Le
cholera prend des vies. Des populations sans eau, sans assainissement,
sans infrastructures, livrées à elles-mêmes, sont prises au piège et se
retrouvent souvent seules face à un destin deja scellé. Près de 600
morts en quelques semaines.
En septembre de cette année qui s’achève, une
épidémie de cholera emportait dans la quasi indifférence des centaines
de personnes dans l’une des régions les plus liberticides de la
planète, la Guinée Bissau. Quelques mois après, la même situation
sanitaire se répète au Zimbabwe attirant cette fois-ci toute
l’attention du monde. C’est vrai que depuis que le nom Zimbabwe est
devenu synonyme de chaos politique et d’apocalypse social, la
communauté internationale, ce formidable machin, prête aux litanies du
peuple zimbabwéen une oreille toute particulière. Plongé dans un
marasme économique sans précédent, ancien grenier d’Afrique australe,
se targuant naguère de nourrir la sous-région entière à lui seul, le
royaume de Robert Mugabe s’est enfoncé doucement dans les abysses du
népotisme et se laisse désormais dévorer par ses monstres ténébreux que
sont la corruption institutionnalisée, la divine impunité, la terreur
appuyée par une oppression mécanique et impitoyablement efficace.
Les récentes élections tenues au cours de cette année 2008, malgré
des législatives remportées à la surprise générale par l’opposition,
furent l’occasion de montrer l’affligeante bouffonnerie d’un régime qui
non seulement est inapte et usé mais continue à s’accrocher
coûte-que-coûte au pouvoir avec la bénédiction d’une Union Africaine
honteuse et irresponsable. Pourtant, il ne faut pas être un spécialiste
des droits de l’homme ou un politologue averti pour voir que ce qui se
passe au Zimbabwe relève de l’absurdité de la démagogie. Pendant que le
peuple vit chaque jour dans les horreurs de la pauvreté et semble
épuisé par les batailles vaines du changement qui prend son temps,
l’opulent prince et son impératrice s’offrent dans une capitale
fantôme, Harare, une vie de pacha. Et les nombreux courtisans dansant
au son des cantiques à la gloire du dieu vivant Mugabe et autour du
veau d’or recouvert pour l’occasion de dollar américain, s’assurent
avec minutie de la pérennité d’une monarchie à l’africaine. Mugabe
n’étant pas le seul monarque du continent à s’enrichir allégrement sur
les souffrances de son peuple en le tyrannisant sous le regard
bienveillant des nouveaux parrains asiatiques qui ont rapidement
remplacé ceux d’hier, les moralistes occidentaux. Il n’est qu’un nom
sur une liste trop longue d’empereurs présidentiels africains qui font
dans le silence sanglant de la répression ce que lui ose faire à la
lumière des caméras des médias internationaux. Si l’on prend en pitié
le peuple zimbabwéen, l’on devrait ouvrir des centres de compassion en
Tunisie, en Egypte, en Angola, en Guinée Equatoriale, au Gabon, au
Congo, au Cameroun etc., dans tous ces pays africains où le mot liberté
est un crime de lèse majesté.
Avec ces dizaines de milliers de malades souffrant de cholera et
près de 600 morts pour l’instant, le Zimbabwe, pays de toutes les
malédictions africaines réunies, attise toujours autant la fougue
dénonciatrice des dirigeants mondiaux, le courroux des vertueux. Les
populations dans l’attente d’une vraie mobilisation planétaire
s’entendent dire qu’il leur faudrait d’abord chasser leur prince,
soutenu durant des décennies par les Premier Ministres de sa Majesté,
avant d’espérer voir débarquer les médecins et les médicaments dont ils
ont urgemment besoin. A la place de réponse claire et appropriée face à
la situation sanitaire catastrophique du pays, l’énergie est focalisée
sur un individu que la raison a quitté depuis des lustres, et dont
l’humanité semble avoir déserté un cœur en poussière. Cela fait des
mois que Bob Mugabe méprise toutes les initiatives politiques et
diplomatiques visant à l’écarter d’une manière comme d’une autre de son
trône, et fait échouer régulièrement les négociations pour un partage
du pouvoir avec celui que le peuple et les leaders de la communauté
internationale ont deja choisi comme unique interlocuteur valable et
légitime, Morgan, Tsvangirai.
