliste des textes sacrés, ils vénèrent les salaf, c’est-à-dire les «ancêtres pieux» (Mahomet et ses compagnons), imitent leur façon de parler et de s’habiller, portent, comme eux, une longue barbe. Les femmes sajafistes se vêtent d’un niqab qui couvre intégralement leur corps et leur visage, ne laissant apparaître que les yeux.

Ils s'estiment les représentants du seul véritable islam et appellent à purifier la religion de toute influence occidentale et étrangère. Ils rejettent les quatre écoles traditionnelles du droit musulman –hanéfite, malékite, chaféite et hanbalite– pour ne s'inspirer que du Coran et de la Sunna. Ils veulent revenir aux sources précisément pour débarrasser l’islam de toutes ses interprétations humaines, dénonçées comme des «innovations». Les «salafistes» au sens strict se tiennent en général éloignés du combat politique, même s’ils ont présenté des candidats lors des élections législatives de 2012 qui ont suivi la révolution en Egypte.

2. Les frères musulmans et la tentative de «ré-islamisation par le haut»

Aux sources de la pensée et des organisations islamistes contemporaines, il faut aussi citer la société des Frères musulmans, fondée en Egypte en 1928 par l’instituteur Hassan al Banna, et le Jamaat i-Islami, créé en 1941 au Pakistan par Abul a'la-Maududi

Ces groupes ont aussi en commun le rêve d’un retour à l’âge d'or mytifié de l'islam des débuts. Ils réclament davantage d’islam dans tous les domaines de la vie publique et privée, prêchent un ordre moral strict, une obéissance inconditionnelle à Dieu, la guerre contre les «infidèles» et les juifs. Dans le sous-continent indien, le Jamaat i-Islami n’est guère contesté par des mouvements plus radicaux, mais chez les Frères musulmans d’Egypte, une mouvance extrémiste et terroriste va émerger, inspirée en particulier par Sayyid Qutb, penseur et militant radical exécuté par Nasser en 1966.

Les Frères musulmans et les groupes politiques plus ou moins clandestins inspirés du salafisme s’exportent à la fin des années 1980: le Hamas (Résistance palestinienne) est fondé en 1987 par des Frères musulmans; en Algérie, le Front islamique du salut apparaît en 1989 et rêve d’instaurer dans son pays un Etat islamique et la charia; en Egypte, les militants radicaux des Frères musulmans prospèrent aussi sur fond de détresse sociale et font la guerre à Gamal Abdel Nasser, à Anouar el-Sadate (assassiné sous leurs coups en 1981) puis à Hosni Moubarak.

Le succès de ces mouvements islamistes vient de leur quadrillage social dans les quartiers urbanisés et de leurs actions d’assistance et de formation. Ils sont à l’origine des révolutions arabes comme au Caire en 2011. Les Frères musulmans ont ensuite fait en Egypte une désastreuse expérience du pouvoir avec leur président élu Mohamed Morsi, abrégée par l’armée en 2013.

Cette première tentative de «ré-islamisation par le haut» (selon l’expression de Gilles Kepel) dans le monde musulman sunnite échoue depuis trente ans, à la différence ce qui s’est passé dans l’islam chiite avec le succès de la Révolution iranienne en 1979. Les Frères musulmans et les salafistes sont détestés par les intellectuels laïques et les partis d’inspiration socialiste ou marxiste et sont victimes de la répression militaire, notamment en Egypte et en Algérie.

Leur radicalisation croissante sème le deuil, mène à l'assassinat de touristes étrangers (les attentats en Egypte), menace et expulse les minorités religieuses (les chrétiens), et trouve son paroxysme dans les années 90. En Algérie, le Front islamique du salut est responsable de la terrible guerre civile qui fait une centaine de milliers de morts. En Palestine, le Hamas, au pouvoir à Gaza, durcit son combat, purement nationaliste au début, contre Israël.

3. Le tournant du djihad mondial

Le fondamentalisme sunnite a rompu, depuis les années 1990, avec ces premières formes d’islamisme, soit modérées, soit terroristes, qui étaient, à l’origine, un jeu de forces sociales (élites sans avenir, jeunesse urbanisée et désespérée) et d’influences intellectuelles, mais qui ont échoué. Un islam complètement perverti, d’une violence encore plus radicale, de type planétaire et suicidaire, a succédé à ce premier fondamentalisme sunnite.

On est aujourd’hui dans l’ère du djihad mondial –al-Qaida, talibans, Boko Haram, État islamique– qui menace le monde civilisé, déstabilise les relations internationales et l’équilibre mondial. Ce djihadisme mondial s’est répandu chez les talibans en Afghanistan, au Pakistan, au Proche-Orient, en Irak, dans l’Afrique maghrébine et sahélienne, et jusqu’en Occident. Les attentats terroristes du 11-septembre à New-York et Washington, ceux qui sont ensuite survenus au Maroc, à Madrid, Londres, Bombay ou Nairobi, montrent qu’aucune partie du monde n’est épargnée.

Les militants de ce djihad mondial sont nés dans ce qu’on a appelé la génération des camps: les «camps de concentration» de l’Egypte de Nasser, où étaient détenus les premiers combattants islamistes, et les camps d'entraînement du Pakistan, d'Afghanistan, d’Algérie. Ce sont –si l'on veut comparer avec la guerre d'Espagne de 1936– les «brigadistes internationalistes» de l'islam. Lavage de cerveau, préparation militaire, enseignement militant wahabbite et salafiste: cette émergence d'un islamisme de la terreur n'a plus rien à voir avec celui des premiers Frères musulmans de Hassan el-Bannah en Egypte, avec Maududi dans le sous-continent indien ou ces autres théoriciens dépassés des premières générations modérées.

