Fatigué
par les excès de plus d’une décennie d’ « immobilisme », de magouilles
en tout genre, de népotisme, le peuple venait de choisir un héritier du
système pour reformer un univers fortement opaque et conservateur. Par
quelques artifices merveilleusement utilisés, on fit croire que le
preux chevalier, bien qu’illustre membre du gouvernement sortant, était
un homme neuf, digne d’aller en croisade contre les non-sens politiques
que lui-même en son temps avait participé à instaurer. De l’unicolore
grisâtre du vieux régime chiraquien, on passa rapidement à la brillance
maximale pour mieux aveugler les peuplades dans l’attente désespérée du
miracle. Il y eut donc à cette fin, la mise en place d’un concept fort
ancien, subtilement flou que l’on nomma « ouverture », une sorte de
débauchage des frustrés, cupides et avides qui se terraient chez les
adversaires, ils reçurent des postes plus ou moins prestigieux sans
réel pouvoir, car comme durant toute sa carrière politique l’Elu jouait
avec virtuosité sur l’apparence et l’illusion. L’ouverture ne
consistant pas uniquement à mettre dans sa gibecière gouvernementale
les hommes d’en face mais de s’ouvrir également idéologiquement aux
idées d’autrui et d’incorporer ses différences dans l’élaboration d’un
programme commun et élargie. C’est peut-être dans cette perspective
qu’il fallait comprendre le slogan « Ensemble tout devient possible »
qui fut son leitmotiv dans sa marche vers le trône présidentiel.
Mais
tout le monde le savait le nouveau Prince ne comptait pas négocier sur
le fond, la foule délirante qui l’avait consacrée Roi pour qu’il redore
le blason d’un pays qu’il avait contribué à ternir, attendait de lui
autre chose que les sempiternels tergiversations politiques de l’ancien
régime. De la virilité et de l’excitation souvent amalgamée au
dynamisme, au-delà d’un véritablement changement institutionnel et
social, voilà l’essentiel de l’action de cet Empereur dont la brutalité
témoignait plus de son incapacité à négocier, à faire évoluer par la
concertation que de son impatience infantile et son mépris inné pour
les plus faibles, un comportement assez paradoxal quand l’on connaît
ses origines modestes. Peut-être a-t’il toujours cru que discuter sans
humilier était l’apanage des hommes médiocres, alors qu’il l’aurait
valu mieux écouter les autres que de s’écouter soi-même en longueur de
temps. Il est vrai comme le souligne souvent Alain Minc, l’homme qui
murmure à l’oreille du Prince, que Zeus n’est pas idiot. Peut-on être
idiot et rendre publique son divorce le même jour où le pays entier est
paralysé par un mouvement social d’une grande ampleur afin de détourner
cyniquement l’attention sur ce qui se passe dans le lit impérial ?
L’intelligence du Prince égale celle de Dieu lui-même. Qui pourrait
faire croire au monde que seule l’intervention de l’Impératrice, l’arme
au poing, a permis de sauver de la barbarie du berbère libyen les
pauvres innocentes bulgares, en faisant passer en silence les efforts
titanesques des diplomates européens et internationaux qui durant des
mois ont mené avec un certain succès des négociations discrètes ? Qui
pourrait laisser entendre que la libération d’Ingrid Betancourt est due
uniquement à la mobilisation permanente d’un Président à peine
installer dans le fauteuil présidentiel ? L’intelligence du Prince est
comme sa mission, divine.
Et
comme toute vocation divine, toute forme de contestation ou de
protestation est systématiquement taxée de blapsheme haineux, le
« sarkozysme primaire », injure suprême aussi puissante que celle de se
taire face à un certain extrémisme israélien de peur d’être
« antisémite ». Dans le nouveau royaume, la critique est un luxe qu’un
nombre restreint de privilégiés peut encore se payer, mais pour combien
de temps ? Même les dinosaures disait-on indéboulonnables et
inaltérables, ont finalement été réduit au silence. Dans les
conférences de rédaction de cette presse au garde- à-vous, l’angoisse
est présente dans les esprits et la hantise d’être le prochain sur la
liste est palpable. Les medias, naguère contre-pouvoir, se soumettent à
l’autocensure et évite trop souvent d’aborder les questions de fond,
préférant se concentrer sur les faits divers moins risqués. Depuis son
accession, le Prince a fait de la communication un véritable acteur de
l’action politique. De plus en plus, l’égocentricité du surjeu portée
par l’invasion du « Je » à la place du « nous » collectif, et sublimée
par les « spotlights », a transformé le sens du politique en une
personnalisation étouffante. Grâce à cette nouvelle gouvernance basée
sur sa propre personne, sur l’omniprésence et l’omnipotence, on
centralise le débat sur soi en dictant l’actualité à ceux dont le rôle
premier consiste à s’arrêter un moment pour dégager le vrai de
l’ivraie. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette
personnalisation de la politique n’entraîne pas forcement une
responsabilité directe et accrue, lorsque les nuages s’amorcellent à
l’horizon, on trouve rapidement d’autres coupables, la crise
financière, les caisses vidées par les prédécesseurs, la conjoncture
internationale défavorable etc. Un exemple de cette escroquerie
intellectuelle, il y a quelques mois, Nadine Morano, ce pitbull avec un
rouge à lèvre, mettait la réduction du chômage sur le compte de
l’activisme présidentiel, alors que ce résultat était la conséquence
des efforts constants des gouvernements précédents que l’on accusait
aujourd’hui de paresse et de laxisme. Des semaines plus tard, la hausse
du chômage était par un tour de passe-passe le signe de la profondeur
de la crise économique mondiale.