« Mugabe must go ! » lançait il y a encore quelques jours
Condoleeza Rice devant les images d’enfants et de femmes en train de
s’éteindre dévorés par une cholera sans pitié, une exigence tout aussi
irresponsable que le gouvernement que la Secrétaire d’Etat dit
représenter. Le temps n’est plus aux pressions et autres sanctions qui
laissent de marbre un peuple dont les préoccupations sont de survivre à
chaque heure qui passe. Et qu’importe donc les milliards de dollar
confisqués que les fonds vautours s’empresseront à leur tour de
détourner par le biais de procédures opaques voire criminelles, des
interdictions de voyager pour l’entourage du prince qui d’ailleurs
préfère le luxe déroutant de Dubaï et de Singapour à la froideur des
rues de New York ou de Paris, des ultimatums et autres singeries dont
la communauté internationale sait offrir quand le moment s’y prête le
moins. Le malade zimbabwéen couché dans un grabat n’espère rien d’autre
que des soins médicaux rapide. L’on se garda bien de questionner
certains pays asiatiques touchés par le tsunami sur la crédibilité
démocratique de leur régime politique, alors au nom de quelle doctrine
devrait-on laisser mourir des populations simplement parce que leurs
gouvernants sont des « gangsters » ? Au nom de quelle logique, de quel
raisonnement, de quelle idéal devrait-on considérer que les malheurs de
certains peuples valent mieux que ceux des autres et donc méritent un
traitement différent ? C’est un tsunami silencieux qui touche
actuellement le peuple zimbabwéen. Même si les pleurs de ces familles
là ne pèsent pas autant que les cris des « traders » de Wall Street, et
que leur désespoir n’affole pas les pôles financiers mondiaux poussant
les « Grands » à débourser des milliers de milliards de dollar, ce sont
des larmes d’êtres humains qui n’attendent pas beaucoup, ni visas pour
l’occident, ni paternalisme arrogant, seulement un peu d’humanité et de
responsabilité.
Tandis que des villages entiers sont décimés par un mal que l’on
croyait vaincu depuis des siècles, le cholera, les rois et empereurs
des Grandes Nations semblent décider à transformer cette urgence
sanitaire en une strangulation politique. Le « Bob » Mugabe,
Tout-Sanglant, se moquant bien de ces agitations de « blancs » et de
« traîtres » africains vendus à la cause occidentale, arrive par une
insolence qui le caractérise à faire un bras d’honneur aux nouvelles
sanctions internationales décidées contre son régime à l’agonie certes
mais ayant encore intacte toute sa capacité de nuisance. Malgré les
appels à la démission relayés par les médias, comme si au fond le
départ de Mugabe pourrait dans l’immédiat stopper l’inadmissible
carnage, le vétéran des luttes de libération nationale fait le sourd et
continue à régner sur un cimetière de plus en plus immense. Obligeant
presque l’Afrique du sud qui connait son lot de xénophobie à recevoir
les caravanes d’hommes squelettiques, vidés et au seuil de la mort. Il
est bien loin le fameux « We are the World ! », slogan fédérateur,
universel pour dire « Non ! » à la famine en Ethiopie. Aujourd’hui à
chacun sa misère.
Et l’Union Africaine moribonde et mort-né regarde comme toujours
les cadavres s’empiler et les fosses se remplir en espérant que
d’autres viennent faire son travail. Sa seule réussite depuis sa
création étant sa folle tendance au gaspillage et à l’entretien de ses
bureaucrates ventripotents roulant dans de superbes berlines et logeant
aux frais du contribuable dans de confortables châteaux. Avec la
désignation du Très Transparent Ping, nouveau président de la
Commission, qui fut épinglé par une enquête journalistique française
sur des biens immobiliers étrangement acquis, cette Union, qui n’unit
de fait que les intérêts des rois africains et ignore les aspirations
des populations, a déjà écrit sans le savoir son épitaphe et qu’il
appartient désormais aux nouvelles générations de repenser les
fondations d’une autre organisation panafricaniste, active et
exigeante. Parce qu’il est inadmissible qu’en ce siècle de toutes les
ambitions, l’on accepte la régression permanente imposée par de vieux
dinosaures dont l’horloge mentale, économique, sociale et politique est
restée figée à l’heure des années 1960.