 

4. Les talibans, où comment un système d'enseignement a été dévoyé

Prenons le cas des talibans: leur régime de terreur a été renversé à Kaboul (qu’ils avaient conquis en 1996) par les Américains en 2002, mais ils sont restés militairement actifs dans un pays toujours en guerre comme l’Afghanistan et dans ces zones-frontières floues avec le Pakistan, dominées par les tribus pachtounes, devenues l’un des plus grands viviers au monde de cet islamisme djihadiste qui ensanglante la planète.

Ces talibans sont issus d'un milieu traditionnel, celui des écoles Deobandi de l'Inde remontant à l'époque coloniale, destinées à former de bons musulmans dans un environnement hindou. Or, ce système scolaire a transformé ces étudiants en machines à fabriquer des fatwas terroristes et des kamikazes. Il les a fait basculer dans l'activisme le plus sordide et le plus criminel. Comment un enseignement codifié de mollahs ou d'oulémas a pu être ainsi pris en otage par des réseaux terroristes radicaux? Les spécialistes n’ont pas fini de se poser la question.

5. al-Qaida,  une expansion fondée sur deux ressorts

Le réseau al-Qaida (la «base»), cofondé par Oussama ben Laden en 1987, prend ses racines dans les thèses islamistes radicales comme celles de l’Egyptien Sayyid Qutb. Son djihaddisme se répand dans le monde, au Proche-Orient, en Afrique sahélienne, en Asie grâce à ses «succursales» et des «réseaux» plus ou moins organisés, «dormants» ou au contraire très actifs quand il s’agit de préparer des actions d’éclat et des attentats.

L’expansion d’al-Qaida dans les années 1990 et 2000 s’appuie sur deux ressorts principaux.

Le premier est la «victimisation» de la communauté des musulmans dans le monde, la fameuse oumma. Le monde musulman asiatique, arabe, africain est victime d'une accumulation de souffrances et de frustrations, égrenées par des noms de lieux «martyrs» répétés à l'infini: aujourd’hui Palestine, Irak, hier Tchétchénie, Kosovo, Bosnie, où pourtant, dans chaque cas, les situations politiques et religieuses sont différentes. C'est l'appel à l'oumma souffrante. Un Ben Laden, abattu en 2011 par les forces américaines au Pakistan, n'était pas soutenu par des classes sociales définies ou un mouvement politique qui se reconnaissait en lui, mais il en appelait à la mobilisation de l'oumma humiliée par les Occidentaux «croisés» et les juifs.

Le deuxième ressort d’Al-Qaïda et de ses dérivés du djihad mondial, c'est le discours apocalyptique, celui du Jugement dernier auquel tout musulman, le jour de sa mort, est appelé. C'est ce ressort qui est utilisé pour envoyer les candidats aux attentats-suicides au mausolée des martyrs (les chahid), pour lancer les appels au djihad contre un Occident diabolisé. L’objectif d’al-Qaida est de tenter de créer un affrontement de civilisations, de cultures, de religions, en se fondant sur l'historicité de l'action du Prophète, sur une interprétation à l'état brut des versets les plus belliqueux du Coran, une absence totale d'interprétation historique et critique.

6. L'État islamique, filiale et rival

Après la disparition d’Oussama ben Laden, les djihadistes d’al-Qaida sont restés actifs sous la direction de son numéro deux Ayman al-Zawahiri. Mais, au prix d’une infinie surenchère, d’autres djihadistes sunnites, encore plus violents, ont émergé en Irak, regroupés sous la bannière de l’Etat islamique.

A l’origine, il constitue une émanation de la branche irakienne d’al-Qaida qui, en avril 2013, a voulu fusionner avec le Front al-Nosra, groupe djihadiste présent dans la guerre en Syrie, pour fonder l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Mais al-Nosra a refusé cette fusion et, depuis, les deux groupes sont engagés dans une guerre fratricide.

L’Etat islamique représente un potentiel de dangerosité supérieur à celui d’Al-Qaïda et inquiète aussi bien l'Iran que les Etats-Unis, l’Europe ou l'Arabie saoudite. Il mène une guerre de conquête en Irak, prend des villes, chasse les minorités religieuses (notamment chrétiennes), rêve de fonder un Etat islamique de part et d'autre de la frontière syro-irakienne.

al-Qaida reposait sur la fortune personnelle d'Oussama Ben Laden et des donateurs issus des pays du Golfe. Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’EI, aussi puissant que discret, est plus indépendant. Il s’est autoproclamé «calife» et dispose de sources de revenus plus variées: puits de pétroles et centrales électriques s'ajoutent à son réseau de contrebande, d'extorsions et d'enlèvements contre rançon.

L’Etat islamique se compose de quelques milliers de militants irakiens, qui possèdent une bonne connaissance du terrain, mais aussi de nombreux Syriens entraînés par trois ans de guerre contre Bachar el-Assad. D'autres combattants ont été formés en Tchétchénie ou en Afghanistan. Entre 1.500 et 2.000 viendraient d’Europe. Leur chef, Al-Bagdadi, entretient de très mauvaises relations avec al-Zawahari, son rival d'al-Qaida. Il conteste ouvertement son autorité en refusant de se retirer du front syrien au profit du groupe al-Nosra.