Le
dictat de l’image à entraîner la classe politique française vers une
sorte de damnation idéologique. Des grandes messes d’évangélisation où
l’on appelle à la FRA-TER-NI-TE aux ministres devenus des égéries des
marques du chic, la mutation est inquiétante. Il ne faut pas attendre
de l’opposition émiettée en clans qui se détestent farouchement,
qu’elle puisse être une force de proposition, une alternative
intéressante. Les intérêts personnels priment sur les urgences sociales
et les préoccupations citoyennes. Et le rare qui parvient à se faire
entendre, à cristalliser une certaine espérance, appelle à la mort du
capitalisme cannibale, un remake moderne de la lutte des classes. Le
reste se fond dans le paysage ou presque. Le démocrate chrétien de
droite devenu par opportunisme centriste, c’est-à-dire assis
politiquement le « cul entre deux chaises », dont le programme
électoral ressemble à la virgule près à celui du parti impérial comme
l’a justement souligné le très ambitieux et brillant François Copé au
cours d’un échange télévisé mémorable qui a mis à nu l’absurdité d’un
mouvement sans âme mais surtout sans capitaine. De l’autre coté on
assiste volontiers à l’agonie de l’extrême droite qui espère que
l’aggravation de la situation économique finira par provoquer un
apocalypse social dont les boucs émissaires idéaux seront ces
« sauvages » d’étrangers, voleurs d’emploi et ingrats. Avec une
politique d’immigration dite choisie puisque la France ne peut
« accueillir tout la misère du monde », misère dont elle est la cause
en pillant sans scrupule les ressources naturelles des pays du
Tiers-monde et en maintenant par tous les moyens leurs tyrans au
pouvoir, le parti impérial a su siphonner un flanc de la doctrine
frontiste remettant du coup en cause l’existence de l’extrême droite
sur l’échiquier politique nationale. Quand au parti à la rose, c’est
l’excellence du ridicule qui a prévalu depuis des mois. Entre
tripatouillages électoraux digne des républiques bananières et
déchirements viscéraux, le problème fondamental pouvait se résumer à
une folle opposition frontale et concentrée sur le prince et moins sur
son action, son agitation excessive, superficielle. En désignant une
représentante de la « gauche de la Gauche », le parti socialiste veut
désormais se donner les moyens de ne pas être une simple force
d’obstruction parlementaire mais d’incarner une autre « idée » de la
France. Mais avec une Ségolène, royale Diva, en embuscade, un Bill
Clinton français au Fond Monétaire International qui patiemment attend
son heure, les questions de leadership risquent de plomber durablement
une renaissance mal préparée. Tant que les mammouths de ce parti ne
permettront pas l’éclosion d’une nouvelle génération de jeunes
dirigeants incarnant la diversité de la société, qui permettent sa
reforme, l’on peut considérer cette formation politique comme morte et
enterrée.
La
nomination populaire du Prince a suscité bien des espoirs. Nombreux
sont ceux qui ont été déçus, nombreux sont ceux qui ont été satisfaits,
à commencer par les heureux bénéficiaires du paquet fiscal. Jamais en
cette fin d’année la détresse n’aura été si puissante et la colère si
intense. Malgré le satisfecit général sur le volontarisme du Prince
dans le Caucase comme lors des tribulations financières, le constat
froid et implacable s’impose, trop de bruit pour pas grand-chose. Il
aura fallu l’intervention américaine pour arrêter le géant russe dont
la Tsar Medvedev ironisera sur le manque de sereinité du leader
français. De même, l’organisation dans la précipitation d’une
conférence sur la crise financière n’a pas résolu les problèmes de
fond, et les engagements pris n’ont eu aucune portée à court mais aussi
à long terme sur la restructuration d’un système malsain. Si tout le
monde convient avec la catastrophe actuelle que reformer le
capitalisme, le moraliser est une exigence impossible à ignorer, il
faudrait du temps et de la concertation pour y parvenir tant les enjeux
sont énormes et les intérêts divergents. Ce qui est frappant dans cette
histoire très étrange, c’est que depuis l’éclatement de ce scandale
financier mondial aucun de ces fossoyeurs économiques n’a été
poursuivis ni incriminés pour avoir plonger le monde dans le chaos et
faire perdre à des millions de personnes leur sous. Comment moraliser
le capitalisme si l’on n’a même pas le courage de mettre en prison ces
gangsters à col blanc ? Il est plus aisé de traiter de racailles de
petits banlieusards et de se faire petit en profitant des largesses des
nantis, de la générosité de ses amis richissimes, on attend aussi que
l’on nettoie au karcher la finance internationale.
L’essentiel n’a plus aucun sens dans ce royaume où la saturation qu’elle soit médiatique ou politique a imposé de nouvelles considérations. Chaque fait divers appelle une nouvelle loi répressive. On se soucie très peu de comprendre le pourquoi du comment, trop lent, trop compliqué, il faut aller vite et provoquer la polémique pour mieux écraser et stigmatiser autrui. Sans le savoir, en quelques mois il s’est instauré dans la monarchie républicaine française une gouvernance parasite et toxique, le règne du Sur-Je.