Le cholera prend des vies. Des populations sans eau, sans
assainissement, sans infrastructures, livrées à elles-mêmes, sont
prises au piège et se retrouvent souvent seules face à un destin deja
scellé. Près de 600 morts en quelques semaines. Un bilan loin de
correspondre à l’ampleur réel du désastre. Nul été les efforts
titanesques entrepris dans un contexte difficile des organisations
onusiennes telles que l’Unicef qui distribue par jour environ 360 000
litres d’eau potable à ceux qui ne peuvent y avoir accès, c’est-à-dire
à une large majorité de la population, le nombre de décès serait plus
important. Un effort louable mais dérisoire. La Grande Bretagne dans sa
générosité si « british » va débloquer plus de 10 millions de livres
sterling, la France avance une première aide de « 200 000 » euros
pendant que les américains réfléchissent encore et que l’Union
Européenne discutaille. Entre temps, les charognards prennent d’assaut
les cieux d’Harare et laissent présager que la magie des fêtes de fin
d’année aura un arrière-goût de pompes funèbres au royaume de « Bob le
Sanglant »..
Comment
expliquer qu’en pleine période de célébration de la déclaration
universelle des droits de l’homme, de cet engagement fort pour le
respect des différences, que l’on puisse encore être victime d’insultes
horribles ? Comment expliquer que le même individu qui traite l’autre
de primitif et d’animal à cause de sa couleur de peau soit le même qui
arborait il y a encore quelques jours un soutien clair à Obama ? Il n’y
a pas de logique à la bêtise humaine, encore moins à la barbarie de
l’esprit.
L’une des lois fondatrices de la société
contemporaine est établie en une belle phrase : tous les hommes sont
libres et égaux. Mais confronté à la rude réalité de l’existence, cet
idéal de liberté et d’égalité ne parvient pas à tenir toutes ses
promesses, celles du respect, de justice et de tolérance. Jamais
l’humanité n’a su se conformer à ses propres règles édictées trop
souvent après les carnages, les sombres hécatombes et les folies
désastreuses. Comme si la sagesse ne pouvait naître uniquement qu’au
travers des ténèbres de la haine. C’est donc de la violence que la
civilisation grandit, que la communauté des hommes est prête à évoluer.
Ainsi le mépris de la valeur d’autrui et la négation de sa dignité sont
des sentiments qui semblent s’être incustrés dans la génétique de
l’espèce humaine.
L’histoire des hommes témoigne de cette propension au mal, de la
traite négrière à la shoah en passant par la discrimination quelle soit
raciale, ethnique ou sociale. Le quotidien nous offre son lot
d’attitudes étranges, confortant l’observateur dans cette logique que
l’être humain est foncièrement mauvais. Et que les moments de bonté,
aussi rares qu’accidentels, sont de parfaites illustrations de
l’impossibilité d’un humanisme durable, piégé entre la facilité du
rejet et la réalisation d’un idéal à la prétention trop grande.
Il aura suffit d’un « sale nègre ! » balancé comme un crachat dans
un des RER qui dessert les principales stations parisiennes pour que
l’hypocrisie des grands discours sur la dignité de l’homme comme un
voile immaculé soit souillé par des comportements sauvages et
dégradants. Comment expliquer qu’en pleine période de célébration de la
déclaration universelle des droits de l’homme, de cet engagement fort
pour le respect des différences, que l’on puisse encore être victime
d’insultes horribles ? Comment expliquer que le même individu qui
traite l’autre de primitif et d’animal à cause de sa couleur de peau
soit le même qui arborait il y a encore quelques jours un soutien clair
à Obama ? Il n’y a pas de logique à la bêtise humaine, encore moins à
la barbarie de l’esprit.
Je suis nègre. Je suis noir. Je suis humain. Que l’on trouve qu’il
y ait quelque chose d’impropre et de sale dans cette identité, que l’on
puisse la mépriser ou la condamner, cela ne changera pas grand-chose au
fait que le nègre appartient aussi à cette grande famille que l’on
nomme « humanité ». Et donc par conséquent mérite le respect et la
considération que l’on doit à tous. Il est tout de même formidable
qu’après des siècles de lutte et de libération, de batailles gagnées,
de combats menés et remportés, que le terme « nègre » soit encore
utilisé comme une balle de fusil pour transpercer le cœur des
mélanodermes. Une expression guillotine, puissante, odieuse tranchant
les politesses forcées pour mieux laisser gicler le sang de la négation
de cet autrui dont la puanteur nous paraît insupportable. Jamais face à
la violence de certains individus qui n’ont encore rien compris ou qui
refusent de comprendre, le sentiment de colère et d’impuissance n’aura
été aussi intense, aussi désespérant. La différence semble être à la
fois le talon d’Achille et la richesse de la Civilisation. Une sorte de
schizophrénie sociale règne partout où les diversités se côtoient, se
rencontrent, se mélangent même si des fois elles ont du mal à se
toucher. On se regarde en s’ignorant, on dresse des barrières mentales
et physiques en se félicitant des îlots de communautarisme qui
permettent à chacun de retrouver sa place et malheureusement d’y
rester. Un « bonjour » entraîne un réflexe de suspicion, un « puis-je
vous aider Monsieur ? » ouvre la porte à de malheureux malentendus.