7. Boko Haram, les talibans du Nigéria

D’autres djihadistes sont recrutés en grand nombre depuis dix ans au Maghreb islamique et au Nigéria. Dans ce dernier pays, le «géant de l’Afrique», la secte Boko Haram, «groupe pour la prédication et le djihad», surtout implantée dans le Nord à majorité musulmane, s’illustre depuis sa création en 2002 par des séries de violences fanatiques contre le gouvernement central, contre les chrétiens (attaques d’églises), contre les femmes (rapts collectifs, viols). Le nom de Boko Haram (en langue haoussa) veut dire «l’éducation occidentale est un péché». Prônant un islam radical et rigoriste, son idéologie est proche de celle des talibans d’Afghanistan.

Au final, quel est l’avenir de ce djihad mondial? Les frustrations sociales et politiques qui le nourrissent restent énormes dans les pays musulmans africains, asiatiques ou arabes. Mais l’oumma, qu’il tente de mobiliser, n’est pas homogène et, bien qu’en progrès, les djihaddistes ne peuvent pas créer, à eux seuls, les conditions d'un soulèvement planétaire de l'islam contre l'Occident.

On peut donc faire l'hypothèse –mais avec prudence– que cet islamisme à tendance mondiale, qui joue sur les ressorts d'un islam persécuté dans un affrontement apocalyptique de civilisations, n'a pas d'avenir, s'il reste, comme aujourd’hui, l'affaire de réseaux de têtes brûlées et n’a pas davantage de base sociale, ni de soutien politique.

8. L'exception AKP

Dans ce tableau mondial du fondamentalisme sunnite, il faut faire une place à part à l’AKP (Parti de la justice et du développement), qui vient de réaffirmer son pouvoir en Turquie par l’élection à la présidence de la République de son chef, Recep Tayyip Erdogan. Ce parti n’a bien sûr rien à voir avec le djihadisme mondial, mais l’islamisme modéré qu’il prône correspond lui aussi à une forme de «réislamisation» de la société turque, qui apparaît comme une menace, à peine voilée, contre la laïcité, principe fondateur de la République moderne fondée en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk.

A ceux qui contestent son autoritarisme et la dérive religieuse de son régime, le chef de l’AKP répète qu’il veut seulement former une jeunesse religieuse en adéquation avec les valeurs et les principes de la nation turque. Lors de sa dernière campagne, Recep Tayyip Erdogan interpellait ainsi ses adversaires, en termes populistes: «Attendez-vous du parti conservateur et démocrate AKP qu'il forme une génération d'athées? C'est peut-être votre affaire, votre mission, pas la nôtre. Vous ne voulez pas d'une jeunesse religieuse. La voulez-vous droguée?»

On peut lire dans son discours une volonté de promotion de l'islam, non pas comme outil de revendication politique, mais comme vecteur privilégié du lien social. Avant lui, le «bon et pieux» croyant était obligé de se situer contre la laïcité officielle. Depuis dix ans, l’AKP d’Erdogan tente de croiser la référence individuelle à l’islam et le respect constitutionnel de la laïcité. Tenter de concilier ces deux dimensions soulève toutefois bien des ambigüités et des antagonismes en Turquie, mais tous les pays musulmans qui rejettent l’islamisme extrémiste ont aujourd’hui les yeux tournés vers l’expérience turque.

Henri Tincq

L'Etat islamique est une start-up qui cartonne. Voici ses résultats en chiffres

Grégoire Fleurot 26.08.2014

L'Etat islamique, ce groupe djihadiste qui s'est autoproclamé califat et applique sa version brutale et sanguinaire de la loi islamique dans le grand territoire à cheval entre la Syrie et l'Irak qu'il contrôle désormais, est différent des autres groupes terroristes armés de la planète.

Aucune autre organisation du même type ne contrôle à l'heure actuelle un territoire aussi vaste, n'a autant d'argent, n'est aussi active et habile dans ses campagnes de recrutement et de communication à travers le monde et n'administre les habitants des zones qu'elle contrôle avec autant de sérieux.

A tel point que le magazine Matter compare l'Etat islamique à une start-up à la «croissance explosive, disruptive et super-méchante» (l'organisation publie d'ailleurs un rapport d'activité annuel de plusieurs centaines de pages, comme n'importe quelle entreprise), dont elle a réuni les chiffres clés dans une infographie très instructive.

D'abord, l'argent. L'Etat islamique est le groupe terroriste le plus riche du monde, et de loin, avec une trésorerie qui a atteint 2 milliards de dollars grâce à ses victoires militaires de ces derniers mois, contre autour de 500 millions pour les Talibans ou le Hezbollah ou encore 350 millions pour les FARC.

Une grande partie de cet argent provient des puits de pétroles que contrôlent le groupe, comme le montre ce camembert des sources de revenu.

Si l'Etat islamique était un pays, sa population serait de 6 millions d'habitants, comme le Nicaragua, et sa superficie (qui évolue de jour en jour) serait d'environ 90.000 km² sur un territoire compris dans un triangle entre les villes de Racca en Syrie et de Mossoul et Falloujah en Irak, soit l'équivalent du Portugal.

Ce graphique montre l'évolution du nombre de combattants du groupe, qui s'appelait encore récemment l'Etat islamique en Irak et au Levant, qui est passé d'à peine 1.000 en 2012 à 80.000 aujourd'hui. Une courbe à faire pâlir n'importe quelle start-up de la Silicon Valley:

Un recrutement qui s'est parfois effectué de force, mais qui a aussi et surtout bénéficié des talents de l'organisation en termes de communication: au total, les soutiens de l'Etat islamique peuvent tweeter jusqu'à 40.000 messages par jour, tandis que des t-shirts et autres magazine à sa gloire sont vendus dans le monde entier. 

 

Grégoire Fleurot

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L'appel du Vatican aux musulmans est ambigu Publié le Mardi 26 Août 2014 à 19:09:00
L'appel du Vatican aux musulmans est ambigu

Le Monde.fr | 25.08.2014 à 18h09 | Par Mustapha Cherif (Philosophe, membre du Forum Mondial-Islamo-Catholique, lauréat 2013 du prix UNESCO pour le dialogue des cultures)

Le pape François lors de son Angelus où il a exprimé son soutien aux chrétiens d'Irak, le 20 juillet 2014. Le pape François lors de son Angelus où il a exprimé son soutien aux chrétiens d'Irak, le 20 juillet 2014. | AP/Alessandra Tarantino

 

Le Vatican appelle les musulmans, notamment ceux qui sont engagés dans le dialogue interreligieux, à « condamner sans conditions, ni ambiguïté » le drame des chrétiens d'Irak. Les musulmans condamnent avec force et clarté ces crimes et dénoncent l'invocation délirante de la religion pour les justifier. Dire notre solidarité et exprimer notre sentiment horrifié et ému au sujet des exactions commises contre les chrétiens d'Orient est un devoir. Les populations musulmanes d'Irak refusent de voir disparaître une partie d'eux-mêmes. Reste que trois points méritent une clarification.

Le premier a trait au risque d'amalgame. Le fait que les appels lient la dénonciation du drame des chrétiens d'Irak à la crédibilité des musulmans pose un grave problème, comme si l'usurpation du nom par des fous criminels était de notre responsabilité et comme si les autorités musulmanes étaient muettes. Cela ne correspond pas à la réalité. Depuis l'apparition de ces sectes monstrueuses, les élites musulmanes les dénoncent. L'inquisition n'est pas plus dans l'Evangile, que le terrorisme ne l'est dans le Coran. En tant que citoyens de confession musulmane nous sommes opposés à l'usurpation du nom de l'islam qui secrète cet amalgame abject. Nous devons faire preuve de discernement en évaluant les sombres vingt dernières années face à quinze siècles d'histoire. Les musulmans, héritiers d'une civilisation universelle et épris de liberté, de paix et de justice, souffrent de cet  injustifiable amalgame.

Le second point concerne les causes. Ne pas faire allusion aux causes du drame, c'est indirectement accuser la société musulmane. Le vivre ensemble entre les chrétiens et musulmans de l'Orient est millénaire, malgré des tensions passagères. Il a fallu la guerre d'Afghanistan, l'invasion de l'Irak, les ingérences et les  manipulations, la contrefaçon de la religion par des régimes archaïques, pour voir proliférer des sectes barbares.

Les groupes terroristes, surmédiatisés, sèment le chaos. Ils nuisent aux musulmans, aux valeurs abrahamiques, au patrimoine commun. Ils font le jeu de ceux qui divisent pour régner, qui s'inventent un nouvel ennemi pour asseoir leur hégémonie. Ils cherchent à nous couper du monde, à annihiler toute perspective de démocratisation. Cela encourage l'islamophobie et le prétendu choc des civilisations. Dans toutes les régions du monde où les terroristes sévissent, les chiffres sont éloquents : pour 100 victimes assassinées par eux plus de 90 sont musulmanes ! Le fait est éloquent.

L'UNIVERSALITÉ COMME HORIZON

Troisièmement, nous devons dénoncer les atteintes aux droits de l'homme et les crimes de guerres, partout dans le monde, sans faire de diversion, ni hiérarchiser les drames. Nous souffrons des crimes et de la situation d'apartheid que subissent les palestiniens, chrétiens et musulmans. Gaza est bombardé, agressé, sous blocus, et l'islamophobie enfle en Europe, mais ne sommes pas sélectifs en matière de solidarité. Les chrétiens d'Orient n'ont rien à voir avec les xénophobes et autres agresseurs qui se réclament de la culture judéo-chrétienne. Tout comme les musulmans d'Europe et du monde ne sont pas comptables des errements de ceux qui dévoient l'islam. Les sectes criminelles ne doivent  pas servir de prétexte au recul du dialogue et du vivre ensemble, ni faire oublier les autres drames et crimes contre l'humanité.

L'Occident doit savoir que Saint François d'Assise, Gandhi ou Martin Luther King pourraient aussi bien être musulmans. La culture humaniste de l'islam, le respect d'autrui, la liberté de conscience et du dialogue que le Prophète a léguée est trahie par les extrémistes. Il est inadmissible que l'on puisse s'en prendre à des citoyens en raison de leurs convictions. Les chrétiens ont droit à une protection, en fidélité aux principes coraniques et aux recommandations du Prophète, qui prône une fraternité universelle excluant toute discrimination.