La différence raciale puisqu’il faut la nommer reste
problématique, on ne l’avoue pas souvent, non par crainte mais par
sournoiserie. Quand on la loue et la revendique c’est souvent pour
répondre autrement à la stupidité de ces attitudes qui font si peu
d’honneur au genre humain ou alors pour enfumer les consciences en leur
permettant de s’endormir dans la quiétude paisible d’une société
responsable. Pourtant, au-delà des vigilances étatiques, juridiques et
associatives, cette différence là reste la source principale des
déchirements qui ont autrefois conduit le monde au bord du précipice.
Aujourd’hui l’on nous dit que les races n’existent pas pour tenter de
faire barrage à cette idée qui veut qu’il y ait sur terre des races
supérieures à d’autres, des catégories d’hommes purs et parfaitement
humains, et d’autres qui descendraient d’animaux comme le singe et donc
moins intelligents. Malgré les études scientifiques démontrant par
ailleurs que nous ne sommes qu’un, le « Mein Kampf » continue à être
après la Bible l’un des livres les plus lus au monde, inspirant de
jeunes skinheads, hordes de barbares lancées dans le rues pour
signifier aux beurs, aux nègres, aux juifs que la société ne tolérera
pas plus longtemps leur souillure. Et l’intolérance raciale maquillée
en politique de responsabilité, à l’instar de la chasse à l’étranger
dans cette Italie qui n’a pas perdu ses élans fascistes, dans cette
France abreuvée par des discours indignes revendiquant que l’on lui
apporte sur le plateau de la faillite économique et sociale la tête
ensanglantée de l’immigré clandestin, s’enracine dans les esprits. « Ah
si j’étais un blanc ! » me souffla un ami, fatigué d’être contrôlé
systématiquement par des policiers courant derrière les primes des
quotas atteints. Le contrôle au faciès, voilà une manière de faire
ressentir à autrui qu’il est vraiment différent, pire qu’il est un
danger potentiel, un problème à surveiller, un fugitif perpétuel.
La langue et le vocabulaire n’ont pas arrangé les choses. Tout ce
qui est immonde, répugnant, poisseux, l’horreur même, est « noir ». Le
« Black is beautiful » n’est ironiquement qu’une tentative bien faible
de montrer que ce qualificatif inapproprié, appliqué à une catégorie
d’humains est presque une condamnation à mort. Quant à « nègre » qui a
longtemps subsisté dans les discussions intellectuelles de ces Lumières
qui n’ont pas pu éclairer suffisamment leur propre ignorance, il porte
les cicatrices de l’inhumanité des souffrances, des injustices, des
tristesses d’un peuple mis au ban du monde. Et lorsqu’il arrive
d’offrir la gloire à un nègre c’est souvent pour demander au reste de
la peuplade d’arrêter de se plaindre. Un Mandela par siècle, un Soyinka
par millénaire, il n’y a pas de quoi réciter de longues litanies, la
reconnaissance sait sourire à qui sait attendre. Vivre avec le sceau de
l’infériorité marquée sur le front, c’est là le poids quotidien que
doivent subir ceux qui ont eu la malchance de naître du mauvais coté du
soleil. L’on aura beau se conformer aux règles, être meilleur et
talentueux, il y a toujours quelqu’un pour rappeler au « p’tit noir »
qu’il ferait mieux de retourner dans la forêt d’où il ne vient pas.
Tous les hommes sont libres et égaux. La belle promesse dont est
constituée le socle de notre société. Une vraie escroquerie
intellectuelle qui se révèle chaque fois que nous posons nos regards
sur autrui, chaque fois qu’il faut se taire par peur, chaque fois que
l’on se voit pointer du doigt parce que l’on est différent, une sorte
de bête de foire, ou l’on se retrouve être le bouc émissaire idéal au
service du spectacle épatant de la bêtise humaine.