L'Eglise d'Orient a survécu tout autant grâce à la volonté des communautés chrétiennes de vouloir continuer d'exister que par respect pour la pluralité. En terre d'islam se refugiaient des minorités religieuses persécutées. Il y a 150 ans, l'Emir Abdelkader au nom de l'humanisme musulman sauvait des milliers de chrétiens à Damas face à la folie sectaire. Nous proclamons notre solidarité aux chrétiens d'Orient et à la juste cause du peuple palestinien. L'universalité est notre horizon.

  • Mustapha Cherif (Philosophe, membre du Forum Mondial-Islamo-Catholique, lauréat 2013 du prix UNESCO pour le dialogue des cultures)

 

Le Monde.fr | 25.08.2014 à 18h09 | Par Mustapha Cherif (Philosophe, membre du Forum Mondial-Islamo-Catholique, lauréat 2013 du prix UNESCO pour le dialogue des cultures)

Le pape François lors de son Angelus où il a exprimé son soutien aux chrétiens d'Irak, le 20 juillet 2014. Le pape François lors de son Angelus où il a exprimé son soutien aux chrétiens d'Irak, le 20 juillet 2014. | AP/Alessandra Tarantino

 

Le Vatican appelle les musulmans, notamment ceux qui sont engagés dans le dialogue interreligieux, à « condamner sans conditions, ni ambiguïté » le drame des chrétiens d'Irak. Les musulmans condamnent avec force et clarté ces crimes et dénoncent l'invocation délirante de la religion pour les justifier. Dire notre solidarité et exprimer notre sentiment horrifié et ému au sujet des exactions commises contre les chrétiens d'Orient est un devoir. Les populations musulmanes d'Irak refusent de voir disparaître une partie d'eux-mêmes. Reste que trois points méritent une clarification.

Le premier a trait au risque d'amalgame. Le fait que les appels lient la dénonciation du drame des chrétiens d'Irak à la crédibilité des musulmans pose un grave problème, comme si l'usurpation du nom par des fous criminels était de notre responsabilité et comme si les autorités musulmanes étaient muettes. Cela ne correspond pas à la réalité. Depuis l'apparition de ces sectes monstrueuses, les élites musulmanes les dénoncent. L'inquisition n'est pas plus dans l'Evangile, que le terrorisme ne l'est dans le Coran. En tant que citoyens de confession musulmane nous sommes opposés à l'usurpation du nom de l'islam qui secrète cet amalgame abject. Nous devons faire preuve de discernement en évaluant les sombres vingt dernières années face à quinze siècles d'histoire. Les musulmans, héritiers d'une civilisation universelle et épris de liberté, de paix et de justice, souffrent de cet  injustifiable amalgame.

Le second point concerne les causes. Ne pas faire allusion aux causes du drame, c'est indirectement accuser la société musulmane. Le vivre ensemble entre les chrétiens et musulmans de l'Orient est millénaire, malgré des tensions passagères. Il a fallu la guerre d'Afghanistan, l'invasion de l'Irak, les ingérences et les  manipulations, la contrefaçon de la religion par des régimes archaïques, pour voir proliférer des sectes barbares.

Les groupes terroristes, surmédiatisés, sèment le chaos. Ils nuisent aux musulmans, aux valeurs abrahamiques, au patrimoine commun. Ils font le jeu de ceux qui divisent pour régner, qui s'inventent un nouvel ennemi pour asseoir leur hégémonie. Ils cherchent à nous couper du monde, à annihiler toute perspective de démocratisation. Cela encourage l'islamophobie et le prétendu choc des civilisations. Dans toutes les régions du monde où les terroristes sévissent, les chiffres sont éloquents : pour 100 victimes assassinées par eux plus de 90 sont musulmanes ! Le fait est éloquent.

L'UNIVERSALITÉ COMME HORIZON

Troisièmement, nous devons dénoncer les atteintes aux droits de l'homme et les crimes de guerres, partout dans le monde, sans faire de diversion, ni hiérarchiser les drames. Nous souffrons des crimes et de la situation d'apartheid que subissent les palestiniens, chrétiens et musulmans. Gaza est bombardé, agressé, sous blocus, et l'islamophobie enfle en Europe, mais ne sommes pas sélectifs en matière de solidarité. Les chrétiens d'Orient n'ont rien à voir avec les xénophobes et autres agresseurs qui se réclament de la culture judéo-chrétienne. Tout comme les musulmans d'Europe et du monde ne sont pas comptables des errements de ceux qui dévoient l'islam. Les sectes criminelles ne doivent  pas servir de prétexte au recul du dialogue et du vivre ensemble, ni faire oublier les autres drames et crimes contre l'humanité.

L'Occident doit savoir que Saint François d'Assise, Gandhi ou Martin Luther King pourraient aussi bien être musulmans. La culture humaniste de l'islam, le respect d'autrui, la liberté de conscience et du dialogue que le Prophète a léguée est trahie par les extrémistes. Il est inadmissible que l'on puisse s'en prendre à des citoyens en raison de leurs convictions. Les chrétiens ont droit à une protection, en fidélité aux principes coraniques et aux recommandations du Prophète, qui prône une fraternité universelle excluant toute discrimination.

L'Eglise d'Orient a survécu tout autant grâce à la volonté des communautés chrétiennes de vouloir continuer d'exister que par respect pour la pluralité. En terre d'islam se refugiaient des minorités religieuses persécutées. Il y a 150 ans, l'Emir Abdelkader au nom de l'humanisme musulman sauvait des milliers de chrétiens à Damas face à la folie sectaire. Nous proclamons notre solidarité aux chrétiens d'Orient et à la juste cause du peuple palestinien. L'universalité est notre horizon.

  • Mustapha Cherif (Philosophe, membre du Forum Mondial-Islamo-Catholique, lauréat 2013 du prix UNESCO pour le dialogue des cultures)
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Publié le Mardi 26 Août 2014 à 09:17:36

Il n'y a pas de réponse unique et simple

au «fascisme islamique»

Daniel Vernet 16.08.2014

http://www.slate.fr/story/91003/fascisme-islamique-reponse-occident

 

Des membres de la minorité Yézidis fuient l'avancée des soldats de l'Etat islamique en Irak. 10 août 2014. REUTERS

Des membres de la minorité Yézidis fuient l'avancée des soldats de l'Etat islamique en Irak. 10 août 2014. REUTERS

Il faut s’attendre à continuer à vivre dans un monde sans principe d’organisation, où les ripostes se font au coup par coup, variables selon les pays et les époques avec des alliances contradictoires.

Les Américains lâchent quelques bombes sur les positions de l’Etat islamique pour l’empêcher de gagner du terrain en Irak. Ils envoient aussi une aide humanitaire de concert avec les Européens qui se demandent encore s’ils doivent livrer des armes et à qui pour contrer les djihadistes. 

François Hollande a tranché: les premières livraisons d’armes françaises sont parties mercredi 13 août. Mais tout le monde s’accorde pour dire qu’il n’y a pas de solution militaire à l’instauration d’un «califat» à cheval sur la Syrie et l’Irak, qui va bouleverser les frontières du Moyen-Orient. Seulement une solution politique, dont personne ne connaît ni les contours ni les protagonistes.

Un véritable Etat islamique sur un territoire donné

Voici cet Etat islamique, non pas surgi de nulle part, puisque ses militants s’étaient manifestés en Irak en 2007 contre le «surge» décidé par George W. Bush dans le vain espoir de stabiliser la situation, mais inattendu, mal connu, qui a repris une nouvelle vigueur à l’occasion de la guerre civile en Syrie. Ce n’est plus l’al-Qaida qu’on connaissait et auquel, d’une certaine façon, on s’était habitué. C’est un mouvement plus radical, avec des ambitions à la fois plus limitées – il ne veut pas, au moins dans un premier temps, faire la guerre aux Occidentaux dans l’ensemble du monde --, et plus élevées – il cherche à établir un véritable Etat sur un territoire déterminé, ce à quoi n’aspirait pas Ben Laden.

La riposte serait plus facile s’il était possible de le placer dans une case connue: islamiste, salafiste, sunnite… qu’importe pourvu qu’on puisse le qualifier faute de le comprendre. Les Occidentaux sont à la recherche d’un principe explicatif général. 

Depuis la fin de la guerre froide ils sont orphelins d’un paradigme unique permettant de structurer leur stratégie. Quand il s’agissait de lutter contre le communisme, les choses étaient relativement simples.  

Pendant plus de quarante ans (1947-1989), le monde a été divisé en deux blocs idéologico-militaires. La politique étrangère des Etats était déterminée par l’appartenance à l’un ou à l’autre. 

Il y avait bien les «non-alignés», ou le «tiers-monde», qui, comme leur nom l’indiquait, n’étaient ni à l’Est ni à l’Ouest. Mais ils se définissaient finalement par rapport aux deux grands blocs, ne fut-ce que pour les rejeter.

Dans chaque camp, il y avait aussi des marginaux, comme la France gaulliste, qui essayaient de renforcer leur rôle en jouant sur les rivalités entre les deux Grands. Toutefois quand les tensions devenaient sérieuses, crise de Cuba en 1962, ou crises à répétition autour de Berlin divisée, le général ne se trompait pas de camp et était même parfois plus dur vis-à-vis des Soviétiques que les Américains eux-mêmes.

Pas le même aveuglement qu'avec le fascisme et le communisme

Après la chute du mur de Berlin et la dissolution de l’URSS, le monde bipolaire a disparu. Au cours des premières années qui ont suivi, certains ont cru à l’avènement d’un monde unipolaire, avec les Etats-Unis comme seule grande puissance capable de dicter la loi internationale. 

Cette impression simpliste n’a pas duré. Les Américains, et les Occidentaux en général, n’étaient pas en mesure d’imposer partout les principes qui leur avaient permis de gagner la guerre froide. L’aspiration à la démocratie libérale gagnait peut-être du terrain mais, contrairement au titre du livre de Francis Fukuyama, «l’Histoire n’était pas finie».

Un politologue russe, qui avait été le conseiller de Leonid Brejnev avant d’être aussi celui de Mikhaïl Gorbatchev, était devenu célèbre à la fin des années 1980, en apostrophant ainsi les Occidentaux : «Nous allons vous faire le plus mauvais coup imaginable, avait dit Gueorgui Arbatov. Nous allons vous priver d’ennemi.» Sans ennemi, la mobilisation était plus difficile et la quiétude des «dividendes de la paix» risquait de l’emporter sur la vigilance.

Le communisme évanoui, il fallait donc se trouver un autre ennemi. Certains ont pensé le voir dans le «choc des civilisations» (Samuel Huntington) qui aurait remplacé les conflits idéologiques. Plus précisément, après les attentats du 11 septembre 2001, l’islamisme allait faire l’affaire, sous diverses appellations: le «terrorisme», qui a donné chez George W. Bush «la guerre à la terreur», le «fascisme à visage islamique» (le journaliste anglo-américain Christopher Hitchens) ou le «fascisme vert» aux couleurs de l’islam, ou encore l’islamisme radical comme «nouveau totalitarisme» (l’essayiste américain de gauche Paul Berman).

Toute une frange de la gauche libérale américaine a été tentée au début des années 2000 de soutenir la croisade des néoconservateurs en faveur de la promotion musclée de la démocratie dans ce que Bush appelait «le Grand Moyen-Orient», en commençant par le renversement de Saddam Hussein et la guerre en Irak de 2003. Collaborateur du magazine de gauche Dissent et de The New Republic, Paul Berman a théorisé la montée de ce nouveau «totalitarisme». 

Dans son livre Terror and Liberalism (traduit en français sous le titre Les Habits neufs de la terreur, avec une préface de Pascal Bruckner – Hachette, 2004), il explique que dans la guerre contre le terrorisme, l’ennemi n’est pas le monde arabe, mais le totalitarisme: le même qui ensanglanta l'Europe du XXème siècle et qui  revient repeint aux couleurs du nationalisme arabe ou de l'islamisme. Il poursuit la comparaison avec les totalitarismes du siècle passé en mettant en garde les intellectuels contre le même aveuglement qui les a fait sous-estimer les dangers du communisme et du fascisme. Ils ne doivent pas recommencer la même erreur.

Quelle stratégie occidentale?

Le signal d’alarme était peut-être nécessaire, même s’il parait un peu excessif de prendre la guerre d’Irak pour «notre guerre d’Espagne». Lors de la sortie du livre en français, le politologue Pierre Hassner a souligné le caractère indifférencié de l’analyse de Berman. 

Il a critiqué «des rapprochements suggestifs isolés de leur contexte» et la tendance à transformer en un mouvement unique des manifestations multiformes. Et il mettait en garde à son tour contre «les prophètes du conflit des civilisations», «terribles simplificateurs qui contribuent au développement des phénomènes qu’ils dénoncent avec beaucoup d’éloquence».

Face au communisme, la stratégie avait été mise en place dès 1947: l’endiguement. Empêcher l’expansion du bloc soviétique en attendant son (inévitable) effondrement. 

Face aux nouvelles menaces représentées par le radicalisme islamique, il n’y a pas de réponse simple ou univoque. Les spécialistes de l’islam ont averti depuis longtemps qu’il n’existait pas d’explication simpliste, de dénominateur commun qui permettrait de ramener les diverses manifestations de cette résurgence de l’islam à une racine unique. Mise à part une référence générale au Coran qui souffre des interprétations diverses, il y a plus de divergences que de points communs entre al Qaïda, les Frères musulmans, les salafistes, les chiites et les sunnites, etc.

Les conflits au Moyen-Orient ne peuvent être ramenés à une racine unique. Il s’y mêle les luttes interreligieuses, les affrontements claniques, les rivalités entre Etats, les ambitions personnelles. 

Depuis longtemps le spécialiste du monde musulman Olivier Roy a annoncé «l’échec de l’islam politique» en tant qu’idéologie supranationale, avec parfois sa composante révolutionnaire comme en Iran. A la place s’est installé un «jeu d’alliances fluides» qui rend la riposte d’autant plus difficile. 

On ne saurait bien sûr sous-estimer la haine qu’éprouvent les uns à l’égard des autres les sunnites et les chiites. Mais cette haine n’est pas l’explication dernière. 

L’Arabie saoudite, qui se veut le rempart des sunnites contre le chiisme iranien, est hostile aux Frères musulmans, tandis que l’Etat islamique qui veut venger les sunnites d’Irak contre les chiites rêve d’en finir avec le clan des Saoud.

Les Etats-Unis et l’Iran qui n’ont pas de frelations diplomatiques depuis 1979 ont des intérêts communs en Irak face au «califat». L’Arabie saoudite, qui est un des pays les plus proches des Américains dans la région, participe au fractionnement du camp sunnite et entretient des groupes radicaux qui s’en prennent à «l’impérialisme yankee». Israël et certains pays arabes sont également hostiles au Hamas, qui ne peut plus guère compter sur l’aide du Hezbollah occupé en Syrie à soutenir Bachar el-Assad contre les djihadistes, ni sur celle de l’Iran car tous les modérés iraniens cherchent avant tout à trouver un accord avec la communauté internationale sur leur programme nucléaire.

Olivier Roy ajoute à ce tableau composite l’effet du pluralisme religieux au sein de l’islam. Il prend l’exemple de l’Egypte où coexistent – et s’affrontent – les Frères musulmans, les salafistes, l’iman de la mosquée Al-Azhar qui fait autorité, à quoi il faut ajouter la tentative du régime militaire de susciter un islam d’Etat pour cimenter son pouvoir.

Il n’y a donc pas une seule réponse à un «fascisme islamique» qui serait lui-même une idéologie globalisante. D’où la difficulté de définir une stratégie, pour les Etats occidentaux, mais aussi pour les Russes (et pour les Chinois dans le Xinjiang). 

Russes et Occidentaux se font face en Ukraine, mais les uns et les autres partagent un objectif commun dans la lutte contre le terrorisme islamiste. En représailles aux sanctions décidées à la suite de l’annexion de la Crimée, Vladimir Poutine a menacé les Etats-Unis et l’Europe de mettre fin à la coopération dans la lutte contre le terrorisme. 

Il est cependant peu probable qu’il passe à l’acte. Car il est tout aussi dépendant des informations occidentales que les Occidentaux le sont du renseignement russe.

Il faut donc s’attendre à continuer à vivre dans un monde sans principe d’organisation, où les ripostes se font au coup par coup, variables selon les pays et les époques, avec des participants à géométrie variable et des alliances contradictoires, tiendront lieu de politique. Deux pays arabes théâtres d’interventions extérieures au cours des dernières années sont en train de s’effondrer avec des conséquences humanitaires dramatiques: l’Irak et la Libye. Tous les regards sont tournés vers le premier qui a une importance stratégique. Qui se soucie du second ?

 

Daniel Vernet

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Publié le Mardi 26 Août 2014 à 00:13:21

Irak : Déclaration du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux

 

Le 12 août 2014, le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, présidé par le cardinal Jean-Louis Tauran, a appelé à une réaction claire et courageuse des responsables musulmans devant les crimes commis en Irak contre les minorités religieuses. Voici la déclaration du Conseil en intégralité.

Le monde entier a assisté, stupéfait, à ce qu’on appelle désormais «la restauration du califat» qui avait été aboli le 29 octobre 1923 par Kamal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne.

La contestation de cette «restauration» par la majorité des institutions religieuses et politiques musulmanes n’a pas empêché les jihadistes de l’«Etat Islamique» de commettre et de continuer à commettre des actions criminelles indicibles.

Ce Conseil pontifical, tous ceux qui sont engagés dans le dialogue interreligieux, les adeptes de toutes les religions ainsi que les hommes et les femmes de bonne volonté, ne peuvent que dénoncer et condamner sans ambiguïté ces pratiques indignes de l’homme:

- le massacre de personnes pour le seul motif de leur appartenance religieuse;

- la pratique exécrable de la décapitation, de la crucifixion et de la pendaison des cadavres dans les places publiques;

- le choix imposé aux chrétiens et aux yézidis entre la conversion à l’islam, le paiement d’un tribut (jizya) ou l’exode;

- l’expulsion forcée de dizaines de milliers de personnes, parmi lesquelles des enfants, des vieillards, des femmes enceintes et des malades;

- l’enlèvement de jeunes filles et de femmes appartenant aux communautés yézidie et chrétienne comme butin de guerre (sabaya);

- l’imposition de la pratique barbare de l’infibulation;

- la destruction des lieux de culte et des mausolées chrétiens et musulmans;

- l’occupation forcée ou la désacralisation d’églises et de monastères;

- la retrait des crucifix et d’autres symboles religieux chrétiens ainsi que ceux d’autres communautés religieuses;

- la destruction du patrimoine religieux-culturel chrétien d’une valeur inestimable;

- la violence abjecte dans le but de terroriser les personnes pour les obliger à se rendre ou à fuir.

Aucune cause ne saurait justifier une telle barbarie et certainement pas une religion. Il s’agit d’une offense d’une extrême gravité envers l’humanité et envers Dieu qui en est le Créateur, comme l’a souvent rappelé le Pape François.

On ne peut oublier pourtant que chrétiens et musulmans ont pu vivre ensemble - il est vrai avec des hauts et des bas - au long des siècles, construisant une culture de la convivialité et une civilisation dont ils sont fiers. C’est d’ailleurs sur cette base que, ces dernières années, le dialogue entre chrétiens et musulmans a continué et s’est approfondi.

La situation dramatique des chrétiens, des yézidis et d’autres communautés religieuses et ethniques numériquement minoritaires en Irak exige une prise de position claire et courageuse de la part des responsables religieux, surtout musulmans, des personnes engagées dans le dialogue interreligieux et de toutes les personnes de bonne volonté. Tous doivent être unanimes dans la condamnation sans aucune ambiguïté de ces crimes et dénoncer l’invocation de la religion pour les justifier. Autrement quelle crédibilité auront les religions, leurs adeptes et leurs chefs? Quelle crédibilité pourrait avoir encore le dialogue interreligieux patiemment poursuivi ces dernières années?

Les responsables religieux sont aussi appelés à exercer leur influence auprès des gouvernants pour la cessation de ces crimes, la punition de ceux qui les commettent et le rétablissement d’un état de droit sur tout le territoire, tout en assurant le retour des expulsés chez eux. En rappelant la nécessité d’une éthique dans la gestion des sociétés humaines, ces mêmes chefs religieux ne manqueront pas de souligner que le soutien, le financement et l’armement du terrorisme est moralement condamnable.

Ceci dit, le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux est reconnaissant envers tous ceux et celles qui ont déjà élevé leurs voix pour dénoncer le terrorisme, surtout celui qui utilise la religion pour le justifier.

Unissons donc nos voix à celle du Pape François: « Que le Dieu de la paix suscite en tous un désir authentique de dialogue et de réconciliation. La violence ne se vainc pas par la violence. La violence se vainc par la paix!».

 

 

 

http://www.lavie.fr/actualite/documents/irak-declaration-du-conseil-pontifical-pour-le-dialogue-interreligieux-12-08-2014-55403_496.php

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